Le Quotidien du 8 janvier 2025 : Cotisations sociales

[Observations] Solidarité financière : toute l'attestation de vigilance, rien que l'attestation de vigilance !

Réf. : Cass civ. 2, 5 décembre 2024, n° 22-21.152, F-B N° Lexbase : A15986LR

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N1405B3G

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par François Taquet, Professeur de Droit social (IESEG, Skema BS), Avocat, spécialiste en Droit du travail et protection sociale, Directeur scientifique du réseau d’avocats GESICA

le 09 Janvier 2025

► Faute pour le sous-traitant d’avoir fourni au donneur d’ordre l’attestation de vigilance comportant les informations exigées par l’article D. 243-15 du Code de la Sécurité sociale, le donneur d’ordre n’a pas procédé aux vérifications qui lui incombent.

Faits. Dans cette affaire, à la suite du contrôle d'un sous-traitant d’une société donneur d'ordre, ayant donné lieu à l'établissement d'un procès-verbal de travail dissimulé à l'encontre du sous-traitant, une URSSAF avait adressé au donneur d'ordre une lettre d'observations, mettant en œuvre la solidarité financière prévue par les articles L. 8222-1 N° Lexbase : L5106IQ8 et suivants du Code du travail, suivie d'une mise en demeure et d'une contrainte.

Procédure. La cour d’appel de Bordeaux (CA Bordeaux, 7 juillet 2022, n° 20/01008 N° Lexbase : A05908BH) avait  annulé la mise en demeure et la contrainte et condamné l'URSSAF à rembourser au donneur d'ordre des cotisations et majorations de retard versées en exécution de celles-ci, en relevant que le donneur d'ordre s'était fait remettre par la société sous-traitante des attestations sur l'honneur établies par sa gérante mentionnant son immatriculation au registre du commerce, l'absence d'interdictions prévues aux articles 43 et 44 du code des marchés publics et son engagement à n'employer que des salariés régulièrement déclarés auprès des organismes sociaux ainsi qu'une attestation émanant du Régime social des Indépendants mentionnant un compte à jour de déclarations et de paiement des cotisations personnelles de la gérante de l'entreprise sous-traitante. Dans ces conditions, et pour les juges du fond, le donneur d'ordre avait satisfait aux exigences de l'article D. 8222-5 du Code du travail N° Lexbase : L8381L3S.

Solution. C’est cette décision qui est cassée par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, cette dernière estimant que faute pour le sous-traitant d’avoir fourni au donneur d'ordre l'attestation de vigilance comportant les informations exigées par l'article D. 243-15 du Code de la Sécurité sociale N° Lexbase : L9096LSP, le donneur d'ordre n'avait pas procédé aux vérifications qui lui incombaient.

Cette décision demande incontestablement à être remise dans son contexte.

Contexte. On sait que le donneur d’ordre est tenu de vérifier, lors de la conclusion d’un contrat portant sur une obligation d’une certaine valeur (5 000 € HT ; C. trav., art. R. 8222-1 N° Lexbase : L0218LBP), puis tous les 6 mois jusqu’à la fin de son exécution, que son cocontractant s’acquitte, entre autres obligations, de celles relatives à la déclaration et au paiement des cotisations à l’égard de l’URSSAF (CSS, art. L. 243-15 N° Lexbase : L2691MAW ; C. trav., art. L. 8222-1 N° Lexbase : L5106IQ8 et D. 8222-5 N° Lexbase : L8381L3S).

Concrètement, le donneur d’ordre doit demander à son cocontractant les documents suivants :

  • l’attestation dite de vigilance URSSAF (attestation de fourniture, déclaration sociale et paiement des cotisations et contributions de Sécurité sociale) de moins de 6 mois, dont il faudra vérifier l’authenticité (n° d’authentification) ;
  • l’extrait KBIS (ou carte d’identification auprès du répertoire des métiers) ;
  • la liste des salariés étrangers soumis à autorisation de travail.

À défaut de procéder à ces vérifications et si le sous-traitant a eu recours au travail dissimulé, le donneur d’ordre peut être poursuivi pénalement et devoir régler solidairement les cotisations sociales du sous-traitant. Il peut également perdre le bénéfice des exonérations et réductions de cotisations applicables à ses salariés sur toute la période où le délit de travail dissimulé du sous-traitant aura été constaté (C. trav., art. L. 8222-2 N° Lexbase : L3605H9E ; CSS, art. L. 133-4-5 N° Lexbase : L2531MGT)

Le Conseil Constitutionnel a validé le dispositif de solidarité financière le 31 juillet 2015 (Cons. const., décision n° 2015-479 QPC du 31 juillet 2015 N° Lexbase : A0565NNA), tout en  apportant une réserve de taille : les dispositions « ne sauraient, sans méconnaître les exigences qui découlent de l'article 16 de la Déclaration de 1789, interdire au donneur d'ordre de contester la régularité de la procédure, le bien-fondé et l'exigibilité des impôts, taxes et cotisations obligatoires ainsi que des pénalités et majorations y afférentes au paiement solidaire desquels il est tenu ».

Les URSSAF ont tout de suite vu l’opportunité qu’elles pouvaient retirer de ces textes. Certes, le motif invoqué est la nécessaire lutte contre le travail dissimulé. Dans la circulaire interministérielle DILTI du 31 décembre 2005, l’idée était que la lutte contre le travail dissimulé ne devait pas viser seulement à mettre en cause la responsabilité des auteurs immédiats de cette délinquance économique et financière. Il s’agissait, pour agir efficacement, de rechercher celle des donneurs d’ordre qui sont souvent les véritables bénéficiaires et les instigateurs des pratiques frauduleuses génératrices d’une importante évasion sociale et fiscale. Toutefois, à y regarder de près, l’objectif paraît moins louable et s’orienter vers une préservation des intérêts financiers des organismes sociaux (Ass. nat., Rapport d’information n° 2250). De même, le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2015-479 QPC du 31 juillet 2015, a relevé que cette solidarité « constitue une garantie pour le recouvrement de la créance du Trésor public et de celle des organismes de protection sociale » (considérant 8) (la circulaire interministérielle susmentionnée du 31 décembre 2005 l’a implicitement reconnu en invoquant le fait que le débiteur solidaire est « généralement beaucoup plus solvable financièrement que l’auteur du travail dissimulé »)

Le respect du formalisme est ici important. Dans le passé, il a été décidé que le fait que le donneur d’ordre ait vainement réclamé l’attestation de vigilance, ou ait obtenu des pièces plus ou moins équivalents, ne suffit pas pour éviter la solidarité (Cass. civ. 2, 11 février 2016, n° 15-10.168, F-P+B N° Lexbase : A0458PLK ; Cass. civ. 2, 11 février 2016, n° 14-10.614, F-P+B N° Lexbase : A0443PLY ; CA Paris, 6-12, 12 mars 2021, n° 17/01018 N° Lexbase : A98814K8). La Cour de cassation enfonce ici le clou : seule la remise de cette attestation de vigilance permet de satisfaire aux obligations de l’article L. 8222-1 du Code de la Sécurité sociale. À bon entendeur, salut !

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