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par Julian Crochet d'Anglade, Avocat à la Cour - Docteur en droit fiscal - Associé du Cabinet EXPANSI
le 19 Octobre 2024
Mots-clés : IA • crédit d’impôt recherche • innovation technologique • cryptoactifs
L'adoption du Règlement (UE) n° 2024/1689, connu sous le nom d'AI Act, représente un jalon fondamental dans la régulation de I'intelligence artificielle (IA) au sein de I'Union européenne. Ce texte vise à harmoniser les règles relatives à la mise sur le marché, l'utilisation et la commercialisation des systèmes d'IA tout en assurant la protection des droits fondamentaux, la sécurité et en stimulant l'innovation technologique. Le législateur européen en adoptant ce Règlement, entend garantir la confiance dans l'IA tout en protégeant les valeurs européennes telles que la dignité humaine et la démocratie. En France, l'impact de ce Règlement ne se limite pas aux aspects technologiques et éthiques mais engendre également des répercussions fiscales importantes. Dès lors, il est impératif d'examiner l'interaction entre ce cadre réglementaire européen et le droit fiscal français afin de favoriser une adaptation efficace des entreprises et des contribuables à ce nouveau paradigme.
I. Interaction entre l'AI Act et les dispositifs fiscaux existants
Le cadre fiscal actuel en France dispose de plusieurs mécanismes d'incitation à l'innovation, notamment le crédit d'impôt recherche (CIR), destiné à soutenir les entreprises dans leurs activités de recherche et développement (R&D). L’AI Act, en imposant de nouvelles obligations de conformité technologique, engage les entreprises à des dépenses considérables dans la mise en oeuvre de systèmes d'évaluation, d'audit et de certification. Dès lors, il est crucial d'examiner comment ces dispositifs fiscaux peuvent être adaptés pour accompagner les entreprises dans cette transition technologique.
A. Crédit d'impôt recherche (CIR)
Le CIR constitue I'un des dispositifs fiscaux les plus emblématiques de la politique de soutien à l'innovation en France. En vertu de ce dispositif, les entreprises peuvent déduire de leur impôt une partie des dépenses liées à des activités de R&D, incluant le développement de nouveaux produits ou technologies. L'AI Act impose aux entreprises d'effectuer des audits techniques et de produire une documentation complète sur leurs systèmes d'IA, particulièrement ceux classés comme « à haut risque ». Ces activités, bien que relevant d'une démarche de conformité, sont souvent liées à des processus d'innovation nécessitant des ressources significatives en termes de recherche et développement.
Proposition d’évolution. Il conviendrait d'élargir I éligibilité au CIR pour y inclure les dépenses liées à la mise en conformité avec les exigences de l'AI Act. Cela permettrait aux entreprises d'intégrer les coûts liés à la certification des systèmes IA aux audits de sécurité et à la mise en place de processus de documentation technique dans le cadre de leurs projets de R&D. Une telle le mesure contribuerait à encourager les entreprises à investir dans des technologies innovantes tout en respectant les normes imposées par le nouveau cadre réglementaire européen. |
B. Suramortissement des investissements technologiques
Outre le CIR, le mécanisme de suramortissement constitue un autre levier fiscal pour encourager les entreprises à investir dans des technologies de pointe. En effet, la mise en conformité avec les exigences de l'AI Act impose souvent l'acquisition de nouvelles infrastructures technologiques, telles que des systèmes de calcul intensif ou des outils d'évaluation des risques. Le suramortissement permettrait aux entreprises d'amortir de manière accélérée ces investissements, réduisant ainsi leur base imposable à court terme.
Proposition d'évolution. Il est proposé d'introduire un suramortissement pour les investissements dans des infrastructures conformes aux normes de l'AI Act. Cela permettrait aux entreprises de réduire leur impôt sur les sociétés tout en renforçant leur capacité à respecter les normes de sécurité et de transparence fixées par le règlement. Ce mécanisme pourrait s'appliquer tant aux grandes entreprises qu'aux PME innovantes. afin de soutenir l'adoption rapide de ces nouvelles technologies. |
II. Fiscalité des crypto-actifs et propriété intellectuelle liés à l'IA
L'essor des cryptoactifs et l'utilisation de l'IA dans la gestion de ces actifs numériques posent des questions inédites sur le plan fiscal. Par ailleurs, les règles relatives à la propriété intellectuelle dans le cadre du développement de systèmes d'IA nécessitent une adaptation pour tenir compte des spécificités de ces nouveaux outils technologiques. L'AI Act, en introduisant des obiigations de transparence et de sécurité. aura un impact direct sur ces secteurs.
A. Cryptoactifs et l'AI Act
Les systèmes d'IA sont largement utilisés dans le domaine des cryptoactifs pour automatiser des stratégies d'investissement et optimiser les transactions. Toutefois, l'Al Act impose des règles de transparence et de sécurité renforcées. notamment pour les systèmes à haut risque. Ces nouvelles exigences pourraient contraindre les plateformes de cryptoactifs à revoir leurs infrastructures technologiques et à engager des dépenses supplémentaires pour garantir leur conformité.
Proposition d'évolution. Afin de promouvoir l'adoption des systèmes IA conformes aux normes européennes, il pourrait être envisagé de réduire la fiscalité applicable aux plus-values des transactions effectuées sur des plateformes utilisant des systèmes certifiés conformes à l'AI Act. Une telle mesure inciterait les acteurs du marché des crypto-actifs à adopter des technologies transparentes et sécurisées. |
B. Propriété intellectuelle des systèmes IA
Les algorithmes et autres innovations technologiques développés dans le cadre des systèmes d'IA constituent des actifs de propriété intellectuel le essentiels pour les entreprises. Le cadre de l'AI Act impose des exigences accrues en matière de documentation et de transparence des systèmes d'IA ce qui engendre des coûts supplémentaires pour les entreprises, notamment en matière de gestion de la propriété intellectuelle.
Proposition d'évolution. Le législateur pourrait envisager d'adapter le régime d'amortissement des droits de propriété intellectuel le pour les systèmes IA en intégrant les coûts de mise en conformité dans le calcul de la valeur amortissable des actifs, De plus, une réduction des taux d'imposition sur la cession de droits de propriété intellectuelle liés à l'IA pourrait encourager les entreprises à innover tout en respectant les obligations imposées par l'AI Act. |
III. TVA et services basés sur I 'IA
L'intelligence artificielle modifie également la manière dont sont fournis les services numériques à travers l'Europe, Les systèmes d'IA notamment ceux classés comme « à haut risque », seront soumis à des obligations de certification et de transparence qui pourraient influencer leur traitement fiscal, notamment en matière de TVA. Il est donc essentiel d'analyser comment le régime de TVA actuel pourrait s'adapter aux nouvel les exigences de l'AI Act.
Le régime de TVA applicable aux services d'IA pourrait être révisé pour encourager l'utilisation de systèmes conformes aux normes européennes. En effet, l'AI Act impose aux opérateurs de s'assurer que leurs systèmes sont transparents et sûrs. ce qui pourrait justifier l'introduction de taux de TVA réduits pour les services certifiés.
Proposition d'évolution. Introduire un taux réduit de TVA pour les services d'IA conformes à l'AI Act. Cela permettrait de promouvoir l'adoption de systèmes éthiques et responsables, tout en offrant aux entreprises un incitatif fiscal pour se conformer aux nouvelles normes. Cette mesure pourrait également renforcer la compétitivité des entreprises européennes face à la concurrence internationale. |
IV. Incitations fiscales pour la mise en conformité avec l'AI Act
Afin de faciliter I’adoption des normes de I Al Act, il serait judicieux de mettre en place des incitations fiscales spécifiques pour encourager les entreprises à se conformer rapidement aux nouvelles exigences. Cela pourrait prendre la forme de labels fiscaux ou de crédits d impôt ciblés.
Un label fiscal destiné aux entreprises conformes aux exigences de l'AI Act pourrait constituer un puissant levier d'incitation. Ce label garantirait aux entreprises des réductions fiscales. récompensant ainsi leurs efforts en matière de conformité et de transparence.
Proposition d'évolution. Instituer un label fiscal pour les entreprises certifiées conformes aux exigences de l'AI Act leur permettant de bénéficier de réductions d impôt sur les sociétés ou de crédits d'impôt. Ce label encouragerait les entreprises à adopter rapidement les nouvelles normes et à promouvoir une IA éthique et responsable au sein de l'Union européenne. |
V. Fiscalité des particuliers et revenus issus de l'IA
L'utilisation croissante de l'IA par les particuliers, notamment via des robo-advisors et d'autres outils automatisés, pose également des questions en matière de fiscalité. L'AI Act impose des obligations de transparence qui faciliteront le suivi des revenus générés par ces systèmes, mais il est essentiel de simplifier les processus de déclaration pour ne pas alourdir la charge administrative des contribuables.
Les systèmes d'IA utilisés par les particuliers pour générer des revenus, que ce soit par le biais d'investissements automatisés ou de création de contenus, posent des enjeux fiscaux inédits, notamment en matière de transparence et de traçabilité des revenus. L'AI Act impose aux opérateurs de ces systèmes des obligations de documentation et de transparence accrues, facilitant ainsi le suivi des flux financiers par les administrations fiscales. Toutefois, pour ne pas décourager l'usage de ces technologies par les particuliers, il est nécessaire de simplifier les processus déclaratifs et d'éviter une surcharge administrative.
Proposition d'évolution. Mettre en place un mécanisme de déclaration automatisée des revenus générés par les systèmes d'IA. Les plateformes fournissant ces services pourraient être tenues de communiquer directement aux autorités fiscales les montants perçus par leurs utilisateurs, à l'image des déclarations préremplies existantes pour les revenus salariaux. Cela permettrait de garantir la transparence tout en simplifiant les démarches pour les particuliers. Ce mécanisme pourrait également s'accompagner d'un cadre fiscal spécifique pour les revenus issus des systèmes d'IA tenant compte de la nature automatisée et parfois irrégulière de ces gains. |
Conclusion
L'adoption de l'AI Act au niveau européen impose un nouveau cadre juridique exigeant pour les systèmes d'intelligence artificielle, visant à garantir leur sécurité, leur transparence et leur conformité aux droits fondamentaux. Ce cadre n'est pas sans conséquences pour la fiscalité en France, tant pour les entreprises que pour les particuliers. L'interaction entre l'AI Act et le droit fiscal français exige une adaptation proactive non seulement pour faciliter la mise en conformité des acteurs économiques mais aussi pour promouvoir une adoption rapide et responsable de l'IA.
Les propositions avancées dans cet article visent à aligner la fiscalité sur les nouvelles exigences de l'AI Act. en mettant en place des incitations fiscales adaptées aux besoins des entreprises et en simplifiant la gestion fiscale pour les particuliers/ L'élargissement du crédit d'impôt recherche, l'introduction de suramortissements technologiques, la création d'un label fiscal pour les entreprises conformes et la mise en place de mécanismes de déclaration automatique des revenus générés par l'IA sont autant de mesures susceptibles de garantir la compétitivité de la France dans le domaine de l'intelligence artificielle.
L'avenir de la fiscalité liée à l'IA passe nécessairement par une collaboration étroite entre les autorités fiscales, les entreprises et les instances européennes afin de bâtir un cadre fiscal favorable à l'innovation tout en respectant les valeurs de transparence et de sécurité qui sont au coeur de l'AI Act.
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