La lettre juridique n°1000 du 24 octobre 2024 : Entreprises en difficulté

[Jurisprudence] Persistance de l’indivisibilité du lien d’instance en matière de vérification des créances après l’adoption du plan

Réf. : Cass. com., 2 octobre 2024, n° 23-18.665, F-B N° Lexbase : A778157C

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N0719B3Z

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par Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences - HDR à l’Université Côte d’Azur, Membre du CERDP, Directrice du Master 2 Droit des entreprises en difficulté de la faculté de droit de Nice

le 23 Octobre 2024

Mots-clés : Fixation des créances au passif • adoption du plan • appel d’une instance en cours lors du jugement d’ouverture • obligation d’intimer le mandataire judiciaire (oui) • maintien en fonction du mandataire judiciaire pour terminer les opérations de vérification des créances

Le lien d'indivisibilité existant entre le créancier, le débiteur et le mandataire judiciaire en matière d'admission des créances trouve à s'appliquer à l'instance qui était en cours lors du jugement d'ouverture et qui, après avoir avait été régulièrement reprise, était susceptible d'affecter le passif de cette société. Si le mandataire judiciaire, qui reste en fonction après l’adoption du plan de redressement pour terminer les opérations de vérification des créances, n’est pas intimé à l’instance d’appel, l’appel est irrecevable.


 

On sait que les instances qui opposent le débiteur à ses créanciers, en matière de vérification des créances, sont indivisibles entre toutes les parties à la vérification des créances. Par conséquent, si le créancier interjette appel d’une ordonnance du juge-commissaire, qui rejette totalement ou partiellement sa créance, il doit impérativement intimer le mandataire judiciaire, en période d’observation, ou le liquidateur en liquidation judiciaire [1]. Il doit également intimer l’administrateur judiciaire qui aurait reçu la « mission 3 », c’est-à-dire celle d’administrer l’entreprise, puisqu’il représente alors le débiteur.

Cette obligation d’intimer, en cause d’appel, toutes les parties nécessaires à la vérification des créances s’impose à toutes les parties, de sorte que si l’appel émane du débiteur, il doit intimer, outre le créancier, le mandataire judiciaire ou le liquidateur [2]. Si l’appel émane du mandataire judiciaire, il doit intimer, outre le créancier, le débiteur [3] La solution s’impose identiquement au liquidateur, nonobstant le dessaisissement, en raison du droit propre du débiteur à participer aux opérations de fixation de ses créances au passif.

Mais que décider si l’instance en cause n’est pas une instance en vérification des créances, mais une instance, qui était en cours au jour du jugement d’ouverture, alors qu’un plan de redressement est adopté ? C’est à cette question que répond le présent arrêt.

En l’espèce, le 17 mai 2016, M. [U] et la société Financière de l'étoile qu'il dirige ont assigné M. [P] et la société Concorde patrimoine afin de les voir condamner à leur payer diverses sommes.

La société Concorde patrimoine ayant été mise en liquidation judiciaire le 10 octobre 2018, la société MJS Partners en sa qualité de liquidateur de la société Concorde patrimoine a été attraite dans l'instance en cause, après déclaration par M. [U] et la société Financière de l'étoile de leurs créances au passif de la société Concorde patrimoine.

Le 6 novembre 2020, la société Financière de l'étoile a été mise en redressement judiciaire. M. [K], nommé mandataire judiciaire, est intervenu volontairement à l'instance. Le 7 novembre 2020, M. [P] a déclaré sa créance au passif de la société Financière de l'étoile.

Par un jugement du 6 octobre 2021, le tribunal a fixé au passif de la procédure collective de la société Concorde patrimoine diverses sommes dues à M. [U] et à la société Financière de l'étoile, a condamné in solidum M. [P] avec la liquidation judiciaire de la société Concorde patrimoine et a rejeté les demandes reconventionnelles de M. [P].

Le 8 novembre 2021, M. [P] a interjeté appel de ce jugement, demandant son infirmation et, reconventionnellement, la fixation au passif de la société Financière de l'étoile, de diverses sommes au titre de dommages-intérêts.

Le 29 juin 2022, au cours de l'instance d'appel, le plan de redressement de la société Financière de l'étoile a été arrêté, M. [K] étant nommé commissaire à l'exécution du plan.

Par une ordonnance du 1er décembre 2022, le conseiller de la mise en état a déclaré recevable l'appel interjeté par M. [P].

Cependant, sur déféré, l'ordonnance du conseiller de la mise en état du 1er décembre 2022 a été rapportée, et l’appel de M. P a été déclaré irrecevable  [4]. Ce dernier a alors formé un pourvoi en cassation.

La cour d’appel pouvait-elle déclarer irrecevable l’appel formé par la personne condamnée in solidum à verser diverses sommes à une société, dès lors que cette personne n’avait pas intimé le mandataire judiciaire de son créancier alors que ce dernier avait obtenu un plan de redressement ?

La Cour de cassation estime que la cour d’appel a, à juste titre, déclaré l’appel irrecevable et, en conséquence, elle va rejeter le pourvoi.

Pour bien comprendre les données du problème, diverses règles doivent être rappelées.

Tout d’abord, comme cela était le cas en l’espèce, lorsqu’une instance tendant à la condamnation au paiement du débiteur est en cours au jour du jugement d’ouverture, ce jugement a pour effet de l’interrompre. Elle peut être reprise, après déclaration de créance au passif du débiteur et mise en cause des organes de la procédure collective. Il s’agit là de la règle posée à l’article L. 622-22 du Code de commerce N° Lexbase : L7289IZY, texte qui régit ce que le droit des entreprises en difficulté dénomme les « instances en cours arrêtées par l’effet du jugement d’ouverture ». L’instance ne tendra plus qu’à la fixation de la créance au passif. Par conséquent, la décision rendue après reprise d’instance se substituera purement et simplement à celle qu’aurait rendue le juge-commissaire sur la créance déclarée, après vérification de la créance.

Ces deux cheminements procéduraux différents, que sont la vérification des créances, d’une part, la reprise de l’instance pour faire fixer la créance au passif, d’autre part, produisent les mêmes effets : fixer les droits du créancier au passif du débiteur sous procédure collective sans lui délivrer un titre exécutoire. Il est donc logique que, eu égard à leurs effets identiques, une partie du régime applicable soit commun aux deux modes de fixation de la créance au passif.

La mission générale du mandataire judiciaire, celle qui consiste à défendre l’intérêt collectif des créanciers, prend fin après l’adoption du plan. C’est pourquoi le Code de commerce décide que cette mission sera alors assurée par le commissaire à l’exécution du plan.

Cependant, si la mission générale du mandataire judiciaire prend fin, cet organe ne cesse pas pour autant d’être encore en fonction, avec une mission réduite : celle de terminer les opérations de vérification des créances. En ce sens, l’article L. 626-24, alinéa 2, du Code de commerce N° Lexbase : L3300IC9 dispose que « Le mandataire judiciaire demeure en fonction pendant le temps nécessaire à la vérification et à l'établissement définitif de l'état des créances ».

L’expression « vérification des créances » s’entend de la mission d’instruction préparatoire aux décisions que va rendre le juge-commissaire sur les créances déclarées. Mais, en visant également « l’établissement définitif de l’état des créances », le législateur se montre beaucoup plus large. Le mandataire judiciaire doit intervenir dans toutes les instances qui vont conduire à constituer l’état des créances. Il en est ainsi des instances engagées contre le débiteur avant le jugement d’ouverture, tendant à sa condamnation au paiement d’une somme d’argent, et qui vont être reprises après ledit jugement, pour aboutir à la fixation de créances au passif.

Par conséquent, de la même façon que le mandataire judiciaire doit intervenir dans les opérations de vérification des créances stricto sensu, il doit être présent dans les instances tendant à la fixation des créances au passif après reprise d’instance.

Cette participation obligatoire du mandataire judiciaire à ces deux types d’instances – vérification des créances et reprise d’instance pour faire fixer les créances au passif – conduit à l’intimer obligatoirement en cause d’appel de l’une ou de l’autre de ces décisions.

S’applique alors le principe d’indivisibilité du lien d’instance, lorsque l’instance a pour objet soit l’admission ou le rejet de la créance au passif après vérification des créances, soit le combat d’une décision statuant sur la fixation du passif après reprise d’instance.

Cette indivisibilité du lien d’instance, qui oblige la présence de toutes les parties nécessaires à la vérification des créances, s’explique : ces personnes sont des parties. Elles ne pourront attaquer la décision par le biais d’une réclamation contre l’état des créances, si la créance est admise après vérification, par le biais d’une tierce-opposition, si la créance est fixée au passif après reprise d’instance. Il faut donc qu’elles soient là pour pouvoir exprimer leur point de vue sur la décision à prendre, puisque toutes se verront imposer la décision. Une créance ne peut pas être admise au passif ou fixée au passif à l’égard du débiteur et ne pas l’être à l’égard du mandataire judiciaire. De même, une créance ne peut être admise au passif ou fixée au passif à l’égard du mandataire judiciaire sans l’être à l’égard du débiteur.

On comprend donc la nécessité de la présence à ces instances de toutes les parties nécessaires à la fixation des droits du créancier au passif.

Et cette règle, qui vaut tant pour le domaine de la vérification des créances, que pour celui de la fixation au passif après reprise d’instance, joue non seulement en période d’observation et en liquidation judiciaire, mais encore après adoption du plan. Le fait que le débiteur soit redevenu in bonis n’y change rien. Fondamentalement, il ne s’agit plus d’une action en paiement contre un débiteur. Il est dans un premier temps question de savoir si et à quelle hauteur la créance détenue sur le débiteur sera opposable à la procédure collective. Il est dans un second temps question de savoir quel passif devra être réglé dans le plan, un créancier soumis à la discipline collective ne pouvant être payé que dans le cadre du plan, et selon ses modalités, une fois sa créance reconnue.

 

[1] Cass. com., 24 janvier 2018, n° 16-21.229, F-D N° Lexbase : A8620XBU.

[2] Cass. com., 29 septembre 2015, n° 14-13.257, F-P+B N° Lexbase : A5548NSB.

[3] Cass. com., 13 septembre 2016, n° 14-28.304, F-D N° Lexbase : A2409R3M – Cass. com., 22 février 2017, n° 15-20.585, F-D N° Lexbase : A2447TPC.

[4] CA Douai, 4 mai 2023, n° 22/05814 N° Lexbase : A85889TA.

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