La lettre juridique n°985 du 30 mai 2024 : Distribution

[Jurisprudence] Statut d’agent commercial : de la distinction entre activité accessoire et pluriactivité

Réf. : Cass. com., 20 mars 2024, n° 22-21.230, F-B N° Lexbase : A20552WZ

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N9347BZ9

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par Stéphane Brena, Directeur de l’École de droit de la Sorbonne au Caire-IDAI, Maître de conférences - HDR en droit privé

le 29 Mai 2024

Mots-clés : agent commercial • application du statut • caractère accessoire de l'activité • pluriactivité • indépendance de l'intermédiaire 

Faisant application de la définition nationale du caractère accessoire de l’activité d’agent commercial, condition indispensable à la neutralisation conventionnelle de l’application du statut des agents commerciaux, la Cour de cassation opère une distinction entre activité d’agence accessoire et agent commercial pluriactif.


 

À paraître au Bulletin, cet arrêt de la Chambre commerciale conduit, dans une perspective protectrice de l’agent commercial, à distinguer entre activité accessoire d’agent commercial, pouvant être exclue du champ du statut en application de l’article L. 134-15 du Code de commerce, et pluriactivité, situation qui n’autorise pas cette exclusion.

Une société, exerçant déjà une activité de distribution de produits de filtration de l’air et d’étanchéité de réseaux d’assainissement, se voit confier par une société allemande, par contrat conclu en 1998, une mission de diffusion exclusive (« commercialisation » nous dit l’arrêt) en France, de ses produits d’étanchéité. La relation se dégrade : en mars 2018, le diffuseur prend acte d’une rupture qu’il impute au producteur, à qui il reproche une éviction par des moyens déloyaux (ce sur quoi l’arrêt ne nous éclaire pas), alors que le producteur notifie, quelques jours plus tard, la cessation immédiate et sans indemnité, pour faute grave, de leur relation commerciale.

Le diffuseur agit alors en paiement de l’indemnité de fin de relations prévue par le statut des agents commerciaux[1], ainsi qu’en réparation du préjudice résultant d’une commande non honorée par le producteur. L’intermédiaire obtient gain de cause, tant en première instance qu’en appel [2], les juges du fond ayant appliqué le statut des agents commerciaux à l’intermédiaire, après avoir constaté que la société intermédiaire « prenait les commandes des clients qu'elle transmettait à [la société productrice], laquelle facturait les produits vendus et versait une commission ». Le producteur, condamné à verser 289 800 euros d’indemnité de cessation de la relation et plus de 6 200 euros d’indemnisation pour commande non honorée, introduit un pourvoi en cassation, contestant l’application du statut.

Ce dernier soutient en effet que la cour d’appel de Dijon n’aurait pas donné de base légale à sa décision en ne « s’expliquant pas » sur l’activité de distributeur de l’intermédiaire (« activité commerciale propre » dans l’arrêt) et sur l’existence d’une clientèle propre, de nature à exclure l’application du d’agent commercial.

Il s’agissait ainsi de déterminer si le fait que l’intermédiaire exerce une activité commerciale distincte de celle de diffuseur était de nature à le priver du bénéfice du statut des agents commerciaux.

La Haute juridiction y répond négativement. S’appuyant sur la position de la Cour de justice de l’Union européenne [3], selon laquelle « hormis dans l’hypothèse où, conformément à l’article 2, paragraphe 2, de la Directive n° 86/653 N° Lexbase : L9726AUR, un État membre choisit d’exclure du champ d’application de cette Directive les personnes qui exercent une activité d’agent commercial à titre accessoire, ce qui ne semble, au demeurant, pas être le cas dans l’affaire au principal, les personnes exerçant une telle activité d’agent commercial doivent être considérées comme relevant de ce champ d’application, quand bien même cette activité serait cumulée à une activité d’une autre nature » [4], la Cour de cassation rappelle que le législateur français a fait usage de la possibilité d’exclure du champ du statut les intermédiaires dont « l’activité d’agent commercial est exercée en exécution d’un contrat écrit passé entre les parties à titre principal pour un autre objet », sous condition que l’exclusion soit portée par écrit. Or, « cette disposition ne vise pas la situation dans laquelle, comme en l'espèce, les activités d'une autre nature exercées par l'agent commercial ne procèdent pas de l'exécution du contrat passé avec son mandant, de sorte qu'une telle situation n'est pas exclusive du bénéfice du statut d'agent commercial. » Le statut s’applique par conséquent à cet agent commercial pluriactif.

Ce sont, tout à la fois, le principe de non-exclusion des agents commerciaux pluriactifs du champ du statut (I) et la manière dont le droit français a fait usage de la possibilité d’exclure du champ du statut les « personnes qui exercent les activités d’agent commercial considérées comme accessoires selon la loi de cet État membre » (II), qui justifient pleinement cette décision.

I. Le principe de non-exclusion des agents commerciaux pluriactifs du champ du statut

Le moyen du pourvoi avançait l’idée selon laquelle l’exercice simultané d’une activité de distributeur et d’agent commercial excluait l’application du statut des agents commerciaux. L’argument questionnait ainsi, et avant tout, la définition même de l’agent commercial protégé par le statut : l’activité de négociation, au sens de l’article 1er de la Directive n° 86/653 du 18 décembre 1986 N° Lexbase : L9726AUR et de l’article L. 134-1 du Code de commerce N° Lexbase : L9693L77 , doit-elle être exclusive, ou au moins principale, pour ouvrir droit à la protection statutaire ?

C’est cet argument qu’écarte la Cour de cassation et qui justifie la référence faite au point 43 de l’arrêt « Zako » rendu par la CJUE en 2018. Rien dans les définitions de l’agent commercial n’indique que la protection doit être réservée aux intermédiaires exerçant exclusivement cette activité. Dans l’arrêt « Zako », l’intermédiaire (vente de cuisines) exerçait d’autres missions au profit du même partenaire contractuel (« gestion du personnel du département des cuisines équipées, les contacts avec tous les fournisseurs et tous les entrepreneurs, et non exclusivement avec les clients, ainsi que l’établissement des plans, des devis et des mesurages des cuisines et non uniquement des bons de commandes »), les missions ayant une importance équivalente. La CJUE retient l’applicabilité du statut des agents commerciaux et précise que la « Directive ne s’oppose pas, par principe, à ce que l’activité d’agent commercial puisse être cumulée à des activités d’une autre nature, y compris dans le cas où la personne concernée n’exercerait cette première activité qu’à titre accessoire ». Dans l’arrêt sous commentaire, l’intermédiaire exerçait une activité de distributeur (achat pour revente) pour le compte d’autres fournisseurs que le mandant. Il est en effet relevé que « l'activité commerciale propre que la société [intermédiaire] revendiquait exercer, consista[i]t à revendre à des industriels, des produits provenant de différents fournisseurs ». Le principe de l’application du statut devait ainsi, a fortiori, être retenu.

Ce principe supporte cependant deux limites. La première tient, comme l’a souligné également la CJUE [5], à l’indépendance de l’intermédiaire. En effet, les autres activités exercées par l’intermédiaire ne doivent pas avoir pour effet de lui faire perdre son indépendance à l’égard du commettant. Cette conséquence n’était évidemment pas caractérisée en l’espèce. S’il est, en fait, envisageable que les autres missions confiées à l’intermédiaire par son partenaire puissent être, selon les circonstances, à l’origine d’une perte d’indépendance, il paraît fort douteux qu’une telle situation puisse résulter d’autres activités n’impliquant pas le commettant. La seconde, que la CJUE avait également relevé [6], tient à la possibilité pour les législateurs nationaux d’exclure du champ de la protection statutaire les intermédiaires exerçant à titre accessoire ; la notion d’activités accessoires étant alors définie « selon la loi de cet État membre ».

II. La notion d’ « activités accessoires » en droit français

L’article L. 134-15 du Code de commerce N° Lexbase : L5663AIL procède, en droit français, à l’exclusion de l’application du statut qu’autorise le droit de l’Union européenne. À cette occasion, il définit la notion d’activité d’agence accessoire comme celle exercée « en exécution d’un contrat écrit passé entre les parties à titre principal pour un autre objet ». L’exclusion est ainsi subordonnée au respect de conditions de forme et de fond.

De première part, sur la forme, la relation contractuelle entre les parties doit être constatée par écrit ; ce à quoi s’ajoute la nécessité d’exprimer, par écrit toujours, l’exclusion de l’application du statut (cette dernière condition n’étant assurément pas remplie en l’espèce d’ailleurs).

De seconde part, sur le fond, la relation contractuelle liant les parties doit avoir un objet autre que l’agence commerciale et présenter un caractère principal par rapport à cette dernière, la renonciation à l’application du statut étant nulle si l’activité d’agence est « en réalité, à titre principal ou déterminant » [7]. La notion d’activité accessoire s’apprécie donc, en droit français, par rapport à une activité principale développée au titre d’un contrat conclu entre le diffuseur et le mandant. Or, comme le relève la Cour de cassation en l’espèce, les autres activités de l’intermédiaire ne procédaient pas du contrat passé avec le commettant. Aucune chance par conséquent de voir s’appliquer les dispositions de l’article L. 134-15 du Code de commerce.

Le salut du commettant ne pouvait ainsi que provenir d’une définition nationale de l’activité d’agence exercée à titre accessoire appréciée en contemplation de l’ensemble des activités de l’intermédiaire. Le droit français n’ayant pas fait ce choix, le pourvoi du mandant était voué à l’échec.

 

[1] C. com., art. L. 134-12 N° Lexbase : L5660AIH.

[2]  CA Dijon, 12 mai 2022, n° 21/00063 N° Lexbase : A20552WZ.

[3] CJUE, 21 novembre 2018, aff. C-452/17 N° Lexbase : A2524YMG

[4] Point 43 de l’arrêt « Zako » préc.

[5] Point 49 de l’arrêt « Zako » préc.

[6] Point 43 de l’arrêt « Zako » préc.

[7] C. com., art. L. 134-15, al. 2.

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