La lettre juridique n°985 du 30 mai 2024 : Droit des biens

[Brèves] L’action en revendication contre un tiers prétendant tirer ses droits d’un prétendu dépositaire

Réf. : Cass. civ. 1, 15 mai 2024, n° 22-23.822, FS-B N° Lexbase : A62705BT

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par Séverin Jean, Maître de conférences à l’Université Toulouse I Capitole, EA 1919 (IEJUC)

le 29 Mai 2024

► La seule preuve d’une possession viciée est suffisante pour faire droit à l’action en revendication dirigée contre un tiers prétendant tirer ses droits d’un prétendu dépositaire.

La règle de l’article 2276, alinéa 1 du Code civil N° Lexbase : L7197IAS est connue : « En fait de meubles, la possession vaut titre ». Il résulte de cette règle que celui qui possède, en matière mobilière, est réputé instantanément propriétaire du bien. Or, pour produire cet effet acquisitif, cette possession doit être constituée et utile. Elle est constituée lorsque le possesseur dispose du corpus - la chose - et de l’animus, c’est-à-dire l’intention de se comporter comme un propriétaire. Mais cela ne suffit pas, encore faut-il que la possession dispose de certains caractères énoncés à l’article 2261 du Code civil N° Lexbase : L7210IAB, pour que celle-ci produise son effet acquisitif. Aussi, lorsqu’une action en revendication est intentée, les revendiquants peuvent s’attacher à démontrer que l’une de ces conditions fait défaut.

Cela étant, encore faut-il savoir contre qui l’action est dirigée. Un prétendu dépositaire ou un tiers - possesseur - prétendant tenir ses droits dudit prétendu dépositaire ? La question est importante, car la preuve à rapporter n’est pas nécessairement la même, comme en témoigne le présent arrêt du 15 mai 2024. Dans cette affaire, un peintre, de son vivant, avait confié divers travaux sur ses œuvres - encadrement, contrecollage, emballage et transport - à une entreprise familiale dont la fille avait repris la direction. Cette dernière avait remis des œuvres à ses voisins et un marchand d’art avait conclu avec ces derniers des mandats tendant à la vente des œuvres en leur possession. Plus tard, les héritiers du peintre assignèrent notamment la voisine (son époux étant décédé) en revendication des œuvres en sa possession. La cour d’appel de Paris, le 5 octobre 2022, refusa sur ce point de faire droit à leur demande, au motif que les revendiquants ne rapportaient pas la preuve que les œuvres litigieuses avaient fait l’objet d’un dépôt (CA Paris, 3-1, 5 octobre 2022, n° 20/09820 N° Lexbase : A22828NT).

La Cour de cassation devait ainsi se demander si l’absence de preuve du dépôt des œuvres suffit à s’opposer à l’action en revendication intentée contre un tiers possédant les œuvres litigieuses et prétendant tirer ses droits d’un prétendu dépositaire (la fille à la tête de l’entreprise).

Au visa des articles 2261 et 2276 du Code civil, les magistrats du Quai de l’Horloge contredisent les juges du fond en estimant que le litige n’oppose pas les revendiquants au prétendu dépositaire, mais à un tiers prétendant tirer ses droits de ce dernier. Pour ce faire, la Cour de cassation résonne en deux temps. Après avoir indiqué, dans un premier temps, que la preuve du dépôt des œuvres n’était pas utile puisque l’action n’était pas formée contre le dépositaire, elle retient, dans un second temps, les propres constatations de la cour d’appel tendant à démontrer que la possession du tiers - possesseur - était viciée. Par conséquent, l’action en revendication des héritiers devait prospérer.

La solution est logique. En effet, si la preuve du dépôt était nécessaire afin de démontrer la qualité de détenteur précaire à l’endroit de l’entreprise, elle n’était nullement requise à l’endroit du tiers - possesseur - prétendant tenir ses droits du prétendu dépositaire. Pour ce dernier, s’attacher à démontrer que la possession n’était pas utile, car viciée, était largement suffisant. Or, les juges du fond avaient notamment constaté que les œuvres avaient été stockées dans une pièce peu fréquentée de la maison des voisins, de sorte que la possession n’était pas publique et, partant, était viciée. En définitive, la Cour de cassation restitue de la logique à l’action en revendication en redistribuant l’appréciation des conditions de son succès, en tenant compte de qui en est le défendeur.

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