La lettre juridique n°620 du 9 juillet 2015 : Famille et personnes

[Jurisprudence] La Cour de cassation et la GPA étrangère : l'ignorance, après l'hostilité

Réf. : Ass. plén., 3 juillet 2015, deux arrêts, n° 14-21.323 (N° Lexbase : A4482NMX) et n° 15-50.002 (N° Lexbase : A4483NMY), P+B+R+I

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par Adeline Gouttenoire, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux, Directrice de l'Institut des Mineurs de Bordeaux

le 10 Juillet 2015

Nouvel épisode de la saga relative à l'effet en France des conventions de gestation pour autrui exécutées à l'étranger, les arrêts rendus le 3 juillet 2015 par l'Assemblée plénière de la Cour de cassation (Ass. plén., 3 juillet 2015, deux arrêts, n° 14-21.323 et n° 15-50.002, P+B+R+I) étaient très attendus après la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l'Homme l'année dernière dans les affaires "Mennesson" (1) et "Labassée" (2). Malheureusement, ces deux arrêts ne constituent pas le final de la série... En effet, si ces deux décisions, l'une de rejet et l'autre de cassation, constituent sans nul doute un revirement de jurisprudence bienvenu, leur portée dépend étroitement de leur contexte et ne correspondent qu'à une hypothèse spécifique de gestation pour autrui comme l'explique très clairement le communiqué de presse de la Cour de cassation publié avec les arrêts, sur le site de la Haute juridiction (3).

I - Une hypothèse spécifique

Parents biologiques. Dans les deux affaires soumises à la Cour de cassation, l'existence d'une convention de gestation pour autrui conclue entre un Français et une mère porteuse russe, exécutée en Russie, était établie malgré certaines dénégations des hommes en cause. L'acte de naissance russe mentionnait comme père, l'homme qui avait eu recours à une mère porteuse et qui se présentait comme son géniteur, et en qualité de mère, cette même mère porteuse qui avait accouché de l'enfant et qui l'avait ensuite abandonné. La question de la filiation des parents d'intention n'était donc pas posée. Il n'y avait, en effet, aucune mère d'intention dans aucune des deux affaires puisque la convention avait été initiée par un homme célibataire (ou en couple homosexuel mais qui n'en faisait pas état), la question de la filiation d'une femme qui n'aurait pas accouché de l'enfant n'ayant pas lieu d'être. Pour ce qui concerne le père, l'homme mentionné dans l'acte était à la fois le commanditaire de l'enfant et, a priori, son père biologique et c'est en cette dernière qualité qu'il était mentionné dans l'acte de naissance.

Transcription d'un acte étranger. En outre, la demande portait précisément sur la transcription directe d'un acte de naissance étranger sur les registres d'état civil français et non sur la reconnaissance d'un jugement, encore moins sur l'établissement au fond d'un lien de filiation, même si, dans les deux espèces, le père avait également procédé à une reconnaissance de l'enfant en France. En effet, les autorités russes n'avaient pas fait jouer à la convention de mère porteuse d'effets particuliers sur la filiation (ces conventions sont autorisées dans ce pays par une loi fédérale mais à certaines conditions) laquelle avait été établie à l'égard des deux parents de l'enfant comme si celui-ci n'était pas issu d'une convention de gestation pour autrui, et il n'est même pas certain qu'elle ait été invoquée au moment de l'établissement de l'acte de filiation.

Cette hypothèse spécifique avait déjà fait l'objet d'une décision minoritaire de la cour d'appel de Rennes du 21 février 2012 (4) mais elle était, également, celle des arrêts rendus par la Cour de cassation le 13 septembre 2013 (5) et le 19 mars 2014 (6). Dans ces dernières espèces, il s'agissait, en effet, d'un homme qui avait conçu un enfant avec une femme indienne, dans le cadre d'une convention de gestation pour autrui qui n'apparaissait en aucune façon dans l'acte de naissance. Après sa naissance, l'enfant, reconnu par ses deux parents (y compris donc la mère porteuse), avait été abandonné par sa mère au profit de son père qui l'avait ramené en France.

Absence d'atteinte à l'indisponibilité de l'état des personnes. Dans les affaires de 2013 et 2014, comme dans celles de 2015, et, contrairement aux hypothèses ayant donné lieu aux arrêts de 2011 (7) qui concernaient des conventions de gestation pour autrui entre une mère porteuse et un couple, il n'y avait pas d'atteinte à l'indisponibilité de l'état des personnes puisque les actes mentionnaient comme parents de l'enfant la femme qui l'avait mis au monde et celui qui en était -ou prétendait en être- le géniteur, les protagonistes des deux affaires ayant fait comme si l'enfant était né d'une relation entre la mère porteuse et le père de l'enfant. Même si en Russie, la convention de gestation pour autrui est autorisée à certaines conditions, qui n'étaient d'ailleurs peut-être pas satisfaites par les hommes en cause, les autorités russes n'avaient pas, en l'espèce, organisé les effets de la convention de GPA comme avaient pu le faire les autorités californiennes dans l'affaire "Mennesson" par exemple.

II - Un revirement limité

Solution de 2013. Dans les arrêts de 2013 et 2014, la Cour de cassation avait affirmé que les actes de naissance des enfants ne pouvaient être transcrits sur les registres de l'état civil français, dès lors que les éléments réunis par le ministère public caractérisaient l'existence d'un processus frauduleux comportant une convention de gestation. Au regard de cette affirmation, les arrêts du 3 juillet 2015 constituent bien un revirement de jurisprudence puisqu'ils affirment la solution inverse.

Fondements. Dans les deux arrêts de 2015, la Cour de cassation se fonde sur l'article 47 du Code civil (N° Lexbase : L1215HWW) interprété à la lumière de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L4798AQR), le tout éclairé -même si la Cour de cassation ne le dit pas- par les arrêts "Mennesson" et "Labassée" du 26 juin 2014. L'article 47 du Code civil, qui est repris in extenso par la Cour de cassation dans le visa de l'arrêt de cassation, dispose que "l'acte de naissance concernant un Français, dressé en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays, est transcrit sur les registres de l'état civil sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondant pas à la réalité".

Cassation pour violation de la loi. Dans le premier arrêt (n° 14-21.323), la Haute juridiction casse pour violation de la loi l'arrêt d'appel qui avait, suivant en cela la jurisprudence de la Cour de cassation et particulièrement les arrêts de 2013 et 2014, refusé la transcription de l'acte de naissance de l'enfant sur les registres d'état civil français, au motif "qu'il existe un faisceau de preuves de nature à caractériser l'existence d'un processus frauduleux comportant une convention de gestation pour le compte d'autrui conclue entre le père et la mère mentionnés dans l'acte". Selon la Cour de cassation, "en statuant ainsi, alors qu'elle n'avait pas constaté que l'acte était irrégulier, falsifié ou que les faits qui y étaient déclarés ne correspondaient pas à la réalité, la cour d'appel a violé les textes susvisés".

Rejet du pourvoi. Pour rejeter le pourvoi dans le second arrêt (n° 15-50.002), la Cour de cassation affirme que la cour d'appel de Rennes "ayant constaté que l'acte de naissance n'était ni irrégulier, ni falsifié et que les faits qui y étaient déclarés correspondaient à la réalité, en a déduit à bon droit que la convention de gestation pour autrui conclue [entre le père et la mère indiqués par ledit acte] ne faisait pas obstacle à la transcription de l'acte de naissance".

Rejet de la fraude. On ne saurait dire plus clairement que, désormais, et contrairement à ce que la Cour de cassation avait affirmé en 2013 et 2014, le seul fait que l'enfant ait été conçu dans le cadre d'une gestation pour autrui ne suffit pas à empêcher la transcription sur les registres d'état civil français de son acte de naissance étranger. Autrement dit, la fraude constituée par le recours à la gestation pour autrui n'est plus un obstacle à la reconnaissance en France de l'acte de naissance étranger. La Cour de cassation écarte désormais la fraude, argument au demeurant peu convaincant, du débat relatif à l'effet, en France, des conventions de gestation pour autrui exécutée à l'étranger.

Les attendus des arrêts de 2015 ne sont pas sans rappeler celui des avis du 22 septembre 2014 (8) dans lesquels la Cour de cassation a affirmé que le recours à l'assistance médicale à la procréation à l'étranger dans des conditions différentes de celles exigées par la loi française ne fait pas obstacle à l'adoption par l'épouse de la mère de l'enfant né de cette procréation, dès lors que les conditions légales de l'adoption sont réunies et qu'elle est conforme à l'intérêt de l'enfant. Ainsi, les conditions de la conception assistée de l'enfant sont, désormais, en elles-mêmes indifférentes à la reconnaissance de sa filiation, du moins dès lors que l'acte en lui-même ne les mentionne pas d'une façon ou d'une autre.

Analyse formelle de la validité de l'acte étranger. Pour fonder son revirement, la Cour de cassation se réfugie, de manière inédite, pour elle dans le contexte de la GPA et comme l'avait fait avant elle la cour d'appel de Rennes en 2012 (cf. supra), dans l'analyse formelle de l'acte étranger dont la transcription était sollicitée sur le fondement de l'article 47 du Code civil, et constate que la régularité de l'acte n'était pas contestée au regard des exigences de ce texte. En effet, l'acte en lui même ne faisait pas état de la convention et traduisait la réalité de la filiation de l'enfant, tant du côté paternel que maternel. Alors, qu'avant 2015, la Cour de cassation considérait que l'existence d'une convention de mère porteuse empêchait toute transcription d'un acte de naissance d'un enfant conçu par convention de gestation pour autrui, elle revient donc sur cette position dans les arrêts du 3 juillet, à la suite de la condamnation de la France par la Cour européenne.

Interprétation de l'article 47 du Code civil à la lumière de l'article 8 de la Cour européenne des droits de l'Homme. Le revirement de la Cour de cassation a, en effet, bien été inspiré par la condamnation européenne des arrêts "Mennesson" et "Labassée", comme en témoigne le visa du premier arrêt citant "ensemble" les articles 47 du Code civil et l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme. Selon la Haute juridiction, ces arrêts européens imposent de reconnaître l'état civil d'un enfant constaté dans un acte régulier au regard des règles étrangères. Il s'agit en réalité d'une interprétation a minima des arrêts européens, sur le fondement d'une règle technique.

Absence de motivation au regard des droits fondamentaux. On ne peut que remarquer la sécheresse de l'arrêt, fondé sur une disposition technique, dans un domaine où le débat était jusque là fortement marqué par le recours aux droits fondamentaux -y compris dans les arrêts antérieurs de la Cour de cassation- et ne contenant aucune motivation. Sans aucun doute, intentionnellement, la Cour de cassation a privé sa décision de toute référence aux droits fondamentaux, à l'exception du visa de l'article 8 de la CESDH dans l'un des arrêts. Alors que la cour d'appel de Rennes, contre l'arrêt de laquelle le pourvoi a été rejeté, s'était fondée sur la primauté de l'intérêt supérieur de l'enfant, la Cour de cassation ne dit mot de ce principe et ne vise pas non plus le droit à l'identité de l'enfant, comme l'ont fait la Cour européenne dans les arrêts "Mennesson" et "Labassée" et le Conseil d'Etat dans l'arrêt du 12 septembre 2014 (9) validant la circulaire visant à accorder la nationalité aux enfants nés de GPA. Cette absence de motivation s'inscrit certainement dans la volonté de la Cour de cassation de limiter la portée de son revirement.

Portée limitée du revirement. La Cour de cassation ne répond qu'à la question qui lui est posée, c'est-à-dire, comme le précise le communiqué de presse, celle de savoir si "le refus de transcription sur les actes de l'état civil français de l'acte de naissance d'un enfant dont au moins l'un des parents est français, régulièrement établi dans un pays étranger, peut-il être motivé par le seul fait que la naissance est l'aboutissement d'un processus comportant une convention de GPA ?". La Cour de cassation répond par la négative à cette question mais seulement dans l'hypothèse qui lui était soumise, dans laquelle les parents mentionnés étaient présentés comme les père et mère biologiques de l'enfant. Surtout, dans les deux affaires qui ont donné lieu aux arrêts commentés, il n'était porté aucune atteinte aux principes fondamentaux du droit des personnes tels que l'indisponibilité du corps humain ou de l'état des personnes. La réponse que ferait la Cour de cassation si tel avait été le cas, et, notamment, si l'acte de naissance avait indiqué une mère d'intention comme mère juridique de l'enfant, ne peut donc être déduite des arrêts de 2015. Le communiqué de presse précise, d'ailleurs, que "les espèces soumises à la Cour de cassation ne soulevaient pas la question de la transcription de la filiation établie à l'étranger à l'égard de parents d'intention : la Cour ne s'est donc pas prononcée sur ce cas de figure".

Quant aux conséquences que pourraient avoir le fait que le père mentionné sur l'acte ne soit pas, en réalité, le père biologique de l'enfant, elles ne peuvent pas non plus être mesurées au regard des arrêts du 3 juillet 2015. Il est certain que, contrairement à ce qu'avait proposé le procureur général Jean-Claude Marin dans ces nouveaux arrêts, la Cour de cassation ne fait pas dépendre la transcription de l'acte de la preuve de la paternité biologique du père indiqué sur l'acte de naissance. Toutefois, on ne peut pas exclure que, dans une telle hypothèse, une action en contestation de paternité puisse être intentée par le ministère public, une fois la filiation transcrite sur les registres d'état civil français. Autrement dit, ces arrêts ne sont qu'une réponse partielle à un problème aux multiples facettes qu'il conviendrait peut être, enfin, de résoudre de manière globale par une intervention législative !

Il n'en reste pas moins qu'ils constituent une avancée pour certains enfants -ce dont on ne manquera pas de se féliciter- sans pour autant, heureusement, que la prohibition de la gestation pour autrui en France ne soit remise en cause comme en témoigne d'ailleurs la condamnation par le tribunal correctionnel de Bordeaux le 1er juillet 2015, d'un couple homosexuel ayant eu recours à une mère porteuse ayant accouché en France (10).


(1) CEDH, 26 juin 2014, Req. 65192/11 (N° Lexbase : A8551MR7).
(2) CEDH, 26 juin 2014, Req. 65941/11 (N° Lexbase : A8552MR8).
(3) Communiqué relatif à l'inscription à l'état civil d'enfants nés à l'étranger d'une GPA, 3 juillet 2015, cf. Le site de la Cour de cassation.
(4) CA Rennes, 21 février 2012, n° 11/02758 (N° Lexbase : A1524IDS), AJ. Famille, 2012, p. 226, obs. C. Siffrein-Blanc.
(5) Cass. civ. 1, 13 septembre 2013, n° 12-18.315 (N° Lexbase : A1669KLE), et n° 12-30.138 (N° Lexbase : A1633KL3), FP-P+B+I+R ; RJPF, 2013, n°11, p. 6, obs. M.-C. Le Boursicot ; D., 2014, p. 1171, obs. F. Granet-Lambrechts.
(6) Cass. civ. 1, 19 mars 2014, n° 13-50.005, FS-P+B+I (N° Lexbase : A0784MHI), RJPF, 2014, n°5, obs. I. Corpart ; D., 2014, p. 905, obs. H. Fulchiron et C. Bidaud-Garon.
(7) Cass. civ. 1, 6 avril 2011, trois arrêts, n° 09-66.486 (N° Lexbase : A5705HMA), n° 10-19.053 (N° Lexbase : A5707HMC) et n° 09-17.130 (N° Lexbase : A5704HM9), FP-P+B+R.
(8) Cass. avis, 22 septembre 2014, n° 15010 (N° Lexbase : A9175MWQ) et n° 15011 (N° Lexbase : A9174MWP), v. nos obs., Le recours à la PMA à l'étranger n'est pas un obstacle à l'adoption d'un enfant par la concubine de sa mère, Lexbase Hebdo du 2 octobre 2014 n° 585 - édition privée (N° Lexbase : N3933BU9).
(9) CE 2° et 7° s-s-r., 12 décembre 2014, n° 367324 (N° Lexbase : A3276M7H), JCP éd. G, 2015, p. 144, obs. A. Gouttenoire.
(10) Cette décision fera l'objet d'un commentaire dans la revue Lexbase Hebdo du 15 juillet 2015 n° 621 - édition privée.

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