La lettre juridique n°1000 du 24 octobre 2024 : Droit pénal spécial

[Jurisprudence] Outrage sexuel ou sexiste : questions de principe mais arrêt de la pire espèce

Réf. : Cass. crim., 25 septembre 2024, n° 23-86.170, F-D N° Lexbase : A999654Y

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N0610B3Y

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par Emmanuel Dreyer, Professeur à l’École de droit de la Sorbonne, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

le 23 Octobre 2024

Mots-clés : outrage sexuel • sexisme • dignité • harcèlement • injure • réserve d'interprétation • Conseil constitutionnel 


 

Le directeur d’un centre d’entraînement sportif a signalé en 2021 au procureur de la République les agissements d'un kinésithérapeute qui travaillait dans ce centre, après avoir reçu différents témoignages provenant de jeunes gens au sujet de gestes et propos déplacés. Des poursuites furent engagées pour agressions sexuelles (autres que le viol) par personne ayant autorité et pour outrage sexuel ou sexiste. Le tribunal correctionnel a déclaré le kinésithérapeute coupable de l’ensemble de ces faits tout en le condamnant sur l’action publique, pour le délit, à huit mois d'emprisonnement avec sursis ainsi qu’à un an d'interdiction d'exercer sa profession et, pour la contravention, à 150 euros d'amende. Le prévenu a interjeté appel et le ministère public appel incident. La cour a confirmé le jugement sur la culpabilité et la peine, s’agissant des faits d’agression sexuelle ; elle a confirmé le jugement sur la culpabilité s’agissant des faits d’outrage sexuel ou sexiste, tout en portant la peine à 600 euros d’amende. Le prévenu a alors formé un pourvoi contre cette décision qui est écarté sans justification s’agissant des premiers faits, mais avec une réponse motivée s’agissant des seconds.

On apprend ainsi que, devant un témoin, le kiné a dit à une jeune fille : « c'est tout dans les cuisses et le cul »« tu as un beau fessier »« ce serait dommage d'avoir une fesse flasque et une fesse bombée ». Ces faits sont reconnus. En revanche, leur portée a été discutée. Y avait-il là « outrage sexuel ou sexiste » au sens de l’article 611-1 du Code pénal N° Lexbase : L6968K79, alors applicable ? La cour d’appel l’admit en jugeant « que ces paroles évoquent en termes vulgaires l'anatomie de la victime et que les mots employés ont une connotation sexuelle ». Elle ajouta même que « les propos dénoncés, tenus par un homme mature à une jeune fille, sont sexistes et ont porté atteinte à la dignité de la victime et créé à son encontre une situation intimidante, offensante, l'ayant mise mal à l'aise ». Le prévenu l’a contesté en soutenant que de tels propos ne faisaient référence ni au sexe, ni au genre de l’intéressée, qu’ils n’évoquaient nullement une activité sexuelle et n’avaient pas pour but, s’agissant de compliments et de conseils, de porter atteinte à sa dignité. Néanmoins, son pourvoi est rejeté dans l’arrêt commenté.

Pour la Cour de cassation, en statuant ainsi la cour d’appel « a suffisamment caractérisé tant l'élément matériel qu'intentionnel de l'infraction, résultant de la nature explicitement sexuelle des propos adressés par M. [S] à [Y] [W], alors âgée de 17 ans, qu'il recevait, en sa qualité de professionnel de santé adulte, lors d'une séance de kinésithérapie ostéopathie ». La Haute juridiction ajoute même que « si les faits poursuivis ne constituent pas une injure publique, au sens de la loi du 29 juillet 1881, ils entrent néanmoins dans le champ d'application de l'infraction d'outrage sexiste, dès lors que les juges ont établi que le prévenu a voulu, par les propos reprochés, porter atteinte à la dignité de la victime et créer à son encontre une situation intimidante et offensante, conformément à la décision du Conseil constitutionnel du 19 janvier 2023 (Cons. const., décision n° 2022-846 DC, du19 janvier 2023, Loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur N° Lexbase : A936588D) ». Ce qui est en réalité assez confus. Cette motivation alambiquée appelle des réserves en droit (I.) aussi bien qu’en fait (II.).

I. Décryptage de la décision en droit

Il convient de rappeler ici que l’outrage sexuel ou sexiste a subi l’an dernier une modification importante. Simple contravention introduite par une loi n° 2018-703, du 3 août 2018 N° Lexbase : L6141LLZ à l’article 621-1 du Code pénal N° Lexbase : L7582LPI (modifié s’agissant des peines de stage encourues par la loi n° 2019-222, du 23 mars 2019 N° Lexbase : L6740LPC[1], il a été réformé par une loi n° 2023-22, du 24 janvier 2023 N° Lexbase : L6260MGX. Cette réforme s’imposait pour des raisons tant juridiques que pratiques. Juridiquement, la contravention en question était d’une légitimité douteuse, car elle résultait d’une loi, alors que le mécanisme des articles 34 et 37 de la Constitution est désormais compris par tous comme réservant à l’exécutif compétence pour incriminer en matière de police [2]. De toute évidence, le Parlement avait entendu frapper les esprits et donner une force symbolique particulière à cette contravention en arrêtant lui-même son principe, au risque d’empiéter sur le domaine réservé à l’exécutif en matière pénale. Quelques années plus tard, il a tiré prétexte d’une nécessaire aggravation de la répression en la matière pour abroger cette contravention d’origine législative tout en prévoyant que les formes aggravées de la contravention à venir (devant être incriminée, cette fois, par l’exécutif) seraient désormais constitutives d’un délit. Concrètement, l’article 621-1 menaçait initialement cet outrage simple de l’amende prévue pour les contraventions de la 4e classe et l’outrage aggravé de l’amende prévue pour les contraventions de la 5e classe. C’est cette forme aggravée qui a été transformée en délit [3]. En conséquence, la loi du 24 janvier 2023 a abrogé l’article 611-1 et adopté l’article 222-33-1-1 du Code pénal N° Lexbase : L6496MGP. Toutefois, ces innovations n’ont pris effet que trois mois après l’entrée en vigueur de la loi pour permettre à l’exécutif d’intervenir, ce qu’il a fait, le 30 mars 2023, en adoptant le décret n° 2023-227 N° Lexbase : L3248MHR qui a introduit dans le Code pénal un article R. 625-8-3 N° Lexbase : L3437MHR incriminant un outrage sexuel ou sexiste « simple » dans les mêmes termes que précédemment, mais sous la menace désormais de l’amende prévue pour les contraventions de la 5e classe [4]. L’ensemble est entré en vigueur le 1er avril 2023.

Si la bonne articulation de ces textes a évité tout vide juridique, il n’en reste pas moins que, au moment où la Cour de cassation a statué dans la présente espèce, l’article 611-1 du Code pénal servant de base aux poursuites n’existait plus, ce qui aurait mérité quelques mots d’explication de sa part. Certes, l’abrogation de ce texte ne témoignait d’aucune volonté de dépénalisation puisqu’il s’agissait simplement de substituer une incrimination réglementaire à l’incrimination législative de l’outrage sexuel ou sexiste « simple ». Par ailleurs, les nouvelles sanctions encourues n’ont pas été appliquées ici. L’abrogation de l’ancien texte coïncidant avec l’entrée en vigueur des nouveaux, il a existé une continuité d’incriminations qui empêcha le contrevenant de se prévaloir de la rétroactivité in mitius ou de dénoncer, s’agissant des peines, une application rétroactive de la loi pénale nouvelle plus sévère. Il n’a donc soulevé aucune contestation sur ce point, mais cela ne dispensait pas les magistrats de s’expliquer dès lors que l’application de la loi pénale dans le temps est d’ordre public et que les juges, y compris la Cour de cassation, sont tenus d’en relever la violation au besoin d’office [5]. Cela suppose qu’ils contrôlent et donc qu’ils motivent leur décision d’appliquer un texte qui a formellement disparu au jour où ils statuent [6]. Ici, il est regrettable qu’ils ne l’aient pas fait en nous laissant le soin d’imaginer quel texte ils ont appliqué. A priori, il ne peut s’agir que de l’article R. 625-8-3, dans la limite des pénalités prévues à l’article 611-1 pourtant abrogé, et non de l’article 222-33-1-1. Peu importe que le comportement poursuivi ait présenté plusieurs circonstances aggravantes prévues par lui. Ce dernier texte plus sévère ne pouvait être appliqué à des faits commis avant son entrée en vigueur. Une explication sur ce point aurait peut-être permis à la Cour d’éviter également la confusion qui suit.

En effet, la motivation de l’arrêt commenté, en plus d’être lacunaire (faute de s’expliquer sur le maintien des poursuites malgré la transformation du texte qui leur est applicable), paraît maladroite, car, pour justifier le rejet du pourvoi, la Haute juridiction s’est crue obligée d’ajouter une référence à la décision rendue par le Conseil constitutionnel sur la loi du 24 janvier 2023 à l’origine de l’article 222-33-1-1. Était-ce pertinent ici ? Pour mémoire, on rappellera que, dans le recours engagé contre cette loi, les parlementaires d’opposition dénonçaient la différence de traitement (en termes de pénalités) entre l’outrage sexiste aggravé et l’injure publique commise avec un mobile tenant au sexe d’autrui. Mais le Conseil a refusé de voir là une atteinte au principe d’égalité. Il répond que « si les faits d’outrage réprimés par les dispositions contestées sont susceptibles d’entrer dans le champ d’application du délit d’injure publique prévu à l’article 33 de la loi du 29 juillet 1881, ils s’en distinguent dès lors que, à la différence de l’injure publique, ils peuvent être commis sans moyen de publicité et prendre la forme non seulement de propos, mais aussi de comportements à connotation sexuelle ou sexiste imposés à une personne déterminée. Il doit en outre être établi que l’auteur de l’outrage a voulu, par ces agissements, porter atteinte à la dignité de la victime ou créer à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante » (Cons. const., décision n° 2022-846 DC du 19 janvier 2023, Loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur , § 60). Il n’est pas sûr que le renvoi à une telle décision ait été pertinent ici. En effet, elle répond à une question qui n’était pas posée en l’espèce : s’agissant du respect du principe d’égalité [7]. Pire : cette décision se contente d’écarter un moyen d’inconstitutionnalité présenté sans exprimer aucune réserve d’interprétation. Dans ces conditions, n’est-ce pas exagérer la portée d’une telle décision que de la mentionner ? Pourquoi ce qu’a jugé le Conseil constitutionnel s’agissant du délit (C. pén., art. 222-33-1-1) devrait-il s’imposer s’agissant de la contravention (C. pén., art. 621-1 ancien ou art. R. 625-8-3 nouveau) ? En toute hypothèse, pourquoi se référer ici à une décision admettant la constitutionnalité d’une disposition inapplicable, car plus sévère que le texte servant de base aux poursuites ? Cela semble parfaitement déplacé. Mais il y a plus grave encore, car cette référence à la décision n° 2022-846 DC n’est pas fidèle. En effet, respectant les termes de l’article 222-33-1-1 contesté devant lui, le Conseil y relève que l’outrage sexuel ou sexiste peut alternativement produire deux résultats : soit porter atteinte à la dignité de la victime en raison de son caractère dégradant ou humiliant, soit créer à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante. Sa dernière phrase ne cumule pas ces exigences, mais au contraire les distingue en employant la conjonction de coordination « ou » que la Cour de cassation transforme ici en « et ». En effet, elle approuve la cour d’appel pour avoir jugé que « le prévenu a voulu, par les propos reprochés, porter atteinte à la dignité de la victime et créer à son encontre une situation intimidante et offensante, conformément à la décision du Conseil constitutionnel du 19 janvier 2023 ». La cour d’appel s’était en effet trompée en cumulant des exigences qui sont au contraire alternatives. Mais une telle erreur ne pouvait être couverte par l’interprétation constitutionnelle, car, on vient de le voir, le Conseil ne la légitime pas. L’attitude de la Cour de cassation est donc a minima maladroite, voire malhonnête. Cette référence lui permet de déformer à son tour le texte d’incrimination (en réduisant son champ d’application) tout en laissant entendre que la responsabilité d’une telle déformation incomberait au gardien de la Constitution, ce qui est inexact. Une telle façon de procéder n’est pas acceptable. Elle n’est respectueuse ni du texte faussement appliqué, ni de la décision du Conseil constitutionnel abusivement appelée à la rescousse et dénaturée pour l’occasion.

Mais faisons semblant d’y croire un instant et demandons-nous, sur la base de cette interprétation erronée de l’outrage sexuel ou sexiste, si la cour d’appel a eu raison d’entrer en voie de condamnation et la Cour de cassation d’écarter le pourvoi formé contre son arrêt.

II. Décryptage de la décision en fait

Paradoxalement, la solution approuvée ci-dessus par la Cour de cassation aurait dû être protectrice de la liberté d’expression. En effet, en cumulant des exigences qui ont toujours été alternatives dans les différents textes incriminant l’outrage sexuel ou sexiste, l’interprétation retenue aurait dû être restrictive : elle réduit le champ de cette incrimination en exigeant que l’outrage, tout à la fois, porte atteinte à la dignité de la victime et crée à son encontre une situation intimidante ou offensante. Or, était-ce le cas ici ? Le pourvoi, qui ne contestait pas ce cumul (il n’y avait aucun intérêt), mettait en doute la pertinence d’une telle appréciation. Il soutenait qu’un outrage sexuel ou sexiste ne peut exister sans mépris exprimé envers le sexe ou le genre d’autrui, voir sans connotation sexuelle. Subsidiairement, il prétendait que la preuve de l’atteinte à la dignité de la victime n’était pas rapportée (la cour d’appel s’étant, selon lui, contentée d’une affirmation à cet égard). La Cour de cassation aurait pu se saisir de ces difficultés dans le cadre de son contrôle de qualification et, à tout le moins, dans le cadre de son contrôle disciplinaire (en relevant l’insuffisance de la motivation de l’arrêt attaqué). Or, on l’a dit, elle rejette le pourvoi au terme d’un contrôle des plus légers.

Pourtant, on aurait apprécié qu’elle précise ce qui distingue l’outrage sexuel de l’outrage sexiste et que, définissant chacun de ces termes, elle éclaire le contenu de l’incrimination. La difficulté n’est pas mince. L’incertitude sur ce point affecte jusqu’au nom de l’infraction : si l’intitulé des sections où ils trouvent place parle d’outrage « sexiste et sexuel », les articles R. 625-8-3 et 222-33-1-1 inversent ces adjectifs qu’ils envisagent de manière alternative et non plus cumulative. L’outrage incriminé est-il le même dans les deux cas ou prend-il deux formes différentes ? A priori, il convient de distinguer : ce qui est sexuel renvoie à la sexualité, alors que ce qui est sexiste correspond à une forme de discrimination selon le genre. Ces considérations sont à ce point différentes qu’il n’est pas sûr qu’elles méritaient d’être rapprochées sous prétexte d’outrage. Néanmoins, la cour d’appel a estimé en l’espèce que les propos reprochés présentaient un caractère à la fois sexuel et sexiste. Elle a affirmé, plus qu’elle n’a démontré, d’abord le caractère sexuel du propos. Peut-être, son appréciation sur ce point tient-elle au fait qu’il comporte une référence au « cul » de la jeune femme (« c'est tout dans les cuisses et le cul »). Mais n’était-ce pas évoquer là davantage son derrière que son sexe ? Ce qui le laisse entendre, c’est qu’il n’est question ensuite que de son fessier et de ses fesses (« tu as un beau fessier », « ce serait dommage d'avoir une fesse flasque et une fesse bombée »), lesquels ne sont pas des sexes [8]. Néanmoins, on l’a dit, la cour d’appel ne s’est pas expliquée sur ce point. Cela ne lui a pas semblé nécessaire dès lors qu’elle a cru pouvoir ajouter que les propos étaient, en toute hypothèse, sexistes, car « tenus par un homme mature à une jeune fille ». Est-ce plus convaincant ? Nous n’en sommes pas sûrs. D’une part, parce que le même propos aurait pu être tenu par un homme envers un homme, ce qui interdit de penser que le genre opposé d’autrui aurait joué un quelconque rôle en l’espèce. D’autre part, parce qu’il semble particulièrement dangereux de considérer que tout propos désagréable adressé par un homme à une femme est nécessairement sexiste. En effet, cela revient à transformer en contravention, voire en délit, tout propos tenu par un homme à l’égard d’une femme lorsqu’il n’est pas élogieux. Autant dire qu’en l’espèce l’affirmation du caractère sexiste n’est pas plus convaincante que l’affirmation du caractère sexuel du propos tenu et il ne suffit pas d’additionner ces deux griefs pour établir, au-delà de tout doute raisonnable, que le propos était au moins l’un ou l’autre et caractériser ainsi l’outrage reproché. Le silence de la Cour de cassation sur ce point équivaut à une démission. Précisément parce qu’il s’agit d’une incrimination nouvelle et délicate, on pouvait s’attendre à une attention redoublée de sa part et à un contrôle approfondi qui fait cruellement défaut. Rappelons qu’en matière de presse, elle s’assure de la bonne qualification des propos tenus et exerce un contrôle qui la transforme quasiment en troisième degré de juridiction [9]. Le respect de la liberté d’expression, qui justifie ce contrôle étendu, commandait de la même façon ici, à la Haute juridiction, de vérifier l’impact des propos tenus. Or, tout en consacrant, on l’a vu, une interprétation de l’incrimination apparemment protectrice de cette liberté, elle admet qu’elle soit restreinte de façon discutable.

En effet, peut-on réellement soutenir qu’il a été porté atteinte à la dignité de la victime en l’espèce ? Parce qu’une telle notion est floue et donc d’appréciation délicate, elle est précisée par tous les textes qui incriminent l’outrage sexuel ou sexiste. En effet, tous indiquent que le propos ou le comportement doit porter atteinte à la dignité d’autrui « en raison de son caractère dégradant ou humiliant ». Or, aucune référence n’était faite à l’un ou l’autre de ces deux caractères dans les décisions des juges du fond et la Cour de cassation elle-même doit passer cette exigence sous silence pour conclure que l’infraction a bien été caractérisée. De plus belle, elle expose ainsi son arrêt à la critique. L’atteinte à la dignité n’a pas été établie correctement ; elle ne pouvait donc justifier la sanction prononcée et l’ingérence dans la liberté d’expression qui en résulte. La solution retenue s’avère incohérente. Elle est incompatible avec le souci initialement affiché de protéger une telle liberté. A minima, une censure de l’arrêt d’appel s’imposait pour défaut de base légale ou insuffisance de motifs. Une telle cassation n’aurait pas nécessairement conduit à la relaxe du prévenu, mais elle aurait permis de mieux justifier sa condamnation, car il y a dans cette affaire un élément de contexte qui n’a jamais été pris en compte, alors qu’il était susceptible de jouer un rôle important dans l’appréciation du propos poursuivi. En effet, on ne saurait oublier que cette poursuite pour outrage sexuel ou sexiste accompagnait une poursuite pour agressions sexuelles autre que le viol (a priori, des gestes déplacés). Il n’est pas impossible que le cumul de ces gestes et propos ait présenté le caractère dégradant ou humiliant requis pour que l’infraction d’outrage soit constituée (voire pour qu’un harcèlement sexuel soit caractérisé au sens de l’article 222-33, I N° Lexbase : L6229LLB[10]. Encore, aurait-il fallu que les juges du fond l’indiquent pour convaincre de la pertinence de leur décision, ce qu’ils n’ont pas fait. Dans ces conditions, il n’aurait pas été aberrant de demander à une cour de renvoi de le vérifier. Ici la Cour de cassation se paie de mots en rejetant le pourvoi formé contre une décision rendue au terme d’un raisonnement insuffisant, si ce n’est erroné. Elle accepte la sanction de propos dont il n’a pas été correctement démontré qu’ils excèdent les limites admissibles de la liberté d’expression. Fallait-il vraiment dénaturer le texte d’incrimination et une décision du Conseil constitutionnel pour aboutir à un aussi piètre résultat ? Chacun appréciera la pertinence de cet arrêt qui n’est, fort heureusement, pas voué à une publication au Bulletin

 

[1] C. Saas, Harcèlement de rue ou le droit à être dans l’espace public, Gaz. Pal., 30 avril 2018, p. 81 [en ligne].

[2] V., sur cette interprétation : E. Dreyer, Droit pénal général, LexisNexis, 2024, 7e éd., n°496, p. 428.

[3] La contravention est transformée en délit lorsque les faits « sont commis 1° Par une personne qui abuse de l'autorité que lui confèrent ses fonctions ; 2° Sur un mineur ; 3° Sur une personne dont la particulière vulnérabilité due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse est apparente ou connue de son auteur ; 4° Sur une personne dont la particulière vulnérabilité ou dépendance résultant de la précarité de sa situation économique ou sociale est apparente ou connue de son auteur ; 5° Par plusieurs personnes agissant en qualité d'auteur ou de complice ; 6° Dans un véhicule affecté au transport collectif de voyageurs ou au transport public particulier ou dans un lieu destiné à l'accès à un moyen de transport collectif de voyageurs ; 7° En raison de l'orientation sexuelle ou de l'identité de genre, vraie ou supposée, de la victime ; 8° Par une personne déjà condamnée pour la contravention d'outrage sexiste et sexuel et qui commet la même infraction en étant en état de récidive ».

[4] « Est puni de l'amende prévue pour les contraventions de la 5e classe le fait, hors les cas prévus aux articles 222-13, 222-32, 222-33, 222-33-1-1, 222-33-2-2 et 222-33-2-3, d'imposer à une personne tout propos ou comportement à connotation sexuelle ou sexiste qui soit porte atteinte à sa dignité en raison de son caractère dégradant ou humiliant, soit créé à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ».

[5] V., par ex. : Cass. crim., 14 juin 2017, n° 15-86.265, F-D N° Lexbase : A2370WIM : J.-H. Robert, Dr. pén., 2017, comm. 146.

[6] V., sur cette continuité d’incriminations : P.-Y. Gautier, La loi pénale abrogée : du principe de continuité des poursuitesin Mélanges Bouloc, Dalloz, 2006, p. 379.

[7] La Cour fait écho à cette discussion en soulignant que « si les faits poursuivis ne constituent pas une injure publique, au sens de la loi du 29 juillet 1881, ils entrent néanmoins dans le champ d'application de l'infraction d'outrage sexiste, dès lors que… ». Ce qui nous semble incompréhensible. L’illogisme d’un tel raisonnement tient à l’adverbe « néanmoins » qui tend à opposer ces deux membres de phrase. Ce n’est pas parce qu’un propos n’est pas constitutif d’injure qu’il est nécessairement constitutif d’outrage. Il s’agit là d’infractions distinctes et autonomes (l’outrage devant être adressé à la personne qu’il concerne alors que l’injure met en cause une personne devant un public déterminé : E. Dreyer, Droit pénal spécial, Lgdj, 2023, 2e éd., n°686 p. 391). En toute hypothèse, cette observation de la Cour est sans rapport avec la question posée au Conseil constitutionnel et ne justifie pas la référence faite à sa décision.

[8] Comp., s’agissant de propos de « nature explicitement sexuelle » : Cass. crim., 5 mars 2024, n° 22-87.224, F-D N° Lexbase : A02572TP : P. Conte, Dr. pén., 2024, comm. 105 ; A. Lepage, CCE, 2024, comm. 47 ; E. Dreyer, L'emprisonnement justifié au seul motif qu'un prévenu ne reconnaît pas les faits ?, Gaz.Pal., 23 juillet 2024, n° 25, p. 2 [en ligne].

[9] E. Dreyer, Droit de la communication, LexisNexis, 2022, 2e éd., n°1736 p. 989.

[10] V. aussi L. Leturmy, La définition des violences sexuelles et/ou sexistes à l’épreuve des principes constitutionnels du droit pénalin Le droit face aux violences sexuelles et/ou sexistes, Dalloz, coll. T & C, 2021, p. 129.

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