La lettre juridique n°582 du 11 septembre 2014 : QPC

[Doctrine] QPC en matière fiscale : analyse des décisions rendues par le Conseil constitutionnel entre le 1er janvier 2013 et le 30 juin 2014

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par Thibaut Massart, Professeur, Directeur du Master 2 fiscalité de l'entreprise de l'Université Paris-Dauphine

le 16 Septembre 2014

La question prioritaire de constitutionnalité a été instaurée par la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 (loi constitutionnelle n° 2008-724 de modernisation des institutions de la Vème République N° Lexbase : L7298IAK) qui est entrée en vigueur le 1er mars 2010. Alors que la première année de mise en oeuvre de la QPC avait été marquée par une très forte activité, l'année 2013 et le premier semestre 2014 attestent une certaine stabilisation des QPC. Après avoir procédé à une analyse statistique des QPC rendues entre le 1er janvier 2013 et le 30 juin 2014, nous étudierons quelques décisions les plus importantes avant de nous livrer à un exercice de prospective juridique. I - Approche statistique

Dans la première année de la QPC (1er mars 2010 - 1er mars 2011), le Conseil constitutionnel rendit 83 décisions portant sur 102 affaires renvoyées par le Conseil d'Etat et la Cour de cassation. Sur ces 83 décisions, 36 % furent de non-conformité totale (14), partielle (7) ou avec réserve (9). Si ces décisions portèrent sur des matières très diverses, le droit fiscal fut, avec le droit pénal, la matière qui donna lieu au plus de QPC : Dix-sept questions avaient été, dans chacun de ces deux domaines, renvoyées au Conseil. Parmi les décisions fiscales, dix furent dans le sens de la conformité de la disposition législative contestée à la Constitution. Sept conduisirent à une réserve de constitutionnalité ou à une censure totale ou partielle. Le taux de non-conformité (41 %) était ainsi légèrement supérieur à la moyenne (36 %).

Pour la période 2013 et du premier semestre 2014, le nombre de QPC en matière fiscale s'élève à vingt-cinq, dont quinze ont été transmises par le Conseil d'Etat et dix par la Cour de cassation. Comme certaines affaires furent fusionnées, le nombre de décisions rendues par le Conseil constitutionnel est en réalité de vingt-deux.

Il y a sept décisions de non-conformité, dont une de non-conformité partielle et quatre de non-conformité avec effet différé. Le nombre de décisions de conformité s'élève à quatorze, dont cinq avec réserve. Il y a eu, par ailleurs, une décision de non-lieu à statuer. On constate ainsi que le taux de non-conformité (incluant les décisions de conformité avec réserve) a fortement progressé de 54 % au lieu des 41 % de la première année de la QPC. Cette forte croissance doit cependant être tempérée par le fait que l'année 2013 confirme la tendance déjà remarquée les années précédentes d'une baisse du nombre de QPC enregistrées tant devant la Cour de cassation que devant le Conseil d'Etat.

Devant la Cour de cassation, et pour l'année 2013, 367 QPC ont été posées, toutes matières et tous modes de saisine confondus, soit une baisse de 4,67 % par rapport à l'année 2012 (rapport annuel 2013 de la Cour de cassation, Dr. fisc., 2014, n° 25, p. 387). Cette baisse résulte d'une diminution des QPC en matière civile de 19,68 %, que n'a pas compensée l'augmentation de 9,65 % du nombre de questions soumises à la Chambre criminelle.

Le phénomène est identique devant le Conseil d'Etat (rapport public 2014 du Conseil d'Etat, Dr. fisc., 2014, n° 24, p. 373) avec une baisse de 13,4 % des entrées en 2013 (62 dossiers transmis par les juridictions administratives en 2013 contre 54 en 2012 et 100 mémoires présentés directement devant le Conseil d'Etat contre 133 en 2012). On constate d'ailleurs que les tribunaux administratifs ont été saisis de 490 QPC en 2010, 459 en 2011, 374 en 2012, et 353 en 2013, soit 1 676 depuis le 1er mars 2010. Les cours administratives d'appel ont quant à elles été saisies de 242 QPC en 2010, 134 en 2011, 105 en 2012 et 106 en 2013, soit 587 depuis le 1er mars 2010. Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, le nombre des QPC, après avoir décru sensiblement entre 2010 et 2012, semble se stabiliser depuis 2013.

Devant les juridictions administratives, le principal pourvoyeur des questions prioritaires de constitutionnalité reste, de très loin, le contentieux fiscal avec 44 % des QPC déposées en première instance en 2013 et 25,6 % des QPC en appel. Ce contentieux représente 46 % des QPC déposées depuis le 1er mars 2010 en première instance et 45,5 % des QPC en appel. Au 31 décembre 2013, compte tenu du délai qui leur est imparti, les tribunaux administratifs avaient examiné 1 525 QPC, dont 400 au cours de l'année 2013. Les cours administratives d'appel avaient examiné 537 QPC, dont 125 au cours de l'année 2013. Depuis le 1er mars 2010, les TA et les cours administratives d'appel avaient transmis 268 QPC au Conseil d'Etat, le taux de transmission en 2013 est de 11,4 % et en moyenne depuis 2010 de 13 %. Outre ces 267 transmissions des tribunaux administratifs et cours administratives d'appel, le Conseil d'Etat a été saisi directement de 526 QPC et de 24 QPC par d'autres juridictions. Sur ce total de 817 QPC, il en avait examiné 773 au 31 décembre 2013, et transmis 188 au Conseil constitutionnel, soit un taux de transmission de 24 %.

II - Les décisions les plus importantes

Depuis l'instauration de la QPC, les principales décisions de non-conformité du Conseil constitutionnel en matière fiscale se sont généralement fondées sur une rupture d'égalité devant les charges publiques. Mais, pour la première fois, le Conseil constitutionnel a également retenu l'incompétence négative du législateur pour asseoir une décision de non-conformité à la Constitution.

A - La reconnaissance de l'incompétence négative

1 - La première décision : n° 2012-298 du 28 mars 2013

Par cette décision (Cons. const., 28 mars 2013, n° 2012-298 QPC [LXB=A0762KBT ] ; Dr. fisc., 2013, n° 22, comm. 302, note C. de la Mardière ; RJF, 2013, n° 640 ; Procédures, 2013, com. 206, note L. Ayrault), le Conseil constitutionnel reconnut pour la première fois qu'une QPC fondée sur l'incompétence négative du législateur est recevable.

Saisi d'une QPC transmise par le Conseil d'Etat (CE 9° et 10° s-s-r., 28 décembre 2012, n° 363303 N° Lexbase : A6292IZ3) : Dr. fisc., 2013, n° 4, act. 54 ; RJF, 3/2013, n° 339 ; BDCF, 3/2013, n° 36, concl. F. Aladjidi), le Conseil constitutionnel déclara contraires à la Constitution les dispositions des huit premiers alinéas du paragraphe III de l'article 1600 du CGI (N° Lexbase : L4031I3P) dans leur rédaction résultant de la loi de finances pour 2011, en ce qu'elles ne prévoyaient pas les modalités de recouvrement, contrôle et contentieux de la taxe additionnelle à la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). En effet, en négligeant de définir ces règles de recouvrement, le législateur avait méconnu l'étendue de la compétence qu'il tient de l'article 34 de la Constitution (N° Lexbase : L0860AHC) qui précise que le législateur fixe les normes relatives à l'assiette, la liquidation et le recouvrement des impôts et taxes. Plus précisément, en oubliant de définir les modalités de recouvrement, le législateur avait porté atteinte au droit à un recours effectif garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen (N° Lexbase : L1363A9D).

Une telle décision n'est toutefois pas totalement une surprise. Avant 2010, en plus de la taxe professionnelle, les entreprises devaient acquitter la taxe pour frais de chambres de commerce et d'industrie, de manière à financer ces établissements publics. Or, dans une précédente décision, le Conseil constitutionnel avait censuré la loi de finances rectificative pour 1987, qui entendait conférer à chaque chambre de commerce le soin de fixer le montant de la taxe. Le Conseil avait considéré qu'il n'appartenait qu'au législateur d'exercer une telle compétence (Cons. const., 30 décembre 1987, n° 87-239 DC : Rec. Cons. const., 1987, p. 69 N° Lexbase : A8161ACA). En 2010, la taxe professionnelle fut remplacée par une imposition qui lui ressemble beaucoup, la contribution économique territoriale (CET). Celle-ci rassemble deux prélèvements distincts : la contribution foncière des entreprises (CFE) et la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). La scission fut réalisée par la loi du 23 juillet 2010 (loi. n° 2010-853, du 23 juillet 2010, art. 9, 10, 15, 17 et 19 N° Lexbase : L8265IM3 : Dr. fisc., 2010, n° 36, comm. 461), venant modifier l'article 1600 du CGI. Mais, en raison d'un oubli manifeste, cette disposition ne prévoyait pas les modalités de recouvrement, de contrôle et de contentieux de la taxe additionnelle à la CVAE.

On soulignera cependant qu'une QPC n'est recevable que si la loi dénoncée met en cause un droit ou une liberté garantis par la Constitution. Or, cette situation se présente rarement dans le cas où le Parlement n'exerce pas sa propre compétence, car le Conseil constitutionnel a déjà jugé que l'article 14 de la Déclaration de 1789 (N° Lexbase : L1361A9B), qui pose le principe de la légalité de l'impôt, ne confère pas un tel droit ou liberté (Cons. const., 18 juin 2010, n° 2010-5 N° Lexbase : A9571EZI, consid . 3 : Dr. fisc., 2010, n° 48, comm. 576, note M. Guichard et R. Grau ; RJF, 10/2010, n° 940). Mais le Conseil a, dans la présente affaire, précisé que "la méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit". Tel est le cas lorsque, comme en l'espèce, le contribuable peut invoquer la violation du droit à un recours effectif tiré de l'article 16 de la Déclaration de 1789.

On notera également que cette décision reste d'une portée limitée, le législateur ayant eu recours à une loi de validation rétroactive. Le Conseil constitutionnel a, en effet, précisé que la déclaration d'inconstitutionnalité, si elle prenait effet à compter de la date de la publication de sa décision, ne pouvait néanmoins être invoquée qu'à l'encontre des impositions contestées avant le 11 juillet 2012, puisque le législateur avait, entre-temps, défini, par l'article 39 de la loi n° 2012-958 du 16 août 2012, de finances rectificative pour 2012 (N° Lexbase : L9357ITQ) (Dr. fisc., 2012, n° 36, com. 413), les modalités de recouvrement manquantes par un neuvième alinéa en précisant, au II, que celui-ci était rétroactivement applicable "aux impositions dues à compter du 1er janvier 2011, sous réserve des impositions contestées avant le 11 juillet 2012".

On notera au surplus que lors d'une deuxième QPC transmise par le Conseil d'Etat (CE, 9° et 10° s-s-r., 17 avril 2013, n° 365323 N° Lexbase : A1396KCP : RJF, 2013, n° 745), le Conseil constitutionnel a ajouté, dans une décision du 21 juin 2013 (Cons. const., 21 juin 2013, n° 2013-327 QPC N° Lexbase : A7984KGS : Dr. fisc., 2013, n° 26, act. 362 ; RJF, 2013, n° 961), une réserve d'interprétation, à propos du II de l'article 39 de la loi n° 2012-958 du 16 août 2012 précité, selon laquelle la validation rétroactive des règles relatives aux modalités de recouvrement ne saurait avoir pour effet de permettre que soient prononcées des sanctions fiscales ayant le caractère de punition à l'encontre des personnes assujetties à la taxe au titre du recouvrement de celle-ci avant l'entrée en vigueur de l'article 39 précité.

2 - La deuxième affaire : n° 2013-351 du 25 octobre 2013

Dans la lignée de sa décision du 28 mars 2013, le Conseil constitutionnel a jugé, à la suite de sa saisine le 3 septembre 2013 par la Cour de cassation (Cass. com., 3 septembre 2013, n° 13-40.035, FS-D N° Lexbase : A3921KKG), qu'en omettant de déterminer les modalités de recouvrement de la taxe locale sur la publicité extérieure, le législateur avait méconnu l'étendue de la compétence qu'il tient de l'article 34 de la Constitution (Cons. const., 25 octobre 2013, n° 2013-351 N° Lexbase : A4369KN7, Dr. fisc., 2013, n° 45, act. 590). Comme dans sa précédente décision, le Conseil considéra que l'absence de détermination des modalités de recouvrement d'une imposition affecte le droit à un recours effectif garanti par l'article 16 de la Déclaration de 1789. Par conséquent, les dispositions des articles L. 2333-6 (N° Lexbase : L6016IRA) à L. 2333-14 (N° Lexbase : L0344IWN) ainsi que celles des paragraphes A et D de l'article L. 2333-16 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L8149IRA), dans leur rédaction issue de l'article 171 de la loi du 4 août 2008 (loi n° 2008-776, du 4 août 2008, de modernisation de l'économie N° Lexbase : L7358IAR), furent déclarées contraires à la Constitution dans leur rédaction antérieure à leur modification par l'article 75 de la loi du 28 décembre 2011 de finances rectificative pour 2011 (loi n° 2011-1978, du 28 décembre 2011, de finances rectificative pour 2011 N° Lexbase : L4994IRE). Afin d'éviter l'effet d'aubaine susceptible de résulter de la censure, le Conseil constitutionnel a décidé que la déclaration d'inconstitutionnalité ne pouvait être invoquée à l'encontre des impositions définitivement acquittées et qui n'avaient pas été contestées avant la date de la publication de la décision commentée.

B - Violation du principe d'égalité devant les charges publiques

Depuis l'instauration de la QPC, les principales décisions de non-conformité du Conseil constitutionnel en matière fiscale se sont généralement fondées sur une rupture d'égalité devant les charges publiques.

1 - Décision n° 2014-404 QPC du 20 juin 2014

L'une des décisions les plus importantes a été rendue le 20 juin 2014 (Cons. const., 20 juin 2014, n° 2014-404 QPC N° Lexbase : A6294MRK) Dr. fisc., 2014, n° 26, act. 356 ). Elle fait suite à un renvoi du Conseil d'Etat (CE, 3° et 8° s-s-r., 11 avril 2014 , n° 371921 N° Lexbase : A1109MKB, concl. M.-A. Nicolazo de Barmon, Dr. fisc., 2014, n ° 21, comm. 344) et concerne l'imposition des revenus distribués en cas de rachat de titres.

Cette affaire aborde le traitement fiscal de la rémunération perçue par un actionnaire en contrepartie du rachat par une société de ses propres titres. Rappelons que le législateur a toujours été hostile à un tel rachat, car cette opération se traduit par une sorte de remboursement des apports alors que le principe d'intangibilité du capital social a pour objectif de protéger les créanciers sociaux. Après un régime d'interdiction avec dérogations, nous sommes passés à un régime d'autorisation sous conditions. A l'issue de cette évolution, le Code de commerce encadre trois catégories de rachats d'actions de ses propres titres par la société émettrice : les rachats en vue de la gestion financière de la société, d'une redistribution aux salariés et d'une réduction de capital non motivée par des pertes. Le principe étant désormais l'autorisation, d'autres rachats d'action sont possibles en dehors de ce cadre réglementé, notamment le rachat d'actions non suivi d'une réduction de capital par l'annulation des titres. Or, ces différentes catégories de rachats d'action obéissent, selon leur finalité pour la société, à des régimes d'imposition distincts dans le chef de l'actionnaire-personne physique. L'actionnaire qui se retire de la société voit son gain qualifié soit de plus-value soit de revenus de capitaux mobiliers. Pour les rachats en vue d'une réduction de capital par exemple, la somme perçue par l'actionnaire en rémunération de la vente de ses actions est même, s'agissant d'une seule et même opération, pour partie un revenu distribué et pour partie une plus-value.

Cette approche byzantine s'explique par le fait que, vu depuis la société, le rachat qui peut s'analyser soit comme un remboursement d'apports, soit comme une distribution de bénéfices et/ou de réserves. Mais, vue depuis l'associé, l'opération ressemble furieusement à une cession ordinaire, faisant éventuellement apparaître une plus-value. Or, comme l'indiquait déjà Jérome Turot,"on voit mal ce qui, pour lui, distingue une cession de ses titres à la société elle-même d'une cession à un tiers" (J. Turot, Rachat par une société de capitaux de ses propres titres. Un régime assis entre deux chaises : RJF, 8-9/1992 p. 659).

Le choix du législateur est-il justifié par un motif d'intérêt général ? Le rapporteur public devant le Conseil d'Etat avançait qu'il n'était "pas interdit de penser que le développement de la participation des salariés par le biais de l'attribution d'actions et la gestion financière des sociétés, notamment pour favoriser la résistance aux OPA des entreprises françaises, puissent constituer des motifs d'intérêt général" (M.-A. Nicolazo de Barmon, précité). Mais la jurisprudence du Conseil constitutionnel étant inexistante sur cette question, le rapporteur n'était pas entièrement convaincu que ces motifs soient suffisants pour justifier la différence de traitement faite aux actionnaires. Effectivement, le Conseil constitutionnel censure les dispositions relatives à l'imposition des rachats en précisant que "la différence de traitement entre les actionnaires ou associés personnes physiques cédants pour l'imposition des sommes ou valeurs reçues au titre du rachat de leurs actions ou parts sociales par la société émettrice ne repose ni sur une différence de situation entre les procédures de rachat ni sur un motif d'intérêt général en rapport direct avec l'objet de la loi".

2 - Décision n° 2013-362 QPC du 6 février 2014

Le 6 février 2014, le Conseil constitutionnel a déclaré contraire à la Constitution la taxe sur les éditeurs de services de télévision, en ce qu'elle est assise sur un certain nombre de recettes, dont certaines sont perçues par des tiers, et non par les éditeurs assujettis à la taxe (Cons. const., du 6 février 2014, n° 2013-362 QPC N° Lexbase : A5825MD4 ; note de S. Cazaillet, "Taxe sur les services de télévision : entre censure par le Conseil constitutionnel et validation par le Conseil d'Etat", Lexbase Hebdo, n° 560, du 27 février 2014 - édition fiscale N° Lexbase : N0941BUE).

En effet, l'assiette de la taxe sur les services de télévision diffère selon que le redevable est un "éditeur" ou un "distributeur". Pour les distributeurs de services de télévision, l'assiette comprend les montants hors TVA des abonnements et autres sommes acquittés par les usagers en rémunération d'un ou plusieurs services de télévision (une déduction de 10 % s'applique), mais également les abonnements et autres sommes acquittés par les usagers en rémunération de services souscrits dans le cadre d'offres destinées au grand public, donnant accès à des services de communication au public en ligne ou à des services de téléphonie, dès lors que la souscription à ces services permet de recevoir, au titre de cet accès, des services de télévision (une déduction de 66 % s'applique, qui s'explique par le fait que ces services entrent dans des offres "triple play", qui concernent d'autres services non soumis à la taxe). Plus précisément, le c) du 1° de l'article L. 115-7 du Code du cinéma et de l'image animée (N° Lexbase : L1704IG9) dispose que "La taxe est assise sur le montant hors TVA : 1° Pour les éditeurs de services de télévision [...] c ) Des sommes versées directement ou indirectement par les opérateurs de communications électroniques aux redevables concernés, ou aux personnes en assurant l'encaissement, à raison des appels téléphoniques à revenus partagés, des connexions à des services télématiques et des envois de minimessages qui sont liés à la diffusion de leurs programmes, à l'exception des programmes servant une grande cause nationale ou d'intérêt général". Cette référence au tiers, qui perçoit les recettes imposables, revient à faire porter la taxe sur des recettes que ses redevables ne perçoivent pas. Or, assujettir un contribuable à une imposition dont l'assiette inclut des revenus dont il ne dispose pas n'est pas conforme à la Constitution. L'exigence de prise en compte des facultés contributives des contribuables (DDHC, art.13 N° Lexbase : L1360A9A), qui résulte du principe d'égalité devant les charges publiques, implique qu'en principe, lorsque la perception d'un revenu ou d'une ressource est soumise à une imposition, celle-ci doit être acquittée par celui qui dispose de ce revenu ou de cette ressource (pour un exemple, voir Cons. const, du 29 décembre 2012, n° 2012-662 DC N° Lexbase : A6288IZW).

Les Sages ont donc censuré, à juste titre, les termes "ou aux personnes en assurant l'encaissement".

On notera cependant que le Conseil d'Etat, amené à se prononcer sur l'opportunité de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité relative au cumul de l'imposition des activités d'éditeur et de distributeur, a considéré, de son coté, que le fait que la même personne, l'éditeur de services de télévision, soit soumise à cette taxe et à celle sur les distributeurs de services de télévision, lorsque l'éditeur porte aussi cette casquette, était tout à fait normal et ne constituait pas une double imposition (CE 9° et 10° s-s-r., 5 février 2014, n° 373258, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A9297MDP). Pour asseoir sa décision, le Conseil d'Etat affirma, d'une part que la taxe sur les services de télévision peut s'appliquer aux éditeurs qui distribuent eux-mêmes les services qu'ils éditent au même titre qu'aux autres éditeurs, sans instaurer de discrimination, et d'autre part que l'assiette de la taxe étant différente entre les éditeurs et les distributeurs, il n'existe pas de double imposition.

3 - Décision n° 2014-400 QPC du 6 juin 2014

Saisi d'une QPC transmise par le Conseil d'Etat (CE, 9° et 10° s-s-r., 9 avril 2014, n° 375088 N° Lexbase : A8245MI9 : Dr. fisc., 2014, n° 21, comm. 345, concl. C. Legras ), le Conseil constitutionnel a jugé, dans une décision du 6 juin 2014 (Cons. const., 6 juin 2014, n° 2014-400 QPC N° Lexbase : A0200MQH, Dr. fisc., 2014 n° 24, act. 332) qu'en réservant la possibilité d'une imputation du montant des frais de constitution de garanties aux seuls cas où le terme du sursis de paiement de l'imposition contestée a pour conséquence l'application des intérêts "moratoires", à l'exclusion de ceux où sont applicables des intérêts "de retard", le législateur a traité différemment des contribuables qui, à l'occasion de la contestation d'une imposition, ont constitué des garanties pour obtenir un sursis de paiement de l'imposition contestée. Cette différence de traitement a été considérée comme sans lien avec l'objectif poursuivi par le législateur et les dispositions du troisième alinéa de l'article L. 209 du LPF (N° Lexbase : L7620HEX) ont été déclarées contraires à la Constitution en ce qu'elles méconnaissent le principe d'égalité devant la loi.

On notera cependant que le Conseil constitutionnel assortit sa décision d'un effet différé. En effet, l'abrogation du troisième alinéa de l'article L. 209 du LPF aurait pour effet, en faisant disparaître l'inconstitutionnalité constatée, de supprimer la faculté reconnue aux contribuables ayant demandé un sursis de paiement à l'occasion de certains contentieux fiscaux d'obtenir l'imputation des frais de garanties. Comme le Conseil constitutionnel ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation de même nature que celui du Parlement, il y a été décidé de reporter au 1er janvier 2015 la date de l'abrogation du troisième alinéa de l'article L. 209 du LPF afin de permettre au législateur d'apprécier les suites qu'il convenait de donner à cette déclaration d'inconstitutionnalité.

Par ailleurs, le Conseil constitutionnel a souhaité préserver l'effet utile de sa décision puisqu'il avait déjà posé "qu'en principe une déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à la partie qui a présenté la QPC" (Cons. const., 30 juillet 2010, n° 2010-14/22 N° Lexbase : A4551E7P). En conséquence, les frais de constitution de garanties engagés à l'occasion d'une demande de sursis de paiement formulée en application du premier alinéa de l'article L. 277 du LPF (N° Lexbase : L8326AE4) avant l'entrée en vigueur d'une nouvelle loi ou, au plus tard, avant le 1er janvier 2015 seront imputables soit sur les intérêts "moratoires" prévus par l'article L. 209 LPF, soit sur les intérêts "de retard" prévus par l'article 1727 du CGI (N° Lexbase : L0141IW7) dus en cas de rejet, par la juridiction saisie, de la contestation de l'imposition.

III - Prospective juridique

La prospective juridique est un art difficile et nous serons en conséquence prudents. Toutefois, certaines orientations semblent se dessiner.

D'abord, il apparaît que le nombre de QPC en matière fiscale se stabilise avec moins d'une vingtaine de décisions du Conseil constitutionnel par an.

Ensuite, si les QPC fiscales ont concerné des impositions très diverses, il semble aujourd'hui que les taxes fiscales sont principalement concernées par les QPC. Deux raisons peuvent expliquer ce phénomène. En premier lieu, le nombre de taxes n'a cessé de croître de manière exponentielle et incontrôlée. Il existe actuellement plusieurs centaines de taxes applicables qui constituent autant de prélèvements bigarrés servant à alimenter des fonds spéciaux pour boucler certains budgets. En second lieu et surtout, ces taxes fiscales ont tendance à frapper des contribuables bien déterminés, généralement des sociétés, dont les actions de lobbying n'ont d'égale que la puissance de leur chiffre d'affaires. Or la QPC est une arme juridique fréquemment utilisée par ceux qui ont les moyens de financer de longs contentieux, même si le Conseil constitutionnel répond aux questions posées dans un délai très court, de 75 jours en moyenne sur la dernière période.

Enfin, les droits de douane pourraient offrir un terrain propice aux QPC en raison de leurs liens avec la procédure pénale (même si les procédures pénales, douanières et fiscales sont indépendantes : Cass. crim, 16 mai 2012, n° 11-83.602 N° Lexbase : A5371IMU).

Annexe : Tableau des QPC

N° QPC Thème Disposition CE/Cour de cassation Prononcé Résultat Fusion Lire aussi
2012-298 QPC

(N° Lexbase : A0762KBT)

Taxe additionnelle à la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises - Modalités de recouvrement CGI, art. 1600 (rédaction antérieure à sa modif par l'article 39 de la loi du 16 aout 2012) (N° Lexbase : L1111ITC) CE 28 mars 2013 Non-conformité Non (N° Lexbase : N6447BTX)
2013-300 QPC

(N° Lexbase : A5759KBW)

Champ d'application de la "réduction Fillon" des cotisations patronales de sécurité sociale CSS, art. L.241-13 II (N° Lexbase : L1981IP3) Cass. civ. 2 5 avril 2013 Conformité Non (N° Lexbase : N6709BTN)
2013-301 QPC

(N° Lexbase : A5760KBX)

Cotisations et contributions sociales des travailleurs non salariés non agricoles outre-mer CSS, art. L.756-5 (rédaction loi Outre-mer du 13/12/2000) (N° Lexbase : L5064I3X) Cass. civ. 2 5 avril 2013 Conformité Non (N° Lexbase : N6609BTX)
2013-305 QPC

(N° Lexbase : A3412KCD)

Taxe locale sur la publicité CGCT, art. L. 2333-16, al. B et C (N° Lexbase : L8149IRA) Cass. com. 19 avril 2013 Conformité Oui 305/306/307 (N° Lexbase : N6807BTB)
2013-306 QPC

(N° Lexbase : A3412KCD)

Taxe locale sur la publicité CGCT, art. L. 2333-16, al. B et C (N° Lexbase : L8149IRA) Cass. com. 19 avril 2013 Conformité Oui 305/306/307 (N° Lexbase : N6807BTB)
2013-307 QPC

(N° Lexbase : A3412KCD)

Taxe locale sur la publicité CGCT, art. L. 2333-16, al. B et C (N° Lexbase : L8149IRA) Cass. com. 19 avril 2013 Conformité Oui 305/306/307 (N° Lexbase : N6807BTB)
2013-323 QPC (N° Lexbase : A4734KGG) Répartition de la DCRTP et du FNGIR des communes et établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre lors de la modification du périmètre des établissements Art. 78, al. 3 à 5 du IV du 1,1 du 1 et le IV du 2,1 du 2 - loi du 30 décembre 2009 de finances pour 2010 dans sa rédaction antérieure à la loi du 28 décembre 2011 de finances rectificatives pour 2011 (loi n° 2009-1673 du 30 décembre 2009, de finances pour 2010, art. 78, al. 3 à 5 du IV du 1,1 du 1 et le IV du 2,1 du 2 N° Lexbase : L1816IGD) CE 14 juin 2013 Non-conformité et effet différé Non (N° Lexbase : N7581BTX)
2013-327 QPC

(N° Lexbase : A7984KGS)

Réclamations relatives à la taxe additionnelle à la cotisation sur la valeur ajoutée Loi n° 2012-958 du 16 août 2012 de finances rectificative, art. 39 (N° Lexbase : L9357ITQ) CE 21 juin 2013 Conformité sous réserve Non (N° Lexbase : N7676BTH)
2013-330 QPC

(N° Lexbase : A7735KHX)

Décharge d'obligation de paiement de certains impôts CGI, art. 1691 bis, II (N° Lexbase : L3330IAL) CE 28 juin 2013 Conformité Non (N° Lexbase : N7952BTP)
2013-334 QPC

(N° Lexbase : A1193KKE)

Octroi de mer Loi n° 2004-639 du 2 juillet 2004 (N° Lexbase : L8976D7L) Cass. com. 26 juillet 2013 Non lieu à statuer Oui 334/335 (N° Lexbase : N8313BT3)
2013-335 QPC

(N° Lexbase : A1193KKE)

Octroi de mer Loi n° 2004-639 du 2 juillet 2004 (N° Lexbase : L8976D7L) Cass. com. 26 juillet 2013 Non lieu à statuer Oui 334/335 (N° Lexbase : N8313BT3)
2013-340 QPC

(N° Lexbase : A4337KL9)

Imposition des indemnités de licenciement versées volontairement par l'employeur CGI, art. 80 duodécies, 1s (N° Lexbase : L0735IXI) CE 20 septembre 2013 Conformité avec réserve Non (N° Lexbase : N8648BTH)
2013-341 QPC

(N° Lexbase : A8221KL3)

Majoration de la redevance d'occupation sans droit ni titre du domaine fluvial C. gén. prop. pers. pub., art. L. 2125-8 (N° Lexbase : L4545IQE) CE 27 septembre 2013 Conformité avec réserve Non (N° Lexbase : N8709BTQ)
2013-344 QPC

(N° Lexbase : A8223KL7)

Mécanisme de réassurance en cas de catastrophes naturelles C. ass., art. L. 431-9 (N° Lexbase : L0040AAQ) CE 27 septembre 2013 Conformité Non (N° Lexbase : N8825BTZ)
2013-351 QPC

(N° Lexbase : A4369KN7)

Taxe locale sur la publicité extérieure II CGCT, art. L. 2333-6 à L. 2333-14, L.2333-16 A et D (rédaction de la loi n° 2008-776 du 4 aout 2008, art. 171) Cass. com. 25 octobre 2013 Non-conformité Non (N° Lexbase : N9193BTN)
2013-355 QPC

(N° Lexbase : A9481KPT)

Compensation du transfert de la taxe sur les surfaces commerciales aux communes et aux établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre Loi de finances pour 2010, art. 77 § 1.2.4.2 et b) du §1.2.4.3 (loi n° 2009-1673 du 30 décembre 2009, de finances pour 2010, art. 77 § 1.2.4.2 et b) du §1.2.4.3 N° Lexbase : L1816IGD) CE 22 novembre 2013 Conformité Non (N° Lexbase : N9541BTK)
2013-361 QPC

(N° Lexbase : A0538MDB)

Droits de mutation pour les transmissions à titre gratuit entre adoptants et adoptés CGI, art. 786, al. 1,2 et 3 (N° Lexbase : L8196HL7) Cass. com. 28 janvier 2014 Conformité Non (N° Lexbase : N0511BUH)
2013-362 QPC

(N° Lexbase : A5825MD4)

Taxe sur les éditeurs et distributeurs de services de télévisions Code du cinéma et de l'image aminée, art. L. 115-7, 1°, c (N° Lexbase : L1704IG9) CE 6 février 2014 Non-conformité partielle Non (N° Lexbase : N0703BUL)
2013-365 QPC

(N° Lexbase : A5826MD7)

Exonération sur l'IR des indemnités journalières pour des personnes atteintes d'une affection comportant un traitement prolongé CGI, art. 80 quinquies (N° Lexbase : L2196IGG) CE 6 février 2014 Conformité Non (N° Lexbase : N0755BUI)
2013-366 QPC

(N° Lexbase : A2428MEN)

Versement transport Loi n° 2012-1510 du 29 décembre 2012 de finances rectificative pour 2012, art. 50 (N° Lexbase : L7970IUQ) Cass. civ. 2 14 février 2014 Conformité sous réserve Non (N° Lexbase : N0839BUM)
2013-371 QPC

(N° Lexbase : A3293MG3)

Contribution supplémentaire à l'apprentissage CGI, art. 230 H, V, 1er alinéa (5 derniers mots) CE 7 mars 2014 Conformité sous réserve Non (N° Lexbase : N1163BUM)
2014-386 QPC

(N° Lexbase : A9893MHU)

Dotation globale de compensation Loi n° 2006-1666 du 21 décembre 2006, de finances pour 2007, art. 104, 3° du II (N° Lexbase : L8561HTA) CE 28 mars 2014 Conformité Non (N° Lexbase : N1645BUH)
2014-397 QPC

(N° Lexbase : A0198MQE)

Fonds de solidarité des communes IDF CGCT, art. L. 2531-13, II, 2°, b (N° Lexbase : L4667I3A) CE 6 juin 2014 Non-conformité et effet différé Non (N° Lexbase : N2588BUE)
2014-400 QPC

(N° Lexbase : A0200MQH)

Imputation des frais de constitution de garanties pour assurer le recouvrement d'un impôt contesté sur les intérêts moratoires LPF, art. L. 209 (N° Lexbase : L7620HEX) CE 6 juin 2014 Non-conformité et effet différé Non (N° Lexbase : N2575BUW)
2014-404 QPC

(N° Lexbase : A6294MRK)

Régime fiscal applicable aux actionnaires personnes physique en cas de rachat des titres par la société émettrice CGI, art. 109, 1, 2° (N° Lexbase : L2060HLU), art. 112, 6° (N° Lexbase : L2650HNH), art. 150-0 D, 8 ter (N° Lexbase : L9703I3R), art. 161, alinéa 2 (N° Lexbase : L2470HNS) CE 20 juin 2014 Non-conformité et effet différé Non (N° Lexbase : N2861BUI)

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