Réf. : Cass. com., 6 octobre 2015, n° 14-11.680, FS-P+B (N° Lexbase : A0545NTD)
Lecture: 5 min
N0090BWA
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Bernard Saintourens, Professeur à l'Université de Bordeaux, Institut de recherche en droit des affaires et du patrimoine - IRDAP
le 26 Novembre 2015
Loin de ne régler que des questions de droit spécial des sociétés, l'arrêt est intéressant car, pour fonder le rejet du pourvoi, il s'appuie sur des positions de principe qui relèvent du droit commun des sociétés et soulèvent des interrogations tant au regard de leur soubassement théorique que de leur conséquences pratiques.
L'arrêt analysé permet, en effet, de confronter les règles restreignant le transfert d'actif d'une société à une autre avec le régime de la fusion-absorption (I) et de s'interroger sur la possibilité pour l'assemblée générale de modifier le contenu du projet de fusion soumis à son approbation (II).
I - Restriction au transfert d'actif d'une société et fusion-absorption
Le régime spécial des sociétés anonymes d'HLM comporte une règle restreignant les possibilités de transfert d'actifs sociaux, faisant application d'un principe rencontré pour d'autres formes de groupements (coopératives, associations, notamment). L'article L. 422-11 du Code de la construction et de l'habitation (N° Lexbase : L9166IZI), dans sa version applicable aux faits de l'espèce, dispose qu'à la dissolution d'une société d'HLM, l'assemblée appelée à statuer sur la liquidation ne peut, après paiement du passif et remboursement du capital social, attribuer la portion d'actif qui excèderait la moitié du capital social qu'à un ou plusieurs organismes d'HLM ou à l'une des fédérations d'organismes d'HLM, sous réserve d'une approbation administrative donnée dans des conditions fixées par décret. La modification apportée à ce texte par la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 (N° Lexbase : L8342IZY) a consisté à étendre le périmètre des entités susceptibles de recueillir l'excédent d'actif aux sociétés d'économie mixte de construction et de gestion de logements sociaux. Si la restriction est classique, c'est son champ d'application en considération des opérations en cause qui était en discussion.
Les auteurs du pourvoi estimaient que cette restriction légale s'appliquait à l'hypothèse d'un transfert d'actif réalisé dans le cadre d'une fusion-absorption. C'est en se fondant sur l'effet de transmission universelle de patrimoine, qui est attachée à la fusion, que la Cour de cassation justifie le rejet de la position défendue.
Même si l'on ne cherchera pas à nier la singularité du transfert universel de patrimoine, on ne peut passer sous silence que la position adoptée par la Haute juridiction peut conduire, en pratique, à un contournement de la restriction légale au transfert d'actif. Si l'on imagine une situation comptable de la société absorbée qui soit exempte de dette ou, plus probablement, dont le montant du passif est faible et qu'un actif très important sera, en réalité, recueilli par la société absorbante, le résultat sera bien sûr, financièrement, équivalent à celui qui résulterait d'un boni de liquidation transféré à la suite d'une liquidation faisant suite à une dissolution. Ce qui est prohibé dans cette hypothèse pourrait bien avoir lieu dans l'autre. En jugeant que, par principe, la restriction au transfert de l'excédent d'actif, visé par l'article L. 422-11 du Code de la construction et de l'habitation, ne peut s'appliquer à l'opération de fusion-absorption parce que, dans ce dernier cas, la transmission universelle du patrimoine fait que ce sont à la fois des dettes et des créances qui sont transférés, alors que dans le transfert du boni de liquidation, ce ne sont que des éléments d'actifs qui sont transférés, la Haute juridiction est bien sûr dans le vrai. Pour autant, on ne peut nier, qu'en pratique, les situations ne sont pas aussi tranchées et qu'en s'appuyant sur la technique de la fusion-absorption, le résultat que le texte prohibitif voudrait éviter est tout de même atteint. L'arrêt commenté pourra donc être retenu autant pour le principe, sans doute d'évidence, qu'il consacre que pour l'ouverture vers un contournement de la règle qu'il suscite.
II - Adoption par l'assemblée générale d'un projet de fusion et droit de modification
La chronologie d'une opération de fusion doit être prise en compte pour mesurer l'impact de la position de la Cour de cassation et, le cas échéant, pour justifier quelques réserves quant à son opportunité.
Il appartient au conseil d'administration (ou au directoire, ou au président, gérant..., selon la forme de société concernée) d'arrêter le projet de fusion et ce projet est signé par le représentant légal de chacune des sociétés concernées (C. com., art. R. 236-1 N° Lexbase : L2355IRN). Il s'agit donc bien, pour l'organe concerné, d'une compétence exclusive et les statuts ne pourraient pas en décider autrement. Le contenu du projet doit être établi en considération des mentions obligatoires qu'impose le Code de commerce (C. com., art. R. 236-1) et, notamment, doit indiquer l'évaluation de l'actif et du passif dont la transmission à la société absorbante est prévue et le rapport d'échange des droits sociaux, avec, le cas échéant, le montant de la soulte. Une publicité de ce projet est effectuée par dépôt au greffe du tribunal de commerce et par l'insertion d'un avis au BODACC, reprenant, pour l'essentiel, le contenu du projet. C'est à compter de la dernière en date des publicités prévues que s'ouvre un délai de trente jours au cours duquel les créanciers des sociétés concernées peuvent former opposition à l'opération envisagée (C. com., art. L. 236-14 N° Lexbase : L6364AIK). Le choix pour les créanciers de former ou non opposition s'effectue donc en contemplation des mentions contenues dans le projet de fusion. Il peut donc apparaître peu opportun que l'assemblée des actionnaires puisse procéder à une modification des éléments ayant donné lieu à publicité et sur la base desquels les créanciers peuvent estimer judicieux de former opposition. En décidant que les associés peuvent modifier le contenu du projet de fusion, la Cour de cassation vient valider, pour la première fois à notre connaissance, la présentation qui est ainsi donnée dans la littérature juridique (voir not., Mémento pratique Sociétés commerciales, éd. Francis Lefebvre, 2016, n° 83264).
A notre avis, une telle position ne nous paraît tenable que si, après la décision collective adoptant le contenu du projet de fusion après l'avoir modifié, un nouveau délai était ouvert aux créanciers pour former opposition, à la suite de la publicité dont doit faire l'objet cette décision. En l'état du droit, cette nouvelle faculté d'opposition n'est pas reconnue et c'est cet aspect qui nous paraît devoir susciter des réserves quant au soutien apporté par la Haute juridiction à une position qui néglige les droits des créanciers des sociétés concernées.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:450090