La lettre juridique n°984 du 16 mai 2024 : Cotisations sociales

[Panorama] Panorama d’actualités jurisprudentielles relatives au contentieux du recouvrement (mars - avril 2024)

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par François Taquet, Professeur de Droit social (IESEG, Skema BS), Avocat, spécialiste en Droit du travail et protection sociale, Directeur scientifique du réseau d’avocats GESICA

le 15 Mai 2024

Mots-clés : avis de contrôle • contrôle URSSAF • procédure contradictoire • mise en demeure • contrainte

La revue Lexbase Social vous propose de retrouver, tous les deux mois, le panorama d’actualités jurisprudentielles de François Taquet, Professeur et avocat, en matière de cotisations sociales et plus spécialement relatif au contentieux du recouvrement.


Sommaire

I. Avis de contrôle

1. CA Aix-en-Provence, 19 avril 2024, n° 22/04202, 22/04204, 22/05148 et 21/05168

II. Déroulement du contrôle

2. CA Bordeaux, 14 mars 2024, n° 21/05930 

3. CA Paris, 6-13, 8 mars 2024, n° 19/09142 

4. CA Nancy, 12 mars 2024, n° 23/01989

III. Mise en demeure

5. TJ de Lyon, 7 mars 2024, n° 19/03342 

6. CA Paris, 15 mars 2024, n° 20/06509 

7. CA Aix-en-Provence, 19 mars 2024, n° 22/14749

8. TJ Bobigny, 10 avril 2024, n° 23/00620 

9. CA Bastia, 17 avril 2024, n° 19/00341 

10. TJ Lille, 16 janvier 2024, n° 22/01682 

IV. Commission de recours amiable

11. CA Rennes, 10 avril 2024, n° 22/00433 

V. Délais de paiement

12. CA Besançon, 5 mars 2024, n° 23/00066 

VI. Contrainte et opposition à contrainte

13. CA Paris, 15 mars 2024, n° 20/06509 

14. TJ de Marseille, 8 avril 2024, n° 23/02800 

VII. Travail dissimulé

15. CA Amiens, 18 avril 2024, n° 22/04976 


I. Avis de contrôle

1. CA Aix-en-Provence, 19 avril 2024, n° 22/04202 N° Lexbase : A018729S, 22/04204 N° Lexbase : A023029E, 22/05148 N° Lexbase : A0171299 et 21/05168 N° Lexbase : A018029K : un avis de contrôle daté du 7 mars 2016, avait été expédié le 15 mars 2016 au siège de la cotisante par lettre recommandée avec avis de réception, en précisant que les inspecteurs se présenteraient le 4 avril 2016 vers 9 heures 30 dans l'entreprise afin de procéder à un contrôle de cotisations. Par lettre recommandée adressée le 5 avril 2016, les inspecteurs du recouvrement se sont présentés le 6 avril 2016 vers 9 heures 30, sans avoir obtenu l'accord préalable de la personne morale contrôlée quant à la rectification de la date correspondant au point de départ des opérations de contrôle. L'URSSAF ne rapporte pas la preuve qui lui incombe, d'avoir informé la cotisante, dans un délai suffisant, compatible avec son droit d'assistance, du report au 6 avril 2016 du contrôle ayant fait l'objet d'un avis régulièrement délivré fixant la date de début du contrôle au 4 avril 2016. Il en résulte que les droits de la défense de la cotisante n'ont pas été respectés. L'atteinte qui y a ainsi été portée a pour conséquence la nullité des opérations de contrôle, du redressement et de la mise en demeure subséquente.

Tout contrôle commence par un avis de contrôle (sauf en cas de travail dissimulé) envoyé au moins trente jours avant la première visite de l’agent chargé du contrôle (CSS, art. R. 243-59, I N° Lexbase : L4373MHG). Il s’agit d’une formalité substantielle en l’absence de laquelle la procédure de contrôle serait empreinte de nullité [1]. En cas de litige, c’est à l’URSSAF à apporter la preuve de l’envoi de ce document [2]. En cas de non-respect de la date de première visite, il incombe à l’inspecteur d’en informer le cotisant « en temps utile et par tout moyen approprié… et de rapporter la preuve de la réception de l’information en cas de recours contentieux ». En un mot, l’inspecteur doit informer le cotisant de la nouvelle date, sans obligation de renvoyer un avis de passage avec les mentions obligatoires [3]. En l’absence de cette information, la procédure de contrôle et le redressement sont nuls.

II. Déroulement du contrôle

2. CA Bordeaux, 14 mars 2024, n° 21/05930 N° Lexbase : A52382WW : un avis de contrôle avait été adressé le 15 décembre 2014 à la société pour un contrôle devant commencer le 3 février 2015. Le même jour (soit le 15 décembre 2014), l'Urssaf avait également adressé à la société un courrier distinct, mentionnant comme objet « Réunion d'ouverture », par lequel le responsable du département « inspection du recouvrement », annonçait une première rencontre fixée 28 janvier 2015, dont il était précisé qu'elle était « préalable à l'intervention » et qu'elle avait pour objet la présentation des deux inspecteurs du recouvrement en charge de la vérification. Le signataire de ce courrier ajoutait : « La méthodologie du contrôle vous sera exposée ainsi que le déroulement des opérations et les modalités d'intervention ». Or, il en ressortait que les membres de la société avaient été interrogés sur les pratiques de l'entreprise en matière de frais professionnels et pour le remboursement des kilomètres effectués pour son compte par les salariés avec leurs véhicules personnels. En interrogeant les cadres de la société en charge des ressources humaines sur plusieurs éléments relatifs à la définition des frais professionnels et avantages bénéficiant aux salariés de l'entreprise, les agents de l’URSSAF avaient engagé les opérations de contrôle, qui n'avaient pourtant été annoncées qu'à compter du 3 février suivant, dès le 28 janvier 2015. Il en résulte que, incorrectement informée de la nature de ce rendez-vous du 28 janvier 2015, la société n'avait pu organiser sa défense utilement, cela en violation du respect du contradictoire. L'irrégularité de la procédure entraînait l'annulation de l'ensemble des mises en demeure et des redressements notifiés.

Faut-il rappeler qu’avant l’heure, ce n’est pas l’heure ! Certes, une réunion de présentation des inspecteurs aux interlocuteurs de la société en charge du contrôle eut été possible. Le problème en l’espèce, est que les salariés de l’entreprise attestaient que la conversation avait dérivé sur les éléments relatifs à la définition des frais professionnels et avantages bénéficiant aux salariés de l'entreprise. La sanction était ici prévisible : la nullité du contrôle…

3. CA Paris, 6-13, 8 mars 2024, n° 19/09142 N° Lexbase : A48372UP : les dispositions de l'article L. 243-13 du Code de la Sécurité sociale N° Lexbase : L2554MGP (limitation de la durée du contrôle dans les TPE) ont été instituées dans l'intérêt des entreprises à faible effectif pour limiter les charges de gestion inhérentes à un contrôle de l'assiette de leurs cotisations et contributions sociales. Le calcul de l’effectif de vingt salariés s’apprécie au moment du contrôle.

Concernant les entreprises de moins de vingt salariés, le contrôle est alors limité à trois mois (renouvelables) avec des exceptions. Toutefois, à quel moment faut-il apprécier cet effectif ? Sur la période contrôlée ou au temps du contrôle ? La réponse de la cour d’appel de Paris est ici très claire. C’est au moment du contrôle qu’il convient de prendre en compte l’effectif, sachant que ces dispositions « ont été instituées dans l'intérêt des entreprises à faible effectif pour limiter les charges de gestion inhérentes à un contrôle de l'assiette de leurs cotisations et contributions sociales « (V. dans le même sens :  CA Paris, 6-13, 25 juin 2021, n° 17/07085 N° Lexbase : A09554XN).

4. CA Nancy, 12 mars 2024, n° 23/01989 N° Lexbase : A81032UN : dans le cadre d’un contrôle par échantillonnage, l'URSSAF n'apparaît pas avoir informé la société à l'issue de l'examen exhaustif des pièces justificatives, correspondant à la troisième phase, des résultats des vérifications effectuées sur chaque individu composant l'échantillonnage et des régularisations envisagées et avoir invité la société à faire part de ses remarques afin que les régularisations soient, le cas échéant, rectifiées. En conséquence la société est fondée à solliciter l'annulation du chef de redressement correspondant.

On sait que depuis le décret n° 2007-546 du 11 avril 2007 N° Lexbase : L9947HUX, à côté de la procédure de contrôle sur place coexistent deux autres types de contrôles :

▪ le contrôle sur pièces, dès lors que l’entreprise concernée occupe moins de onze salariés au 31 décembre de l'année qui précède celle de l'avis de contrôle (CSS, art. R. 243-59-3 N° Lexbase : L9077LSY). Ce type de vérification qui ne nécessite pas l’accord du cotisant, peut être opéré dans les locaux des organismes à partir des éléments dont dispose l’organisme et de ceux demandés à l’intéressé ;

▪ le contrôle par échantillonnage et extrapolation prévu par l’article R. 243-59-2 du Code de la Sécurité sociale N° Lexbase : L4375MHI. Selon ce dernier article, le recours à la méthode d'échantillonnage et d'extrapolation est possible, dans le cadre d’un contrôle de cotisations, sauf opposition écrite de l'employeur dans les quinze jours avant le début de la vérification. Ce contrôle comporte quatre phases et est considéré comme compliqué, imprécis, et source de contentieux. D’ailleurs, force est de constater que maintes décisions rendues par les juridictions du fond se sont révélées défavorables aux URSSAF, essentiellement pour non-respect de la procédure contradictoire [4].

Justement, il était reproché ici à l’URSSAF de ne pas avoir informé la société à l'issue de l'examen exhaustif des pièces justificatives, correspondant à la troisième phase, des résultats des vérifications effectuées sur chaque individu composant l'échantillonnage et des régularisations envisagées.

Cette décision n’est pas sans rappeler de précédents arrêts où l’URSSAF ne justifiait pas de la communication à l'employeur des résultats de l'étude exhaustive de l'échantillon à l'issue de la phase 3, ni de ce que le cotisant avait été invité à présenter ses remarques sur ce point. Dans ces conditions, le principe du contradictoire n'avait pas été respecté, ce qui entraînait la nullité de la procédure de redressement [5].

III. Mise en demeure

5. TJ de Lyon, 7 mars 2024, n° 19/03342 N° Lexbase : A85792TW : contrairement à la contrainte, la mise en demeure préalable n'est pas de nature contentieuse et n'est donc pas soumise aux règles de notification des actes de procédure civile. La validité d'une mise en demeure adressée par lettre recommandée n'est pas soumise à sa réception effective ou à la signature de l'accusé de réception par le cotisant. Il est constant que le défaut de réception par son destinataire d'une mise en demeure adressée par lettre recommandée avec avis de réception n'affecte ni la validité de celle-ci, ni la validité des actes de poursuite subséquents.

Rappelons que dès lors que l’URSSAF justifie de l’envoi de la mise en demeure par courrier recommandé avec accusé de réception, le défaut de réception effective par le cotisant de cette mise en demeure n’est pas susceptible d’affecter ni la validité de celle-ci, ni la validité de la procédure de redressement [6].

6. CA Paris, 15 mars 2024, n° 20/06509 N° Lexbase : A30392WH : lorsque l'employeur ou le travailleur indépendant a répondu aux observations avant la fin du délai imparti, la mise en recouvrement des cotisations, des majorations et pénalités faisant l'objet du redressement ne peut intervenir avant l'expiration de ce délai et avant qu'il ait été répondu par l'inspecteur du recouvrement aux observations de l'employeur ou du travailleur indépendant. Une mise en demeure adressée à la société avant l'expiration du délai de trente jours imparti à celle-ci pour répondre à la lettre d'observations ou avant qu'il ait été répondu par l'inspecteur du recouvrement aux observations du cotisant, est entachée de nullité, de sorte qu'elle ne peut fonder l'action en recouvrement des cotisations litigieuses par l'URSSAF.

On peut, légitimement s’interroger sur les conséquences du non-respect du délai de réponse de trente jours (éventuellement renouvelables) par l’URSSAF. Dans un arrêt du 2 juillet 1984, la Chambre sociale a, logiquement, décidé que la mise en demeure adressée à un employeur moins de trente jours (éventuellement renouvelables) après les observations de l’organisme était nulle [7]. De même, la mise en demeure ne peut intervenir avant qu’il ait été répondu par l’inspecteur du recouvrement aux observations de l’employeur. Faute de respecter cette obligation, la mise en demeure serait nulle [8].

7. CA Aix-en-Provence, 19 mars 2024, n° 22/14749 N° Lexbase : A62412W3 : l'annulation d'une mise en demeure remplacée par une autre pour régulariser la procédure de recouvrement à la suite du redressement notifié par lettre d'observations ne suppose pas que le redressement lui-même est infondé.

Une URSSAF peut-elle régulariser une mise en demeure nulle par l’envoi d’une nouvelle mise en demeure faite dans le respect de la procédure cette fois ? La réponse ne semble guère évidente et a donné lieu à peu de jurisprudence. Toutefois, la jurisprudence a répondu positivement à cette interrogation, et ce d’autant que la mise en demeure ne constitue pas un acte de procédure (Cass. civ. 2, 6 juillet 2017, n° 16-19.384, F-P+B N° Lexbase : A8348WLR - une URSSAF peut régulariser une mise en demeure nulle (pour non-respect de la procédure contradictoire) par l’envoi d’une nouvelle mise en demeure faite dans le respect de la procédure : CA Amiens, 8 avril 2021, n° 18/04145 N° Lexbase : A83304NT – CA Rennes, 17 avril 2024, n° 20/00527 N° Lexbase : A4365288).

8. TJ Bobigny, 10 avril 2024, n° 23/00620 N° Lexbase : A060428U : les montants réclamés au titre du redressement ne portent pas exclusivement sur des cotisations du régime général, mais également sur la CSG/CRDS, le versement mobilité et la contribution au dialogue social alors que la mise en demeure ne comporte aucune référence à ces différentes contributions obligatoires. Dès lors, la mise en demeure sur laquelle se fonde l’URSSAF et qui n’informe pas suffisamment le cotisant sur la nature des cotisations réclamées sera annulée de même que les redressements y afférents.

Cet arrêt est à verser au dossier du contenu de la mise en demeure. Suivant l’arrêt dit « Deperne », « la mise en demeure, qui constitue une invitation impérative adressée au débiteur d’avoir à régulariser sa situation dans le délai imparti, et la contrainte délivrée à la suite de cette mise en demeure restée sans effet, doivent permettre à l’intéressé d’avoir connaissance de la nature, de la cause et de l’étendue de son obligation; qu’à cette fin il importe qu’elles précisent, à peine de nullité, outre la nature et le montant des cotisations réclamées, la période à laquelle elles se rapportent, sans que soit exigée la preuve d’un préjudice » (Cass. soc., 19 mars 1992, n° 88-11.682 N° Lexbase : A1077AA7). On notera cette position très ferme de la Chambre sociale suivant laquelle ce formalisme doit être respecté « à peine de nullité », « sans que soit exigée la preuve d’un préjudice ». Le décret n° 2007-546 du 11 avril 2007 a inscrit dans l’article R. 244-1, alinéa 1 du Code de la Sécurité sociale, les obligations de l’arrêt « Deperne ».

Qui plus est, la nature de l’obligation renvoie à ses caractéristiques. Bien qu’aucune définition ne soit donnée de cette notion, on pourrait considérer qu’il s’agit de la « nature des dettes du cotisant » [9].

On notera que selon l’article L. 244-2, alinéa 2 du Code de la Sécurité sociale N° Lexbase : L6932LN3, « le contenu de l'avertissement ou de la mise en demeure mentionnés au premier alinéa doit être précis et motivé… ».

Or, dans bien des cas, et pour des raisons de simplicité la mise en demeure se contente d’indiquer à la rubrique « Nature des cotisations » la mention « régime général », (ledit régime général étant défini à l’article L. 200-1 du Code de la Sécurité sociale N° Lexbase : L4703MHN et couvrant un certain nombre de risques : maladie, vieillesse, prestations familiales, protection universelle maladie, autonomie), ce qui se révèle bien souvent une inexactitude dès lors que :

▪ le redressement porte pour partie sur la CSG (mentionnée dans les observations p. 6, 10, 12 et 13). Pourtant, la CSG ne constitue pas une cotisation mais un impôt (la CSG crée par la loi de finances n° 90-1168 du 29 décembre 1990 N° Lexbase : L1670I8D est considéré par le Conseil constitutionnel comme un impôt : Cons. const., décision n° 90-285 DC du 28 décembre 1990 N° Lexbase : A8228ACQ, décision n° 2000-437 DC du 19 décembre 2000 N° Lexbase : A1162AIU – V.  TJ de Lille qui a justement annulé une mise en demeure qui indiquait porter sur des cotisations alors que tel n’était pas le cas : TJ de Lille, 12 juillet 2022, n° 20/01497 N° Lexbase : A59038ML).

▪ le redressement comporte des sommes relatives à la contribution d'assurance chômage et l’AGS qui ne font partie du « Régine général » tel que défini à l’article L. 200-1 du Code de la Sécurité sociale. Certes, depuis le 1er janvier 2011, les contributions au régime d'assurance chômage et les cotisations au régime de garantie des salaires (AGS) sont recouvrées par les URSSAF (V. loi n° 2009-1646 du 24 décembre 2009 N° Lexbase : L1205IGQ). Mais cela ne vaut que pour le recouvrement de ces sommes qui, elles, n’ont strictement rien à voir avec le régime général de la Sécurité sociale puisqu’elles ne le financent aucunement [10] ;

▪ la lettre d’observations évoque des « contributions » FNAL. Rappelons ainsi que la contribution FNAL, est recouvrée par l’URSSAF, mais constitue un impôt (Cons. const., décision n° 2014-706 DC, du 18 décembre 2014 N° Lexbase : A7888M7B) ;

▪ le redressement évoque du versement mobilité (CGCT, art. D. 2333-97 N° Lexbase : L5616LXB). Or, ce versement qui vise les entreprises d’au moins onze salariés, est destiné au financement des transports en commun (CGCT, art. L. 2333-68 N° Lexbase : L3968LUI et D. 2333-86 N° Lexbase : L5614LX9). Pratiquement, il constitue un impôt entrant dans la catégorie des impositions de toutes natures [11]. Toutefois, si ce versement constitue un impôt, il résulte de l'article L. 2333-69 du Code général des collectivités territoriales N° Lexbase : L4724I74 que les organismes de recouvrement sont seuls compétents pour procéder aux opérations d'assiette et de recouvrement des dites sommes (CGCT, art. D. 2333-92 N° Lexbase : L5615LXA ; V. Cass. civ. 2, 15 juin 2017, n° 16-12.510, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A2360WIA ; et logiquement, la restitution des sommes indûment versées par l'employeur incombe aux mêmes organismes de recouvrement : Cass. civ. 2, 15 juin 2017, n° 16-12.551, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A6828WHD). Certes, dès lors qu’un redressement concerne le versement mobilité, la mise en demeure peut se limiter la mention « cotisations de Sécurité sociale et versement destiné au financement des services de mobilité ». Encore faut-il que cette mention apparaisse. Et en l’absence de ces précisions minima, il est clair que la mise en demeure serait nulle [12].

Soulignons également que le fait que le cartouche de la mise en demeure « Nature des cotisations : régime général » renvoie à la lettre d’observations ne serait ici strictement d’aucun secours pour rattraper ces insuffisances puisque c’est la mention même de la nature des sommes réclamées (le fait générateur) qui est inexacte, imprécis… L’URSSAF, sauf à sombrer dans l’absurdité ne saurait donc se targuer d’un renvoi à la lettre d’observations alors que c’est la mention même de la « nature » des sommes réclamées qui est fausse.

Malgré ces arguments de poids, il semble que certaines décisions nient l’évidence [13]. À tort selon nous.

9. CA Bastia, 17 avril 2024, n° 19/00341 N° Lexbase : A458328A : la mise en demeure doit inviter l'employeur ou le travailleur indépendant « à régulariser sa situation dans le mois », la mention de ce délai étant prévu à peine de nullité du moyen de recouvrement. Dans la situation en litige, la mise en demeure ne portant aucune mention du délai pendant lequel la société était invitée à procéder au paiement des sommes qui lui étaient réclamées, la personne morale redressée est bien fondée à invoquer la nullité de la procédure de redressement suivie à son encontre par L'URSSAF depuis la lettre d'observation établie.

V. dans le même sens : Cass. civ. 2, 31 mai 2005, n° 03-30.658, FS-D N° Lexbase : A5126DIP ; Cass. civ. 2, 19 décembre 2019, n° 18-23.623, F-P+B+I N° Lexbase : A1285Z9H ; Cass. civ. 2, 12 mars 2020, n° 18-20.008, F-D N° Lexbase : A76713IX ; Cass. civ. 2, 7 janvier 2021, n° 19-22.978, F-D N° Lexbase : A88414B3, 19-23.973 N° Lexbase : A89304BD ; CA Paris, 6-12, 9 septembre 2022, n° 19/06829 N° Lexbase : A80882B8 ; CA Paris, 6-12, 23 septembre 2022, n° 17/11824 N° Lexbase : A90388LC. Peu importe en la matière une simple référence à l’article L. 244-2 N° Lexbase : L6932LN3 : CA Toulouse, 29 avril 2022, n° 19/05496 N° Lexbase : A81387UX – CA Paris, 6-13, 9 décembre 2022, n° 19/10114 N° Lexbase : A61328Z7.

10. TJ Lille, 16 janvier 2024, n° 22/01682 N° Lexbase : A788827B : l'erreur de quelques euros (5 euros avec la somme mentionnée dans la lettre d'observations, par l'effet d'un écart de 2,06 euros pour l'année 2016, de 1,09 euros pour 2017 et 1,03 euros pour 2019 et d'écarts de centimes d'euros manifestement liés à un arrondi à l'unité de la somme due pour 2018, 2020 et 2021) sur le montant dû n'est pas de nature à induire le cotisant en erreur sur la cause, la nature et l'étendue de son obligation.

Certes, cinq euros peuvent paraître minimes (V. dans le même sens CA Rouen, 5 avril 2024, n° 21/04373 N° Lexbase : A100524Y pour 1 euro de différence ou CA Amiens, 27 mars 2023, n° 21/05089, 21 euros de différence en défaveur de la société, entre la lettre d’observations et la mise en demeure – CA Toulouse, 14 juin 2023, n° 21/00325 N° Lexbase : A333193R : la mise en demeure est valide même en cas de différence infime entre le montant de la somme réclamée dans la mise en demeure et le montant de celle figurant dans la lettre d'observations). Il n’empêche que suivant l’article L. 244-2, alinéa 2 du Code de la Sécurité sociale « le contenu de l'avertissement ou de la mise en demeure mentionnés au premier alinéa doit être précis et motivé ». En l’espèce, peut-on considérer que le montant soit précis ? Sauf à retirer le sens des mots, précis veut dire « exact » selon la définition du Larousse. Or, ici, force est de constater que ce montant n’est pas exact. Qui plus est, admettre un tel raisonnement ne revient-il pas à cautionner la notion « d’enrichissement sans cause » pour les organismes de recouvrement !

IV. Commission de recours amiable

11. CA Rennes, 10 avril 2024, n° 22/00433 N° Lexbase : A711424A : l'article L. 231-1 du Code des relations entre le public et l'administration N° Lexbase : L1842KNK qui dispose que « le silence gardé pendant deux mois par l'administration sur une demande vaut décision d'acceptation » et à l'article R. 142-1-A du Code de la Sécurité sociale N° Lexbase : L4549LUZ dans sa rédaction issue du décret n° 2018-928 du 29 octobre 2018 N° Lexbase : L6292LMY. Toutefois l'article D. 231-2 du Code des relations entre le public et l'administration N° Lexbase : L2032KNL limite à une liste publiée sur un site internet relevant du Premier ministre les procédures pour lesquelles le silence gardé vaut acceptation et selon l'article R. 142-6 du Code de la Sécurité sociale N° Lexbase : L1323LK9 dans sa version applicable (du 13 janvier 2011 au 1er janvier 2019) lorsque la décision du conseil, du conseil d'administration ou de l'instance régionale ou de la commission n'a pas été portée à la connaissance du requérant dans le délai d'un mois, l'intéressé peut considérer sa demande comme rejetée. Il en résulte qu'en tout état de cause, le silence de la commission de recours amiable ne vaut pas acceptation du recours, comme soutenu à tort par l'appelant, mais décision implicite de rejet.

Jurisprudence constante : le cotisant ne peut se prévaloir d'une décision implicite d'acceptation de sa demande à raison du silence gardé par la commission de recours amiable de la caisse, le renvoi opéré par l'article R. 142-1-A au Code des relations du public avec l'administration ne pouvant remettre en cause les dispositions particulières de l'article R. 142-6 du Code de Sécurité sociale qui présentent un caractère dérogatoire au principe général de silence valant acceptation de l'article L. 213-1 du CRPA [14].

V. Délais de paiement

12. CA Besançon, 5 mars 2024, n° 23/00066 N° Lexbase : A51102W8 : s’agissant des délais de paiement, les dispositions de l'article 1343-5 du Code civil N° Lexbase : L0688KZI sont inapplicables au litige. L'octroi de délais de paiement relève en effet de la compétence exclusive du directeur de la caisse et non du tribunal, comme le confirme l'article R. 133-9-2 du Code de la Sécurité sociale N° Lexbase : L8086L3U.

Jurisprudence constante. C’est à juste titre que les premiers juges ont retenu que l’octroi de délais de paiement relevait de la seule compétence de l’URSSAF : CA Paris, 6-12, 4 mai 2018, n° 15/01681 N° Lexbase : A3508XMU ; CA Bordeaux, 3 mai 2018, n° 16/05916 N° Lexbase : A2281XMG ; CA Orléans, 16 juillet 2019, n° 17/03712 N° Lexbase : A5628ZKN ; CA Chambéry, 17 octobre 2019, n° 18/02500 N° Lexbase : A4985ZR3 ; CA Chambéry, 14 novembre 2019, n° 19/00385 N° Lexbase : A3490ZYW ; CA Versailles, 12 décembre 2019, n° 17/04778 N° Lexbase : A9149Z7Y ; CA Bordeaux, 12 novembre 2020, n° 18/00827 N° Lexbase : A503834D ; CA Basse-Terre, 23 novembre 2020, n° 18/00879 N° Lexbase : A4831373 ; CA Aix-en-Provence, 19 novembre 2021, n° 20/05001 N° Lexbase : A35137C4 ; CA Metz, 27 février 2023, n° 21/01658 N° Lexbase : A24909HP.

VI. Contrainte et opposition à contrainte

13. CA Paris, 15 mars 2024, n° 20/06509 N° Lexbase : A30392WH : le cotisant peut former une opposition à contrainte alors même qu'il n'a formé aucun recours contre la mise en demeure devant la commission de recours amiable de l'Urssaf dans le mois suivant la notification de la mise en demeure en application de l'article R. 142-18 du Code de la Sécurité sociale N° Lexbase : L4553LU8. Seule une décision de la commission de recours amiable devenue définitive ne peut être remise en cause par voie d'opposition à contrainte. En outre, il résulte des articles R. 133-3 N° Lexbase : L6987MD7, R. 142-1 N° Lexbase : L1326LKC et R. 142-18 du Code de la Sécurité sociale, dans leur rédaction applicable au litige, que le cotisant qui n'a pas contesté la mise en demeure devant la commission de recours amiable peut, à l'appui de l'opposition à la contrainte décernée sur le fondement de celle-ci, contester la régularité de la procédure et le bien-fondé des causes de la contrainte.

Rappelons trois points fondamentaux :

▪ il résulte de la combinaison des articles R. 133-3 et R. 142-1 du Code de la Sécurité sociale, que les organismes de recouvrement du régime général conservent la possibilité de décerner une contrainte nonobstant la saisine de la commission de recours amiable (CA Versailles, 19 décembre 2019, n° 18/00795 N° Lexbase : A8122Z8C) ;

▪ dès lors, la décision de la commission est devenue définitive, sa contestation en justice, pour quelque motif que ce soit, est irrecevable (CA Paris, 6 décembre 2019, n° 15/00788) ;

▪ le cotisant qui n'a pas contesté la mise en demeure devant la commission de recours amiable peut, à l'appui de l'opposition à la contrainte décernée sur le fondement de celle-ci, contester la régularité de la procédure et le bien-fondé des causes de la contrainte (Cass. soc., 22 septembre 2022, n° 21-10.105, FS-B N° Lexbase : A25408KB et n° 21-11.862, FS-B N° Lexbase : A25488KL).

14. TJ de Marseille, 8 avril 2024, n° 23/02800 N° Lexbase : A258824M : l’opposition à contrainte demeure recevable si la lettre a été adressée dans le délai de quinze jours, même si elle est reçue postérieurement. En conséquence, le respect du délai impératif de quinze jours ouvert au cotisant est apprécié au regard de la date d'expédition de la lettre d'opposition, le cachet de [X] faisant foi.

Jurisprudence constante : Comm. 1° instance Metz, 19 janvier 1962, Sté S c. CAF de Moselle ; CA Aix-en-Provence, 2 février 2018, n°17/08174 N° Lexbase : A5009XCI.

VII. Travail dissimulé

15. CA Amiens, 18 avril 2024, n° 22/04976 N° Lexbase : A5551284 : s’il procède du constat d'un travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié, le redressement effectué par l'URSSAF a pour objet exclusif le recouvrement des cotisations afférentes à l'emploi, sans qu'il soit nécessaire d'établir l'intention frauduleuse de l'employeur, laquelle est requise pour caractériser l'infraction pénale.

Jurisprudence constante : CA Paris, 6-13, 17 mars 2023, n° 18/02689 N° Lexbase : A52739KI.

 

[1] Cass. civ. 2, 10 juillet 2008, n° 07-18.152, F-P+B N° Lexbase : A6354D99 ; CA Paris, 6-13, 30 novembre 2018, n° 16/02489 N° Lexbase : A6717YN4 et n° 16/02494 N° Lexbase : A6909YN9.

[2] CA Paris, 6-12, 21 décembre 2017, n° 15/11353 N° Lexbase : A7015W8C, 15/11357 N° Lexbase : A6291W8I et 15/11361 N° Lexbase : A6622W8R.

[3] Cass. civ. 2, 15 mars 2018, n° 17-13.409, F-P+B N° Lexbase : A2114XHR ; CA Limoges, 22 mai 2018, n° 17/01051 N° Lexbase : A8335XNZ.

[4] V. Cass. civ. 2, 19 juin 2014, n° 13-19150, F-P+B N° Lexbase : A5813MRQ ; V. également : CA Bordeaux, 26 juin 2014, n° 12/04648 N° Lexbase : A9821MR8 – CA Riom, 8 juillet 2014, n° 12/01955 N° Lexbase : A2148MU4 – CA Rennes, 28 janvier 2015, n° 13/07753 N° Lexbase : A4610NAY – CA Agen, 10 février 2015, n° 13/01547 N° Lexbase : A2666NBD – CA Bourges, 29 mai 2015, n° 14/00076 N° Lexbase : A8068NIN – CA Poitiers, 17 juin 2015, n° 14/03089 N° Lexbase : A2350NLM.

[5] CA Lyon, 19 septembre 2023, n° 21/04623 N° Lexbase : A91921HW ; CA Rouen, 11 décembre 2019, n° 18/00071 N° Lexbase : A7815Z7L ; CA Bordeaux, 26 octobre 2023, n° 21/01718 N° Lexbase : A67071QH.

[6] CA Aix-en-Provence, 31 mai 2011, n° 10/00375 N° Lexbase : A0540HT8, 13 septembre 2019, n° 18/10408 N° Lexbase : A4172ZNT – CA Toulouse, 13 septembre 2019, n° 18/01743 N° Lexbase : A4397ZN8 – CA Grenoble, 10 septembre 2019, n° 17/05686 N° Lexbase : A8687ZMP – CA Rennes, 27 novembre 2019, n° 17/06797 N° Lexbase : A7719Z3B – CA Basse-Terre, 9 décembre 2019, n° 18/00832 N° Lexbase : A6279Z7P ; Cass. civ. 2, 24 janvier 2019, n° 17-28.437, F-D N° Lexbase : A3178YUA.

[7] Bull. civ. V., n° 281, V. dans le même sens : Cass. soc., 2 juin 1994, Commune de Steenvorde c. URSSAF de Lille, inédit N° Lexbase : A3458CLN ; Cass. soc., 16 juin 1994, URSSAF de Melun c. SNECMA, inédit N° Lexbase : A3891AAD. V. dans le même sens : CA Caen, 10 avril 2015, n° 12/03512 N° Lexbase : A5393NGT ; CA Aix-en-Provence, 14 mai 2013, n° 11/13873 N° Lexbase : A2187KDD ; CA Amiens, 12 février 2014, n° 13/02605 N° Lexbase : A0923MEW.

[8] CA Amiens, 12 février 2014, n° 13/02605 ; CA Basse-Terre, 13 octobre 2014, n° 13/01122 ; CA Aix-en-Provence, 26 octobre 2016, n° 15/12218 ; CA Aix-en-Provence, 31 août 2017, n° 16/18325. La mise en demeure délivrée, alors même qu’aucune réponse n’avait été apportée aux observations de M. A., au mépris des dispositions de l’article R. 243-59 du Code de la Sécurité sociale, est nulle et de nul effet : CA Agen, 13 février 2018, n° 16/00779.

[9] D. Rigaud, Droit et pratique du contrôle URSSAF, Éd Liaisons, 2003, p. 166.

[10] CA Aix-en-Provence, 9 décembre 2022, n° 21/08307 N° Lexbase : A60488ZZ ; TJ de Besançon, 13 juin 2022, n° 21/00191 N° Lexbase : A59018MI.

[11] Cons. const., décision n° 90-287 DC du 16 janvier 1991 N° Lexbase : A8241AC9 ; T. confl., 7 décembre 1998, n° 3123 N° Lexbase : A3484WAB ; Cass. soc., 10 décembre 1998, n° 97-13.628 N° Lexbase : A3417AB8.

[12] Cass. civ. 2, 14 février 2019, n° 18-10.238, F-D N° Lexbase : A3330YXM ; CA Nancy, 2 mai 2023, n° 22/00011 N° Lexbase : A09149TZ ; CA Saint-Denis de la Réunion, 4 mai 2023, n° 22/00912 N° Lexbase : A95479U7 ; CA Nancy, 13 février 2024, n° 23/01055 N° Lexbase : A92112M4.

[13] V. Cass. civ. 2, 6 avril 2023, n° 21-18.645, F-D N° Lexbase : A62119ND ; CA Grenoble, 30 novembre 2023, n° 22/01598 N° Lexbase : A560717S.

[14] CA Nancy, 10 mai 2022, n° 21/02909 N° Lexbase : A47377WD – CA Dijon, 16 mars 2023, n° 21/00801 N° Lexbase : A82799KT et 22/00012 N° Lexbase : A82459KL.

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