La lettre juridique n°1000 du 24 octobre 2024 : Urbanisme

[Jurisprudence] L’application aux recours incidents de l’obligation de notification des recours dirigés contre une décision d’urbanisme

Réf. : CE, 1°-4° ch. réunies, 1er octobre 2024, n° 477859, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A810957H

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par Olivier Savignat, Avocat associé, Valians avocats et Gustave Barthélémy, juriste

le 23 Octobre 2024

Mots clés : Urbanisme et aménagement du territoire • règles de procédure contentieuse spéciales • introduction de l'instance • obligation de notification du recours

Dans un arrêt rendu le 1er octobre 2024, le Conseil d’État a jugé que l’obligation prévue à l’article R. 600-1 du Code de l’urbanisme de notifier son recours au bénéficiaire et à l’auteur de la décision d’urbanisme contestée s’étendait également au requérant formant un appel ou un pourvoi incident à l’encontre d’une décision juridictionnelle ne lui ayant pas donné entière satisfaction. 


 

Parmi les règles contentieuses spécifiques énumérées au livre sixième du Code de l’urbanisme, on trouve l’article R. 600-1 N° Lexbase : L9492LPA, lequel dispose qu’en cas de « recours contentieux à l'encontre d'un certificat d'urbanisme, ou d'une décision relative à l'occupation ou l'utilisation du sol régie par le présent code, le préfet ou l'auteur du recours est tenu, à peine d'irrecevabilité, de notifier son recours à l'auteur de la décision et au titulaire de l'autorisation ».

Cette obligation, bien connue des praticiens du droit de l’urbanisme, doit également être respectée « en cas de demande tendant à l'annulation ou à la réformation d'une décision juridictionnelle concernant un certificat d'urbanisme, ou une décision relative à l'occupation ou l'utilisation du sol régie par le présent code ».

Notons, au demeurant, que cette obligation vaut également pour les recours gracieux et que la notification doit, en tout état de cause, être réalisée par lettre recommandée avec accusé de réception, dans un délai de quinze jours francs suivant la saisine de l’autorité compétente ou de la juridiction. La seule preuve du dépôt de la lettre recommandée suffit à démontrer que le requérant a procédé à la notification idoine [1].

Cette formalité, introduite par loi n° 94-112 du 9 février 1994, portant diverses dispositions en matière d'urbanisme et de construction N° Lexbase : L8040HHA, « vise, dans un but de sécurité juridique, à permettre au bénéficiaire d'une autorisation d'urbanisme, ainsi qu'à l'auteur de cette décision, d'être informés à bref délai de l'existence d'un recours contentieux dirigé contre elle » [2]. Comme le souligne le rapporteur public dans ses conclusions sur l’arrêt commenté, « une telle information doit notamment éviter qu’il [le bénéficiaire] ne commence des travaux, faute d’avoir averti au préalable de la précarité de l’autorisation qu’il détient ».

Au cas d’espèce, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise avait été saisi, en première et dernière instance, d’un recours formé par des voisins à l’encontre d’un permis de construire délivré en vue de la démolition d’une annexe et de la construction d’un nouveau bâtiment destiné à l’habitation. 

À ce stade de la procédure, aucun hiatus de notification n’était à signaler, de sorte que la requête n’a pas été rejetée comme irrecevable. Au contraire, le juge administratif a accueilli le moyen tiré de la méconnaissance des articles UD 11 et UD 12 du plan local d’urbanisme et, faisant application de l’article L. 600-5 du Code de l’urbanisme, a invité le pétitionnaire à régulariser son projet dans un délai de six mois.

Le projet en cause étant situé en « zone tendue » et portant sur la construction d’un bâtiment comportant plus de deux logements, le jugement du tribunal ne pouvait être critiqué que par un pourvoi en cassation, en application de l’article R. 811-1-1 du Code de justice administrative N° Lexbase : L2592MDD

Ce jugement ne donnant satisfaction à aucune des parties, deux pourvois ont été formés. D’une part, la commune de Saint-Cloud, autorité ayant délivré l’autorisation querellée, a saisi – par erreur – la cour administrative d’appel de Versailles, laquelle a renvoyé l’affaire devant le Conseil d'État. D’autre part, un des requérants a formé un pourvoi incident, concluant à l’annulation totale du permis de construire. 

Par un arrêt mentionné aux tables du recueil Lebon, le Conseil d’État a fait droit au pourvoi formé par la commune, et a rejeté comme irrecevable le pourvoi incident, au motif que le requérant ne justifiait pas avoir notifié ledit pourvoi dans les conditions prévues à l’article R. 600-1 du Code de justice administrative.

Cette décision est l’occasion de revenir, en premier lieu et de manière générale, sur l’obligation de notification en appel et en cassation (I) et de s’intéresser, en second lieu, à la solution de l’arrêt commenté, traitant le cas particulier du recours incident formé contre une annulation partielle (II).

I. Propos général sur l’obligation de notification en appel et en cassation

Comme exposé liminairement, aux termes de l’article R. 600-1 du Code de l’urbanisme, le requérant n’est pas seulement tenu de notifier son recours en première instance, mais doit également procéder à cette formalité lorsqu’il forme un appel ou un pourvoi. 

Dans un avis contentieux rendu deux ans après l’entrée en vigueur des dispositions précitées, le Conseil d’État a ainsi rappelé que le législateur avait « entendu prolonger l’obligation faite à l’auteur d’un recours contentieux » lorsque celui-ci « ou, le cas échéant, un intervenant en demande ayant qualité de partie à l’instance, décide d’interjeter appel du jugement de première instance » ne lui ayant pas donné satisfaction [3]. Cette solution a été logiquement étendue au pourvoi en cassation [4].

En somme donc, le requérant doit nécessairement réitérer en appel et, le cas échéant, en cassation, la formalité dont il s’est pourtant déjà acquitté en première instance, avec toujours comme objectif d’informer le plus rapidement possible le pétitionnaire de ce que ses droits à construire sont à nouveau menacés, ainsi que le rappelle le rapporteur public dans ses conclusions.

À défaut, la sanction est nécessairement l’irrecevabilité, au besoin soulevée d’office par le juge, après que le requérant a été invité à démontrer l’accomplissement de la formalité par une invitation à régulariser de la juridiction ou par une fin de non-recevoir opposée par le défendeur [5]. Si une régularisation est possible, elle doit intervenir avant la clôture de l’instruction de la première instance [6], et doit consister en la production d’une pièce démontrant que le recours a bien été notifié dans les quinze jours suivant la saisine du juge. La communication de la requête par le juge aux parties n’est pas de nature à régulariser ce manquement [7].

En revanche, la solution est différente lorsque l’appel ou le pourvoi est formé non pas contre une décision rejetant le recours, mais au contraire annulant, au moins partiellement, l’autorisation querellée. C’est notamment ce qu’a considéré le Conseil d’État dans son avis précité :

« En revanche, l'article L. 600-3 [aujourd’hui, R. 600-1] précité du Code de l'urbanisme n'impose pas à l'auteur de la décision litigieuse ou au bénéficiaire de l'autorisation, ni d'ailleurs à aucune autre personne ayant qualité pour faire appel d'un jugement annulant, au moins partiellement, un document d'urbanisme ou une décision valant autorisation d'occupation ou d'utilisation du sol régie par le Code de l'urbanisme, de notifier l'appel dirigé contre un tel jugement. »

La logique étant qu’il n’y a pas lieu d’exiger du titulaire ou de l’auteur de l’autorisation annulée qu’il procède à une formalité instituée à son bénéfice.

Dès lors, la fin de non-recevoir opposée au bénéficiaire de l’autorisation tirée de ce qu’il n’aurait pas notifié l’appel interjeté contre une décision juridictionnelle prononçant son annulation ne saurait prospérer [8]. Il en va de même pour l’auteur de la décision [9].

II. Le cas particulier du recours incident

Au regard de l’état du droit ci-avant exposé, l’affaire commentée présentait deux particularités. En effet, en plus d’un pourvoi formé par l’autorité ayant délivré l’autorisation, le Conseil d’État avait été saisi d’un pourvoi incident du requérant de première instance. D’autre part, la décision juridictionnelle contestée n’annulait que partiellement l’autorisation dont s’agit et allouait au pétitionnaire un délai de 6 mois pour en proposer la régularisation. 

Pour mémoire, le pourvoi incident, tout comme l’appel incident, permet notamment à un requérant n’ayant pas obtenu intégralement satisfaction en dernière instance, de contester la décision en se greffant à l’appel principal formé par le défendeur [10].

Bien qu’intrinsèquement lié au sort du pourvoi principal [11], le pourvoi incident peut être critiqué pour ses vices propres, et sa recevabilité est ainsi contestable indépendamment de celle du pourvoi principal.

Au cas d’espèce, le pourvoi principal formé par la ville de Saint-Cloud – laquelle n’était pas tenue de le notifier – était parfaitement recevable. La question se posait néanmoins différemment s’agissant du pourvoi incident introduit par un requérant fâché de ne pas avoir obtenu du tribunal administratif l’annulation intégrale du permis de construire.

En effet, comme souligné par le rapporteur public, « le jugement attaqué n’ayant fait droit que partiellement au recours présenté en première instance, une majeure partie du permis avait gagné son brevet de légalité à son issue ». Or, « le pourvoi incident vient de nouveau menacer l’étendue des droits à construire puisqu’il vise à obtenir, non pas une annulation partielle du permis, mais son annulation totale ».

Dans ces conditions, suivant l’analyse du commissaire du Gouvernement posée dans le cadre de l’avis du Conseil d’État précité [12], et consacrant la solution déjà retenue par certaines juridictions d’appel [13], il conclut à l’irrecevabilité du pourvoi incident, le requérant ne justifiant pas de sa notification aux concernés.

Et le Conseil d’État de juger, en conséquence, que « l'auteur d'un recours contentieux contre une décision d'urbanisme (…), y compris présenté par la voie d'un appel incident ou d'un pourvoi incident, est tenu de notifier une copie du recours tant à l'auteur de l'acte ou de la décision qu'il attaque qu'à son bénéficiaire ».

À noter que la Haute juridiction administrative a donc refusé d’étendre la tolérance dont elle avait fait preuve s’agissant des recours dirigés contre un permis modificatif produit dans le cadre de l’instance dirigée contre le permis initial [14]. Le rapporteur public assume une solution « emprunte d’une certaine rigidité », mais ayant pour objet de « garantir en toute hypothèse la bonne information du titulaire du permis et sa sécurité juridique », en cohérence avec l’esprit de l’article R. 600-1.


[1] CE, 15 mai 2013, n° 352308 N° Lexbase : A5378KDK.

[2] CE, Sect., 13 mars 2015, n° 358677, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A6895NDQ.

[3] CE, avis, 26 juillet 1996, n° 180373, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A0655APX.

[4] CE, 20 février 2002, n° 208100, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1729AYP.

[5] CE, avis, 6 mai 1996, n° 178473, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A9422ANB ; CE, 20 février 2002, n° 208100, mentionné aux tables du recueil Lebon, préc.

[6] CE, 19 décembre 2008, n° 297716, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8832EBQ ; sur l’impossibilité de régulariser pour la première fois en appel : CE, 27 octobre 2008, n° 301600, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1010EBZ.

[7] CE, 6 mai 1996, n° 178473, publié au recueil Lebon, préc.

[8] CE, 6 décembre 2013, n° 354703, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8510KQA.

[9] CE, 18 octobre 2006, n° 264292, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9519DRY.

[10] V. par ex. CE, 1er juillet 1977, n° 97476 N° Lexbase : A1244B79 ; CE, 30 novembre 1994, n° 138725, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A3675ASW.

[11] V. pour une irrecevabilité du pourvoi principal entraînant l’irrecevabilité du pourvoi incident : CE, 28 juin 1991, n° 77921, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A0962AIH.

[12] J.-C. Bonichot, concl. sur CE, 26 juillet 1996, n° 180373, préc.

[13] CAA Marseille, 19 mars 2010, n° 08MA00506 N° Lexbase : A8777EWY.

[14] CE, 28 mai 2021, n° 437429, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A48594T7.

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