Réf. : CE 3e et 8e ch. réunies, 26 avril 2024, n° 466062, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A2409294
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par Marie-Claire Sgarra
le 03 Juin 2024
► Une société mère d’un groupe fiscalement intégré ne peut imputer les pertes des succursales établies dans l’Union européenne. Cette impossibilité ne méconnaît pas la liberté d’établissement. Telle est la solution retenue par le Conseil d’État dans un arrêt du 26 avril 2024.
Faits. Une société mère française d’un groupe fiscalement intégré a sollicité l’imputation sur le résultat de l’une de ses filiales membres de ce groupe fiscal, et par voie de conséquence sur le résultat d’ensemble du groupe, des pertes définitives subies par une succursale luxembourgeoise de cette filiale.
Procédure. Le tribunal administratif de Montreuil a admis l'imputation, sur le résultat d'ensemble du groupe, des déficits en report constatés après imputation sur les résultats de la société des pertes définitives de sa succursale luxembourgeoise. La cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par le ministre de l’Économie (CAA Versailles, 9 juin 2022, n° 19VE03130 N° Lexbase : A785474N).
Que dit la jurisprudence européenne ? La Cour de justice de l'Union européenne a jugé que le droit communautaire ne s'oppose pas à une législation d'un État membre qui exclut de manière générale la possibilité pour une société mère résidente de déduire de son bénéfice imposable des pertes subies dans un autre État membre par une filiale établie sur le territoire de celui-ci, alors qu'elle accorde une telle possibilité pour des pertes subies par une filiale résidente.
Cependant il est contraire à la législation européenne d'exclure une telle possibilité pour la société mère résidente dans une situation où, d'une part, la filiale non résidente a épuisé les possibilités de prise en compte des pertes qui existent dans son État de résidence au titre de l'exercice fiscal concerné par la demande de dégrèvement ainsi que des 'exercices fiscaux antérieurs et où, d'autre part, il n'existe pas de possibilités pour que ces pertes puissent être prises en compte dans son État de résidence au titre des exercices futurs soit par elle-même, soit par un tiers, notamment en cas de cession de la filiale à celui-ci (CJCE, 13 décembre 2005, aff. C-446/03, Marks & Spencer plc c/ David Halsey (Her Majesty's Inspector of Taxes) N° Lexbase : A9386DL9).
Lire en ce sens, V. Le Quintrec , Déduction, par la société mère d'un groupe, des pertes subies par ses filiales non-résidentes et liberté d'établissement, Lexbase fiscal, janvier 2006, n° 197 N° Lexbase : N2960AKT. |
Par la suite, la Cour de justice de l'Union européenne a jugé qu’une disposition permettant la prise en compte des pertes d'une succursale aux fins de la détermination du bénéfice imposable de la société à laquelle appartient cette succursale constitue un avantage fiscal. Le fait d'accorder un tel avantage lorsque les pertes sont encourues au titre de l'activité d'une succursale établie dans l'État membre de la société résidente, mais non lorsque ces pertes proviennent d'un établissement stable situé dans un autre État membre que celui de cette société résidente, a pour conséquence que la situation fiscale d'une société résidente qui possède un établissement stable dans un autre État membre est moins favorable que celle qui serait la sienne si cette même activité était exercée au travers d'une succursale établie dans le même État membre qu'elle. Toutefois, une différence de traitement résultant de la législation fiscale d'un État membre au détriment des sociétés qui exercent leur liberté d'établissement n'est pas constitutive d'une entrave à cette liberté si elle concerne des situations qui ne sont pas objectivement comparables ou si elle est justifiée par une raison impérieuse d'intérêt général et proportionnée à cet objectif.
Que prévoit la convention fiscale entre la France et le Luxembourg de 1958 ? En vertu de l’article 4 de la convention fiscale conclue entre la France et le Luxembourg du 1er avril 1958, les revenus des entreprises industrielles, minières, commerciales ou financières ne sont imposables que dans l’État sur le territoire duquel se trouve un établissement stable, lequel s’entend d’une installation fixe d’affaires dans laquelle l’entreprise exerce tout ou partie de son activité.
Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : Luxembourg – convention du 1er avril 1958, in Conventions fiscales internationales, Lexbase N° Lexbase : E17564ER. |
Précisions du Conseil d’État. Les stipulations de la convention franco-luxembourgeoise et le principe de territorialité de l’impôt (CGI, art. 209 N° Lexbase : L0829MLB) font obstacle à ce que la société mère puisse déduire de son bénéfice imposable en France les pertes d’exploitation subies par sa succursale luxembourgeoise, alors que si la succursale avait été établie en France, une telle imputation aurait toujours été possible ainsi que, le cas échéant, la prise en compte de tout ou partie de ces pertes pour la détermination du résultat d’ensemble du groupe fiscal auquel cette société appartient.
Une telle différence de traitement ne saurait toutefois constituer une atteinte à la liberté d’établissement, pour la société privée de la possibilité de prise en compte des pertes réalisées par son établissement stable non-résident pour la détermination de son résultat imposable, si elle ne se trouve pas, à l’égard des mesures prévues par la France afin de prévenir ou d’atténuer la double imposition des bénéfices d’une société résidente et, symétriquement, la double prise en compte de ses pertes, dans une situation objectivement comparable à celle d’une société détenant un établissement stable implanté en France.
Une société résidente de France détenant une succursale au Luxembourg doit être regardée comme ne se trouvant pas dans une situation objectivement comparable à celle d’une société de France détenant une succursale dans ce même État. Par suite, aucune restriction à la liberté d’établissement ne saurait être constatée à raison de l’impossibilité pour la société mère française d’imputer sur ses résultats les pertes réalisées par sa succursale luxembourgeoise, pas plus qu’à raison de l’impossibilité qui en résulte de bénéficier de toute prise en compte desdites pertes pour la détermination du résultat d’ensemble du groupe fiscalement intégré dont elle est membre.
L’arrêt de la CAA de Versailles est annulé.
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