Lexbase Affaires n°366 du 23 janvier 2014 : Propriété intellectuelle

[Jurisprudence] Vente de photocopies d'une oeuvre : quelles autorisations sont nécessaires ?

Réf. : Cass. civ. 1, 11 décembre 2013, n° 11-22.031, FS-P+B (N° Lexbase : A3632KRX)

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par Carine Bernault, Professeur à l'Université de Nantes

le 23 Janvier 2014

L'arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 11 décembre 2013 vient apporter deux précisions importantes pour le droit d'auteur.
En l'espèce, le demandeur avait constaté que plusieurs de ses articles, publiés dans des revues juridiques spécialisées, étaient commercialisés par une filiale du CNRS, sur son site internet. Les articles pouvaient être téléchargés en format pdf mais une photocopie pouvait également être envoyée par la poste. N'ayant jamais autorisé une telle exploitation, il avait donc engagé une action en contrefaçon contre celle-ci. Pour se défendre, la société a alors appelé en garantie le CFC (Centre français d'exploitation du droit de copie) qui a autorisé cette exploitation des oeuvres en cause. Il faut rappeler que le CFC est une des sociétés agrées par le ministre en charge de la Culture pour gérer le droit de reproduction par reprographie pour le livre et la presse, conformément à l'article L. 122-10 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L3370AD8). La reprographie est définie par ce même texte comme "la reproduction sous forme de copie sur papier ou support assimilé par une technique photographique ou d'effet équivalent permettant une lecture directe". Mais l'intérêt de cet arrêt ne se limite pas à la question, certes technique mais importante, de la définition du périmètre de la cession légale du droit de reproduction par reprographie (I). En effet, cette décision permet également de revenir sur la question récurrente de l'épuisement du droit de divulgation (II).

I - Le périmètre de la cession légale du droit de reproduction par reprographie

Selon l'article L. 122-10 du Code de la propriété intellectuelle, "la publication d'une oeuvre emporte cession du droit de reproduction par reprographie" au CFC qui est donc le seul susceptible de "conclure toute convention avec les utilisateurs aux fins de gestion du droit ainsi cédé, sous réserve, pour les stipulations autorisant les copies aux fins de vente, de location, de publicité ou de promotion, de l'accord de l'auteur ou de ses ayants droit".

Le débat portait précisément sur cette "réserve" concernant les copies aux fins de vente. Le CFC prétendait, en effet, pouvoir autoriser cette exploitation. En ce sens, il avançait plusieurs arguments. Tout d'abord, il considérait qu'au regard de l'article L. 122-10, ne devaient être soumises à l'accord du titulaire des droits que "les clauses des conventions conclues avec les utilisateurs relativement à la réalisation de copies aux fins de vente, de location, de publicité ou de promotion". Autrement dit, ce n'est pas le principe même de cette exploitation commerciale qui devait être autorisé par l'auteur mais seulement ses modalités contractuelles. L'argument peut sembler audacieux dès lors qu'en l'espèce, l'auteur n'avait manifestement pas consenti à ces modalités. Mais précisément, les défendeurs prétendaient ensuite que cet accord "n'est pas soumis à un formalisme particulier", suggérant donc qu'il puisse être implicite et déduit du fait que l'éditeur de l'auteur avait accepté les "conditions générales de reprographie aux fins de vente telles que fixées par le CFC, dans le cadre de relations continues et anciennes entre les parties". Le CFC et la filiale du CNRS invoquaient également le fait que l'éditeur avait accepté les relevés annuels de droits du CFC, accompagnés de la notice de répartition précisant que le montant comprend les droits de reprographies aux fins de vente. Ainsi, l'auteur aurait cédé ses droits à son éditeur qui aurait consenti aux stipulations autorisant les copies aux fins de vente. Mais surtout, les défendeurs contestaient l'interprétation de l'article L. 122-10 du Code de la propriété intellectuelle retenue par les juges du fond. Pour la filiale du CNRS et le CFC, ce dernier est le seul titulaire du droit de reproduction par reprographie du fait de la cession imposée par la loi. Dès lors, "l'usager qui a effectué des reprographies d'une oeuvre à des fins commerciales après y avoir été contractuellement autorisé par la société de gestion collective [...] ne se rend pas coupable de contrefaçon même si l'auteur n'a pas consenti à ces reprographies". Au contraire, pour les juges du fond, "le droit de reproduction commerciale par reprographie [est] exclu du périmètre de la cession légale et [...] le consentement de l'auteur [est] en toute hypothèse indispensable à l'exercice par le CFC, du droit de reproduction par reprographie à des fins commerciales".

Fort logiquement, nous semble-t-il, c'est cette dernière interprétation qui sera reprise par la Cour de cassation. Après avoir constaté que "l'article L. 122-10 du Code de la propriété intellectuelle instaure la cession légale du droit de reproduction par reprographie au bénéfice d'une société collective agréée pouvant seule conclure toute convention avec les utilisateurs à des fins de gestion du droit ainsi cédé", la Cour ajoute que "ce même texte, en réservant pour les stipulations autorisant les copies aux fins de vente, de location, de publicité ou de promotion, l'accord de l'auteur ou de ses ayants droit, exclut du périmètre de la cession légale toute utilisation à des fins commerciales desdites copies". La cour d'appel a donc fait une exacte application de ce texte et les défendeurs ont violé les droits patrimoniaux de l'auteur. Par ailleurs, la Cour refuse d'admettre que l'accord pour ces exploitations commerciales ait pu être donné par l'éditeur auquel l'auteur aurait cédé ses droits dès lors que les défendeurs ne peuvent "se prévaloir d'une cession tacite ou implicite des droits d'auteur à l'éditeur".

La décision est importante car ces copies réalisées à des fins commerciales sont source d'interrogation depuis de nombreuses années (2). Les juges avaient déjà eu l'occasion de préciser qu'au-delà des "copies aux fins de vente, de location, de publicité ou de promotion" visées par la loi ce sont toutes les exploitations commerciales de ces copies qui sont concernées (3), ce qui correspond à l'intention du législateur (4). Il restait à interpréter le sens à donner à cette "réserve" légale. Tout d'abord, il ne fait aucune doute que l'auteur et ses ayants-droit peuvent réaliser eux-mêmes des copies de l'oeuvre à des fins commerciales. L'alinéa 3 de l'article L. 122-10 du Code de propriété intellectuelle l'indique clairement : "les dispositions du premier alinéa ne font pas obstacle au droit de l'auteur ou de ses ayants droit de réaliser des copies aux fins de vente, de location, de publicité ou de promotion". Mais il restait à déterminer précisément qui devait autoriser cette exploitation lorsqu'elle était réalisée par un tiers. Deux analyses s'opposent ici. Pour une partie de la doctrine, il faut comprendre qu'en présence d'une exploitation commerciale, un double consentement est nécessaire : celui du CFC mais aussi celui de l'auteur en raison de la réserve précitée (5). Dans cette logique, la cession légale s'applique donc au droit de reproduction par reprographie d'une manière générale, que la copie soit utilisée à des fins commerciales ou non. L'ayant-droit doit seulement "approuver" cet accord en cas de vente, location...

Pourtant, il nous semble que cette interprétation ne s'impose pas à la lecture de la loi (6). En effet, on peut aussi comprendre que la gestion collective obligatoire du droit de reproduction par reprographie est limitée aux exploitations non commerciales. Dans ce cas, la réserve formulée par l'article L. 122-10 viendrait donc définir le périmètre de la cession du droit au CFC. L'auteur ou son ayants-droit est alors le seul susceptible d'autoriser un acte de reprographie à des fins commerciales. En ce sens, et de manière un peu surprenante, on peut d'ailleurs invoquer les statuts du CFC qui, dans leur article 20 intitulé "exploitations dans le cadre d'un apport volontaire", ont prévu que :
"Pour les reproductions qui ne rentrent pas dans le cadre défini par l'article L. 122-10 du Code de la propriété intellectuelle, telles que les reproductions destinées à la vente, la location, la publicité ou la promotion, tout associé peut faire apport à la société du droit d'autoriser ou d'interdire la reproduction des oeuvres dont il détient les droits.
Cet apport fait l'objet d'un contrat entre l'associé et la société. Ce contrat définit les conditions et les limites de cet apport.
Les droits qui font l'objet d'un apport volontaire doivent être gérés de façon distincte des droits détenus par la société en application de l'article L. 122-10 du Code de la propriété intellectuelle
".

On peut comprendre, à la lecture de cet article, que pour les exploitations commerciales, si l'auteur ne confie pas volontairement la gestion de son droit au CFC, il l'exerce lui-même, et dans ce cas, seul son consentement est nécessaire. C'est bien en ce sens que semble se prononcer la Cour de cassation lorsqu'elle affirme que l'article L. 122-10 du Code de la propriété intellectuelle "exclut du périmètre de la cession légale toute utilisation à des fins commerciales desdites copies".

II - L'épuisement du droit de divulgation

L'auteur prétendait en outre que l'exploitation de ses oeuvres constituait une violation de son droit de divulgation. En effet, selon l'article L. 121-2 Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L3347ADC), "l'auteur a seul le droit de divulguer son oeuvre. Sous réserve des dispositions de l'article L. 132-24 (N° Lexbase : L3417ADW), il détermine le procédé de divulgation et fixe les conditions de celle-ci". L'auteur prétendait alors que ce droit n'est pas épuisé par la première publication lorsque l'oeuvre peut être exploitée dans de nouvelles conditions ou sous une nouvelle forme. En l'espèce, il avait accepté la publication de ses articles dans des revues, mais cela ne permettait donc pas, selon lui, de les divulguer autrement, notamment en les commercialisant indépendamment de ces revues. A la violation du droit patrimonial, s'ajouterait donc une violation du droit moral.

Sur ce point, il n'avait pas convaincu la cour d'appel, qui avait, au contraire, considéré que ce droit s'épuisait avec la première communication de l'oeuvre au public. Cette question de l'épuisement du droit de divulgation est bien connue en droit d'auteur et divise doctrine et jurisprudence, certains juges du fond ayant déjà admis l'épuisement (7) alors que d'autres le rejetait dès lors que l'oeuvre était exploitée sous une forme différente de celle acceptée initialement par l'auteur (8). Une décision de la Cour de cassation, rendue en 2006, loin d'être très claire, pouvait toutefois être lue comme rejetant la possibilité d'un épuisement du droit de divulgation (9). En l'espèce, la formulation est très nette : "le droit de divulgation s'épuis[e] par le premier usage qu'en fait l'auteur" et on peut donc espérer que cette décision clarifie enfin la situation sur ce point.


(1) La SEAM (société des éditeurs et auteurs de musique) gère ce même droit s'agissant de la "musique imprimée" (partitions, paroles de chansons...).
(2) A ce propos : P. Boiron, Le droit de reproduction par reprographie : les copies à des fins de commerce dix ans après la loi du 3 janvier 1995, Comm. com. électr., 2004, étude 42 et B. Spitz, Droit de reprographie : l'exploitation commerciale des copies, RLDI 2010/63, 2064
(3) TGI Paris, 3ème ch., 2ème sect., 20 septembre 2002, n° 01/08341 (N° Lexbase : A6088A7M) ; CA Paris, 4ème ch., sect. A, 24 mars 2004, Propr. intell., 2004, n° 12, p. 772, obs. A. Lucas ; RIDA, 2004, n° 201, p. 315, obs. A. Kéréver ; Légipresse, 2004, n° 213, III, 129, note G. Vercken.
(4) L'arrêt rendu par la cour d'appel de Paris le 24 mars 2004 (préc.) reprend les propos du ministre de la Culture au moment du vote de la loi du 3 janvier 1995 (loi n° 95-4, relative à la gestion collective du droit de reproduction par reprographie N° Lexbase : L2494IZE) : "l'accord de l'auteur ou de ses ayants cause doit être recueilli dans le cas où les conventions autoriseraient la réalisation d'actes commerciaux portant sur les copies".
(5) En ce sens : P. Boiron, Le droit de reproduction par reprographie : les copies à des fins de commerce dix ans après la loi du 3 janvier 1995, préc. ; A. Françon, RTDCom., 1995, p. 122 ; A. Lucas, Aperçu rapide sur la loi n° 95-4 du 3 janvier 1995 relative à la gestion collective du droit de reproduction par reprographie, JCP éd. G, 8 février 1995, n° 6 ; G. Vercken, La gestion collective dans la tourmente ? L'exemple de la reprographie, RLDI 2005/2, n° 75, p. 47.
(6) En ce sens : C.-H. Dubail, Pour une application limitée de la gestion collective, Légipresse 1996, p. 143 ; Ch. Caron, Droit d'auteur et droits voisins, LexisNexis, 3ème éd., 2013, n° 313, pour qui le 3ème alinéa de l'article L. 122-10 (N° Lexbase : L3370AD8), précisant que les dispositions du 1er alinéa ne font pas obstacle au droit de l'auteur ou de ses ayants-droit de réaliser des copies aux fins de vente, prouvent que "le droit de reproduction commerciale par reprographie n'est pas concerné par la cession légale". V. aussi, CA Paris, 24 mars 2004 (préc.) affirmant que les copies à des fins commerciales "ne relèvent pas de la cession légale de plein droit".
(7) A propos de sketches d'une émission pour enfants : CA Paris, 14 février 2001, D., 2001, somm. p. 2637, obs. P. Sirinelli ; Propr. intell., 2001, n° 1, p. 60, obs. A. Lucas ; Comm. com. électr., 2001, comm. 25, Ch. Caron ; CA Toulouse, 10 mai 2007, Propr. intell., 2008, n° 26, p. 102, obs. A. Lucas.
(8) A propos d'une préface : CA Paris, 23 juin 2000, Propr. intell., 2001, p. 60, obs. A. Lucas.
(9) Cass. civ. 1, 21 novembre 2006, n° 04-16.612, F-P+B (N° Lexbase : A5196DSA), Propr. intell., 2007, p. 84, obs. A. Lucas ; RTDCom., 2007, p. 536, obs. F. Pollaud-Dulian ; RIDA, 2007, p. 345, obs. P. Sirinelli.

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