La lettre juridique n°581 du 4 septembre 2014 : Fiscalité des entreprises

[Textes] Loi de finances rectificative pour 2014 - Prix de transfert : renforcement des prérogatives de l'administration concernant le contrôle des opérations avec les Etats et territoires non-coopératifs (ETNC)

Réf. : Loi de finances du 8 août 2014 n° 2014-891 rectificative pour 2014, art. 19 (N° Lexbase : L0228I49)

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[Textes] Loi de finances rectificative pour 2014 - Prix de transfert : renforcement des prérogatives de l'administration concernant le contrôle des opérations avec les Etats et territoires non-coopératifs (ETNC). Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/19739710-textesloidefinancesrectificativepour2014prixdetransfertrenforcementdesprerogativesdela
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par David Chrétien, Avocat, Landwell

le 04 Septembre 2014

Dans le contexte des travaux de l'OCDE sur les mesures "BEPS" (1) préconisé par cet organisme contre l'évasion fiscale internationale ("érosion" est un terme plus approprié) et contre la relocalisation des bénéfices, l'encadrement des pratiques en matière de prix de transfert reste au coeur des préoccupations des pouvoirs publics. Précisément, les prérogatives de l'administration viennent d'être renforcées quand celle-ci souhaite mettre en évidence qu'un contribuable a transféré indirectement des bénéfices à l'étranger en "jouant" sur ses prix de transfert. Cessions de biens corporels ou incorporels, prestations de services... tel est le domaine de la législation fiscale sur les prix de transfert quand ces opérations interviennent entre sociétés/entités résidentes d'Etats différents. Une suspicion fiscale apparaît dès lors que ces opérations sont effectuées dans des conditions anormales de rémunération (prix indument majoré/minoré par rapport à une situation "de pleine concurrence" ou situation d'absence injustifiée de rémunération) (2) pouvant laisser présager que l'opération vise à transférer indirectement des bénéfices ou des capitaux à l'étranger.

L'article 57 du CGI (N° Lexbase : L9738I33) autorise l'administration à sanctionner de tels transferts réalisés par une entreprise Française, mais à charge de prouver que cette entreprise est sous la dépendance -capitalistiquement, juridiquement ou économiquement (3)- d'une autre ou, alternativement qu'elle exerce le contrôle sur une autre entité.

La mise en évidence par un vérificateur d'une relation de dépendance ou de contrôle peut constituer une difficulté (4). L'administration est néanmoins déchargée de ce fardeau quand l'opération économique est effectuée avec une entité résident dans un "paradis fiscal" (5).

Elle est également dispendée de prouver la dépendance/le contrôle, depuis l'adoption de la loi de finances rectificative pour 2014 (N° Lexbase : L0228I49), lorsque l'opération économique est effectuée avec une entreprise résident d'un "Etat ou territoire non coopératif" (ETNC), au sens fiscal.

Cette qualification "ETNC" est attribuée, après une évaluation par l'OCDE, à certains Etats, non-membres de l'Union européenne, n'ayant pas conclu de conventions d'assistance administrative avec la France ni, par ailleurs, avec un nombre significatif d'autres Etats.

En 2014, les ETNC sont les suivants (6):

- le Brunei Darussalam,
- les Iles Vierges britanniques,
- Montserrat,
- Niue,
- la République des Îles Marshall,
- la République du Botswana,
- la République du Guatemala,
- la République de Nauru.

Cette liste peut paraître "exotique". Signalons qu'elle est revue chaque année par le ministère de l'Economie et qu'elle est donc susceptible d'entrées et de sorties de pays. Mentionnons aussi que des pays tels les Philippines, Jersey, les Bermudes, Panama, le Costa Rica ont pu figurer sur cette liste avant d'effectuer certaines démarches pour améliorer leur degré de coopération dans la lutte contre l'évasion fiscale.

Notons également que les pays figurant sur cette liste ne se sont engagés envers la France ni en matière d'assistance administrative ni en matière d'élimination des doubles impositions (à l'exception de la République du Botswana qui a conclu avec la France une convention en matière d'impôt sur le revenu) (7).

Nous rappellerons le dispositif de contrôle des prix de transfert tel qu'il est réformé par la loi de finances rectificative pour 2014 (I) avant d'examiner les conséquences pratiques de cette réforme (II).

I - Le dispositif de contrôle des prix de transfert

A - Rappels sur l'article 57 du CGI

Comme indiqué, l'objet des dispositions de l'article 57 du CGI est de donner à l'administration la possibilité de redresser les résultats déclarés par les entreprises françaises à raison des bénéfices qu'elles leur auraient indirectement transférés en les faisant ainsi échapper à l'impôt français.

Si l'article 57 du CGI est applicable -on le comprend- avec les pays n'ayant pas conclu avec la France une convention fiscale sur les doubles-impositions, cette disposition conserve toute son efficacité en présence d'une telle convention fiscale internationale. En effet, l'un des objectifs de ces conventions est que le résultat imposable d'un établissement stable (succursale, bureau, chantier,...) et provenant de ses relations avec une entreprise associée soit comparable à celui qu'il obtiendrait s'il était une entreprise autonome et à part entière. Ce type de clause, parfaitement standard, est donc entièrement convergent avec l'article 57 du CGI.

Il s'applique à toutes les entreprises soumises à l'impôt français, impôt sur le revenu ou impôt sur les sociétés, qu'il s'agisse d'entreprises françaises ayant des exploitations directes ou indirectes hors de France ou d'entreprises étrangères ayant en France des exploitations de même nature soumises à l'impôt français, pour ce qui concerne l'imposition de ces dernières.

B - Les dispositions de l'article 57 CGI combinées avec le Livre des procédures fiscales

Sur le plan processuel, il est essentiel pour l'administration de réunir des renseignements et informations permettant de présumer qu'un transfert indirect de bénéfices a été opéré au sens de l'article 57 du CGI. En effet, lorsqu'une telle présomption est établie (8), le Livre des procédures fiscales l'autorise à exiger de l'entreprise vérifiée des justifications et éclairages en matière de prix de transfert, et ainsi dans une certaine mesure d'inverser la charge de la preuve. C'est ainsi l'article L. 13 B du LPF (N° Lexbase : L3346IGZ) qui crée l'obligation, à peine de sanction (9), de fournir à l'administration des informations et documents sur plusieurs points, comme suit :

- description et explications complémentaires aux éléments identifiés par l'administration sur les liens de dépendance ou de contrôle, existant entre l'entreprise vérifiée et l'entité établie à l'étranger ;
- méthode de détermination des prix des opérations de nature industrielle, commerciale ou financière effectuées avec l'entreprise étrangère et les éléments qui la justifient ainsi que, le cas échéant, les contreparties consenties;
- descriptifs des activités exercées par l'entreprise étrangère ;
- traitement fiscal appliqué, à l'étranger, à ces opérations si l'entreprise étrangère est exploitée ou contrôlée, en capital ou en droits de vote, par l'entreprise française.

On notera que la procédure de l'article L. 13 B du LPF n'aura pas à être mise en oeuvre si l'entreprise accepte, sans devoir y être contrainte, de fournir spontanément au vérificateur tous éléments utiles à la compréhension de la situation existante et que l'administration n'est pas tenue d'y recourir, même elle établit que les conditions d'application de l'article 57 du CGI sont remplies.

Pas davantage, la procédure de l'article L. 13 B du LPF ne peut être appliquée aux entreprises qui ont l'obligation de maintenir, constamment à jour, une documentation de leur politique de prix de transfert (LPF. art. L. 13 AA (N° Lexbase : L1053IZZ). Rappelons que cette obligation concerne toute entité, établie en France, (i) dont le CAHT ou l'actif brut est de 400 millions d'euros ou plus (10) ou (ii) qui est détenue, directement ou indirectement, à plus de la moitié du capital ou des droits de vote, par une entité répondant à ce niveau de CAHT ou d'actif brut ou (iii) détenant directement ou indirectement plus de la moitié du capital ou des droits de vote d'une entité française ou étrangère répondant à ce niveau de CAHT ou d'actif brut ou (iv) membre d'un groupe d'intégration fiscale si ce groupe comprend au moins une entité répondant aux critères (i), (ii) ou (iii). Mentionnons également que, pour les entreprises concernées par cette obligation de maintien permanent d'une documentation de prix de transfert, les relations entretenues avec des entreprises résident d'ETNC leur vaudront de devoir compléter cette documentation avec des éléments spécifiques complémentaires : en effet, pour chaque entreprise étrangère d'un ETNC bénéficiaire des transferts, il s'agira de fournir un ensemble de documents comptables équivalents de ceux qui pourrait être exigés d'une entreprise française.

II - Les conséquences pratiques de cette réforme

A - Suppression de la condition de "dépendance et de contrôle" concernant les ETNC

Comme nous l'avons mentionné, la loi de finances rectificative pour 2014 a procédé à l'alignement des ETNC sur les pays à régime fiscal privilégié, en matière de vérification de la politique de prix de transfert d'une entreprise française et de détection d'un éventuel transfert indirect de bénéfices. Dans les paradis fiscaux autant, par définition, que dans les Etats et territoires non-coopératifs, la preuve de l'existence d'un lien de dépendance est très difficile, voire impossible à rapporter compte tenu du secret généralement maintenu sur les propriétaires réels des entreprises étrangères domiciliées dans ces régions du monde.

Le premier intérêt pour l'administration est d'élargir, au sein des ETNC, le champ des entreprises avec lesquelles la réalisation d'opération économique avec une entreprise française pourrait être contestée. En effet, pour paraphraser les commentaires administratifs pris sur ce point au sujet des relations avec les paradis fiscaux, "Les dispositions de l'article 57 du CGI trouvent à s'appliquer dès lors que l'opération commerciale susceptible de donner lieu à un transfert de bénéfice est réalisée avec une entreprise ou un établissement domicilié (11)" dans un ETNC, sans donc qu'une suspicion préalable naisse ou ne soit recherchée quant à la commune appartenance de l'entité française et de l'entité étrangère à un même groupe ou quant à des mécanismes de pouvoirs de l'une sur l'autre.

Le second intérêt, processuel celui-là, est de faciliter le recours de l'administration à l'article L13 B du LPF pour les vérifications qu'elle opère concernant les relations avec les ETNC. En effet, dans une situation où une entreprise française vérifiée avait jusqu'à présent la possibilité d'invoquer l'absence de liens de dépendance ou de contrôle avec une entité ETNC pour se dispenser de répondre aux questions ou demandes fondées sur cette dernière disposition, cette parade est désormais exclue (12).

En termes pratiques, il faut signaler, pour les vérifications de comptabilité en cours et impliquant des entreprises effectuant des opérations économiques avec des entités résident d'ETNC, que la réforme introduite par la loi de finances rectificative pour 2014, ne s'applique pas rétroactivement mais seulement aux exercices clos à compter du 10 août 2014. Pour les entreprises dont l'exercice coïncide avec l'année civile, c'est donc, au plus tôt à l'occasion des contrôles fiscaux engagés à partir de l'année prochaine que cette réforme deviendra sensible.

B - Suppression de la condition de "dépendance et de contrôle" concernant les ETNC

Pour les entreprises françaises entretenant des relations économiques avec toute entreprise domiciliée dans un ETNC, le temps pourra être mis à profit pour s'assurer que le paramétrage de ces relations est satisfaisant en matière de prix de transfert. Après la réforme introduite par la loi de finances rectificatives pour 2014, l'attention et la discussion se focaliseront uniquement sur l'existence, ou non, d'un transfert indirect de bénéfices à l'étranger.

Pour mémoire, voici les domaines ou les types de comportements économiques qui sont particulièrement sous vigilance au regard des prix de transfert :

- octroi de prêts sans intérêt ou à un taux réduit
- remises de dettes (renonciation aux intérêts stipulés par les contrats de prêt)
- attribution d'un avantage hors de proportion avec le service obtenu
- achats à prix majorés ou ventes à prix minorés
- versement de redevances excessives ou sans contrepartie
- commissions anormales
- prêts consentis à des conditions anormales
- abandon de créances
- prise en charge de frais
- participation forfaitaire aux frais d'exploitation d'une filiale à l'étranger
- caution donnée gratuitement à des entités étrangères
- ...

On note que si, s'agissant des ETNC, l'administration est déchargée d'établir un rapport de dépendance ou de contrôle avec l'entité étrangère, c'est toujours à elle qu'il incombe de prouver l'existence et de déterminer le montant des avantages consentis par l'entreprise française. La loi ne fixe aucune règle de preuve particulière. Aussi, appartient-il à l'administration de prouver, selon la procédure de droit commun, le caractère anormal de l'opération qu'elle entend redresser.

L'entreprise vérifiée a, bien entendu, la faculté d'apporter la preuve contraire en établissant que l'opération apparemment anormale est en réalité justifiée par les nécessités de l'exploitation.

Pour mémoire, signalons un autre écueil fiscal propre aux ETNC. Une charge supportée par une entreprise française envers une entité des ETNC en contrepartie d'un service rendu (13) n'est pas fiscalement déductible (CGI. art. 238 A al.3 N° Lexbase : L3230IGQ), sauf à l'entreprise française de prouver que la charge correspond à des opérations réelles, que les sommes versées ne présentent pas un caractère anormal et exagéré et que les opérations qu'elles rémunèrent ont principalement un objet et un effet autres que de permettre la localisation de ces dépenses dans un ETNC. Ainsi, devront être fournis tous éléments de nature à démontrer l'objet et l'effet principalement autre que fiscal des opérations effectuées.


(1) Base Erosion and Profits Shifting ; "Plan d'action concernant l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices", OCDE, 19 Juillet 2013, ISBN : 9789264203242.
(2) Achat et vente de biens, de services, redevances, intérêts, garantie, honoraires, cession ou concession de biens incorporels (tels que les marques, brevets, savoir-faire), refacturation de coûts communs...
3) Insistons sur le fait que la "dépendance" et le "contrôle" au sens de l'article 57 du CGI sont autonomes, voir assez éloignés de la "dépendance" au sens de l'article 39-12 duCGI (N° Lexbase : L3894IAH) qui, lui, contient une référence capitalistique explicite et déterminée (i.e. majorité du capital social) et permet de déterminer le périmètre d'entreprises liées entre elles.
(4) Voir notamment CE, 9° et 8° s-s-r., 18 mars 2014, n° 68799 et n° 70814 (N° Lexbase : A2246B8P), RJF 5/94 n° 532.
(5) Rappelons que, d'un point de vue juridique, "paradis fiscal" se traduit par un "régime fiscal privilégié" lequel est caractérisé lorsqu'une entreprise supporte, dans son Etat de résidence, un impôt sur ses résultats "inférieur de plus de la moitié à celui de l'impôt sur les bénéfices ou sur les revenus dont elle aurait été redevable dans les conditions de droit commun en France, si elles y avait été domiciliée ou établie" (CGI. art. 238 A).
(6) Arrêté du 17 janvier 2014 établissant la liste des Etats et territoires mentionnée au deuxième alinéa du 1 de l'article 238-0 A du Code général des impôts (N° Lexbase : L3333IGK).
(7) Convention du 15 avril 1999 (N° Lexbase : L6832BHI).
(8) Une simple présomption étant requise, il n'est pas exigé que l'administration possède les informations qui feront l'objet de la procédure de coopération forcée de l'article L. 13 B du LPF ni qu'elle démontre préalablement le caractère anormal des opérations dont elle souhaite apprécier la normalité. L'administration ne doit pas davantage motiver sa demande auprès de l'entreprise quand elle souhaite utiliser la procédure de l'article L. 13 B du LPF.
(9) CGI, art.1735 (N° Lexbase : L1725HN9) : "II. Le défaut de réponse à la demande faite en application de l'article L. 13 B du LPF entraîne l'application d'une amende de 10 000 euros pour chaque exercice visé par cette demande".
(10) Il s'agit des entreprises relevant, pour l'accomplissement de leurs obligations fiscales, de la Direction des grandes entreprises.
(11) BOI-BIC-BASE-80-20 n° 80 et 90 (N° Lexbase : X5032ALX).
(12) BOI-CF-IOR-60-50 n° 360 (N° Lexbase : X8130ALP).
(13) Idem pour les intérêts, arrérages et autres produits des obligations, créances, dépôts et cautionnements, à l'exception de ceux dus au titre d'emprunts conclus avant le 1er mars 2010 ou conclus à compter de cette date mais assimilables à ces derniers, ainsi que les redevances de cession ou concession de licences d'exploitation, de brevets d'invention, de marques de fabrique, procédés ou formules de fabrication et autres droits analogues.

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