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par Myriam Tourneur, Avocat associé et Cléa Gouzou, Avocat collaborateur, cabinet Factorhy Avocats
le 11 Avril 2024
Mots-clés : congés payés • arrêt maladie • droit européen • report de quinze mois • forclusion • prescription • obligation d’information de l’employeur
L’Assemblée nationale a définitivement adopté le projet de loi « DDADUE » permettant notamment la mise en conformité du droit national avec le droit européen suite aux arrêts retentissants de la Cour de cassation du 13 septembre 2023. La loi ainsi adoptée précise les contours de cette mise en conformité tout en limitant les effets de la jurisprudence de la Haute juridiction.
Suite (et fin ?) de la saga sur les congés payés depuis la série d’arrêts rendus le 13 septembre 2023 [1] par la Cour de cassation ayant considéré que les dispositions du Code du travail relatives au droit à congés payés n’étaient pas conformes au droit de l’Union européenne.
Afin de mettre le droit français en conformité, le Gouvernement a profité du projet de loi « portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière d’économie, de finances, de transition écologique, de droit pénal, de droit social et en matière agricole » dit projet de loi « DDADUE » en y introduisant un amendement visant à modifier les dispositions nationales.
Le texte vise ainsi à adapter le droit français au droit de l’Union européenne tout en limitant les conséquences de la jurisprudence de la Cour de cassation pour les employeurs.
Après avoir passé la navette parlementaire, le texte a finalement été adopté le 10 avril 2024 par l’Assemblée nationale.
Ne manque plus que sa promulgation par le Président de la République (après une éventuelle saisine du Conseil constitutionnel pour examen de la conformité du texte à la Constitution) afin qu’employeurs et salariés ne soient définitivement fixés sur le sort des congés payés acquis durant un arrêt de travail pour maladie ou accident d’origine non professionnelle.
Concrètement, que prévoit le texte adopté ?
1. La suppression de la limite d’un an pour l’acquisition des congés payés en cas de maladie ou accident d’origine professionnelle
Le texte prévoit que l’acquisition de congés payés par les salariés dont le contrat de travail est suspendu en raison d’un arrêt de travail pour accident du travail ou maladie d’origine professionnelle n’est plus limitée à une durée d’absence d’une année ininterrompue (modification de l’article L. 3141-5 du Code du travail N° Lexbase : L6944K93).
Précisons que ces salariés continueront d’acquérir pendant toute la durée de leur absence des congés payés à hauteur de 2,5 jours ouvrables par mois, soit 30 jours ouvrables par période de référence (contrairement aux salariés en arrêt d’origine non professionnelle cf. ci-après).
Précisions également que cette différence de traitement induite par le texte entre les salariés en arrêt de travail pour accident du travail ou maladie d’origine professionnelle et ceux en arrêt maladie d’origine non professionnelle a été validée par deux fois : la première fois par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 8 février 2024 [2], et la deuxième fois, par le Conseil d’ État dans un avis rendu le 11 mars 2024 [3], ce dernier prenant d’ailleurs le soin de rappeler la décision des Sages en confirmant que « les salariés en arrêt pour motif professionnel sont dans une situation différente des salariés en arrêt pour motif non-professionnel ».
2. L’acquisition de congés payés pendant un arrêt maladie d’origine non professionnelle
C’est la mesure phare du texte qui prévoit désormais que les périodes d’arrêt de travail lié à un accident ou une maladie n’ayant pas un caractère professionnel sont assimilées à une période de travail effectif pour l’acquisition des congés payés sans limitation de durée (modification de l’article L. 3141-5 du Code du travail).
3. Une limitation de l’acquisition des congés payés pendant l’arrêt maladie d’origine non professionnelle à quatre semaines par période de référence
Durant ces périodes d’arrêt de travail pour accident ou maladie n’ayant pas un caractère professionnel, le texte prévoit que le salarié acquiert 2 jours ouvrables de congés par mois, dans la limite de 24 jours ouvrables par période de référence (modification de l’article L. 3141-5 du Code du travail).
4. L’instauration d’un mécanisme de report limité des congés acquis
Le texte prévoit que lorsqu’un salarié est dans l’impossibilité, pour cause de maladie ou d’accident, de prendre au cours de la période de prise de congés tout ou partie des congés qu’il a acquis, il bénéficie d’une période de report de quinze mois afin de pouvoir les utiliser et au-delà de laquelle les congés sont perdus.
Le texte prévoit qu’un accord d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, une convention ou un accord de branche peut fixer une durée supérieure de la période de report.
Concernant le point de départ de ce délai de report de quinze mois, le texte distingue deux situations :
5. L’instauration d’une obligation d’information du salarié par l’employeur à son retour d’arrêt
Le texte instaure une obligation d’information pesant sur l’employeur.
Ainsi, au terme d’une période d’arrêt de travail pour cause de maladie ou d’accident, l’employeur porte à la connaissance du salarié, par tout moyen conférant date certaine à leur réception, notamment au moyen du bulletin de paie, dans le mois qui suit la reprise du travail, les informations suivantes :
6. Les règles de calcul de l’indemnité de congés payés adaptées en conséquence
S’agissant du calcul de l’indemnité de congés payés selon la règle dite « du dixième », pour la détermination de la rémunération brute totale, le texte prévoit qu’il est tenu compte du salaire « reconstitué » des absences pour accident ou maladie d’origine non professionnelle, sur la base de l’horaire de travail de l’établissement et dans la limite de 80 % de la rémunération associée à ces périodes.
Attention à ne pas interpréter incorrectement cette précision. En effet, les congés payés ainsi acquis ne s’en trouveraient pas moins bien rémunérés que les congés payés « classiques » dès lors qu’il conviendra dans tous les cas d’appliquer la règle la plus favorable entre celle dite du dixième et celle dite du maintien de salaire.
7. Une rétroactivité de la loi à compter du 1er décembre 2009 et un délai de forclusion
Le texte précise que sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée, ou de stipulations conventionnelles plus favorables en vigueur à la date d’acquisition des droits à congés, les nouvelles règles sont applicables pour la période courant du 1er décembre 2009 à la date d’entrée en vigueur de la loi.
Par ailleurs, le texte instaure un mécanisme de forclusion concernant les salariés toujours en poste à sa date d’entrée en vigueur. Pour ces derniers, toute action en exécution du contrat de travail ayant pour objet l’octroi de jours de congé en application de ladite loi doit être introduite, à peine de forclusion, dans un délai de deux ans à compter de l’entrée en vigueur de ladite loi.
Concrètement, comment fonctionne la période de report de 15 mois ?
Rappelons que dans ce cas, l’employeur dispose d’un mois à compter du retour du salarié pour l’informer de ses droits à congés payés et du délai dans lequel il peut en bénéficier.
Le point de départ de la période de report est ainsi fixé à la date à laquelle le salarié reçoit de l'employeur, après sa reprise du travail, ces informations.
Rappelons que dans ce cas, la période de report débute à la date à laquelle s’achève la période de référence au titre de laquelle les congés ont été acquis si, à cette date, le contrat de travail est suspendu depuis au moins un an en raison de la maladie ou de l’accident.
L’illustration ci-dessus permet de comprendre le mécanisme du texte visant à limiter les effets de la jurisprudence de la Cour de cassation du 13 septembre 2023.
En effet, le mécanisme mis en place empêche le salarié absent pour maladie depuis plusieurs années de cumuler des congés payés de manière illimitée au titre des périodes d’acquisition successives.
Le Gouvernement a sur ce point tenu la promesse faite aux entreprises de limiter l’impact financier de la mise en conformité du droit national.
Ce mécanisme de limitation des effets de la jurisprudence s’ajoute aux autres leviers de sécurisation dont s’est saisi le législateur, qui rappelons le, sont :
Il convient de souligner que si le texte ne prévoit pas le cas du salarié sorti des effectifs à la date d’entrée en vigueur de la loi, c’est tout simplement parce que concernant ce dernier, les règles de prescription de droit commun trouveront à s’appliquer.
Ainsi, conformément à l’article L. 3245-1 du Code du travail, l’indemnité de congés payés étant une créance salariale, ce dernier aura 3 ans pour agir à compter de la rupture de son contrat de travail pour faire valoir ses droits et uniquement sur le fondement des nouvelles règles applicables issues de la loi, et non plus de la jurisprudence de la Cour de cassation.
En conclusion, le texte ainsi adopté permet selon nous la délicate conciliation entre la mise en conformité du droit national avec le droit européen et l’impératif de sécurité juridique des employeurs français.
[1] Cass. soc., 13 septembre 2023, n° 22-17.340 N° Lexbase : A47891GH, n° 22-17.638 N° Lexbase : A47951GP et n° 22-10.529 N° Lexbase : A47921GL, FP-B+R.
[2] Cons. const., décision n° 2023-1079 QPC du 8 février 2024 N° Lexbase : A06482LL.
[3] CE, avis, 11 mars 2024, n° 408112 N° Lexbase : A01452WB.
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