Le Quotidien du 22 octobre 2024 : Sûretés

[Brèves] Cautionnement : florilège de solutions

Réf. : Cass. com., 9 octobre 2024, n° 23-15.346, F-B N° Lexbase : A290759K

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N0649B3G

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par Vincent Téchené

le 21 Octobre 2024

► Dans un arrêt du 9 octobre 2024, la Cour de cassation opère des rappels et apporte des précisions sur un certain nombre de questions dont elle est habituellement saisie en matière de cautionnement : appréciation de la disproportion manifeste, devoir de mise en garde, erreur de la caution sur la solvabilité du débiteur et responsabilité du notaire rédacteur d’acte. 

Faits et procédure. Par acte notarié du 4 décembre 2012, une société a cédé un fonds de commerce, le prix de cession étant financé au moyen d'un prêt garanti par deux cautionnements.

La société débitrice principale ayant été mise en redressement puis liquidation judiciaires, la banque a assigné l’une des cautions en paiement, tandis que les deux cautions ont assigné la banque et le notaire en annulation des actes de cautionnement et en responsabilité.

Les cautions ayant été condamnées à payer une certaine somme à la banque (CA Aix-en-Provence, 9 février 2023, n° 19/13175 N° Lexbase : A00279DD), elles se sont pourvues en cassation invoquant divers moyens pour se dégager de leur engagement, comme c’est d’ailleurs fort souvent le cas dans un tel contentieux.

Décision. La Cour de cassation répond à chaque moyen opérant des rappels et apportant des précisions utiles.

  • Sur la disproportion manifeste du cautionnement

La Cour de cassation rappelle d’abord que pour l'appréciation de la disproportion manifeste du cautionnement aux biens et revenus de la caution, la valeur des parts sociales dont est titulaire la caution dans la société cautionnée doit prendre en compte l'ensemble des éléments d'actif de cette société, comprenant notamment ceux qui composent le fonds de commerce lui appartenant, et de son passif externe. Les cautions n'ayant pas offert d'apporter cette preuve, la cour d'appel n'était pas tenue de s'interroger sur le passif de la société.

Cette solution ne surprendra pas. La Cour de cassation a en effet déjà précisé que les parts sociales et la créance inscrite en compte courant d'associé dont est titulaire la caution au sein de la société cautionnée font partie du patrimoine devant être pris en considération pour l'appréciation de ses biens et revenus à la date de la souscription de son engagement (Cass. com., 26 janvier 2016, n° 13-28.378, FS-P+B N° Lexbase : A3420N7S, F. Julienne, Cautionnement disproportionné : les comptes courants d'associé entrent dans le patrimoine évalué, Lexbase Affaires, février 2016, n° 456 N° Lexbase : N1494BWA). Et, concernant la valeur des parts sociales dont est titulaire la caution dans la société cautionnée, elle a jugé, comme dans l'arrêt rapporté, qu’il convient de prendre en compte l'ensemble des éléments d'actif de cette société, comprenant notamment ceux qui composent le fonds de commerce lui appartenant, et de son passif externe (Cass. com., 19 janvier 2022, n° 20-18.670, F-D N° Lexbase : A19637KW, V. Téchené, Appréciation de la disproportion du cautionnement : modalités de prise en compte des parts sociales détenues par la caution dans la société cautionnée, Lexbase Affaires, janvier 2022, n° 703 N° Lexbase : N0195BZA).

Pour aller plus loin :

  • v. pour les cautionnements souscrits avant le 1er janvier 2022, ÉTUDE : Proportionnalité et cautionnement, Les éléments pris en considération pour apprécier la proportionnalité, in Droit des sûretés (dir. G. Piette), Lexbase N° Lexbase : E2227GAQ ;
  • v. pour les cautionnements souscrits à compter du 1er janvier 2022, G. Piette, D. Nemtchenko, F. Julienne, V. Téchené, ÉTUDE : Le cautionnement, Le montant du cautionnement, in Droit des sociétés (dir. G. Piette), Lexbase N° Lexbase : E8598B49.

 

  • Sur le devoir de mise en garde

La Cour de cassation retient ensuite que la banque est tenue à un devoir de mise en garde à l'égard d'une caution non avertie lorsque, au jour de son engagement, celle-ci n'est pas adapté aux capacités financières de la caution ou qu'il existe un risque d'endettement né de l'octroi du prêt garanti, lequel résulte de l'inadaptation du prêt aux capacités financières de l'emprunteur. Elle ajoute que la mise en œuvre, par les cautions, de la responsabilité de la banque pour manquement à son devoir de mise en garde suppose la preuve, à leur charge, de telles inadaptations, et ne résulte pas du seul fait que la banque ne se serait pas fait communiquer des éléments comptables permettant d'apprécier la capacité de remboursement de l'emprunteur.

On rappellera que c’est la jurisprudence qui a eu l’idée, afin d’éclairer le consentement de la caution, d’imposer au créancier un devoir de mise en garde (v. not., Cass. com., 20 septembre 2005, n° 03-19.732, F-P+B N° Lexbase : A5020DK7 ; Cass. com., 15 novembre 2017, n° 16-16.790, FS-P+B+I N° Lexbase : A0222WZA). La réforme du droit des sûretés réalisée par l’ordonnance n° 2021-1192, du 15 septembre 2021 N° Lexbase : L8997L7D a consacré ce devoir de mise en garde (v. C. civ., art. 2299 N° Lexbase : L0173L8W). On notera qu'il n’est plus limité aux seules cautions profanes : toutes les cautions, dès lors qu’elles sont des personnes physiques, doivent bénéficier de la mise en garde.

Pour aller plus loin :

  • v. pour les cautionnements souscrits avant le 1er janvier 2022, ÉTUDE : Les effets du cautionnement entre le créancier et la caution, La responsabilité du créancier à l'égard de la caution pour non-respect de son obligation de mise en garde, in Droit des sociétés (dir. G. Piette), Lexbase N° Lexbase : E3566E4T ;
  • v. pour les cautionnements souscrits à compter du 1er janvier 2022, G. Piette, D. Nemtchenko, F. Julienne, V. Téchené, ÉTUDE : Le cautionnement, La mise en garde de la caution, in Droit des sociétés (dir. G. Piette), Lexbase N° Lexbase : E8622B44.  

 

  • Nullité du cautionnement pour erreur

Il convient de relever que pour rejeter la demande d'annulation des cautionnements, l'arrêt d’appel a retenu que si, par un arrêt du 7 juillet 2016, la cour, qui « a opéré une réduction du prix de vente du fonds de commerce cédé à la société débitrice principale, a dit que cette dernière avait été victime d'un dol incident lors de l'acquisition du fonds de commerce, les cautions ne sauraient, pour prétendre à la nullité de leur engagement, se prévaloir de ce dol ou de l'erreur qu'il a, selon elles, entraînée sur la solvabilité de l'emprunteur et sa capacité à pouvoir assumer le prêt, dès lors que l'erreur qu'elles invoquent ne peut être imputée à la banque, et ne porte pas sur la substance de leur engagement ».

La Cour de cassation censure sur ce point l’arrêt d’appel énonçant qu’en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si les cautions n'avaient pas fait de la solvabilité du débiteur principal la condition déterminante de leur engagement, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Cette solution s’inscrit dans la jurisprudence classique de la Cour de cassation qui estime que l’erreur peut être cause de nullité, si la caution avait fait de cette solvabilité une condition de son engagement, la Haute juridiction se contentant désormais d’une condition tacite de son engagement (Cass. com., 1er octobre 2002, n° 00-13.189, FS-P+B N° Lexbase : A8975AZG).

Pour aller plus loin :

  • v. pour les cautionnements souscrits avant le 1er janvier 2022, ÉTUDE : Les conditions de formation du cautionnement, L'erreur sur la solvabilité du débiteur, in Droit des sociétés (dir. G. Piette), Lexbase N° Lexbase : E0698A8D ;
  • v. pour les cautionnements souscrits à compter du 1er janvier 2022, G. Piette, D. Nemtchenko, F. Julienne, V. Téchené, ÉTUDE : Le cautionnement, Les vices du consentement dans le cautionnement, in Droit des sûretés (dir. G. Piette), Lexbase N° Lexbase : E8623B47.

 

  • Sur la responsabilité du rédacteur d’acte

La Cour de cassation commence par rappeler que le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel, dès lors que ce manquement lui a causé un dommage.

Pour rejeter la demande des cautions au titre de la responsabilité du notaire qui avait établi l'acte de cession de fonds de commerce, l'arrêt, après avoir retenu la faute du notaire, pour avoir omis d'appeler l'attention de l'acquéreur sur les résultats d'exploitation du fonds, tel que prévu à l'article L. 141-1 du Code de commerce N° Lexbase : L7634LBD, retient que les cautions qui ne sont pas parties à l'acte litigieux et envers lesquels le notaire n'était donc tenu d'aucun devoir d'information et de conseil, n'établissent pas que le manquement qu'ils reprochent à ce dernier, dont la responsabilité n'est ici pas recherchée par la débitrice principale, soit à l'origine du préjudice qu'ils invoquent.

La Haute juridiction censure également sur ce point l’arrêt d’appel : les cautions, tiers à l'acte notarié portant cession du fonds de commerce, pouvaient invoquer la faute commise par le notaire vis-à-vis de l'acquéreur, en lien de causalité avec le préjudice en résultant pour eux pour s'être rendues cautions de ce dernier, en garantie du prêt qui lui avait été consenti pour financer l'acquisition du fonds.

Il s’agit là d’une application de la jurisprudence Myr’Ho (Cass. ass. plén., 6 octobre 2006, n° 05-13.255, F-P+B+R+I N° Lexbase : A5095DR7). La Cour de cassation l’a déjà appliquée au cautionnement, qu’il s’agisse des manquements contractuels du créancier envers le débiteur principal (Cass. com., 25 septembre 2019, n° 18-15.655, FS-P+B N° Lexbase : A0346ZQU) ou envers un cogarant (Cass. com., 21 octobre 2020, n° 18-17.064, F-D N° Lexbase : A87693YG).

Pour aller plus loin :

  • v. pour les cautionnements souscrits avant le 1er janvier 2022, ÉTUDE : Les effets du cautionnement entre le créancier et la caution, La possibilité pour la caution d'invoquer le manquement contractuel que lui cause un préjudice, in Droit des sûretés (dir. G. Piette), Lexbase N° Lexbase : E5542ZQC ;
  • v. pour les cautionnements souscrits à compter du 1er janvier 2022, G. Piette, D. Nemtchenko, F. Julienne, V. Téchené, ÉTUDE : Le cautionnement, L’opposabilité des exceptions, in Droit des sûretés (dir. G. Piette), Lexbase N° Lexbase : E8599B4A.

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