Réf. : Cass. civ. 1, 11 décembre 2024, n° 23-15.672, FS-B+R N° Lexbase : A15266MH
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par Jean Sagot-Duvauroux, Maître de conférences en droit privé (HDR) à l'Université de Bordeaux
le 13 Janvier 2025
► En matière d’adoption, le juge de l’exequatur doit être en mesure, à travers la motivation de la décision ou de documents équivalents, de connaître les circonstances de l’adoption et de s’assurer que les parents ou les représentants légaux ont consenti dans son principe comme dans ses effets.
La loi du 21 février 2022 (loi n° 2022-219 visant à réformer l’adoption N° Lexbase : L4154MBH) a modifié certains aspects du régime de l’adoption internationale dans le but de la rendre plus éthique et de prévenir les trafics illicites d’enfants. C’est ainsi que le législateur français a notamment consacré le principe d’interdiction des démarches individuelles afin de renforcer le contrôle du consentement des représentants légaux de l’enfant dans le pays d’origine. Cette initiative ne peut évidemment qu’être saluée. Toutefois, pour qu’elle soit véritablement efficace, encore faut-il que les parents désireux d’adopter des enfants en provenance de pays étrangers n’aient pas la possibilité de s’affranchir des exigences posées par le droit français. Ces derniers peuvent en effet être tentés de demander à un juge étranger, moins scrupuleux, qu’il prononce l’adoption et de revendiquer, ensuite, les effets du jugement étranger au sein de l’ordre juridique français. Afin de rendre inefficaces de tels stratagèmes, il est nécessaire de répercuter les principales exigences posées par le droit français au stade de l’instance indirecte. C’est ce à quoi s’efforce la Cour de cassation dans l’arrêt commenté.
En l’espèce, un tribunal américain de l’Utah prononce l’adoption d’un mineur né aux États-Unis par un homme, certainement de nationalité française. Le jugement étranger précise qu’il met fin aux droits des parents biologiques et que l’enfant portera le nom de l’adoptant qui exercera les droits et devoirs relatifs à l’assistance et aux successions comme s’il était le père biologique. Le requérant sollicite ensuite l’exequatur du jugement américain devant les juridictions françaises. Au second degré, la demande est rejetée au motif que le jugement étranger d’adoption est contraire à la conception française de l’ordre public international.
L’adoptant forme alors un pourvoi en cassation. Parmi les cinq branches qui composent le moyen, seules deux sont examinées par la première chambre civile. Selon le requérant, ni l’absence de motivation de la décision étrangère ni le fait que ne soit pas mentionné le consentement à l’adoption du représentant légal ne pouvaient être considérés comme des atteintes aux conceptions fondamentales françaises et conduire, par voie de conséquence, à refuser l’exequatur.
Ainsi, la question posée aux juges de la première chambre civile était la suivante : quels éléments la motivation d’un jugement étranger d’adoption doit-elle contenir pour que ce dernier soit conforme à l’ordre public international et puisse recevoir effet au sein de l’ordre juridique français ?
Tout d’abord, la Cour de cassation prend le soin de résumer les grands principes qui gouvernent le régime de l’effet des jugements étrangers en France : reconnaissance de plano des jugements étrangers relatifs à l’état des personnes (point 6), nécessité de contrôler la régularité internationale en cas d’action en inopposabilité ou de demande d’exequatur (point 7) et interdiction de la révision au fond de la décision étrangère (point 8). Elle rappelle également les trois conditions de la régularité internationale des jugements étrangers dégagées par l’arrêt « Cornelissen » (Cass. civ. 1, 20 février 2007, n° 05-14.082, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A2537DUI), à savoir la compétence indirecte du juge d’origine, l’absence de fraude et la conformité à l’ordre public international de fond et de procédure (point 8).
Ensuite, s’agissant de cette dernière condition, conformément à sa jurisprudence constante (voir notamment Cass. civ. 1, 17 mai 1978, n° 76-14.843, publié au bulletin N° Lexbase : A8573CHY ; Cass. civ. 1, 28 novembre 2006, n° 04-19.031, F-P+B N° Lexbase : A7709DSC ; Cass. civ. 1, 22 octobre 2008, n° 06-15.577, FS-P+B+I N° Lexbase : A9277EAT), la première chambre civile rappelle qu’« est contraire à la conception française de l’ordre public international la reconnaissance d’une décision étrangère non motivée lorsque ne sont pas produits des documents de nature à servir d’équivalent à la motivation défaillante » (point 10).
Enfin, et c’est là le principal apport de la décision commentée, la Cour de cassation vient plus spécifiquement préciser les éléments que doit contenir la motivation d’une décision étrangère d’adoption pour être considérée comme internationalement régulière. Ce faisant, elle indique que le jugement étranger d’adoption (ou des documents équivalents) doit permettre « de connaître les circonstances de l’adoption et de s’assurer qu’il a été constaté que les parents ou les représentants légaux y ont consenti dans son principe comme dans ses effets » (point 10).
Constatant que les juges du fond ont souverainement établi que de tels éléments ne figuraient ni au sein de la motivation de la décision américaine ni dans des documents complémentaires, c’est en toute logique que la première chambre civile rejette le pourvoi.
L’arrêt commenté ne doit pas être analysé de manière isolée. Il reprend, presque à l’identique, la solution précédemment retenue s’agissant de l’exequatur des jugements étrangers établissant des liens de filiation d’enfants nés par GPA à l’égard de parents d’intention (Cass. civ. 1, 2 octobre 2024, n° 22-20.883 N° Lexbase : A7775574 et Cass. civ. 1, 14 novembre 2024, n° 23-50.016, FS-B+R N° Lexbase : A54346GD). Cette convergence des solutions apparaît particulièrement opportune afin d’éviter que les protagonistes recourent à l’un de ces procédés afin de s’affranchir des conditions inhérentes à l’autre. Dorénavant, force est de constater que l’existence d’un consentement libre et éclairé constitue une condition de reconnaissance des décisions étrangères tant en matière d’adoption que de GPA pratiquées à l’étranger.
Cette exigence d’un consentement libre et éclairé de la part des représentants légaux n’est pas nouvelle en matière de reconnaissance des jugements étrangers d’adoption. Par le passé, la Cour de cassation a déjà eu l’occasion d’approuver des juges du fond d’avoir refusé de reconnaître les effets d’un jugement étranger d’adoption au motif qu’il ne faisait pas état d’un consentement libre et éclairé pourtant requis par l’article 370, alinéa 3, du Code civil N° Lexbase : L5302ME4 (Cass. civ. 1, 9 mars 2011, n° 09-72.371, FS-D N° Lexbase : A2512G9W). Très critiqués par la doctrine en ce qu’ils autorisaient ainsi une révision au fond de la décision étrangère, les juges de la première chambre civile ont par la suite fait marche-arrière en affirmant que « la violation de l’article 370-3 ne peut être opposée à l’exequatur d’un jugement étranger » (Cass. civ. 1, 7 décembre 2016, n° 16-23.471, F-P+B N° Lexbase : A3898SP3 et plus récemment Cass. civ. 1, 13 juin 2019, n° 18-18.855, F-D N° Lexbase : A5880ZEI ; Cass. civ. 1, 6 novembre 2019, n° 18-17.111, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A8751ZTB ; Cass. civ. 1, 9 juin 2021, n° 20-14.205, F-D N° Lexbase : A93364UC ou encore Cass. civ. 1, 11 mai 2023, n° 21-24.178, F-D N° Lexbase : A33969UC).
En l’espèce, la Cour de cassation justifie sa solution au regard de l’obligation de motivation. Si elle prend bien soin de ne pas mentionner l’article 370-3 du Code civil N° Lexbase : L5380MEY, c’est pourtant bien l’exigence substantielle d’un consentement libre et éclairé qu’elle entend promouvoir au nom des conceptions fondamentales françaises. Il existe ainsi un véritable risque qu’à l’avenir les juges procèdent à une révision au fond de la décision étrangère. Tel sera notamment le cas s’ils contrôlent directement l’existence d’un contentement à l’adoption de la part des représentants légaux de l’enfant et non la motivation de la décision étrangère.
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