Lexbase Affaires n°417 du 26 mars 2015 : Entreprises en difficulté

[Jurisprudence] Conditions et preuve de la revendication d'un bien incorporé dans un autre bien

Réf. : Cass. com., 10 mars 2015, n° 13-23.424, F-P+B (N° Lexbase : A3223NDQ)

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par Christine Lebel, Maître de conférences HDR (CRJFC, EA 3225), UFR SJEPG (Université de Franche-Comté)

le 26 Mars 2015

A défaut de pouvoir contester la qualité de créancier d'un fournisseur, le débiteur sous procédure collective peut alors prétendre que les conditions légales de revendication ou de restitution, selon le cas, ne sont pas réunies, paralysant la demande de "reprise" des biens vendus avec réserve de propriété au profit du vendeur. Tels étaient bien les enjeux au coeur de la procédure à l'origine de l'arrêt rendu le 10 mars 2015 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation (1).
En l'espèce, une société a vendu divers éléments de cuisine professionnelle à une société gérant un restaurant, pour une somme d'un peu plus de 97 000 euros. Le contrat de vente contenait une clause réservant la propriété des équipements de cuisine au vendeur jusqu'à leur paiement complet. Cette clause était rédigée de manière claire et non équivoque sur les documents contractuels. Par conséquent, la clause de réserve de propriétaire était bien opposable à la procédure collective ouverte à l'encontre de l'acquéreur. En effet, conformément à l'article L. 624-16 du Code de commerce (N° Lexbase : L3509ICX), les conditions en matière d'écrit (2) et d'antériorité de l'établissement de cette clause étaient valablement remplies. Enfin, à défaut d'avoir été publiée sur un registre de publicité légale, le vendeur doit agir en revendication des biens vendus et non pas en restitution de ces derniers. Pour cette raison, l'action évoquée dans l'arrêt du 10 mars 2015 est une revendication et non une demande de restitution des biens vendus avec réserve de propriété.
En outre, afin de s'opposer à la demande de la société propriétaire des biens vendus avec réserve de propriété, il faut que ce dernier soit créancier, autrement dit que le prix de vente n'ait pas été intégralement payé au jour de l'ouverture de la procédure collective de l'acquéreur. En l'espèce, la société venderesse avait bien déclaré sa créance au passif du redressement judiciaire. Toutefois, le débiteur lui opposait la compensation de sa dette avec une créance du débiteur contre le propriétaire. Or, le paiement par compensation ne peut faire obstacle à la demande en revendication que s'il s'agit d'une compensation en compte courant (3). Pour cette raison, les juges du fond (4) ont rejeté la prétention du débiteur, l'existence d'une créance à l'égard du propriétaire revendiquant étant sans effet sur la demande en justice de ce dernier. En fin de compte, la discussion a été limitée aux conditions spécifiques de la revendication des éléments destinés à constituer la cuisine professionnelle du restaurant de la société débitrice (I) ainsi qu'à la charge de la preuve de la réunion des conditions légales exigées pour pouvoir récupérer ces biens dont la restitution était sollicitée en justice (II).

I - Conditions spécifiques de la revendication de biens incorporés dans un autre bien

Conformément à l'article L. 624-16 du Code de commerce, la revendication peut être exercée à condition que les biens se retrouvent en nature à l'ouverture de la procédure, y compris pour les biens mobiliers incorporés dans un autre bien lorsque la séparation de ces biens peut être effectuée sans qu'ils en subissent un dommage. Afin de s'opposer à la demande du vendeur, la société débitrice prétend que les éléments de cuisine dans leur ensemble, y compris ceux incorporés au mur, forment une unité aux dimensions de la pièce à l'intérieur de laquelle ils ont été installés, justifiant ainsi la paralysie de la demande en revendication du vendeur.

Or, l'incorporation des biens revendiqués dans un autre bien n'est impossible qu'à la condition que la séparation entraîne un dommage pour ces derniers. Autrement dit, cette incorporation doit être partielle. En effet, une incorporation totale aurait pour effet d'empêcher la dissolution du bien support du bien incorporé sans créer de dommage pour ce dernier. Pour cette raison, la jurisprudence exige que le démontage ou la dissolution du bien incorporé ne doivent pas lui causer de dommage. En l'occurrence, il s'agit de dommage physique (5). C'est pourquoi, la Cour de cassation a rejeté la demande de revendication de pierres précieuses serties dans un bijou, leur restitution étant impossible sans provoquer de dommage matériel à ces dernières (6). Il en est de même à propos du démontage de commandes numériques n'impliquant pas seulement le débranchement de câbles, mais aussi l'extraction des cartes informatiques, le démontage du tableau de commande, le débranchement et le démontage des moteurs électriques et la sauvegarde des programmes qui sont des opérations complexes, les juges relevant ainsi que l'installation de ces commandes ne s'analysait pas en une simple opération de pose d'un accessoire mais en l'intégration d'un élément constitutif qui avait pour conséquence la création d'un ensemble nouveau (7). L'existence du critère matériel du dommage est appréciée souverainement par les juges du fond. En l'espèce, ils ont considéré qu'un simple démontage suffisait pour dissocier les éléments de cuisine revendiqués de la partie immobilière ou des autres biens mobiliers. Dans ces conditions, l'incorporation invoquée n'était que relative et temporaire : elle était insuffisante pour paralyser la revendication du vendeur avec réserve de propriété.

A défaut d'incorporation suffisante, le débiteur prétendait que les éléments de cuisine revendiqués étaient devenus des immeubles par destination en application de l'article 525 du Code civil (N° Lexbase : L3099ABE). Selon cette disposition légale, des effets mobiliers sont considérés comme étant attachés à perpétuelle demeure quand ils sont scellés à un immeuble avec du plâtre, du ciment ou de la chaux, et lorsqu'ils ne peuvent être détachés sans être fracturés ou détériorés ou détériorer la partie de l'immeuble à laquelle ils sont attachés. Les juges du fond ont rejeté cette prétention en considérant que les biens revendiqués n'étaient ni des tuyaux (8), ni des animaux (9) et qu'ils n'étaient pas attachés à perpétuelle demeure au sens de l'article 525 précité. La Cour de cassation censure cette analyse, au motif que le champ d'application de la revendication des biens d'un débiteur sous procédure collective est déterminé par l'article L. 624-16 du Code de commerce qui ne se réfère pas à la notion d'immobilisation par destination. Par conséquent, lorsque les biens revendiqués sont incorporés dans un autre bien, il convient de se référer au seul critère du démontage possible sans dommage physique pour les biens revendiqués. L'existence d'un dommage physique éventuel pour le support est, par ailleurs, totalement indifférente ; il n'y a donc pas lieu de le prendre en compte.

II - Charge de la preuve de l'existence en nature des biens revendiqués

Le propriétaire vendeur avec réserve de propriété doit apporter la preuve que les conditions légales exigées par l'article L. 624-16 du Code de commerce sont remplies. A défaut sa demande ne peut prospérer.

En l'espèce, ce dernier avait présenté une requête en revendication de meubles au juge-commissaire désigné dans la procédure collective du débiteur, en joignant la liste des biens revendiqués. En appel, les juges du fond ont considéré que le débiteur ne pouvait s'opposer à la demande en revendication à condition de démontrer qu'elle porte sur des biens mobiliers incorporés dans un autre bien, dont la séparation peut être réalisée sans dommage pour ces derniers. Pour ces derniers, le débiteur étant défaillant dans la production de la preuve qui lui incombait, il ne pouvait s'opposer à la demande du vendeur. La Cour de cassation censure la cour d'appel sur le double visa des articles 1315 du Code civil (N° Lexbase : L1426ABG) et L. 624-16 du Code de commerce, car il appartient au revendiquant d'établir la preuve de l'existence en nature des biens revendiqués dans le patrimoine du débiteur au jour de l'ouverture de la procédure collective ainsi que la preuve de la séparation des biens mobiliers incorporés dans un autre sans dommage pour ces derniers.

La solution n'est pas totalement nouvelle (10). La charge de la preuve de l'existence en nature des biens revendiqués est grandement facilitée lorsque l'inventaire du patrimoine sous procédure collective a été établi. A défaut d'établissement d'inventaire, la charge de la preuve est reportée sur le débiteur ou les organes de la procédure souhaitant s'opposer à la revendication. Ils devront alors prouver que les biens revendiqués n'étaient pas en possession du débiteur lors de l'ouverture de la procédure (11).

Il semble toutefois que l'arrêt du 10 mars 2015 apporte une précision nouvelle. Le revendiquant doit également démontrer que la séparation des biens incorporés dans un autre bien peut s'effectuer sans dommage. Ainsi, il devrait démonter en quoi l'opération de "désincorporation" constitue une simple opération de démontage, de dévissage sans créer un dommage matériel aux biens revendiqués. Ici encore, il s'agira d'un fait juridique, laissé également à l'appréciation souveraine des juges du fond. Par conséquent, il peut être utile de dégager des critères techniques de l'absence de dommage matériel lors de l'opération de séparation des biens revendiqués.

Au final, en l'absence de dommage des biens revendiqués, lors de la dissolution avec le bien à l'intérieur duquel ils ont été incorporés, le vendeur avec réserve de propriété, peut récupérer les biens litigieux à condition qu'il rapporte la preuve du respect des conditions légales imposées par l'article L. 624-16 du Code de commerce.


(1) Revendications : charge de la preuve que la séparation des biens mobiliers incorporés dans un autre bien peut s'effectuer sans dommage, Lexbase Hebdo n° 416 du 19 mars 2015 - édition affaires (N° Lexbase : N6515BUT).
(2) J. Ghestin, Réflexions d'un civiliste sur la clause de réserve de propriété, D. 1981, chr. 1.
(3) Cass. com., 8 janvier 2002, n° 99-11.079, FS-P (N° Lexbase : A7753AXG), Bull. civ. IV, n° 6 ; D., 2002, p. 573, obs. A. Lienhard, JCP éd. E, 2002, 763, n° 12, obs. M. Cabrillac et Ph. Pétel ; Act. proc. coll., 2002, n° 49, obs. C. Regnault-Moutier ; RTDCom., 2002, p. 473, n° 9, obs. A. Martin-Serf
(4) CA Nimes, 20 juin 2013, n° 11/05057 (N° Lexbase : A6702MTE)
(5) P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz Action, 2015-2016, n° 816.33.
(6) Cass. com., 28 septembre 2004, n° 02-16.931, F-D (N° Lexbase : A5594DDK), Act. proc. coll., 2004, n° 232, obs. J. Vallansan, ; Cass. com. 20 octobre 2009, n° 08-20.381, F-D (N° Lexbase : A2721EMQ),Gaz. Pal., 8-10 janvier 2010, p. 44 note E. Le Corre-Broly, RTDCom.,2010, p. 425, n° 6 obs. A. Martin-Serf.
(7) Cass. com., 24 mars 2004, n° 01-10.280, F-D (N° Lexbase : A7426DBN), Rev. proc. col., 2004, p. 215, n° 3, nos obs. et p. 380, n° 5, obs. M.-H. Monsèrié-Bon.
(8) C. civ., art. 523 (N° Lexbase : L3099ABE).
(9) C. civ., art. 524 (N° Lexbase : L9489I7L).
(10) Cass. com., 11 juillet 2006, n° 05-13.103, F-P+B (N° Lexbase : A4537DQ4), Bull. civ. IV, n° 181, Act. Proc. coll. 2006, n° 198, obs. F. Pérochon, Gaz. pal,. 5-6 janvier 2007, p. 26, note Ph. Goni
(11) Cass. com., 1er décembre 2009, n° 08-13.187, F-P+B (N° Lexbase : A3400EPM), Bull. civ. IV, n° 156 ; Gaz. pal., 16-17 avril 2010, p. 42, note F. Pérochon ; RTDCom., 2010, p. 424 n° 5 obs. A. Martin-Serf.

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