Lexbase Afrique-OHADA n°71 du 29 février 2024 : Assurances

[Jurisprudence] Inapplicabilité des Actes uniformes à une cession d’actions d’une société d’assurances autorisée par un organe de la CIMA

Réf. : CCJA, 27 avril 2023, n° 101/2023 N° Lexbase : A59222DP

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N8540BZC

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[Jurisprudence] Inapplicabilité des Actes uniformes à une cession d’actions d’une société d’assurances autorisée par un organe de la CIMA. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/105159968-jurisprudence-inapplicabilite-des-actes-uniformes-a-une-cession-dactions-dune-societe-dassurances-au
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par Falilou Diop

le 29 Février 2024

Solution : Une cession d’actions effectuée à la suite d’une décision émanant d’un organe de la Conférence interafricaine des marchés d’assurances ne relève ni des Actes uniformes de l’OHADA, ni des Règlements prévus par le Traité OHADA, mais plutôt du droit des assurances régies par le Traité CIMA. Une telle cession serait par conséquent exclue de la compétence des juridictions nationales. 

Observations : Les recoupements entre les domaines de compétences des multiples organisations régionales du droit en Afrique sont fréquents. À l’heure actuelle, en l’absence de règles de solutions des conflits de conventions, l’articulation des compétences s’effectue essentiellement selon les principes du « bon voisinage ». La CCJA de l’OHADA évite ainsi régulièrement d’empiéter sur le domaine couvert par les organisations voisines. Mais ce rapport de bon voisinage saurait-il perdurer ? C’est l’une des questions, parmi tant d’autres, que soulève l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt n° 101/2023 de la CCJA. L’arrêt rapporté offre ainsi à la Haute Cour de l’OHADA une nouvelle opportunité de se prononcer sur la question de l’applicabilité des dispositions issues de son organisation à la matière des assurances. 

L’articulation des dispositions de l’OHADA avec celles de la Conférence interafricaine des marchés d’assurances (CIMA) suscite de nombreuses questions. L’espace de ces quelques observations serait évidemment trop étroit pour les épuiser. Il suffit néanmoins de relever que la CCJA a pu intervenir sur les liens multiples entre les Traités qui mettent en place les deux organisations. C’est précisément à propos de l’application du Code CIMA qu’elle rendit son arrêt de principe en date du 16 mai 2013, dont il ressort en substance que « l’article 10 du Traité OHADA qui dispose que "les actes uniformes sont directement applicables et obligatoires dans les États parties nonobstant toute disposition contraire de droit interne antérieure ou postérieure" n’est pas applicable lorsque la norme est issue d’une convention internationale[1] ». Elle jugeait également, par un arrêt du 29 mars 2018, que le contentieux relatif à la gouvernance des sociétés d’assurance est régi par le Code CIMA et ne soulève aucune question relative à l’application des Actes uniformes[2]. D’autres arrêts se sont intéressés à la matière de l’arbitrage[3], ou à la résiliation d’un contrat entre une société d’assurance et une société commerciale[4]. Les décisions concernant les rapports entre le Code CIMA et les actes uniformes font donc légion. 

L’arrêt rapporté présente cependant quelques particularités. Le litige au principal implique une société financière et une société d’assurances qui détiennent toutes les deux des actions dans une seconde société d’assurances. En 2010, la première société d’assurances rencontrait des difficultés ayant donné lieu à plusieurs mesures à son égard en vue de son redressement. L’assemblée générale de la seconde société d’assurances décida alors, à l’unanimité, de céder les actions détenues en son sein par la société en difficulté. La cession avait été autorisée par la Commission régionale de contrôle des assurances (CRCA) qui est un organe de la CIMA. Soulignons en revanche que l’acte de cession des actions de la société est réalisé par les parties et postérieurement à l’autorisation de la CRCA. 

La société financière, coactionnaire de la société d’assurances dont les actions ont été cédées, assigna la société d’assurances qui avait initié l’opération de cession ainsi que la seconde société financière cessionnaire. Devant le tribunal de commerce d’Abidjan, cette société financière souhaitait, d’une part, entendre prononcer la nullité de la délibération de l’assemblée générale décidant la cession et, d’autre part, celle de la cession d’actions qui s’ensuivit. Sa demande a été partiellement accueillie par ce tribunal. Par la suite, la cour d’appel de commerce d’Abidjan infirma le jugement querellé et se déclara incompétente au motif que la cession en question relevait de la compétence des organes de la CIMA.  

C’est cette incompétence déclarée par la cour d’appel qui est l’objet du pourvoi devant la CCJA. Deux questions essentielles étaient soulevées dans ce pourvoi. La première était relative à la qualification de l’acte de cession : s’agit-il d’actes de commerce au sens de l’article 3 de l’Acte uniforme relatif au droit commercial général N° Lexbase : L3037LGL ? La seconde était quant à elle relative à la compétence de la juridiction nationale du fond et, par voie de conséquence, celle de la CCJA. Ces juridictions peuvent-elles connaître d’une cession d’actions autorisée par un organe de la Conférence interafricaine des marchés d’assurances ? Précisons à titre liminaire que l’acte de cession d’actions en lui-même se distingue de l’acte de l’organe de la CIMA qui l’autorise. Il convient d’abord d’analyser la qualification de la cession d’actions d’une société d’assurances devant la CCJA, avant d’évoquer la compétence des juridictions nationale et de la CCJA pour en connaître. 

Sur la qualification de la cession d’actions. La question soumise à la CCJA était de savoir si une cession d’actions d’une société d’assurances autorisée par un organe de la CIMA peut être qualifiée d’acte de commerce en application de l’article 3 de l’Acte uniforme sur le droit commercial général (AUDCG), précité. La réponse à cette première question était déterminante quant à l’issue de l’affaire soumise à la CCJA. En effet, la qualification d’actes de commerce impliquerait l’application des Actes uniformes et, par voie de conséquence, la compétence de la CCJA en cassation. Pourtant la CCJA ne semble pas avoir jugé nécessaire de lui apporter une réponse. Toutefois, en raison de son importance, cette qualification de l’acte de cession mérite, en notre sens, une certaine attention. L’on se demande en effet si le simple fait que l’activité d’une société d’assurances soit soumise au Code CIMA est de nature à justifier son exclusion du champ de la commercialité défini à l’article 3 de l’AUDCG. Certes, à la lecture de l’article 330 du Code CIMA, « les sociétés d’assurance mutuelle ont un objet non commercial ». Par ailleurs, la CCJA a pu affirmer qu’une question relative à la gouvernance d’une société d’assurances mutuelle n’est pas régie par l’acte uniforme sur les sociétés commerciales, mais par le Code CIMA[5]. La Cour ajoutait cependant qu’au-delà du fait que la société d’assurances soit régie par le Code CIMA, le litige ne soulevait « aucune question relative à l’application d’un acte uniforme ». L’on en déduit qu’il n’est pas exclu qu’un litige puisse être partiellement régi par le Code des assurances et soulève en même temps des questions relatives à l’application des Actes uniformes. C’est cette problématique qui était justement l’objet de la question soumise à la CCJA. 

Le nœud du problème réside en effet dans le point de savoir si les actes accomplis dans le cadre de cette activité d’assurance peuvent être qualifiés d’« actes de commerce » au sens de l’article 3 de l’AUDGC. L’on se demande plus généralement, si l’activité d’assurance et celle des sociétés d’assurances dans l’espace OHADA peuvent se voir appliquer les Actes uniformes. Dans le présent arrêt, la CCJA n’a pas répondu à cette question ; mais, à l’analyse attentive des différentes affaires traitées par cette juridiction relativement à la matière de l’assurance, force est de remarquer que le problème ne réside pas plus dans l’applicabilité ou l’inapplicabilité des Actes uniformes à cette matière que dans la volonté ou, plus précisément, le défaut de volonté de la Cour d’appliquer la législation issue de cette organisation internationale spécialisée. 

Sa jurisprudence sur le sujet est constante et abondante. Elle se traduit généralement par une réticence de la CCJA, voire un refus catégorique d’appliquer le Code CIMA[6]. C’est cette réticence que confirme la Cour dans le présent arrêt. Elle ignore purement et simplement la question de la qualification d’une cession d’actions d’une société d’assurances au regard de l’article 3 de l’AUDCG, alors même qu’elle relève que le « moyen unique [est] tiré de la violation » de cette disposition. 

Réticente à répondre à la question de la qualification de la cession des actions d’une société d’assurances, la Cour transfère le problème sur la compétence. 

Sur la compétence. La CCJA ne se limite pas à écarter sa compétence. En réalité, elle va au-delà de ce que lui permet sa propre compétence. La Cour observe tout d’abord que la cession d’actions a été réalisée à la suite d’une décision émanant d’un organe de la CIMA. Elle relève ensuite que l’approbation donnée par cet organe de la CIMA empêche que la validité de la cession soit mise en cause devant les juridictions nationales. Cette dernière affirmation est doublement étonnante. 

En effet, la Cour relève tout d’abord qu’« il est établi que la cession d’actions a été faite à la suite d’une décision émanant de la CRCA, un organe de la Conférence Internationale des Marchés d’Assurances, dite CIMA ». Il en résulte que la décision autorisant la cession est antérieure à l’acte de cession en lui-même. La Cour relève ensuite que cette autorisation « donnée par la Commission quant à cette cession, empêche que la validité de ladite cession soit mise en cause devant les juridictions nationales ». L’on, se demande alors devant quelle autorité juridictionnelle la régularité de la cession pourra être contestée. 

En effet, l’acte de l’organe de la CIMA autorisant la cession se distingue de l’acte de cession. Or, si la CIMA prévoit les voies de recours contre les actes pris par ses organes, elle ne propose aux particuliers aucune voie pour contester les actes accomplis en application des actes desdits organes. Les deux étant distincts, ces derniers ne pourraient être contestés que devant les juridictions nationales.   

Le raisonnement de la Cour ne manque pas d’étonner. Pour exprimer l’incompétence des juridictions nationales pour connaître d’un tel acte de cession, la CCJA applique l’article 48 du Traité CIMA. Or, elle se refuse habituellement d’appliquer les dispositions issues de cette organisation. Le plus étonnant reste néanmoins le fait que la CCJA se prononce directement sur la compétence des juridictions nationales alors même qu’elle se déclare incompétente pour connaître de la situation considérant qu’elle ne présenterait aucun lien avec le droit OHADA. Ce faisant, la Cour outrepasse ses compétences, car dans la mesure où elle se déclare incompétente pour connaître de l’affaire qui lui est soumise, elle ne pouvait pas au surplus se prononcer sur la compétence des juridictions nationales. Cette question de la compétence des juridictions nationales ne relève ni des attributions de la CCJA, encore moins du domaine des Actes uniformes, mais de l’autonomie institutionnelle et procédurale des États membres.

Par ailleurs, l’on remarquera non seulement que, dans cette affaire, la CCJA outrepasse ses propres compétences, mais elle consacre également une lecture de l’article 48 du Traité CIMA qui nous paraît erronée. En effet, cette disposition prévoit que « la validité des actes établis par les organes de la Conférence ne peut être mise en cause que devant le Conseil par voie d’action dans un délai de deux mois à compter de leur publication ou de leur notification ». Il semble toutefois que l’applicabilité de cette disposition suppose que la contestation porte elle-même sur l’acte établi par l’organe de la CIMA. Ce n’était pas le cas en l’espèce. En effet, le litige ne portait pas directement sur la validité de l’acte établi par la CRCA, mais sur la cession d’actions consécutive à cette autorisation. Or, l’autorisation de la cession par un organe de la CIMA ne préjuge pas nécessairement de la validité de cette cession. Il ressort ainsi de cette lecture que cette disposition n’exclut pas la compétence des juridictions nationales pour apprécier la validité de la cession des actions en elle-même, ce qui n’implique aucunement l’appréciation de la validité de la décision de la CRCA qui la précède.

 

[1] CCJA, 16 mai 2013, n° 040/2013 N° Lexbase : A6945WQB

[2] CCJA, 29 mars 2018, n° 067/2018 N° Lexbase : A4707XLW

[3] CCJA, 27 juin 2019, n° 195/2019 N° Lexbase : A8568ZZD

[4] CCJA, 20 mars 2017, n° 040/2017 N° Lexbase : A1632WLZ

[5] CCJA, 1re ch., 29 mars 2018, n° 067/2018 N° Lexbase : A4707XLW

[6] V. en ce sens, CCJA, 6 décembre 2011, n° 026/2011 N° Lexbase : A3643WQY

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