La lettre juridique n°620 du 9 juillet 2015 : Contrat de travail

[Jurisprudence] Limites à l'emploi de la langue française dans la relation de travail

Réf. : Cass. soc., 24 juin 2015, n° 14-13.829, FS-P+B (N° Lexbase : A9944NLU)

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par Gilles Auzero, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux

le 09 Juillet 2015

Si la maîtrise d'une ou de plusieurs langues étrangères constituent, de manière indéniable, une nécessité et/ou un atout pour occuper certains emplois salariés, il importe, néanmoins, de veiller à préserver la langue française des tendances hégémoniques d'autres langues et, spécialement, de l'anglais. A cet égard, le législateur a pris soin d'exiger que tout document comportant des obligations pour le salarié ou des dispositions dont la connaissance est nécessaire pour l'exécution de son travail soit rédigé en français (C. trav., art. L. 1321-6, al. 2 N° Lexbase : L1851H9G). Le dernier alinéa de ce même texte énonce, toutefois, une exception à cette exigence, disposant que "ces dispositions ne sont pas applicables aux documents reçus de l'étranger ou destinés à des étrangers". C'est cette exception qui était précisément en cause dans l'affaire ayant conduit à l'arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassation, en date du 24 juin 2015.
Résumé

Dès lors qu'un salarié, destinataire de documents rédigés en anglais et destinés à la détermination de la part variable de sa rémunération contractuelle, est citoyen américain, il ne peut se plaindre du fait que ces documents ne sont pas rédigés en français.

Observations

I - De l'importance de la langue française

Les exigences légales. Introduit dans le Code du travail par la fameuse loi "Toubon" du 4 août 1994 (1), l'article L. 1321-6 dispose, en son alinéa 2, que doit être rédigé en français, "tout document comportant des obligations pour le salarié ou des dispositions dont la connaissance est nécessaire pour l'exécution de son travail" (2). Cette disposition fait écho aux prescriptions de l'article L. 1221-3 du Code du travail (N° Lexbase : L0771H9G) qui dispose, quant à lui, que le contrat de travail établi par écrit est rédigé en français.

Les précisions jurisprudentielles. Bien que l'article L. 1321-6 figure dans un titre du Code du travail consacré au règlement intérieur et que son alinéa premier vise cet acte juridique, la formule de son alinéa 2 est particulièrement large et dépasse tant le règlement intérieur que les documents qui peuvent lui être assimilés.

C'est ce que confirme la jurisprudence de la Cour de cassation qui, dans un arrêt en date du 29 juin 2011 (3), a fait application de l'article L. 1321-6 du Code du travail à "des documents fixant les objectifs nécessaires à la détermination de la rémunération variable contractuelle" d'un salarié. La Chambre sociale a décidé, dans cette espèce, que les documents en cause, qui étaient rédigés en anglais, était inopposables au salarié demandeur, de nationalité française.

Il ne fait guère de doute que c'est cette solution que faisait valoir une salariée dans l'affaire ayant conduit à l'arrêt sous examen, à propos de documents fixant, là aussi, sa rémunération variable. La Cour de cassation a cependant retenu une solution diamétralement opposée à celle énoncée dans l'arrêt précité, et cela de manière parfaitement justifiée au regard de la lettre même de l'article L. 1321-6 du Code du travail.

II - De l'importance de la nationalité du salarié

L'affaire. Etait, en l'espèce, en cause une salariée engagée, à compter du 18 septembre 2000 par la société I2 Technologies, aux droits de laquelle vient la société JDA Software France, en qualité de consultant senior. Par lettre du 27 juillet 2007, la salariée avait pris acte de la rupture du contrat de travail en reprochant à l'employeur un plan de rémunération variable qu'elle estimait inacceptable. Après avoir obtenu du juge des référés l'octroi de provisions à valoir sur sa créance, la salariée avait saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes.

La salariée reprochait à l'arrêt attaqué d'avoir limité la condamnation de l'employeur à une somme au titre de la part variable de la rémunération pour l'année 2007. A l'appui de son pourvoi, elle soutenait qu'il résulte de l'article L. 1321-6 du Code du travail que tout document comportant des obligations pour le salarié ou des dispositions dont la connaissance est nécessaire pour l'exécution de son travail doit être rédigé en français. En particulier, lorsque les documents fixant les objectifs nécessaires à la détermination de la rémunération variable contractuelle sont rédigés dans une langue étrangère, le salarié peut se prévaloir de leur inopposabilité. En l'espèce, la salariée soulignait que les objectifs pour le calcul de la rémunération variable 2007 avaient été rédigés exclusivement en langue anglaise et qu'aucune traduction ne lui avait été remise durant la relation de travail, de sorte qu'ils lui étaient inopposables. En conséquence, en calculant la somme due au titre de la rémunération variable 2007 sur la base de ces objectifs, sans s'expliquer sur ce point, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé.

On l'admettra, les faits étaient forts proches de ceux ayant conduit à l'arrêt précité du 29 juin 2011 ; à une différence près cependant, et d'une importance à ce point considérable qu'elle conduit la Cour de cassation a rejeté les prétentions de la salariée.

Une solution pleinement justifiée. Ainsi que le rappelle d'abord la Cour de cassation, "il résulte de l'article L. 1321-6, alinéa 3, du Code du travail, que la règle selon laquelle tout document comportant des obligations pour le salarié ou des dispositions dont la connaissance est nécessaire pour l'exécution de son travail doit être rédigé en français n'est pas applicable aux documents reçus de l'étranger ou destinés à des étrangers". Elle affirme, ensuite, "qu'ayant constaté que la salariée, destinataire de documents rédigés en anglais et destinés à la détermination de la part variable de la rémunération contractuelle, était citoyenne américaine, la cour d'appel n'avait pas à procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante".

Il est difficile de ne pas pleinement approuver cette solution, comme il est difficile de ne pas s'étonner de l'argumentation qui était développée dans le pourvoi. En effet, ainsi que le précise, on ne peut plus clairement, l'alinéa 3 de l'article L. 1321-6, les dispositions des deux premiers alinéas "ne sont pas applicables aux documents reçus de l'étranger ou destinés à des étrangers". Outre que la salariée était étrangère, le document litigieux relevait bien de la catégorie des documents "comportant des obligations pour le salarié ou des dispositions dont la connaissance est nécessaire pour l'exécution de son travail". Il se confirme ainsi, dans le droit fil de la jurisprudence de 2011, qu'il convient d'avoir une compréhension large de cette catégorie. Au demeurant, la salariée ne contestait pas la qualification des documents puisqu'elle demandait expressément leur soumission aux prescriptions de l'article L. 1321-6, du moins à ses deux premiers alinéas.

On remarquera que la Cour de cassation ne se contente pas de relever que la salariée était étrangère et destinataire de documents susceptibles de relever de la catégorie évoquée à l'alinéa 2 du texte précité. Elle prend soin de préciser qu'elle était citoyenne américaine et destinataire de documents en anglais. On peut donc raisonnablement penser que la salariée était en mesure de comprendre ces documents. Cela étant, et à s'en tenir à la lettre de l'article L. 1321-6 du Code du travail, seul compte le fait que les documents sont destinés à des étrangers pour exclure l'obligation qu'ils soient rédigés en français. Partant, on pourrait considérer qu'il importe peu que les documents ne soient pas rédigés dans la langue maternelle du salarié. La solution retenue par la Cour de cassation ne semble pas aller en ce sens et il paraît importer que le salarié étranger soit en mesure de comprendre les documents comportant des obligations ou des dispositions dont la connaissance est nécessaire pour l'exécution de son travail. Cela nous paraît devoir être approuvé, pour d'évidentes raisons.

On remarquera que lorsque le salarié est français, il importe, en revanche, peu que celui-ci puisse être en mesure de comprendre des documents rédigés dans une autre langue que le français. Cette assertion, qui s'évince de l'arrêt précité du 29 juin 2011, doit, là aussi, être approuvée. Outre qu'elle évite de délicats problèmes de preuve relatifs au degré de compréhension par le salarié d'une langue étrangère, elle préserve, autant que faire se peut, l'usage du français.


(1) Loi n° 94-665, 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française (N° Lexbase : L5290GUH).
(2) L'alinéa 1er de ce même texte dispose, quant à lui, que "le règlement intérieur est rédigé en français. Il peut être accompagné de traductions en une ou plusieurs langues".
(3) Cass. soc., 29 juin 2011, n° 09-67.492, FP-P+B (N° Lexbase : A6483HUN) ; Bull. civ. V, n° 167 ; RDT, 2011, p. 663, obs. P. Lokiec.

Décision

Cass. soc., 24 juin 2015, n° 14-13.829, FS-P+B (N° Lexbase : A9944NLU).

Cassation partielle (CA Versailles, 15 janvier 2014).

Texte visé : C. trav., art. L. 1321-6 (N° Lexbase : L1851H9G).

Mots-clefs : salarié étranger ; document fixant la rémunération variable ; langue de rédaction.

Lien base : (N° Lexbase : E7650ES7).

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