Le Quotidien du 30 mai 2024 : Sociétés

[Jurisprudence] Le tribunal de commerce de Nanterre donne raison au conseil d’administration de TotalEnergies sur le rejet d’une demande de résolution « consultative » sur le mode d’exercice de la direction générale

Réf. : T. com. Nanterre, 23 mai 2024, aff. n° 2024R00551 N° Lexbase : A84225DB

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N9442BZQ

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[Jurisprudence] Le tribunal de commerce de Nanterre donne raison au conseil d’administration de TotalEnergies sur le rejet d’une demande de résolution « consultative » sur le mode d’exercice de la direction générale. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/107999816-jurisprudence-le-tribunal-de-commerce-de-nanterre-donne-raison-au-conseil-dadministration-de-totalen
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par Virginie Corbet-Picard, Avocate associée, cabinet CMS Francis Lefebvre

le 04 Juin 2024

Mots-clés : dialogue actionnarial • climat • assemblée • conseil d'administration • actionnaires


 

Le 23 mai 2024, le tribunal de commerce de Nanterre a rendu une décision attendue sur la recevabilité d’une demande de certains actionnaires de la société TotalEnergies, de voir inscrit à l’ordre du jour de l’assemblée du 24 mai 2024 un projet de résolution « consultatif » sur la modalité d’exercice de la direction générale. Le projet de résolution litigieux était libellé de la manière suivante :

« Les actionnaires, au moyen d’un vote consultatif, invitent le conseil d’administration de la société à décider, conformément à l’article 15 des statuts, que la direction générale de la Société sera assumée par une autre personne que le Président du conseil d’administration, sans que ce changement des modalités d’exercice de la direction générale de la société entraîne de modification des statuts. »

La question juridique soulevée par cette demande de résolution est essentiellement celle de la répartition des pouvoirs entre le conseil d’administration et l'assemblée générale des actionnaires. En effet, l'article L. 225-51-1 du Code de commerce N° Lexbase : L2183ATZ dispose que « La direction générale de la société est assumée, sous sa responsabilité, soit par le président du conseil d'administration, soit par une autre personne physique nommée par le conseil d'administration et portant le titre de directeur général ». Il ajoute que « dans les conditions définies par les statuts, le conseil d'administration choisit entre les deux modalités d'exercice de la direction générale visées au premier alinéa (…) ».

Sur ce point, les demandeurs arguaient que « un vote consultatif, ne constituant pas une obligation qui s’imposerait au conseil d’administration, ne peut faire l’objet d’une consultation sérieuse ». Ce à quoi la société TotalEnergies répliquait notamment que « le projet de résolution litigieux [allait] au-delà des limites de compétences de l’assemblée » et que « le projet de résolution « consultatif » [avait] en réalité (…) comme but d’obtenir du conseil d’administration la séparation des pouvoirs entre le président et un directeur général ».

Ce débat n’est évidemment pas sans rappeler celui que posent les résolutions climatiques demandées par des actionnaires de sociétés cotées depuis quelques années, visant à permettre aux investisseurs de se prononcer et donc de voter en assemblée sur la politique environnementale des sociétés dans lesquelles ils investissent. En France, ce say on climate a suscité des débats nourris sur sa validité et sur son opportunité, compte tenu du principe de hiérarchie des organes sociaux (arrêt « Motte », Cass. civ. 4 juin 1946 : « la société anonyme étant une société dont les organes sont hiérarchisés et dans laquelle l’administration est exercée par un conseil élu par l’assemblée générale, il n’appartient pas à l’assemblée générale d’empiéter sur les prérogatives du conseil en matière d’administration »), qui préside à la répartition des pouvoirs entre le conseil et l’assemblée.

À cet égard, le Haut Comité juridique de la Place financière de Paris (HCJP) a rendu un rapport en janvier 2023, cité par l'Autorité des marchés financiers (AMF) dans son rapport 2023 sur le gouvernement d’entreprise, qui concluait notamment que « la possibilité pour les actionnaires de voter en assemblée générale ordinaire sur la stratégie climatique de la société au moyen d'un vote consultatif, comme cela est souhaité par de nombreux investisseurs ou ONG et préconisé notamment par le rapport Perrier (mars 2022) ne heurte aucune règle juridique et en particulier pas le principe de hiérarchie des organes sociaux ».

Dans ce contexte, il est intéressant de relever que le tribunal de commerce de Nanterre vient – certes sur un tout autre sujet que la stratégie climatique de la société – affirmer, dans la droite ligne de l’arrêt Motte, que « même s’il a un caractère "consultatif", non contraignant pour le conseil d’administration, l’examen et le vote par l’assemblée des actionnaires de [ce] projet de résolution empiète d’évidence sur les prérogatives du conseil d’administration », ce qui justifie selon le tribunal le refus du conseil de voir inscrit à l’ordre du jour de l’assemblée le projet de résolution litigieux.

Le tribunal de commerce de Nanterre semble donc adopter une analyse différente de celle du HCJP sur la portée d’une résolution « consultative ».

Se posent alors plusieurs questions : cette différence d’appréciation tient-elle à la portée d’un « vote consultatif » en général, ou bien est-elle simplement liée au contexte – résolution climatique pour l’un, résolution sur le mode d’exercice de la direction générale pour l’autre – ? Quid si des demandes d’inscription de résolutions « à titre consultatif » venaient à être déposées sur d’autres sujets mais relevant tous en principe des prérogatives du conseil ?

En donnant raison au conseil d’administration de TotalEnergies sur le rejet d’un projet de résolution, même consultatif, sur la dissociation de la direction générale et de la présidence du conseil, le tribunal de commerce de Nanterre réaffirme avec force la délimitation du champ des compétences des organes sociaux prévue par le Code de commerce.

Si l’on peut espérer que cette décision fasse jurisprudence auprès des autres juridictions qui auraient à se prononcer sur la même question, il reste cependant difficile à ce jour d’affirmer que cette décision suffise à rassurer les émetteurs et à décourager des investisseurs décidés à peser sur le management et sur les orientations choisies pour la société.

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