Lexbase Afrique-OHADA n°71 du 29 février 2024 : Actualité

[Le point sur...] Le nouveau droit OHADA du recouvrement à l’épreuve de l’immunité d’exécution des personnes publiques

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par Charlène Ntsiba, Of Counsel Asafo & Co.

le 29 Février 2024

Après un chantier de près de trois ans durant lequel les créanciers et les praticiens ont pu partager leurs expériences et observations, les États parties à l'Organisation pour l'Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA) ont adopté le 17 octobre 2023 à Kinshasa le texte révisant l'Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d'exécution (AUPSRVE) N° Lexbase : A6607134

Le dispositif législatif encadrant le recouvrement des créances au sein de la zone OHADA a été établi par l'Acte uniforme précédent, adopté le 10 avril 1998 N° Lexbase : A0099YTT. Cependant, son efficacité pratique a été largement critiquée. Parmi les dispositions sujettes à débat, l'article 30 concernant les immunités d'exécution. Cet article avait suscité des discussions en raison de sa rédaction peu claire et lacunaire. Cette ambiguïté a entraîné d'importantes difficultés d'interprétation et de mise en œuvre dans l'ensemble des pays membres de l'OHADA.

Peu de projets d'envergure en Afrique, tels que l'énergie, l'infrastructure, les mines, etc., se déroulent sans l'implication de l'État ou d'au moins un acteur public. Dans ce contexte, les immunités d'exécution accordées aux entités publiques en raison de leur personne (par exemple, la collectivité publique) ou de leur activité (par exemple, le titulaire du service public) ont parfois été perçues comme un obstacle à un climat des affaires serein ou attractif. En effet, bien que l'AUPSRVE ne définisse pas l'expression « immunité d'exception », il est communément admis qu’elle s’interprète comme un obstacle aux mesures mises en place pour recouvrer une créance. En précisant les conditions dans lesquelles un investisseur, qu'il soit national ou international, peut obtenir le paiement de la dette qu’il détient à l’encontre d’une entité publique, le nouvel Acte uniforme contribue à une meilleure compréhension des relations contractuelles entre le secteur public et le secteur privé en Afrique ; une clarification particulièrement utile et qui devrait faciliter certaines négociations avec les États.

Par ailleurs, l'immunité d'exécution a contraint certains créanciers à recourir à des mécanismes de compensation alternatifs, parfois onéreux, afin de se prémunir contre le risque de défaut des entités publiques (telles que l'assurance, la lettre de confort, la lettre de crédit, la garantie gouvernementale, etc.). La clarification du régime de l'immunité au sein de l'espace OHADA était donc grandement attendue.

Conformément à l'article 9 du Traité OHADA N° Lexbase : A9997YS3 et aux dispositions transitoires et finales de l’Acte uniforme, le nouveau texte est entré en vigueur le 16 février 2024, soit quatre-vingt-dix jours après sa publication au Journal officiel de l’OHADA. Pour les besoins de notre analyse, on retiendra qu’en matière d’immunité d’exécution, le nouveau droit du recouvrement OHADA consacre notamment les points clés suivants :

Restriction de l’immunité d’exécution aux personnes morales de droit public

L'Acte révisé apporte d'abord une clarification en ce qui concerne les bénéficiaires de l'immunité d'exécution, en les restreignant aux personnes morales de droit public, définies comme « notamment l'État, les collectivités territoriales et les établissements publics » (art. 30, al. 1er). En effet, l'ancien AUPSRVE ne précisait pas l'identité des bénéficiaires potentiels de l'immunité d'exécution, ce qui a généré de l'ambiguïté pour de nombreux investisseurs. Nous saluons donc la nouvelle formulation de l'acte qui limite l'immunité aux entités publiques.

Le terme « notamment » suggère que la liste des personnes morales de droit public n'est pas exhaustive. Dans une jurisprudence antérieure à l'Acte uniforme révisé, la Cour commune de justice et d'arbitrage a exclu du régime d'immunité les sociétés commerciales dont le capital est détenu par une personne morale de droit public (v. CCJA, 29 avril 2021, n° 076/2021 N° Lexbase : A335143I, entre les membres du collectif ex-personnel de la société ENERCA SA contre la Société Énergie Centrafricaine).

Possibilité de renonciation expresse par les personnes publiques à l’immunité d’exécution 

Les récentes modifications apportées à l'alinéa 1 de l'article 30 de l'AUPSRVE ouvrent la voie à l'insertion de clauses de renonciation expresse à l'immunité d'exécution dans les accords conclus avec les entités publiques. Cette évolution représente une avancée significative pour l'attrait des transactions au sein de la zone OHADA, car l’ancienne rédaction ne prévoyait qu'un seul assouplissement au principe de l'immunité d'exécution, à savoir la compensation des dettes réciproques.

Auparavant, l'absence d'un cadre légal clair suscitait des incertitudes quant à la validité et à l'efficacité des clauses de renonciation aux immunités en droit OHADA, bien qu'elles aient déjà été acceptées dans la pratique. Par exemple, les banques commerciales et multilatérales incluaient déjà des stipulations écrites de renonciation expresse aux immunités d'exécution (et de juridiction !) de la part de l'État dans leurs documents de financement, tels que les accords directs et les garanties publiques.

Il est cependant important de noter que l'AUPSRVE révisé maintient l'exigence d'une renonciation expresse à l'immunité d'exécution sans préciser ses modalités. En comparaison, la Convention des Nations unies sur les immunités juridictionnelles des États requiert que le consentement porte expressément sur une affaire ou une matière déterminée, excluant toute renonciation générale. Bien que ce consentement puisse être exprimé dans un accord international, un contrat écrit, une déclaration devant le tribunal, ou une communication écrite dans une procédure spécifique (Convention des Nations unies, article 7, § 1), il est souligné que la simple participation à une procédure judiciaire ne constitue pas une renonciation (CCJA, 11 novembre 2014, n° 136/2014 N° Lexbase : A1248WRN).

L’inscription des créances au budget de la personne publique

Le premier paragraphe du nouvel article 30-1 de l'AUPSRVE révisé prévoit que les créances contractées par les personnes morales de droit public et constatées par un titre exécutoire ou résultant d'une reconnaissance de dette, peuvent être inscrites dans le budget de la personne concernée. Ainsi, un créancier a la possibilité de mettre en demeure l'organe dirigeant ou l'autorité compétente en vue d'obtenir un remboursement. Si cette mise en demeure reste sans effet après un délai de trois mois, le créancier peut alors demander une inscription d'office dans les comptes de l'exercice et dans le budget de la personne publique débitrice, au titre des dépenses obligatoires.

Cette demande d’inscription devra être adressée au ministre chargé des Finances et se composera des pièces justificatives de la créance (titre exécutoire ou reconnaissance de dette, et preuve de la mise en demeure). Les créances inscrites porteront de plein droit intérêt au taux légal en vigueur à compter de la mise en demeure.

Bien que ces dispositions soient favorables aux créanciers, leur efficacité devra néanmoins être démontrée à la lumière des contraintes administratives et budgétaires spécifiques à chaque État partie. Seul le temps permettra d'évaluer la mise en œuvre du nouvel AUPSRVE.

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