Lexbase Afrique-OHADA n°71 du 29 février 2024 : Voies d'exécution

[Jurisprudence] Exécution provisoire : Incompétence de la Cour suprême nationale même en application de l’article 16 du Traité OHADA

Réf. : CCJA, 27 avril 2023, n° 100/2023 N° Lexbase : A59232DQ et CCJA, 6 avril 2023, n° 072/2023 N° Lexbase : A34461KT

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par Falilou Diop

le 29 Février 2024

Solution : La juridiction suprême nationale n’est plus apte à exercer la compétence que lui confère l’article 16 du Traité de l’OHADA en matière de sursis à exécution, dès lors que la décision querellée a fait l’objet d’un acte d’exécution forcée conformément à l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution (AUPSRVE) N° Lexbase : L0546LGC. En le faisant, elle interfère dans les attributions du juge des urgences établi par l’article 49 du même Acte uniforme. 

Impact Il en résulte que la Cour nationale de cassation est donc incompétente pour ordonner un sursis à exécution d’une décision de justice, dès lors que celle-ci a fait l’objet d’une mesure d’exécution forcée en application des dispositions de l’Acte uniforme sur les procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution. La compétence pour connaître de telles mesures n’est dévolue qu’au juge des urgences établi par l’article 49 de l’AUPSRVE (il s’agit plus précisément du président du tribunal de la circonscription judiciaire concernée ou le magistrat délégué par lui). 

Observations : Les problèmes à l’origine de ces deux affaires soumises à la CCJA sont relativement similaires. Saisie d’un pourvoi, la Cour de cassation ivoirienne a prononcé la suspension de l’exécution de l’arrêt d’appel. Ce sursis à exécution a été prononcé en considération de la compétence que lui reconnaît la dernière phrase de l’article 16, alinéa premier du Traité institutif de l’OHADA en matière de procédure d’exécution. Toutefois, avant les arrêts de la Cour de cassation ivoirienne, les arrêts d’appel avaient fait l’objet d’une exécution provisoire. Celle-ci avait donné lieu à une saisie attribution pratiquée contre la débitrice et en application des dispositions pertinentes de l’AUPSRVE. 

C’est l’article 32 de l’AUPSRVE qui organise l’exécution provisoire des décisions de justice dans l’espace OHADA. Cette disposition accorde à la partie bénéficiaire d’un jugement, la possibilité d’en poursuivre l’exécution malgré l’effet suspensif des voies de recours. Ainsi, à l’exclusion de l’adjudication des immeubles, l’exécution forcée peut être poursuivie jusqu’à son terme en vertu du titre exécutoire par provision qui constituerait cette décision de justice. L’apport des deux arrêts relevés est plus spécifiquement relatif à la question de la juridiction compétente pour connaître des contestations relatives à cette exécution provisoire, ou pour prononcer un sursis à exécution. Les interrogations soumises à la CCJA se résument ainsi dans l’articulation entre, d’une part, la règle de compétence des juridictions suprêmes nationales en matière de procédures d’exécution, prévue à l’article 16, alinéa premier du Traité OHADA et, d’autre part, celle du juge des urgences encadrée par l’article 49 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution. Ces arrêts viennent donc préciser la portée de la compétence conférée à la Cour nationale de cassation en matière de procédure d’exécution par la dernière phrase de l’article 16, alinéa premier du Traité OHADA. 

En effet, l’article 16, alinéa premier du Traité OHADA a pour objet de principal d’imposer le principe de la suspension de toute procédure de cassation engagée devant les juridictions nationales dès la saisine de la CCJA. Toutefois, la dernière phrase de cette disposition précise que cette règle n’affecte pas les procédures d’exécution. L’imprécision de cette exclusion introduit immédiatement la question de la portée du maintien de la compétence de la juridiction nationale de cassation relativement à de telles procédures.  Elle évoque surtout la question de l’articulation de cette disposition générale du Traité avec les règles de compétence en matière de procédure d’exécution contenues dans les actes uniformes. Il en va ainsi, notamment, de l’article 49 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution. En effet, cette dernière disposition prévoit que le juge des urgences qu’elle institue est compétent pour statuer sur tout litige ou toute demande relative à une mesure d’exécution forcée ou à une saisie conservatoire. Il n’en reste pas moins que l’incompétence des Cours suprêmes nationales pour ordonner le sursis à l’exécution entamée conformément à l’AUPSRVE, cumulée à la compétence exclusive du juge des urgences établi par cet Acte uniforme, réduit la portée de la seconde phrase de l’article 16 du Traité à une proportion excessivement congrue. 

Sur l’incompétence de la Cour suprême nationale. L’article 16, alinéa premier du Traité OHADA précise que la saisine de la CCJA n’affecte pas les procédures d’exécution devant les juridictions nationales de cassation. Cette réserve des procédures d’exécution ainsi que le fait qu’elle soit insérée dans une disposition consacrée à l’articulation de la compétence de la CCJA avec celle des juridictions nationales de cassation, pouvait conduire à plusieurs lectures complémentaires. Elle pouvait être lue en ce sens que les recours concernant les procédures d’exécution ne sont pas concernés par la suspension des procédures devant une Cour nationale de cassation en raison de la saisine de la CCJA. L’on pourrait également en déduire que, lorsque l’exécution d’une décision de justice est contestée devant la Cour nationale de cassation, la saisine de la CCJA n’aurait pas d’incidence sur la poursuite de la procédure engagée devant celle-ci. L’on pourrait donc estimer qu’une juridiction nationale de cassation puisse, en toute hypothèse, être saisie des contestations relatives à une procédure d’exécution. Mais de quelles procédures d’exécution s’agit-il ? Les deux arrêts rapportés viennent s’inscrire dans l’importante jurisprudence précisant que les procédures d’exécution entamées en application des dispositions de l’AUPSRVE n’en font pas partie. 

Sur le plan des principes, l’articulation de ces deux dispositions aurait pu être résolue soit dans le sens de la primauté de l’article 16, alinéa premier du Traité OHADA, soit dans celui du caractère de lex specialis de l’article 49 de l’Acte uniforme. La première option aurait conduit à ce que la saisine de la Cour nationale de cassation écarte la compétence de toute autre juridiction nationale sur la question de l’exécution de la décision d’appel déferrée. Une telle solution serait alors justifiée par la portée de cette exclusion qui ne distingue pas selon la base de la procédure d’exécution en cause devant la Cour suprême nationale. Ce n’est pas l’option retenue par la CCJA. Celle-ci a préféré consacrer la priorité de la lex specialis (AUPSRVE, art. 49) sur la seconde phrase de l’article 16, alinéa premier du Traité. En revanche, cette option n’est pas dépourvue de logique. Sans que la Cour ne le précise, elle peut notamment se prévaloir du caractère dérogatoire de la seconde phrase de l’article 16, alinéa premier du Traité. Ce caractère dérogatoire implique, en principe, qu’une interprétation stricte doive lui être réservée. 

Ainsi, la confrontation entre la compétence reconnue à la juridiction suprême nationale en matière de procédure d’exécution par l’article 16 du Traité et celle reconnue au juge des urgences par l’article 49 de l’AUPSRVE, a été dénouée en faveur de cette dernière. Précisons à cet égard que la jurisprudence, affirmant l’incompétence des Cours suprêmes nationales pour prononcer un sursis à l’exécution des décisions frappées d’un pourvoi, est abondante. Le remarquable, est que cette incompétence des Cours nationales de cassation en matière de sursis à exécution, concerne spécifiquement les décisions rendues exclusivement en application du droit national. Par hypothèse, celles qui sont rendues en application du droit OHADA échappent à sa compétence en vertu de l’article 14 du Traité. Par ailleurs, la CCJA a régulièrement jugé contraire aux articles 32 et 49 de l’AUPSRVE, le fait pour une Cour de cassation d’ordonner un sursis à l’exécution d’une décision de justice lorsqu’un acte d’exécution a déjà été réalisé en application des dispositions de cet acte uniforme [1]. Il en est de même lorsque l’exécution est simplement entamée au moment où l’arrêt de la juridiction suprême nationale intervient [2]. Le fait que la mesure d’exécution provisoire concerne une décision de justice ayant fait l’objet d’un pourvoi devant la Cour nationale de cassation, est donc sans incidence sur la possibilité de son exécution provisoire en application de l’article 32 de l’AUPSRVE. Il résulte dès lors de cette disposition que, lorsqu’une exécution forcée est entamée, les juridictions suprêmes nationales ne peuvent plus exercer leur compétence en application de l’article 16 du Traité [3].

Sur la compétence exclusive du juge des urgences de l’article 49 de l’AUPSRVE. Le sens de la décision de la CCJA dans les deux arrêts rapportés est que le sursis à l’exécution provisoire d’une décision ne peut être prononcé par la Cour suprême nationale dès lors qu’une exécution est entamée en application des dispositions de cet Acte uniforme.  En effet, une fois l’exécution entamée en application de ces dispositions, seul le juge des urgences établi par l’article 49 de ce dernier peut connaître des contestations y relatives. Deux conséquences s’en déduisent principalement. Une première est que même la décision de justice ayant fait l’objet d’un pourvoi en cassation constitue un titre exécutoire par provision pouvant donner lieu à une mesure d’exécution provisoire, conformément à l’article 32 de l’AUPSRVE. Une seconde est que la procédure d’exécution d’une décision de justice en application des dispositions de l’AUPSRVE est autonome vis-à-vis de la procédure principale pendante devant la juridiction suprême. 

Par ailleurs, le fait que la requête destinée à obtenir un sursis à exécution soit antérieure à la mesure d’exécution entamée par le créancier, est sans incidence sur cette compétence exclusive du juge des urgences de l’article 49 de l’AUPSRVE. La CCJA ne prend en compte que la date de l’arrêt de cassation prononçant le sursis à exécution. De ce point de vue, la solution de la CCJA semble critiquable, mais elle n’est pas surprenante. 

Elle est critiquable, en ce sens qu’elle permet à la partie défenderesse devant la juridiction nationale de cassation, de faire échec à toute requête destinée à obtenir une suspension de l’exécution de la décision déférée, en entamant une procédure parallèle d’exécution conformément aux dispositions de l’Acte uniforme. Or, dans l’hypothèse où la procédure principale n’implique qu’une application du droit national, il semble que les cours suprêmes nationales soient, du point de vue de la proximité juridique, les mieux placées pour apprécier la nécessité d’un sursis à exécution. 

Toutefois la solution n’est pas surprenante. Elle ne l’est pas, en ce sens qu’elle est de nature à promouvoir l’application des dispositions issues des actes uniformes au détriment des dispositions nationales. La Cour précise d’ailleurs en conclusion de son raisonnement dans les deux arrêts, que sa décision est prise « dans l’intérêt bien compris de l’ordre juridique communautaire ».  Il en résulte que, dans le cadre d’une procédure judiciaire, le créancier en faveur duquel une décision a été rendue, a tout intérêt à en entamer immédiatement l’exécution en application des dispositions de l’AUPSRVE. Une telle exécution aurait pour effet d’extraire la procédure d’exécution provisoire de l’ordre juridictionnel national pour l’intégrer entièrement dans la structure juridictionnelle de l’OHADA. Cela reste possible alors même que la procédure principale n’impliquerait pas une application du droit issue de l’OHADA. Sur le plan procédural, l’exécution ainsi entamée ne pourrait alors être contestée que devant le juge des urgences de l’article 49 de l’AUPSRVE. La décision de ce dernier n’est susceptible d’appel que dans un délai de quinze jours à compter de son prononcé. Par ailleurs, en application de l’article 14 du Traité OHADA, le pourvoi contre cette décision d’appel ne pourra être porté que devant la CCJA. 

Sur la portée de la compétence des cours suprêmes nationales prévue à l’article 16 du traité. À l’issue de ces observations, une question essentielle se pose. Que reste-t-il de l’effet utile de la seconde phrase de l’article 16, alinéa premier du traité OHADA ? En réalité, l’arrêt n° 072/2023 et l’arrêt n°100/2023 de la CCJA vident cette phrase et surtout la réserve qu’elle consacre de l’essentiel de son intérêt. En effet, il ressort des observations précédentes que le maintien de la compétence d’une Cour nationale de cassation en matière de procédure d’exécution ne serait pertinent que dans l’hypothèse où la mesure d’exécution est réalisée en application des dispositions nationales. En réalité seule cette hypothèse permet d’exclure la compétence exclusive du juge des urgences établie par l’article 49 de l’AUPSRVE. 

Une autre hypothèse de compétence des juridictions suprêmes nationales est celle dans laquelle le sursis à exécution est prononcé antérieurement à toute mesure d’exécution. Néanmoins, cette hypothèse ne concerne pas l’application des dispositions de l’acte uniforme sur les procédures de recouvrement, encore moins celle de l’article 16 du Traité. En effet, l’applicabilité même de l’article 16 du traité suppose la saisine de la CCJA. Or, la compétence de la juridiction communautaire exclut celle des juridictions nationales de cassation dans la procédure principale. Les arrêts rapportés ainsi que la jurisprudence dans laquelle ils s’inscrivent écartent la compétence « résiduelle » de ces juridictions en matière d’exécution. 

En définitive, la dernière phrase de l’article 16, alinéa premier du Traité n’aurait donc vocation à s’appliquer que dans l’hypothèse d’une procédure d’exécution réalisée exclusivement en application du droit national, cette hypothèse restant excessivement marginale. Dès lors, les Cours nationales de cassation n’auront pratiquement jamais l’occasion d’exercer leur compétence en matière d’exécution provisoire en application de cette disposition du Traité.

 

[1] V. en application de l’article 32 de l’AUPSVRE, CCJA, 1re ch., 12 mars 2020, n° 076/2020 N° Lexbase : A83383LE

[2] CCJA, 2e ch., 27 février 2014, n° 017/2014 N° Lexbase : A7028WQD

[3] V. dans le même sens, CCJA, 2e ch., 25 juin 2020, n° 211/2020 N° Lexbase : A856333K

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