Le Quotidien du 2 décembre 2024 : Filiation

[Brèves] Reconnaissance de la filiation d’enfants nés à la suite d’une AMP pratiquée à l’étranger à l’égard de l’épouse de la mère biologique

Réf. : Cass. civ. 1, 20 novembre, 2024, n° 22-19.620, F-D N° Lexbase : A81466IK

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N1097B3Z

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[Brèves] Reconnaissance de la filiation d’enfants nés à la suite d’une AMP pratiquée à l’étranger à l’égard de l’épouse de la mère biologique. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/113234132-breves-reconnaissance-de-la-filiation-denfants-nes-a-la-suite-dune-amp-pratiquee-a-letranger-a-legar
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par Jean Sagot-Duvauroux, Maître de conférences en droit privé (HDR) à l'Université de Bordeaux

le 28 Novembre 2024

► Même en l’absence de reconnaissance ou d’adoption, la filiation, à l’égard de la femme qui n’a pas accouché, d’enfants nés à la suite d’une assistance médicale à la procréation pratiquée à l’étranger doit être reconnue dès lors que ce lien de filiation peut être établi par application de la loi nationale de la mère compétente sur le fondement de l’article 311-14 du Code civil.  

De toute évidence, le fait de pratiquer une assistance médicale à la procréation (AMP) à l’étranger revêt beaucoup moins d’intérêt depuis le 4 août 2021, date d’entrée en vigueur de la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique N° Lexbase : L4001L7C. En effet, en vertu de l’article L. 2141-2 du Code de la santé publique N° Lexbase : L4562L74, l’accès à l’AMP est désormais ouvert aux couples formés de deux femmes et aux femmes non mariées. Au demeurant, le législateur a prévu que lorsque l’AMP a eu lieu à l’étranger avant l’entrée en vigueur de la loi, un couple de femmes a la possibilité de faire une reconnaissance conjointe de l’enfant devant un notaire (loi du 4 août 2021, art. 6). Cette reconnaissance établit, du point de vue de l’ordre juridique français, la filiation à l’égard de la femme qui n’a pas accouché.

Pour autant, nonobstant la libéralisation du droit français, un certain nombre de couples de femmes établis en France préféreront tout de même pratiquer l’AMP dans l’État étranger dont elles ont la nationalité. Dans de telles hypothèses, les protagonistes ne jugeront pas toujours nécessaire de procéder à la reconnaissance conjointe devant notaire dès lors que le lien de filiation aura déjà été établi du point de vue de l’ordre juridique où l’AMP a été pratiquée. À cela il convient d’ajouter que cette possibilité de reconnaissance conjointe constitue un dispositif transitoire arrivé à échéance le 4 août 2024. Il s’ensuit qu’en cas d’AMP pratiquée à l’étranger, la question de la reconnaissance en France de la filiation à l’égard de la femme qui n’a pas accouché continue et continuera à se poser devant les juridictions françaises. C’est ce qu’illustre l’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 20 novembre 2024.

En l’espèce deux femmes de nationalité espagnole se sont mariées en Espagne en 2012. L’une des deux a donné naissance à trois enfants nés en France suite à des assistances médicales réalisées en Espagne.

Conformément à ce que permet le droit français depuis un avis de la Cour de cassation du 22 septembre 2014 (Avis, 22 septembre 2014, n° 15010 N° Lexbase : A9175MWQ), l’adoption du premier enfant par l’autre femme a été prononcée par le tribunal de grande instance de Béziers le 22 décembre 2014. Les deux autres enfants, des jumeaux nés en 2016, n’ont été ni adoptés ni reconnus dans l’année de leur naissance par la requérante. En revanche, le couple a effectué, en 2016, une déclaration auprès du Consulat d’Espagne par lequel elles consentaient à l’établissement de la filiation des deux enfants à l’égard de la mère d’intention.

Le couple divorça en Espagne en 2019 et l’ex-épouse de la mère biologique introduisit devant les juridictions françaises une demande afin qu’il soit statué sur l’autorité parentale et la contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants.

Par un arrêt en date du 19 mai 2022, la cour d’appel de Montpellier rejette la demande de garde alternée aux motifs que par application de la loi française (C. civ., art. 371-1 N° Lexbase : L6252ML7 et 372 N° Lexbase : L4364L7R) la requérante ne disposait pas de l’autorité parentale à l’égard des jumeaux dans la mesure où elle ne les avait pas reconnus dans l’année suivant leur naissance et qu’elle ne les avait pas adoptés.

Dans son pourvoi, la demanderesse reproche aux juges d’appel d’avoir statué ainsi alors qu’en vertu de la loi espagnole, applicable sur le fondement de 311-14 du Code civil N° Lexbase : L8858G9X en tant que loi personnelle de la mère, son lien de filiation à l’égard des jumeaux était valablement établi et que, par voie de conséquence, elle se trouvait investie de l’autorité parentale à l’égard des enfants conformément à ce que prévoit l’article 371-1 du Code civil applicable en l’espèce sur le fondement de l’article 16 de la Convention de La Haye du 19 octobre 1996 (Convention concernant la compétence, la loi applicable, la reconnaissance, l'exécution et la coopération en matière de responsabilité).

Dans la décision commentée, la première chambre civile suit l’argumentation développée par la requérante et casse la décision des juges du fond. Elle estime en effet que « la filiation avait été établie (…), en application de la loi espagnole, moins d’un après la naissance, de sorte que les deux parents exerçaient en commun l’autorité parentale ».

La solution retenue suscite deux remarques. D’une part, elle confirme qu’en l’absence de décision étrangère se prononçant sur la question, l’établissement de la filiation post AMP à l’égard de la femme qui n’a pas accouché demeure dans le giron du conflit de lois et relève, par conséquent, de la loi de la nationalité de la mère en vertu de l’article 311-14 du Code civil. D’autre part, il résulte de l’arrêt que le nouveau dispositif français issu de la loi du 4 août 2021 ne déroge pas aux règles de conflit de lois qui continuent à s’appliquer à l’établissement de la filiation post-AMP lorsque la reconnaissance conjointe n’a pas été effectuée.            

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