Réf. : Tribunal administratif du Luxembourg, 16 juin 2014, n° 34383 et n° 34384
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par Frédéric Dal Vecchio, Avocat à la Cour, Docteur en droit, Chargé d'enseignement à l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines
le 11 Septembre 2014
Les modifications substantielles de la législation fiscale depuis le développement de la crise financière de 2008 (A) permettent une intensification de la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales en recourant notamment aux échanges de données entre les juridictions fiscales (B).
A - De substantielles modifications de la législation fiscale afin de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales
La crise financière de 2008 a rendu encore plus insupportable la crise économique que subissent les pays développés depuis plus de trente ans entraînant des propositions de réforme émanant de l'OCDE afin de permettre aux autorités publiques de limiter l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices (Base erosion and profit shifting - BEPS). Dans le même temps, la première économie mondiale a modifié sa législation fiscale en contraignant les établissements financiers étrangers à lui communiquer les données relatives, notamment, aux citoyens américains (Foreign Account Tax Compliance Act - FATCA). La France a suivi attentivement toutes ces évolutions d'autant qu'elle n'a connu que de très rares périodes de croissance soutenue entre 1987 et 1989 puis entre 1999 et 2000. L'avenir s'annonçant par conséquent sous de mauvais auspices (1), les pouvoirs publics ont réagi en prétendant mettre fin aux abus des contribuables (La fin des paradis fiscaux ?, dir. T. Lambert, LGDJ, 2011) et en adoptant des mesures permettant de renforcer la lutte contre la fraude fiscale (notamment pour les textes les plus récents : loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013, relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière N° Lexbase : L6136IYW ; circulaire du 22 mai 2014, relative à la fraude fiscale N° Lexbase : L3669I3B) même si, en pratique, les peines prononcées par le juge en répression d'une fraude fiscale sont généralement assorties du sursis et dépassent rarement les six mois d'emprisonnement : eu égard à la pratique judiciaire, la récente modification du quantum de la peine relevé de trois à cinq voire sept ans d'emprisonnement (2) relève au mieux d'une tentative de dissuasion. L'extrême mobilité des capitaux et l'internationalisation croissante des exercices professionnels favorisent sans aucun doute des comparaisons des systèmes fiscaux d'origine et d'accueil par les contribuables, ce qui les incite inévitablement à localiser leurs actifs dans des juridictions fiscales jugées plus clémentes. Mais, les décisions rendues par le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg en témoignent, les échanges de données entre les administrations fiscales sont, en principe, autrement plus efficaces pour lutter contre l'évasion et la fraude fiscales, si toutefois cette procédure est utilisée dans le respect du statut professionnel du contribuable concerné.
B - Le renouvellement des normes relatives aux échanges de données entre les administrations fiscales
Les conventions fiscales bilatérales signées entre la France et ses partenaires contiennent une clause relative à l'échange de données (3) entre les administrations fiscales des Etats signataires conforme au modèle OCDE (art. 26). C'est ainsi que la France a reçu 34 réponses sur les 75 demandes effectuées par l'administration fiscale à son homologue luxembourgeoise au 31 août 2011 (4). Souhaitant promouvoir l'échange automatique de renseignements (5) -situation encore inimaginable il y a quelques années- l'OCDE a publié une nouvelle norme mondiale au mois de juillet 2014. Au cas particulier, l'administration française s'est appuyée sur la Convention fiscale bilatérale franco-luxembourgeoise (N° Lexbase : L6716BH9) ainsi que la Directive 2011/16/CE, relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal (N° Lexbase : L5101IPM) qui a abrogé la Directive de 1977 (H. Hamadi, Le renouvellement de l'assistance administrative en matière fiscale au sein de l'Union européenne, Dr. fisc. 2011, ét. 264). Cette Directive, transposée en droit luxembourgeois par la loi du 29 mars 2013, a fait en revanche l'objet d'une transposition partielle en droit français aux termes d'un communiqué de la Commission européenne du 20 novembre 2013 (6). On remarquera que l'intérêt de la Directive 2011/16/CE est, notamment, de ne plus permettre aux Etats membres de refuser la transmission d'informations détenues par un établissement financier et de fixer un délai maximum pour la réponse à condition que l'autorité requérante ait déjà exploité les sources habituelles d'information auxquelles elle pouvait avoir recours pour obtenir les informations demandées. Cette Directive, qui n'impose pas l'obligation de procéder à des enquêtes, permet à l'Etat sollicité de rejeter la demande d'informations notamment lorsque cette transmission entraînerait la divulgation "d'un secret commercial, industriel, ou professionnel". C'est, au cas particulier, ce qui fut invoqué par le contribuable avec succès.
II - La fraude fiscale alléguée et le secret professionnel des avocats
Citadelle assiégée, le secret professionnel des avocats a été institué pour la protection des intérêts de leurs mandants (A) et il a permis, au cas particulier, d'invalider les demandes d'échanges d'informations de l'administration fiscale (B).
A - Le secret professionnel des avocats : une citadelle assiégée
Le secret professionnel est caractéristique de la profession d'avocat (RIN, art. 2.1, al. 1er, N° Lexbase : L4063IP8) dont la violation est sanctionnée par le droit pénal en France (C. pén., art. L. 226-13 N° Lexbase : L5524AIG) mais également au Luxembourg ainsi que cela apparaît dans les jugements rendus par le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg (Code pénal, art. 458). Dans une société où la transparence est érigée en dogme sous l'oeil de médias friands de "révélations" et autres "scandales" maladroitement invoqués par certains politiques qui s'en prennent ouvertement à la profession d'avocat et singulièrement à l'avocat fiscaliste (7), le secret professionnel apparaît pour certains comme un obstacle majeur à la société du spectacle (8) et de l'agitation permanente (9) qui caractérise notre pays alors qu'il a été institué, non pour satisfaire les avocats, mais dans l'intérêt de celui qui doit se confier à l'auxiliaire de justice : le secret professionnel est le garant d'une justice de qualité dans un Etat démocratique. Ce secret, d'ordre public, général absolu et illimité dans le temps est pourtant la cible des pouvoirs publics qui diligentent des écoutes téléphoniques ou qui ordonnent des perquisitions (LPF, art. L. 16 B N° Lexbase : L2641IX4) afin de recueillir des éléments de preuve d'une infraction notamment en matière fiscale (10). Il est également possible, de façon beaucoup plus courante, de programmer un contrôle fiscal à l'encontre d'un avocat et de lui demander de justifier les recettes et les dépenses inscrites dans sa comptabilité en produisant les pièces comptables ; ou encore de mettre en oeuvre le droit de communication de l'administration fiscale si toutefois son exercice est conforme à la jurisprudence du juge de l'impôt (CE Contentieux, 1er juillet 1987, n° 54222 N° Lexbase : A2364APA) (11).
B - Le secret professionnel de l'avocat : une échappatoire à la fraude fiscale alléguée par l'administration ?
Les décisions rendues par le tribunal administratif de Luxembourg annulent les décisions du directeur de l'administration des Contributions directes dès lors qu'elles ont violé les dispositions de l'article 18 de la loi du 29 mars 2013 qui s'opposent à la transmission d'informations lorsqu'elles entraînent la divulgation "d'un secret commercial, industriel, ou professionnel" transposant ainsi, en droit interne, l'article 17 de la Directive 2011/16/CE relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal. Pour le tribunal administratif, l'administration n'était pas en mesure d'établir que les pièces saisies concernaient l'avocat pris en sa personne privée et non en sa qualité d'auxiliaire de justice : le doute profite au professionnel du droit à défaut d'une demande précise écartant tout risque de violation du secret de l'avocat. Ce raisonnement, qui doit être salué, s'appuie également sur le fait que les saisies avaient été effectuées au sein du cabinet de l'avocat et non à son domicile privé. On relèvera toutefois, qu'en droit français, la protection du secret professionnel concerne aussi bien le cabinet mais également son domicile qui, de facto, est devenu un lieu de travail grâce au développement de l'informatique. L'administration fiscale devra par conséquent formuler ses demandes avec suffisamment de précision afin d'éviter toute ambiguïté quant au respect des confidences effectuées par les mandants des avocats.
(1) "Et si la croissance ne repartait jamais... Le scénario noir sur le bureau de Valls", Le Monde, 2 septembre 2014. A la fin du premier trimestre 2014, la dette publique s'établit à 93,6 % du PIB selon l'INSEE. Au Japon, la dette publique dépasse 220 % du produit intérieur brut. Mais le pays du Soleil levant a choisi une détention domestique de cette dette ce qui, jusqu'à aujourd'hui, le met à l'abri des caprices des marchés financiers.
(2) Lorsqu'il s'agit d'une fraude fiscale commise en bande organisée ou en cas de délocalisation fictive à l'étranger notamment.
(3) Il n'y a pas de clause d'assistance administrative entre la France et Oman.
(4) Rapport annuel du Gouvernement portant sur le réseau conventionnel de la France en matière d'échange de renseignements, PLF 2013, annexe I.
(5) Selon le site de l'OCDE : "Les Pays et juridictions qui se sont engagés publiquement à la mise en place de l'échange automatique de renseignements : Andorre, Anguilla, Argentine, Australie, Autriche, Belgique, Bermudes, Brésil, Iles Vierges Britanniques, Bulgarie, Canada, Iles Caïmans, Chili, République populaire de Chine, Colombie, Costa Rica, Croatie, Chypre, République tchèque, Danemark, Estonie, Iles Féroé, Finlande, France, Allemagne, Gibraltar, Grèce, Guernesey, Hongrie, Islande, Inde, Indonésie, Irlande, Ile de Man, Israël, Italie, Japon, Jersey, Corée, Lettonie, Liechtenstein, Lituanie, Luxembourg, Malaisie, Malte, Mexique, Montserrat, Pays-Bas, Nouvelle-Zélande, Norvège, Pologne, Portugal, Roumanie, Fédération de Russie, Arabie saoudite, Singapour, République slovaque, Slovénie, Afrique du sud, Espagne, Suède, Suisse, Turquie, Iles Turques-et-Caïque, Royaume-Uni, Etats-Unis, et l'Union européenne".
(6) Le Parlement y a remédié peu après : loi n° 2013-1279, 29 décembre 2013, de finances rectificative pour 2013, art. 72 (N° Lexbase : L7404IYU).
(7) En particulier les avocats fiscalistes dont la mise au pilori par certains parlementaires témoigne de la totale méconnaissance du fonctionnement de notre profession, ce qui est préoccupant de la part du corps législatif : faut-il encore rappeler qu'un avocat ne fait qu'appliquer le droit ? (Manifeste des avocats fiscalistes contre la méfiance dont les pouvoirs publics font preuve à leur égard, Lexbase Hebdo n° 552 du 19 décembre 2013 - édition fiscale N° Lexbase : N9886BTC).
(8) On peut également s'interroger sur la pratique répandue, et non moins éminemment contestable, consistant à distiller dans la presse les procès-verbaux d'audition de personnes entendues par les forces de l'ordre, ou encore les échanges entre certains professionnels du droit et des journalistes toujours justifiés au nom de principes supérieurs visant à lutter contre l'impunité et empêcher l'enlisement d'un dossier visant des personnes publiques dont on ne partage évidemment pas les idées. On pourrait vraisemblablement ajouter, dans une société où l'individualisme est une valeur sûre, une tentative de relancer une carrière professionnelle.
(9) L'instrumentalisation de la loi fiscale, qui a connu jusqu'à quatre lois de finances par an entre 2008 et 2012 modifiant à plusieurs reprises un même texte, est le parfait exemple d'une frénésie incontrôlée afin de satisfaire une opinion publique qui est loin de comprendre toutes les subtilités techniques qui entourent ces textes (v. concernant la réforme des droits de mutation frappant la cession des titres sociaux ou encore leur taxation au titre des plus-values des particuliers ; la taxation des plus-values immobilières...).
(10) V. notamment en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux : CJCE, 26 juin 2007, aff. C-305/05 (N° Lexbase : A9284DWR) ; CE 1° et 6° s-s-r., 23 juillet 2010, n° 309993 (N° Lexbase : A9869E4B).
(11) L'administration avait adressé des questionnaires aux clients du contribuable qui ont cru, à tort, devoir y répondre.
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