Réf. : Ordonnance n° 2014-326 du 12 mars 2014, portant réforme de la prévention des difficultés des entreprises et des procédures collectives (N° Lexbase : L7194IZH)
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par Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises
le 11 Septembre 2014
I - Les modifications intéressant la déclaration des créances
Les modifications sont multiples. Il est d'abord question de nouvelles dispenses de déclaration des créances (A). Il est ensuite et plus fondamentalement question de modifications de la nature juridique de la déclaration de créance (B). Il est enfin question de modifications importantes, pour ne pas dire essentielles, intéressant le relevé de forclusion (C).
A - Nouvelles dispenses de déclaration des créances
La première nouvelle dispense de déclaration des créances introduite par l'ordonnance du 12 mars 214 concerne le créancier postérieur. Il doit avoir fait la démarche pour conserver son privilège de créancier postérieur méritant, c'est-à-dire avoir porté sa créance à la connaissance des organes de la procédure. Le décret précise qu'il doit figurer sur la liste des créances postérieures privilégiées.
La deuxième dispense identiquement posée par l'article L. 626-27, III du code (N° Lexbase : L7300IZE) intéresse le créancier ayant déclaré au passif d'une première procédure dans la seconde procédure ouverte à la suite de la résolution du plan. Pareille dispense existe déjà en cas d'ouverture d'une procédure collective concomitante à la résolution du plan. L'intérêt de la modification est d'étendre la solution à l'hypothèse d'une procédure collective prononcée après la résolution du plan, laquelle est intervenue pour inexécution sans cessation des paiements. Il suffira que la décision d'ouverture constate que la résolution a provoqué l'état de cessation des paiements.
La troisième dispense de déclaration des créances est sans doute la plus importante. Elle vise l'hypothèse où le débiteur aura porté une créance à la connaissance du mandataire judiciaire grâce à la liste des créances qu'il est tenu d'établir à l'ouverture de la procédure collective et qu'il peut compléter. Le débiteur est alors, dans certaines conditions, réputé avoir déclaré la créance pour le compte du créancier, de sorte que ce dernier bénéficie d'une dispense de déclaration personnelle. Mais cette question touche déjà le deuxième point, celui de la modification de la nature juridique de la déclaration de créance.
B - Changement de la nature juridique de la déclaration de créance
Jusqu'à l'ordonnance du 12 mars 2014, la déclaration de créance est l'acte procédural par lequel le créancier antérieur, et depuis la loi de sauvegarde des entreprises (loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 N° Lexbase : L5150HGT), le créancier postérieur non éligible au traitement préférentiel, manifestent leur intention d'obtenir, dans le cadre de la procédure collective, paiement de ce qui leur est dû par le débiteur. Depuis la loi de sauvegarde des entreprises, en effet, certains créanciers postérieurs, que le législateur traite comme des créanciers antérieurs, sont identiquement astreints à cette formalité.
Substitut de l'action en paiement, laquelle est fermée, la déclaration de créance a été analysée par la Cour de cassation, pour exiger du déclarant qu'il ait pouvoir pour le faire, comme équivalente à une demande en justice (2).
Bien que l'ordonnance du 12 mars 2014 ne prenne pas explicitement position sur la question, il nous semble qu'elle a modifié la nature juridique de la déclaration de créance. L'alinéa 2 de l'article L. 622-24 du Code de commerce (N° Lexbase : L7290IZZ) conserve la solution selon laquelle la déclaration de créance est effectuée par le créancier ou par tout préposé ou mandataire de son choix. L'ordonnance complète le texte en indiquant que "le créancier peut ratifier la déclaration faite en son nom jusqu'à le juge statue sur l'admission de la créance". Il ne sera donc plus, comme par le passé, nécessaire de justifier, jusqu'à ce que le juge statue, du pouvoir de déclarer les créances, détenu dans le délai de la déclaration de créance, c'est-à-dire dans le délai de l'action. Jusqu'à ce que le juge statue, cela signifie jusqu'à ce que le juge du fond statue, y compris donc la cour d'appel. Il suffira, s'il y a une discussion sur cette question, que le créancier ratifie la déclaration faite pour son compte, et cela en dehors même du délai de l'action. La question du pouvoir pour déclarer les créances a donc vécu comme source aussi artificielle que gigantesque d'un contentieux particulièrement irritant pour les créanciers institutionnels.
En outre, l'alinéa 3 nouveau de l'article L. 622-24 du Code de commerce dispose que "lorsque le débiteur a porté une créance à la connaissance du mandataire judiciaire, il est présumé avoir agi pour le compte du créancier tant que celui-ci n'a pas adressé la déclaration prévue au premier alinéa". Si le créancier ne procède pas personnellement à la déclaration de créance, la créance sera alors considérée comme valablement déclarée pour son compte par le débiteur.
Observons que celui qui déclare sciemment au nom d'un créancier une créance supposée est passible de la faillite personnelle (C. com., art. L. 653-5 N° Lexbase : L7346IZ4).
Il faut donc comprendre que la déclaration de créance peut désormais être faite par une personne qui n'a pas le pouvoir de l'accomplir. Elle sera alors suivie d'une ratification, manifestation unilatérale de volonté par laquelle une personne approuve un acte accompli par elle par une personne sans pouvoir, cette ratification pouvant intervenir en dehors du délai du de déclaration de créance.
Il faut aussi admettre que la créance puisse été portée à la connaissance du mandataire judiciaire par le débiteur, qui est alors présumé agir pour le compte du créancier.
Ces deux démarches apparaissent exclusives d'un acte équivalent à une demande en justice.
Il faut donc, nous semble-t-il, abandonner l'idée que la déclaration de créance équivaut à une demande en justice (3) et plutôt considérer que la déclaration de créance est devenue un acte conservatoire (4), qui peut donc être accompli sans le pouvoir d'agir en justice. C'est ce qui explique que le débiteur puisse, en portant la créance à la connaissance du mandataire judiciaire, conserver le droit du créancier. La remarque vaut tout autant pour celui qui déclare la créance sans pouvoir, ce qui conduira à la ratification.
Cette interprétation nous semble corroborer par le fait que le législateur, partant de ce postulat, a immédiatement dû préciser les effets attachés à la déclaration de créance, ce qui aurait été inutile si l'analyse classique de l'équivalence de la déclaration de créance à une demande en justice avait perduré. Le nouvel article L. 622-25-1 du code (N° Lexbase : L7238IZ4 ; ordonnance 12 mars 2014, art. 28) prend le soin de préciser que "la déclaration de créance interrompt la prescription jusqu'à la clôture de la procédure ; elle dispense de toute mise en demeure et vaut acte de poursuites". Cette analyse s'imposait déjà. Si le législateur a aujourd'hui besoin de le préciser, c'est précisément parce qu'il a abandonné le support de l'analyse : la déclaration de créance n'équivaut plus à une demande en justice. C'est un acte conservatoire auquel on va faire produire des effets classiquement attachés à une demande en justice, ce qui impose alors de toute évidence la précision. Très timidement, le rapport au président de la République, de l'extrémité de sa plume, et sans appuyer, laisse transparaître l'analyse : "l'article 28 précise les effets de la déclaration de créance sans qu'il soit besoin de les déterminer par la qualification d'action en justice" (5).
La solution est d'importance et conduira à reconstruire le régime de la déclaration de créance. De manière incontestable, il y a là un "progrès considérable pour la sécurité juridique" (6).
C - Modifications intéressant le relevé de forclusion
On se souvient que la loi de sauvegarde avait créé un deuxième motif de relevé de forclusion. Tout en conservant le premier motif, celui tenant à la démonstration que la défaillance à déclarer dans les délais n'était pas due au fait du créancier, elle avait ajouté que le juge-commissaire relèvera de la forclusion les créanciers s'ils établissent que leur défaillance est due à une "omission volontaire du débiteur ".
Dans le souci de renforcer la protection des créanciers et de faire jouer un rôle encore plus important à la liste des créanciers établie par le débiteur à l'ouverture de sa procédure collective, l'ordonnance du 12 mars 2014 (art. 29) assouplit encore le relevé de forclusion. Elle supprime l'exigence de la démonstration du caractère volontaire de l'omission. Désormais, en vertu de l'article L. 622-26, alinéa 1er, du Code de commerce (N° Lexbase : L8103IZ7), il faut, et il suffit, de démontrer l'omission, c'est-à-dire l'absence du créancier sur la liste établie par le débiteur pour que ce créancier puisse obtenir son relevé de forclusion. En effet, le juge-commissaire ne semble ici avoir aucun pouvoir d'appréciation. Si l'omission est constatée, le relevé de forclusion s'impose. Il a été dit que l'omission devenait un cas de relevé de forclusion automatique (7). Disons plutôt qu'il s'agit d'un cas de relevé de forclusion obligatoire. On passe du dol du débiteur à sa simple négligence (8). Il n'est plus question de sanctionner le débiteur, qui a triché, mais d'avoir de la compassion pour le créancier. Les temps ont bien changé depuis la loi du 25 janvier 1985...
De nouvelles difficultés, qui constitueront à n'en pas douter une source très importante du contentieux de demain, se présenteront, lorsque la créance aura été mentionnée sur la liste remise par le débiteur au mandataire judiciaire, mais que les indications relatives à la créance ne sont pas celles auxquelles prétend le créancier (9).
Le législateur a également et directement modifié certaines règles intéressant le relevé de forclusion. Enonçons-les rapidement.
Jusqu'alors, les textes n'enfermaient le créancier relevé de forclusion dans aucun délai pour procéder à sa déclaration de créance. La solution n'est certes pas très heureuse pour la célérité de la procédure. Mais, faute de délai prévu par les textes, il semblait délicat d'en inventer. C'est pourtant ce qu'a cru devoir faire la Cour de cassation (10). C'est semble-t-il à cette solution a priori contra legem que l'article 21 de l'ordonnance s'attaque, en énonçant, à l'alinéa 1er, de l'article L. 622-24 (N° Lexbase : L7290IZZ) que lorsque le créancier a été relevé de forclusion, les délais -de déclaration de la créance- ne courent qu'à compter de la notification de cette décision. Mais, précise le texte, ils sont alors réduits de moitié. Ainsi, le créancier qui doit, classiquement, déclarer sa créance dans le délai de deux mois à compter de la publication au Bodacc, aura un mois seulement à compter de la notification de la décision le relevant de forclusion. Le créancier qui dispose de quatre mois -créancier étranger- disposera, quant à lui, d'un délai de deux mois. Aucun relevé de forclusion ne pourra, à notre sens, être à nouveau accordé.
Par principe, le créancier dispose d'un délai de six mois qui court à compter de la publication au Bodacc du jugement d'ouverture pour présenter une demande de relevé de forclusion. Le délai de six mois est écarté, pour être porté à un an, pour les créanciers placés dans l'impossibilité de connaître l'existence de leur créance avant l'expiration du délai de six mois précité (11). La Cour de cassation, ayant eu à connaître d'une question prioritaire de constitutionnalité, a estimé que le créancier ne connaissant pas l'existence de sa créance à expiration du délai spécial de relevé de forclusion, pouvait néanmoins présenter une demande tendant à cette fin. C'est une application particulière de la règle posée à l'article 2234 du Code civil (N° Lexbase : L7219IAM), depuis la loi du 17 juin 2008 (loi n° N° Lexbase : L9102H3I), qui interdit de faire courir un délai contre une personne placée dans l'impossibilité d'agir.
L'ordonnance consacre la solution prétorienne dégagée par la Cour de cassation en posant à l'alinéa 3 de l'article L. 622-26 du Code de commerce la règle selon laquelle le délai de relevé de forclusion court à compter de la date à laquelle le créancier, qui établit avoir été placé dans l'impossibilité de connaître l'obligation du débiteur avant l'expiration du délai de six mois précité -délai classique de l'action en relevé de forclusion-, ne pouvait ignorer l'existence de sa créance.
La solution est évidemment préférable à la brutale simplicité de la règle précédente. Pour autant, elle n'est pas pleinement satisfaisante, en obligeant un créancier placé dans l'impossibilité d'agir à se faire relever d'une forclusion qu'il ne devrait pas, en bonne logique, encourir. Aussi, nous apparaît-il préférable de traiter cette question par le biais d'un décalage du point de départ du délai de déclaration de créance.
Ensuite, l'ordonnance modifie les règles de support des frais de l'instance en relevé de forclusion. Jusqu'alors, systématiquement, ces frais étaient supportés exclusivement par le créancier retardataire. Il pourra désormais en aller autrement dans certains cas. L'alinéa 2 de l'article R. 622-25, du Code de commerce (N° Lexbase : L6266I3H), issu de la rédaction que lui donne l'article 51 du décret n° 2014-736 du 30 juin 2014, prévoit que le juge pourra faire supporter au débiteur les frais de l'action en relevé de forclusion, lorsque le débiteur n'aura pas mentionné la créance sur la liste prévue à l'article L. 622-6 ou n'aura pas porté utilement la créance à la connaissance du mandataire judiciaire.
Les modifications intéressant la déclaration de créance sont complétées par des changements intéressant la vérification et l'admission des créances.
II - Les modifications intéressant la vérification et l'admission des créances
Ces modifications peuvent être constatées dans le domaine de la contestation des créances (A) et dans celui de l'office juridictionnel du juge-commissaire (B).
A - Des contours temporels précisés de la contestation de créance
Le législateur commence par enfermer dans des délais le débiteur désireux de contester une créance. Jusqu'alors, le débiteur pouvait proposer des contestations de créances, à répétition. De manière nouvelle, le législateur enferme le débiteur dans des délais pour formuler des observations sur les créances déclarées, dans le cadre de la vérification des créances. En ce sens, l'article L. 624-1 (N° Lexbase : L7294IZ8), résultant de l'ordonnance de réforme, prévoit que ces observations devront être faites dans un délai fixé par décret en Conseil d'Etat. Le débiteur qui ne formule pas d'observations dans ce délai ne peut émettre aucune contestation sur la proposition ultérieure du mandataire judiciaire.
L'article R. 624-1, alinéa 3, du Code de commerce (N° Lexbase : L6267I3I), issu de la rédaction que lui donne l'article 52 du décret n° 2014-736 (N° Lexbase : L5913I3E), fixe à trente jours ce délai, qui est identique à celui imparti au créancier pour répondre à la contestation. Ce délai court à compter de la date à laquelle le débiteur a été mis en mesure, par le mandataire judiciaire, de formuler ses observations.
Si le débiteur ne participe pas à la vérification des créances, le délai court à compter de la lettre recommandée avec demande d'avis de réception qui lui est adressée par le mandataire judiciaire ; cette lettre, qui vaut mise en demeure, comporte les propositions d'admission, de rejet ou de renvoi mentionnées au premier alinéa de cet article.
Une mise en demeure au débiteur d'avoir à présenter ses observations nous aurait semblé préférable, dans tous les cas et il eut été plus simple de faire uniformément courir le délai pour formuler des contestations à compter de la réception du courrier de mise en demeure.
Afin de vérifier la date à laquelle le débiteur a formulé ses observations, ce qui conditionne la recevabilité de la contestation qui émane intellectuellement de lui, l'article R. 624-2, alinéa 1er, du Code de commerce (N° Lexbase : L6268I3K), dans la rédaction que lui donne l'article 53 du décret n° 2014-736 du 30 juin 2014, précise que la liste des créances contenant les indications prévues à l'article L. 622-25 (N° Lexbase : L3745HBC) et R. 622-23 (N° Lexbase : L0895HZ8), ainsi que les propositions du mandataire judiciaire et les observations du débiteur "avec indication de leur date", est déposée au greffe.
Le dispositif nouveau est complété par un alinéa 3 inséré à l'article R. 624-1 du code, qui indique qu'il appartient au mandataire judiciaire de justifier de la date à laquelle il a sollicité les observations du débiteur. Ainsi, le créancier pourra savoir si la contestation émanant du débiteur a été faite dans les délais et, par conséquent, si elle reste recevable. Si tel n'est pas le cas, le créancier soulèvera une irrecevabilité, ce qui dispensera d'examiner la contestation au fond du droit.
La solution nouvelle mérite entière approbation. Elle va grandement contribuer à accélérer les opérations de vérification du passif.
Le législateur répond également à une préoccupation de la pratique en rendant possible la reprise de la procédure de vérification des créances, lorsque le délai imparti à l'ouverture de la procédure collective par le tribunal au mandataire judiciaire est expiré.
Il existe, en effet, dans la procédure de liquidation judiciaire plusieurs dispositions permettant au liquidateur de ne pas vérifier une partie du passif. Il en est ainsi d'abord dans le régime général de la liquidation judiciaire. Il n'y pas lieu de vérifier le passif chirographaire s'il apparaît que le produit de l'actif doit être absorbé par les créanciers privilégiés. Plus énergiquement, dans la liquidation judiciaire simplifiée, ne sont vérifiées, outre les créances salariales, que les seules créances susceptibles de venir en rang utile dans les répartitions.
Or, il peut apparaître utile, en cours de procédures, de vérifier le passif, par exemple pour mettre à la charge d'un dirigeant l'insuffisance d'actif, composée pour partie du passif chirographaire. Un problème peut alors se poser : celui de l'écoulement du délai imparti par le jugement d'ouverture au liquidateur pour vérifier la passif.
Très judicieusement, et pour faire écho aux observations éclairées d'un praticien (12), l'ordonnance de réforme insère un alinéa 3 à l'article L. 641-4 du code (N° Lexbase : L7328IZG), qui prévoit que "lorsqu'il apparaît nécessaire de reprendre la vérification des créances, le juge-commissaire fixe pour y procéder un délai supplémentaire qui ne peut excéder six mois". Le texte ajoute que la fixation de ce délai a les mêmes conséquences que celles prévues à l'article L. 624-1. Il faut notamment comprendre que ce délai allongé profitera aux créanciers autorisés à se délivrer à eux-mêmes des titres exécutoires pour déclarer leur créance à titre définitif. En outre, le mandataire judiciaire pourra être rémunéré au titre de la vérification des créances s'il respecte ce délai allongé.
B - Confirmations et nouveautés en matière d'office juridictionnel du juge-commissaire
Jusqu'à l'ordonnance du 12 mars 2014, il résultait des solutions dégagées par la Cour de cassation, telles que nous avions pu les résumer en en proposant une grille de lecture (13), que lorsque le juge-commissaire devait connaître du fond de la créance, il lui appartenait de statuer, comme l'aurait fait le juge des référés, en juge de l'évidence. Si une discussion sur le fond de la créance s'élevait devant le juge-commissaire, ce dernier devait surseoir à statuer, après avoir indiqué que la question dépassait son office juridictionnel, en présence d'une contestation sérieuse. Toutefois, si la question soulevée devant le juge-commissaire appartenait à la compétence exclusive d'une juridiction autre que celle à laquelle appartenait le juge-commissaire, ce dernier devait se déclarer incompétent.
Dans une première phase de sa jurisprudence, la Cour de cassation avait soigneusement distingué le régime du dépassement de l'office juridictionnel du juge-commissaire et celui de son incompétence. Le délai de saisine du "bon juge" imparti à peine de forclusion ne s'imposait que dans le second cas. Puis un coup de tonnerre a retenti dans le ciel des procédures collectives, lorsque la Cour de cassation a décidé de soumettre au délai de forclusion la saisine du "bon juge" en cas de simple dépassement de l'office juridictionnel (14).
L'ordonnance du 12 mars 2014 et son décret d'application du 30 juin 2014 confirment ces solutions. L'article L. 624-2 du Code de commerce (N° Lexbase : L7295IZ9), issu de la rédaction de l'ordonnance du 12 mars 2014 (art. 34) prévoit que "en l'absence de contestation sérieuse, le juge-commissaire a également compétence, dans les limites de la compétence matérielle de la juridiction qui l'a désigné, pour statuer sur tout moyen opposé à la demande d'admission". Ainsi, il suffit d'une contestation sérieuse et l'office juridictionnel du juge-commissaire est alors épuisé. Ensuite, le décret n° 2014-736 du 30 juin 2014 reprend à son compte l'alignement du régime du dépassement de l'office juridictionnel sur celui de l'incompétence, opéré par la Cour de cassation dans son arrêt de revirement du 13 mai 2014 (15).
Le mérite du décret est de bien préciser que l'incompétence stricto sensu existera dès lors que sont atteintes les limites de la compétence matérielle de la juridiction qui a désigné le juge-commissaire. Autrement dit, si la question en débat devant le juge-commissaire peut être connue de la juridiction d'appartenance du juge-commissaire, alors il n'y a pas incompétence, mais tout au plus dépassement de l'office juridictionnel du juge-commissaire. C'est le tribunal d'appartenance du juge-commissaire qui doit statuer. Observons au passage que les solutions ne seront donc pas les mêmes selon que la procédure collective a été ouverte au TGI ou au tribunal de commerce. En revanche, si la question en débat ne relève pas de la compétence de la juridiction qui a désigné le juge-commissaire, alors il y a véritable incompétence.
La nouveauté des textes tient à la précision contenue dans le décret. L'alinéa 1er de l'article R. 624-5 du Code de commerce (N° Lexbase : L6270I3M) a pris le soin d'indiquer qu'il appartiendra au juge-commissaire d'inviter, selon le cas, le créancier, le débiteur ou le mandataire judiciaire à saisir la juridiction compétente dans le délai d'un mois à compter de la notification (pour le créancier et le débiteur) ou de la réception (pour le mandataire judiciaire) de l'avis délivré à cette fin, à peine de forclusion à moins de contredit dans les cas où cette voie de recours est ouverte.
Nous ne pouvons ici que dire et redire notre désaccord avec la solution du dépassement de l'office juridictionnel du juge-commissaire. Même si la Cour de cassation d'abord, le décret ensuite, ont pris le soin d'enfermer la saisine du tribunal dans un délai d'un mois, cette solution conduit à retarder la vérification du passif et expose le créancier, déjà confronté à un débiteur ayant temporairement le droit de ne pas payer ses dettes, et qui ne les paiera peut-être jamais, à des frais et à des procédures bien inutiles.
Mais ne terminons pas sur cette note et reconnaissons plutôt que la législation va dans le bon sens. Si la philosophie d'un droit moderne des entreprises en difficulté est orientée vers le sauvetage des entreprises, lorsqu'il est encore temps, cette quête doit se faire en respectant la vertu première d'une législation en cette matière : l'équilibre. Cela passe par le respect des droits des créanciers, qui sont d'abord des partenaires économiques, non des ennemis. L'ordonnance du 12 mars 2014 et le décret du 30 juin 2014 l'ont bien compris et il faut en féliciter leurs rédacteurs.
(1) Menjucq, Rossi, Leloup, Carboni et Jourdan, La simplification des procédures collectives et du droit des entreprises en difficulté, Rev. proc. coll., mai 2013, Table ronde 2.
(2) Cass. com., 14 décembre 1993, n° 93-11.690, publié (N° Lexbase : A4985CH4), Bull. civ. IV, n° 471, RJDA, 1994, n° 1, p. 12, concl. Piniot, Bull. Joly, 1994. 196, note M. Jeantin, JCP éd. E, 1994, II, 573, note M.-J Campana et J.-M Calendini, JCP éd.G, 1994, II, 22200, note M. Rémery, Banque, 1994, 93, obs. J.-L. Guillot, Rev. sociétés, 1994, 100, note Y. Chartier, RTDCom., 1994. 367, obs. A. Martin-Serf ; Cass. com., 14 février 1995, deux arrêts, n° 93-12.064 (N° Lexbase : A1126ABC) et n° 93-12.398 (N° Lexbase : A4010CHY), Bull. civ. IV, n° 43, LPA, 1995, n° 91, p. 13, note P. Alix, Bull. Joly, 1995, 442, note J.-J. Daigre ; Cass. com., 3 juin 2009, n° 08-10.249 (N° Lexbase : A6255EH7), F-D, D., 2009, AJ 1691, obs. A. Lienhard ; Cass. com. 26 janvier 2010, n° 09-10.294, F-D (N° Lexbase : A7712EQP) ; Ass. plén., 4 février 2011, n° 09-14.619, P+B+R+I (N° Lexbase : A3498GRY), Bull. ass plén., n° 2, D., 2011, AJ 514, obs. A Lienhard, D., 2011. Pan. 2074, obs. F.-X. Lucas, Gaz. Pal. éd. sp. Dr. entr. en diff. 1er et 2 avril 2011, p. 30, note E. Le Corre-Broly, Act. proc. coll., 2011/5, n° 80, note Ph. Roussel Galle, Gaz. Pal., 9 et 10 mars 2011, p. 13, note L. Antonini-Cochin, JCP éd. E, 2011, chron. 1263, n° 7, obs. Ph. Pétel, JCP éd. E, 2011, 1264, note Ph. Roussel Galle, Rev. proc. coll., mars/avril 2011, comm. 23, p. 32, note P. Cagnoli, Rev. proc. coll., mai-juin 2011, comm. 79, p. 42, note F. Legrand et M.-N. Legrand, Rev. sociétés, 2011, 387, note Ph. Roussel Galle, Procédures, 2001, n° 177, note B. Rolland, Rev. sociétés, mai 2011, note P. Crocq, Dr. et proc., mai 2011, J. 16, p. 117, note F. Vinckel ; BJE, mai/juin 2011, § 66, p. 130, nos obs., RTDCom., 2011. 412, obs. A. Martin-Serf, Dr. et patr., septembre 2011, n° 206, 76, note C. Saint-Alary Houin, LPA, 3 janvier 2012, n° 2, p. 4, note A.-N. Zattara-Gros, E. Le Corre-Broly in Chronique mensuelle de droit des entreprises en difficulté - Février 2011 (2nd comm.), Lexbase Hebdo n° 239 du 17 février 2011 - édition affaires (N° Lexbase : N4844BRT).
(3) Partageant l'analyse, Ph. Pétel, Entreprises en difficulté : encore une réforme !, JCP éd. E, 2014, 1223, n° 32.
(4) Partageant l'analyse, F. Macorig-Vénier, Les créanciers antérieurs hors comités après l'ordonnance du 12 mars 2014 : un vent de simplification en faveur de la reconnaissance de leur droit de créance, BJE, mai 2014, p. 185, spéc. p. 186.
(5) Rapport au Président de la République, ord. 12 mars 2014, p. 7.
(6) F. Pérochon, L'ordonnance du 12 mars 2014 : une révolution inespérée en faveur des créanciers tenus de déclarer, BJE, mai 2014, éditorial p. 133.
(7) F.-X. Lucas, Présentation de l'ordonnance portant réforme de la prévention des difficultés des entreprises et des procédures collectives, BJE, mars 2014, 111, spéc. p. 115 ; F. Legrand, M.-N. Legrand et M.-H. Monsèrié-Bon, Qu'est qui change pour les partenaires de l'entreprise en difficulté ?", Rev. proc. coll., mars 2014, Dossier 18, n° 9.
(8) A. Lienhard, Codes des procédures collectives - réforme issue de l'ordonnance du 12 mars 2014, Dalloz, 2014, p. 25.
(9) Sur le détail de cette complexe et importante question, nos obs., Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz Action, 8ème éd., 2015/2015, à paraître octobre 2014, n° 662.53.
(10) Cass. com., 9 mai 2007, n° 05-21.357, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A1105DWT), D., 2007, AJ 1424, note A. Lienhard ; D., 2008, pan. 577, nos obs. ; JCP éd. E, 2007, chron. 2119, p. 24, n° 8, obs. Ph. Pétel ; RD banc. et fin., mai-juin 2007, 113, p. 21, note F.-X. Lucas ; RTDCom., 2008. 192, n° 1, obs. A. Martin-Serf ; RJ com., 2007, 367, note Ph. Roussel Galle ; Defrénois, 2007, 38675, p. 1568, n° 8, note D. Gibirila ; nos obs in Chronique de droit des entreprises en difficulté (1er comm.), Lexbase Hebdo n° 261 du 23 mai 2007 - édition privée (N° Lexbase : N1642BBG).
(11) Amendement du Gouvernement, n° 380, déb. Sénat, JO 30 juin 2005, p. 4830.
(12) Intervention de Me Patrick Canet, Entretiens de la sauvegarde, Paris, 27 janvier 2014, Atelier "Actualités de la déclaration des créances".
(13) Dalloz Action, Droit et pratique des procédures collectives, préc., n° 682.15.
(14) Cass. com., 13 mai 2014, n° 13-13.284, P+B+R+I (N° Lexbase : A9732MKN), D., 2014, actu 1093, note A. Lienhard ; Gaz. Pal., 29 juin 2014, n° 180, p. 14, note D. Boustani ; Act. proc. coll., 2014/9, comm. 170, note J. Vallansan ; Rev. sociétés, 2014, 405, note L.-C. Henry ; Leden, mars 2014, comm. 044, nos obs. ; également lire nos obs. in Chronique de droit des entreprises en difficulté - Mai 2014, Lexbase Hebdo n° 382 du 22 mai 2014 - édition affaires (N° Lexbase : N2235BUC).
(15) Cass. com., 13 mai 2014, n° 13-13.284, P+B+R+I, préc. et les obs. préc..
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