Réf. : Cass. civ. 1, 19 décembre 2013, n° 12-25.888, F-P+B (N° Lexbase : A7415KSG)
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N0318BUC
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par Frédérique Julienne, Maître de conférences HDR, Université Montesquieu Bordeaux IV, membre de l'IRDAP
le 23 Janvier 2014
I - L'affirmation de l'inapplicabilité de la règle de proportionnalité à l'aval
Dans la décision rendue par la première chambre civile de la Cour de cassation le 19 décembre 2013, les juges excluent de manière radicale le donneur d'aval du bénéfice de l'article L. 341-4 du Code de la consommation. Ce dispositif, instauré par la loi "Dutreil" du 1er août 2003 (loi n° 2003-721 N° Lexbase : L3557BLC), a vocation à étendre le principe de proportionnalité fixé à l'article L. 313-10 du Code de la consommation (N° Lexbase : L2693IXZ) à tout contrat de cautionnement conclu par une personne physique au profit d'un créancier professionnel. En application de ces textes, le créancier ne peut se prévaloir de la sûreté si l'engagement de la caution est, lors de la conclusion du contrat, manifestement disproportionné à ses biens et revenus. Cette règle n'a, cependant, pas lieu de jouer, lorsque le patrimoine de la caution, au moment où elle est appelée, lui permet d'assumer son obligation. Rappelons qu'avant la loi "Dutreil", la jurisprudence avait déjà consacré un véritable principe de proportionnalité dans des hypothèses non visées par le dispositif du droit de la consommation dans le cadre de l'arrêt "Macron" (1). Selon la jurisprudence, la disproportion de l'engagement de la caution caractérise une faute de la part du créancier justifiant le paiement de dommages et intérêts. Cette protection, précisons-le, n'a vocation à concerner que la caution non avertie.
Dans cette décision, les juges réaffirment une solution précédemment énoncée par la Chambre commerciale dans un arrêt en date du 30 octobre 2012 dont ils reprennent l'argumentaire "l'aval en ce qu'il garantit le paiement d'un titre dont la régularité n'est pas discutée, constitue un engagement cambiaire gouverné par les règles propres du droit du change, de sorte que l'avaliste n'est pas fondé à rechercher la responsabilité de la banque pour manquement au devoir de mise en garde ni pour violation de l'article L. 341-4 du Code de la consommation" (2). La précision relative à la régularité du titre est donc reprise dans l'arrêt commenté. Cette indication est pertinente puisque l'aval peut porter sur un acte nul. Dans cette hypothèse, il ne peut avoir valeur cambiaire. Après avoir considéré qu'il s'analysait comme un commencement de preuve par écrit d'un cautionnement, les juges admettent uniquement aujourd'hui que l'on puisse prouver l'existence parallèle d'un cautionnement de droit commun (3).
Le refus d'appliquer le dispositif du droit de la consommation en matière de proportionnalité à l'aval mérite d'autant plus d'être remarqué que l'arrêt "Macron", qui avait vocation à généraliser le principe, concernait l'aval d'un effet de commerce. Cette décision s'inscrit alors clairement dans une démarche globale visant à ne pas étendre le régime protecteur prévu en droit de la consommation au bénéfice des cautions personnes physiques s'engageant auprès de créanciers professionnels aux donneurs d'aval se trouvant dans le même contexte. Cette logique a déjà été privilégiée à l'égard du devoir de mise en garde (4) ou, encore, à l'égard du droit à l'information prévu à l'article L. 313-22 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L2501IXW) (5). Le rejet de la règle de proportionnalité apparaît cependant beaucoup plus révélateur d'une politique globale de dissociation entre l'aval et le cautionnement. En effet, concernant le devoir de mise en garde notamment, son exclusion pouvait se justifier pour des raisons d'ordre pratique car il est difficile de concevoir sa mise en oeuvre concrète par les banques. Il semble bien qu'aux yeux des juges, l'assimilation de l'aval au cautionnement ne soit pas légitime pour justifier une application des règles protectrices prévues en matière de cautionnement.
II - La confirmation de l'autonomie de l'aval par rapport au cautionnement
Pour les juges de la première chambre civile, l'aval n'est pas soumis à la règle de proportionnalité dédiée au cautionnement, issue du droit de la consommation. Ils confortent alors l'idée d'un traitement autonome de l'aval par rapport à celui du cautionnement et renforcent la promotion de "l'émancipation de l'aval" (6). Cette affirmation soulève deux interrogations, l'une relative à sa justification, l'autre à sa portée.
En premier lieu, il convient de rechercher la justification de cette approche restrictive du champ d'application des dispositions issues du droit de la consommation en matière de cautionnement. La lecture de l'argumentaire développé par les juges révèle la mise en avant de règles propres à l'aval issues du droit du change. La solution retenue découlerait alors d'un problème plus général d'articulation entre deux corps de règles : celui du droit de la consommation et celui du droit cambiaire. L'existence de mesures spécifiques prévues en matière d'aval expliquerait la non-application du droit de la consommation qui aurait alors vocation à n'intervenir qu'à défaut de toutes autres dispositions spéciales. Cette approche subsidiaire du rôle du droit de la consommation a pu également être retenue à l'égard des règles particulières prévues, par exemple, en droit de l'urbanisme afin de déterminer si le dispositif prévu en droit du crédit immobilier par le droit de la consommation devait s'appliquer à certaines opérations, comme les contrats préliminaires d'immeuble à construire (7). Il y aurait donc un régime de droit commun du cautionnement incluant les dispositions du Code civil et des régimes spéciaux issus du droit cambiaire et du droit de la consommation.
Mais, au-delà de ce problème de conciliation de normes, la démarche retenue par les juges pose celui de la qualification juridique de l'aval. Peut-il être légitimement assimilé à un cautionnement ? Communément, l'aval est défini comme une "sorte de cautionnement cambiaire en vertu duquel l'avaliste s'engage à payer tout ou partie du montant de l'effet en cas de défaillance de la personne pour le compte de laquelle il est donné ; l'avaliste est ainsi la caution cambiaire de l'avalisé" (8). Cette assimilation pourrait alors très bien fonder la mise en oeuvre des règles du droit commun du cautionnement à la condition qu'elles ne contredisent pas la logique de l'aval. Toutefois, de manière plus précise, il serait envisageable de soumettre la qualification de l'aval à une sous-distinction en fonction de ce qu'il garantit. Dans le cas où il garantit le paiement d'une lettre de change, qui est un acte de commerce par la forme, il constitue sans conteste un engagement cambiaire et s'apparente à un cautionnement solidaire. Celui qui s'engage est donc privé du bénéfice de discussion et du bénéfice de division. Mais cette analyse s'impose avec moins d'évidence lorsqu'il a pour objet de garantir, comme dans l'espèce étudiée, le paiement d'un billet à ordre qui, lui, est un acte civil. Les juges de la première chambre civile ne semblent pas s'engager dans la voie d'une distinction puisque dans l'arrêt rapporté ils considèrent que l'aval portant sur un billet à ordre représente un engagement cambiaire soumis à des règles propres.
En deuxième lieu, il convient de s'interroger sur la portée de la démarche suivie par les juges de la Cour de cassation. Doit-on considérer que l'ensemble des mesures prévues en matière de cautionnement n'a pas lieu de s'appliquer à l'aval ? Pour l'instant, une telle généralisation paraît être excessive au vu de l'état actuel du droit positif. La jurisprudence a admis, notamment, le jeu de l'article 1415 du Code civil (N° Lexbase : L1546ABU) issu du droit des régimes matrimoniaux concernant les engagements de caution donnés par un conjoint marié sous un régime de communauté. Une exclusion radicale des mesures prévues en matière de cautionnement sous-entendrait que le donneur d'aval personne physique se retrouve dans une situation beaucoup moins protectrice que la caution car le droit cambiaire n'organise pas de règles équivalentes. Le rapprochement entre les différentes solutions jurisprudentielles permet de dégager une ligne de conduite : les dispositions du Code civil, constitutives du droit commun du cautionnement, auraient vocation à s'appliquer à l'aval tandis que les dispositions prévues dans le droit de la consommation seraient exclues par le régime spécial du droit cambiaire.
(1) Cass. com., 17 juin 1997, n° 95-14.105, publié (N° Lexbase : A1835ACX), Bull. civ. IV, n° 188, RTDCiv., 1998, 100, obs. J. Mestre et 157, obs. P. Crocq.
(2) Cass. com., 30 octobre 2012, n° 11-23.519, F-P+B (N° Lexbase : A3174IWH), Dr. et patr., février 2013, p. 83, obs. Ph. Dupichot et L. Aynes ; D., 2012, 2588, obs. X. Delpech ; A. Bordenave, L'aval, loin du cautionnement ?, Lexbase Hebdo n° 317 du 22 novembre 2012 - édition affaires (N° Lexbase : N4601BTL).
(3) Cass. com., 26 mai 2010, n° 09-66.303, F-D (N° Lexbase : A7381EXN).
(4) Cf. Cass. com., 30 octobre 2012, préc..
(5) Cass. com., 16 juin 2009, n° 08-14.532, F-P+B (N° Lexbase : A3192EI3), JCP éd. G, 2009, 1703 ; RTDCiv., 2009, 759, obs. P. Crocq.
(6) Voir X. Delpech, observations préc., sous Cass. com., 30 octobre 2012, préc..
(7) Cass. civ. 3, 21 juin 2006, n° 04-18.239, FS-P+B+I (N° Lexbase : A9596DP4), Rev. Droit des contrats, 1er octobre 2006, n° 4, p. 1121.
(8) R. Bonhomme, Instruments de crédit et de paiement, LGDJ, n° 185. Egalement, D. Legeais, Sûretés et garanties du crédit, LGDJ, n° 75 : "l'aval est une variété de cautionnement solidaire" ; Ph. Simler, Cautionnement, garanties autonomes, garanties indemnitaires, Litec, 2008, n° 107.
Décision
Cass. civ. 1, 19 décembre 2013, n° 12-25.888, F-P+B (N° Lexbase : A7415KSG). Cassation (CA Rouen, 21 juin 2012, n° 11/05116 N° Lexbase : A4606IPB). Lien base : (N° Lexbase : E8827AGZ) et (N° Lexbase : E8923BXR). |
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