Lexbase Public n°318 du 6 février 2014 : Services publics

[Questions à...] Retour sur les fondamentaux et les évolutions récentes du droit du service public - Questions à Gilles J. Guglielmi, Professeur de droit public à l'Université Panthéon-Assas (Paris 2)

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[Questions à...] Retour sur les fondamentaux et les évolutions récentes du droit du service public - Questions à Gilles J. Guglielmi, Professeur de droit public à l'Université Panthéon-Assas (Paris 2). Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/13850348-questions-a-retour-sur-les-fondamentaux-et-les-evolutions-recentes-du-droit-du-service-public-questi
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par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique

le 07 Février 2014

Dans un pays centralisé comme la France, la notion de service public possède à la fois un sens juridique, une fonction politique, une portée économique et une contenance sociale qui ne peuvent pas être dissociés. Si les évolutions profondes de la société française n'ont pas remis en cause les acquis que la notion de service public a permis de constituer depuis la Libération, une tendance s'est faite récemment jour qui verrait l'acceptation d'une réduction du périmètre de l'interventionnisme public en contrepartie d'une moins grande pression fiscale. Pour savoir si les contraintes d'adaptation, nées de l'internationalisation des échanges et des avancées de l'Union Européenne, n'ont pas modifié la validité intellectuelle de l'idée de service public et sa fonction préservatrice du lien social, Lexbase Hebdo - édition publique a rencontré Gilles J. Guglielmi, Professeur de droit public à l'Université Panthéon-Assas (Paris 2), et auteur d'un ouvrage de référence sur le sujet (1). Lexbase : Pouvez-vous nous rappeler quels sont les principes "classiques" du droit du service public ?

Gilles J. Guglielmi : Le droit du service public s'est progressivement constitué entre 1900 et 1950 comme un droit protecteur de l'usager. A partir de l'attribution du contentieux des services publics au juge administratif, et même si ce contentieux a été ensuite partagé avec le juge judiciaire, la jurisprudence a dégagé des principes juridiques qui s'imposent à toutes les autorités organisatrices ou gestionnaires de service public. Ils ont longtemps été au nombre de trois : l'égalité (1), la continuité (2) et la mutabilité (3). L'égalité signifie que chaque usager actuel ou potentiel doit être traité à égalité avec tout autre. La continuité impose aux autorités responsables du service public d'assurer celui-ci de façon constante et régulière, sans autre interruption que celles qui sont rendues inévitables par l'entretien nécessaire au bon fonctionnement du service. La mutabilité, ou adaptabilité, est le principe qui garantit que le service public soit adapté aux évolutions de l'environnement et des besoins : il y a là un devoir conjoint pour les autorités publiques responsables et pour les prestataires de service public, tout comme une obligation faite au public de subir les remises en cause des prestations consécutives à cette adaptation, dont il tire par ailleurs globalement avantage. Ces trois principes classiques ont été appelés "Lois de Rolland", bien qu'ils ne constituent pas formellement des lois, mais des principes jurisprudentiels convergents et que le Professeur Louis Rolland les ait synthétisées mais pas découvertes en totalité. Depuis lors, les deux premiers principes, d'égalité (4) et de continuité (5), ont été reconnus comme ayant valeur constitutionnelle.

Lexbase : Quelles transformations récentes ceux-ci ont-ils subies ?

Gilles J. Guglielmi : Les principes classiques de fonctionnement du service public se sont tout d'abord progressivement affinés. L'égalité a été appliquée à deux étapes différentes et majeures de la prestation de service public. Elle est, en effet, depuis la fin des années 1970, à la fois une égalité d'accès au service, et une égalité de traitement à l'intérieur du service (6). L'égalité d'accès, d'une part, signifie que le droit de toute personne à avoir accès au service public est garanti. Cela confirme la philosophie fondamentale de l'activité de service public elle-même qui est de fournir à toute personne qui le demande la prestation que prévoient les textes et qu'organisent pour cela les personnes publiques. Par exemple, dès lors qu'une cantine municipale est ouverte par une commune dans une école, tout élève jouit d'un droit égal à y accéder. Il suffit d'en faire la demande et d'acquitter le montant du repas selon les modalités fixées (abonnement ou ticket). L'égalité de traitement, d'autre part, établit une égalité entre les usagers une fois qu'ils ont accédé au service, pendant qu'ils l'utilisent. En d'autres termes, entre deux enfants qui déjeunent à la cantine, il n'est pas possible de servir à l'un un plateau "premium" et à l'autre un plateau "low cost".

Toutefois, certaines personnes publiques organisatrices de services publics ont souhaité, pour des raisons de politique générale dépassant la simple prestation, pratiquer une tarification différenciée. C'est le cas en matière de cantine ou de garderie : pour faciliter la vie familiale et professionnelle des parents qui travaillent tous deux pour un revenu faible, alors que d'autres parents disposent de revenus plus confortables, des collectivités territoriales ont souhaité mettre en place une péréquation tarifaire dans laquelle le paiement est proportionnel au revenu familial (quotient). Après quelques réticences dans les années 1980 (6), le juge administratif en a finalement admis le principe à la fin des années 1990 (7).

De même, le principe de continuité a été précisé comme n'étant pas seulement de nature temporelle. Il est en effet exigé, pour que le service public soit considéré comme assuré continûment, qu'il le soit en toutes ses composantes. Ainsi, un enseignement délivré dans le cadre de la préparation à un examen n'est pas considéré comme continu si les absences non remplacées des enseignants ont empêché les élèves d'accomplir le programme prévu, même si, de fait, ils ont eu cours tous les jours (8). Enfin, depuis l'entrée en vigueur des normes de l'Union européenne, notamment depuis l'inscription des services d'intérêt général dans les valeurs communes de l'Union en 1997, et encore plus précisément dans les exigences de contenu de service universel dans les secteurs libéralisés, sont apparus d'autres principes, qui constituent autant de précisions ou de renforcement des principes classiques (par exemple celui d'accessibilité, qui soutient l'égalité ; celui de qualité, qui promeut la mutabilité) et parfois les complètent de façon autonome : il en est ainsi des principes d'efficacité et de sécurité, d'information et de transparence.

Lexbase : Qu'en est-il de la définition de l'usager du service public ?

Gilles J. Guglielmi : L'usager du service public est traditionnellement défini de façon très large en droit public français. Toute personne ayant explicitement ou implicitement émis l'intention d'utiliser un service public, de bénéficier de ses prestations, indépendamment des conditions matérielles de cet usage et de sa situation juridique au regard du service, est un usager. Est considéré comme tel le candidat à l'usage (celui qui se dirige vers la gare maritime), l'usager effectif (celui qui prend le navire), l'usager frauduleux (celui qui n'a pas son billet), l'usager intermédiaire (l'agence de voyages), l'usager indirect (celui qui a confié des marchandises à transporter mais ne navigue pas). Toutes ces situations dans lesquelles un lien avec le service public est avéré donnent lieu à la qualification d'usager. A cet égard, la jurisprudence se veut clairement protectrice et ne fait pas de difficulté pour reconnaître un usager du service public (9).

Par ailleurs, le statut de l'usager peut être très variable. Ceux qui utilisent un service public à caractère administratif sont soumis, en cas de litige, à la compétence du juge administratif, alors que ceux qui utilisent un service public industriel et commercial devront d'adresser au juge judiciaire. Les premiers sont exclusivement dans une situation légale et réglementaire, alors que les seconds y ajoutent un rapport contractuel.

Lexbase : Le statut de l'usager du service public a-t-il pris une place prépondérante ces dernières années ?

Gilles J. Guglielmi : L'usager du service public est progressivement devenu, depuis le début du XXème siècle, bénéficiaire d'un statut qui s'est construit à partir des recours juridictionnels exercés par les usagers eux-mêmes. Par ailleurs, aussi bien l'évolution du droit européen que l'accroissement de la demande démocratique ont exercé une forte pression sur les pouvoirs publics et sur les gestionnaires de service public. Des exigences de transparence, d'efficacité, d'efficience ont constitué les principaux éléments de politiques publiques souhaitant replacer l'usager au centre du système. L'usager a été successivement considéré comme avant tout un citoyen, essentiellement un client (dans les services industriels et commerciaux) et finalement un co-producteur de la prestation elle-même, méritant une large participation aux processus d'évaluation et de gestion. Des garanties plus précises et des procédures plus aisément mobilisables ont été instaurées. De même, des dispositifs spéciaux ont finalement été adoptés pour atténuer les effets sur la vie des usagers des amples mouvements de grève régulièrement constatés dans certains services publics : les transports terrestres de voyageurs et l'école.

Ces nouvelles exigences, ces nouvelles garanties, ne constituent pas un statut plus cohérent ou plus fort que celui qui résultait déjà du droit existant. Toutefois, leur nombre et leur précision accroissent la densité et l'effectivité de toutes les normes dont, à l'intérieur de leur statut classique, les usagers du service public peuvent se réclamer. Aussi, ce n'est pas tant le statut de l'usager qui a pris une place prépondérante que la qualité d'usager elle-même, à travers le rappel essentiel de ce que le service public ne prend de sens et de réalité que s'il est effectivement utilisé par la population, puisque c'est au vu des besoins de celle-ci qu'il a été créé et que des moyens collectifs, financés par l'impôt, ont été mobilisés pour le mettre en oeuvre. C'est là toute la particularité de la notion française de service public, qui renvoie toujours à une conception républicaine de la démocratie, de la cohésion sociale et territoriale. L'idée de solidarité, qui est au coeur de la construction administrative du service public, se traduit dans les principes juridiques de fonctionnement du service et dans ceux qui protègent et valorisent l'usager, dans la perspective d'un maintien permanent du lien social.


(1) G. J. Guglielmi, G. Koubi, Droit du service public, Montchrestien, 2011.
(2) CE, S., 9 mars 1951, n° 92004, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6352B7E) ; CE, Ass., 25 juin 1948, n° 94511, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A7255B89).
(3) CE, Ass., 7 juillet 1950, n° 01645, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A5106B7A).
(4) CE, S., 27 janvier 1961, n° 38661, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A5804MDC) ; CE, S., 18 mars 1977, n° 97939, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A2239B8G).
(5) Cons. const., décision n° 79-107 DC du 12 juillet 1979 (N° Lexbase : A7992ACY).
(6) Cons. const., décision n° 79-105 DC du 25 juillet 1979 (N° Lexbase : A7991ACX).
(7) CE, S., 26 avril 1985, n° 41169, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A3162AM3).
(8) CE, S., 29 décembre 1997, n° 157425, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A5551ASE) ; CE, S., 29 décembre 1997, n° 157500, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A5552ASG) ;
(9) CE 2° et 6° s-s-r., 8 mars 1991, n° 70216, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9867AQI), Rec. p. 88.

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