La lettre juridique n°634 du 26 novembre 2015 : Avocats/Honoraires

[Jurisprudence] L'intervention de confrères étrangers constitue des frais pour l'avocat français

Réf. : Cass. civ. 2, 22 octobre 2015, n° 14-24.103, F-P+B (N° Lexbase : A0173NUX)

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par Guillaume Royer, Maître de conférences à Sciences-Po Paris (Campus franco-allemand de Nancy), Avocat au barreau de Nancy

le 26 Novembre 2015

Au travers de cet arrêt rendu en date du 22 octobre 2015, la Cour de cassation considère que les honoraires d'un confrère étranger constituent des "frais exposés" par l'avocat français au sens de l'article 10, alinéa 2, de la loi du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques (N° Lexbase : L6343AGZ), dont il convient de tenir compte dans la fixation de l'honoraire à défaut de convention conclue avec le client. Toutefois, la Cour de cassation assortit cette intégration d'une condition : l'avocat étranger doit avoir été mandaté directement par l'avocat français. En l'occurrence, une société avait sollicité un grand cabinet d'avocats d'affaires parisien pour défendre ses intérêts dans une procédure d'arbitrage, se déroulant à la Barbade, relative à la cession de ses parts dans une société tierce pour un prix d'environ 120 000 000 de dollars américains. Pour accomplir cette mission, les confrères parisiens ont requis l'avis de confrères étrangers en vue d'assurer au mieux la défense des intérêts de leur client dès lors que l'affaire relevait de l'application du droit de la Barbade. Les prestations du cabinet parisien avaient pleinement donné satisfaction à la société puisque l'arbitrage semble lui avoir été favorable. Quatorze notes d'honoraires avaient été établies, comportant en annexe un détail journalier des diligences effectuées, et avaient été acquittées sans réserve par la somme de 2 809 900 euros HT. Ces honoraires comprenaient notamment l'exécution des diligences ponctuelles effectuées par les confrères étrangers, dont le paiement des honoraires avait été, sans doute, avancé par le cabinet parisien. Plus tard, un différend est survenu entre la société et le cabinet d'avocat parisien sur le paiement de ces honoraires.

C'est dans ce contexte que la société a saisi le Bâtonnier de l'Ordre des avocats du barreau de Paris qui, par décision du 1er mars 2013, a fixé à une certaine somme le montant total des honoraires et débours dus par la cliente. Par une ordonnance en date du 27 mai 2014, le premier président de la cour d'appel de Paris a fixé le montant des honoraires et débours dus à la somme totale de 3 400 000 euros HT, tout en constatant qu'elle avait effectué des règlements pour un total de 2 809 900 euros HT, de sorte qu'elle devrait régler, au surplus, la somme de 590 100 euros au cabinet d'avocats parisien. Il a notamment considéré qu'il convenait de prendre en compte les diligences ponctuelles effectuées par les confrères étrangers. La cliente a formé un pourvoi en cassation, pris d'un moyen unique composé de six branches. L'ordonnance du premier président de la cour d'appel de Paris était essentiellement critiquée, sous divers angles, en ce qu'elle avait fixé le montant des honoraires du cabinet d'avocat parisien en prenant en considération les prestations effectuées par les confrères étrangers, sollicités exclusivement par le cabinet parisien. Mais la Cour de cassation rejette le pourvoi en considérant que "les honoraires d'avocats étrangers, mandatés pour le compte de son client par un avocat français, constituent pour ce dernier des frais au sens de l'article 10 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, soumis à l'appréciation du juge de l'honoraire en l'absence de convention". Ainsi, la Cour de cassation considère que les honoraires de diligences, réalisées par un confrère étranger, sont susceptibles de constituer des frais engagés par le confrère français (I) soumis, en cela, au juge de l'honoraire qui pouvait les apprécier souverainement (II).

I - Intégration aux frais de l'avocat français

A défaut de convention d'honoraires, l'article 10 de la loi du 31 décembre 1971, en sa rédaction applicable avant l'entrée en vigueur de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, dite loi "Macron" (N° Lexbase : L4876KEC), prévoyait que "l'honoraire est fixé selon les usages, en fonction de la situation de fortune du client, de la difficulté de l'affaire, des frais exposés par l'avocat, de sa notoriété et des diligences de celui-ci". Or, dans l'attendu conclusif de son arrêt, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation indique, avec une véritable clarté, que "les honoraires d'avocats étrangers, mandatés pour le compte de son client par un avocat français, constituent pour ce dernier des frais au sens de l'article 10 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, soumis à l'appréciation du juge de l'honoraire en l'absence de convention". Ainsi, l'arrêt apporte une importante précision à la notion de "frais engagés" par l'avocat au regard de l'article 10, alinéa 2, de la loi du 31 décembre 1971.

Il convient cependant de relever que la précision donnée par la Cour de cassation n'est guère surprenante. En pratique, il est extrêmement fréquent qu'un avocat appelle au concours d'un confrère dans le cadre d'un dossier. On songe évidemment au dominus litis qui sollicite un correspondant, postulant devant le tribunal de grande instance du litige. L'on songe également au confrère qui confie l'exécution de certaines diligences à un collaborateur du cabinet. A cet égard, la prise en compte des diligences d'autres avocats, au titre des "frais" de l'article 10 de la loi n° 71-1130 en date du 31 décembre 1971, a déjà été retenue par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation dans un passé récent. D'une part, un arrêt en date du 7 février 2013 a considéré que "les diligences accomplies par un collaborateur ou un juriste au sein d'un cabinet d'avocat constituaient des frais exposés par l'avocat dans l'exercice de son mandat de représentation et d'assistance et devaient être prises en compte dans la détermination de ses honoraires" (Cass. civ. 2, 7 février 2013, n° 11-26.718, F-P+B N° Lexbase : A6348I7A). D'autre part, et surtout, un arrêt en date du 28 juin 2007, avait déjà censuré une ordonnance rendue par le premier président de la cour d'appel de Paris, ayant fixé le montant des honoraires d'un avocat français qui avait sollicité le concours de correspondants étrangers, à défaut de convention, "sans analyser les factures d'honoraires présentées par les avocats étrangers" (Cass. civ. 2, 28 juin 2007, n° 05-19.057, F-D N° Lexbase : A9385DWI).

Toutefois, la Cour de cassation prend soin d'encadrer assez strictement l'intégration des prestations de l'avocat étranger dans la catégorie des "frais exposés" de l'article 10, alinéa 2, de la loi du 31 décembre 1971. En effet, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation prend soin de préciser que les avocats étrangers doivent nécessairement être "mandatés pour le compte de son client par un avocat français" et de vérifier ensuite qu'il s'évinçait des constatations souveraines du premier président de la cour d'appel de Paris que la société "[n'a] été en relation contractuelle qu'avec la société X et Y, avocat inscrit au barreau de Paris". Ce n'est qu'à cette condition que l'honoraire de l'avocat étranger peut être intégré dans la catégorie des frais de l'article 10 de la loi en date du 31 décembre 1971. En revanche, si le confrère étranger n'avait pas été mandaté par le confrère français pour effectuer certaines diligences dans le dossier, ses honoraires n'auraient pu constituer des "frais", au sens de l'article 10 alinéa 2 de la loi du 31 décembre 1971. Ils n'auraient pu alors être soumis au juge de l'honoraire français.

II - Soumission au juge de l'honoraire

En considérant que les honoraires de l'avocat étranger constituent des frais pour l'avocat français, la Cour de cassation les soumet au contentieux de l'honoraire prévu aux articles 174 et suivants du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, organisant la profession d'avocat (N° Lexbase : L8168AID). Restait donc ensuite au juge de l'honoraire d'évaluer les frais litigieux car, jusqu'à présent, l'article 10 de la loi du 31 décembre 1971 prévoyait qu'en l'absence de convention ayant fixé à l'avance le montant des honoraires, et en cas de désaccord entre l'avocat et son client, il appartenait au Bâtonnier, puis en cas de recours au premier président d'arbitrer cet honoraire en se fondant "selon les usages, en fonction de la situation de fortune du client, de la difficulté de l'affaire, des frais exposés par l'avocat, de la notoriété de l'avocat et des diligences entreprises par celui-ci". Or, force est de constater qu'aucun critère supplémentaire n'est offert pour guider le juge de l'honoraire. Et la jurisprudence n'est pas davantage exigeante puisqu'il est acquis que le premier président de la cour d'appel fixe souverainement le montant de l'honoraire (parmi de nombreux arrêts, voir, Cass. civ. 2, 21 janvier 2010, n° 06-18.697, F-P+B N° Lexbase : A4577EQL). La deuxième chambre civile de la Cour de cassation se montre d'ailleurs fort peu exigeante à cet égard. Pour approuver la décision du premier président de la cour d'appel de Paris, elle relève en l'espèce très brièvement qu'"il y avait lieu d'apprécier seulement la mission exécutée par celle-ci pour déterminer les honoraires qui lui revenaient en prenant en compte les interventions ponctuelles d'avocats étrangers auxquels elle avait recouru dont le coût devait être considéré comme des frais".

A l'avenir et avec l'entrée en vigueur de la loi "Macron", l'établissement de la convention d'honoraire entre l'avocat et son client devient obligatoire. Cette modification a pour objectif d'accroître la lisibilité et la transparence de l'honoraire de l'avocat. Désormais, l'alinéa 2 de l'article 10 de la loi du 31 décembre 1971 a été abrogé et n'a été maintenu que le premier alinéa, dont il s'évince désormais que "les honoraires de postulation, de consultation, d'assistance, de conseil, de rédaction d'actes juridiques sous seing privé et de plaidoirie sont fixés en accord avec le client". L'observateur attentif aura perçu que la catégorie des "frais exposés", utilement éclairé par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation dans l'arrêt commenté, a disparu de la nouvelle énumération légale et n'a donc pas survécu à la loi du 6 août 2015... Gageons que la loi "Macron" ne génère pas davantage de difficultés qu'elle ne prétend en résoudre...

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