Lexbase Afrique-OHADA n°71 du 29 février 2024 : Procédures collectives

[Le point sur...] Le régime de l’arrêt de l’exécution provisoire des ordonnances du juge-commissaire susceptible d’un recours devant le tribunal saisi de la procédure collective : analyse comparée des droits OHADA et français

Lecture: 11 min

N8552BZR

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Le point sur...] Le régime de l’arrêt de l’exécution provisoire des ordonnances du juge-commissaire susceptible d’un recours devant le tribunal saisi de la procédure collective : analyse comparée des droits OHADA et français. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/105160213-lepointsurleregimedelarretdelexecutionprovisoiredesordonnancesdujugecommissairesuscept
Copier

par Cheickh Sadibou Coly, Docteur en droit privé et sciences criminelles Université de Montpellier - Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Sénégal), Membre du Labex Chaire en Prévention et Traitement des difficultés des Entreprises Université de Montpellier

le 29 Février 2024

L’exécution provisoire est une règle traditionnelle en matière de procédures collectives. En posant le principe de l’exécution provisoire de plein droit, les droits français et OHADA ont étendu cette règle aux ordonnances rendues par le juge-commissaire, à l’exception de celles autorisant le paiement provisionnel, celles relatives à la substitution de garantie et celles autorisant le paiement d’une somme d’argent pour le retrait d’un bien retenu. Bien qu’elles ne soient pas assorties d’une exécution provisoire de plein droit, rien n’empêcherait le juge-commissaire d’ordonner leur exécution provisoire lorsque celle-ci est opportune [1]. Toutefois, le problème risque de se poser lorsqu’il s’agira de solliciter l’arrêt de l’exécution provisoire des ordonnances du juge-commissaire. 

Comme précédemment souligné, pour solliciter l’arrêt de l’exécution provisoire de plein droit, il faut au préalable exercer l’appel. La difficulté, en ce qui concerne les ordonnances du juge-commissaire, résulte de l’absence d’un régime homogène s’agissant des voies de recours auxquelles elles sont soumises. En effet, certaines voies de recours contre ces ordonnances sont portées directement devant la cour d’appel. Il en est ainsi des recours contre l’ordonnance du juge-commissaire statuant en matière de réalisation d’actif. Il en est de même du recours contre l’ordonnance du juge-commissaire statuant en matière de contestations de créances [2] ainsi que l’ordonnance de relevé de forclusion [3]. Les voies de recours dirigées contre elles étant portées devant la cour d’appel [4], on pourrait, partant de cela, en déduire qu’un arrêt de l’exécution provisoire peut être sollicité devant le premier président de la cour d’appel saisi. 

En revanche, certaines ordonnances rendues par ce magistrat sont soumises à l’examen du tribunal de la procédure collective. Sans prétendre à l’exhaustivité, on peut citer l’ordonnance du juge-commissaire autorisant le licenciement, celles fixant la rémunération de l’administrateur ainsi que celles constatant la résiliation du bail. Le recours contre ces ordonnances est porté devant le tribunal de la procédure. En effet, l’article 40 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures collectives (AUPCAP) N° Lexbase : L0547LGD, reprenant à l’identique les dispositions de l’article 25 du décret n° 85-1388, du 27 décembre 1985, relatif au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises N° Lexbase : L9117AGR, a prévu que les ordonnances du juge-commissaire sont susceptibles d’un recours devant la juridiction compétente [5]. La question qui s’était posée et qui se pose encore est de savoir si un arrêt de l’exécution provisoire peut être sollicité. Si la difficulté se pose moins s’agissant des ordonnances susceptibles d’un recours devant la cour d’appel [6], la situation devient complexe s’agissant des ordonnances contre lesquelles la contestation est portée devant le tribunal de la procédure collective et est qualifiée d’opposition par la doctrine [7].

Dans cette hypothèse, quelle démarche pour obtenir un arrêt de l’exécution ? La question s’était déjà posée sous l’empire de la législation de 1967 dans le cadre d’une tierce opposition. La cour d'appel de Paris, dans un arrêt du 6 août 1976, rappelait que « le président ne peut suspendre l’exécution provisoire d’un arrêt frappé de tierce opposition, seule la formation collégiale de la cour d’appel est investie de ce pouvoir [8] ». Ultérieurement, elle était revenue sur sa position. Se prononçant dans le cadre d’une tierce opposition exercée contre un jugement statuant en matière de règlement judiciaire et de liquidation des biens, les juges du fond précisaient, cette fois, que « l’arrêt de l’exécution provisoire n’est pas incompatible avec les dispositions de l’article 590 du Code de procédure civile [9] ». De l’interprétation de la position retenue par les magistrats, on pouvait en déduire que l’arrêt de l’exécution provisoire pouvait être sollicité au moyen d’une tierce opposition. Pourtant, une partie de la doctrine n’était pas favorable à cette position [10].

De l’avis d’un auteurl’impératif de célérité ainsi que la prééminence du traitement de l’entreprise incitent à écarter cette faculté qui permettrait aux tiers d’obtenir dans leurs intérêts personnels la suspension de l’exécution provisoire [11]. Pertinente certes, mais cette position doit être cantonnée aux jugements rendus par le tribunal de la procédure et dont l’arrêt de l’exécution provisoire est soumis à l’exercice préalable de l’appel [12]. Un arrêt de la Cour de cassation du 14 janvier 2004 a retenu cette position. Sur le fondement des dispositions des articles L. 623-9 du Code de commerce N° Lexbase : L7038AII et 155 du décret du 27 décembre 1985, précité, la Chambre commerciale a décidé que « l’exécution provisoire des ordonnances du juge-commissaire ne peut être arrêtée ». En l’espèce, il s’agissait de l’arrêt de l’exécution provisoire de l’ordonnance d’admission de créance déclarée au passif du débiteur. En effet, il convient de relever que cette solution a été rendue sous l’empire du décret du 27 décembre 1985. Or, l’alinéa 2, de l’article 155 dudit décret de 1985 qui réglementait l’arrêt de l’exécution provisoire employait le terme de « jugement », ce qui, à notre avis, renvoyait aux seuls jugements rendus par le tribunal saisi de la procédure collective [13] et ne tenait pas compte des ordonnances du juge-commissaire [14]. Toutefois, cette solution ne peut être reconduite en droit positif vu que l’article R. 661-1, alinéa 3, du Code de commerce N° Lexbase : L9250LTR fait référence à la notion de « décision », concept qui nous semble assez large pour englober, en plus des jugements rendus par le tribunal saisi de la procédure collective, les ordonnances du président du tribunal saisi de la procédure collective ainsi que celles rendues par le juge-commissaire. Également, l’alinéa 3 du même texte pose une dérogation au droit commun en matière d’arrêt de l’exécution provisoire des décisions mentionnées aux deux premiers alinéas. Ainsi, s’il ne fait l’objet d’aucun doute que le législateur n’a pas écarté, du moins de manière expresse, la possibilité de solliciter un arrêt de l’exécution provisoire contre les ordonnances du juge-commissaire, l’interrogation subsiste s’agissant de la voie de recours à emprunter. Le fait de subordonner la demande de l’arrêt de l’exécution provisoire à l’exercice préalable d’un appel rend techniquement impossible la formulation d’une telle demande. 

En l’absence de solution spécifique, quelle solution préconisée ? À cette question, deux solutions sont envisageables en ce qui concerne ces ordonnances. La première consisterait à différer la demande d'arrêt de l'exécution lorsque l'appel contre ledit jugement aura été exercé[15]. Si on admettait cette solution, il faudrait reconnaître que dans cette hypothèse la demande de l’arrêt de l’exécution provisoire serait dirigée contre le jugement qui se substituerait à l’ordonnance rendue par le juge-commissaire et non l’ordonnance elle-même. La deuxième hypothèse est le retour au droit commun, comme le recommande l’article R. 662-1, 1° du Code de commerce [16] N° Lexbase : L6334I3Y pour admettre l’arrêt de l’exécution provisoire contre ces ordonnances au moyen d’une opposition, sur le fondement de l'article 514-3, alinéa 2, du Code de procédure civile [17] N° Lexbase : L9082LTK. Dans ce dernier cas, la demande est à porter devant le juge-commissaire, et non devant le tribunal de la procédure collective, comme le recommande le droit commun en matière d’opposition [18]. Ainsi, pour solliciter un arrêt de l’exécution provisoire contre les ordonnances du juge-commissaire susceptibles d’un recours devant le tribunal de la procédure collective, nous préconisons l’insertion de la notion d’« opposition » dans l’alinéa 3, de l’article R. 661-1 du Code de commerce [19] en plus de l’appel [20]. Ce faisant, que ce soit pour l’appel et l’opposition, l’intéressé qui souhaiterait solliciter un arrêt de l’exécution provisoire devrait, pour être recevable, justifier le « caractère sérieux » des moyens à l’appui de la voie de recours [21]. Cette solution nous paraît plus appropriée, et permettrait d’obtenir un arrêt de l’exécution provisoire contre toutes les décisions rendues par les juridictions de premier degré en matière de procédures collectives.

 

[1] Par exemple, pour la décision par laquelle le juge-commissaire ordonne le paiement d’une créance antérieure pour obtenir le retrait d’un bien sur lequel un créancier exerce son droit de rétention, le bien en question est dès lors utile pour la poursuite de l’activité ; refuser d’ordonner un tel paiement reviendrait donc à priver l’entreprise d’un moyen qui lui permettrait d’assurer son redressement.

[2] Cass. com., 14 janvier 2004, n° 01-00.318, F-D N° Lexbase : A8626DAQ. Pour les ordonnances du juge-commissaire rendues en matière d’admission de créances, celles-ci sont exécutoires de plein droit. Sous réserve qu’elles ne soient pas rendues en premier et dernier ressort, ces dernières sont susceptibles d’un appel. Par conséquent, un arrêt de l’exécution provisoire peut être sollicité au premier président de la cour d’appel.

[3] La demande de relevé de forclusion étant une demande indéterminée, l’ordonnance du juge-commissaire statuant sur une telle demande est susceptible d’un appel, sauf dispositions contraires.

[4] Toutefois, il convient de relever que le législateur n’a pas donné une qualification exacte de la nature de cette voie de recours.

[5] AUPCAP, art.111, al. 3 N° Lexbase : L0547LGD : « La décision autorisant ou refusant les licenciements est susceptible d'opposition dans les quinze (15) jours de son prononcé devant la juridiction ayant ouvert la procédure, laquelle doit rendre sa décision sous quinzaine. »

[6] Cass. com., 14 janvier 2004, n° 01-00.318, préc.

[7] T. com. Lomé, jug., 27 janvier 2021, n° 004/2021 ; P.-M. Lecorre, Droit et pratique des procédures collectives, 10e éd., Dalloz Action, 2019-2020, p.615, n° 234.212 ; B. Soinne, Traité des procédures collectives, n° 638 ; F. Derrida, P. Gode, J.-P. Sortais, Redressement et liquidation judiciaires des entreprises, préc., n° 88.

[8] CA Paris, 6 août 1976 : JCP, 1977, II, 18534, note Hanine.

[9] CA Paris, 25 avril 1984 : Dalloz, 1984.

[10] A. Martin-Serf, Sauvegarde, redressement et liquidation judiciaires, Voies de recours, fasc. 2205, JCL. Procédure collective, 2017, préc.,ibid ; O. Staes, Procédures collectives et droit judiciaire privé, préc., n° 206.

[11] O. Staes, préc., ibid.

[12] F. Derrida, P. Gode et J-P. Sortais, Redressement et liquidation judiciaires des entreprises, Dalloz, 1991, préc,, note n° 1166 ; F. Perochon, Droit des entreprises en difficulté, préc., n° 479 ; C. Saint-Alary- Houin, Droit des entreprises en difficulté, préc., n° 557.

[13] Décret n°85-1388 du 27 décembre 1985 N° Lexbase : L9117AGR, art. 155, al. 1er. Selon ce texte, « …l'exécution provisoire des jugements mentionnés au deuxième alinéa de l’article 177, alinéa 2 de la loi ne peut être arrêté en cas d’appel que par le premier président de la cour d’appel, statuant en référé, si les moyens invoqués à l’appui de l’appel apparaissent sérieux ».

[14] F. Derrida, P. Gode et J-P. Sortais, préc., n° 295. Selon ces auteurs, la liste établie par l’article 177, alinéa 2, qui visait les décisions susceptibles d’un arrêt de l’exécution provisoire était limitative.

[15] Cette solution résulte par le fait que les ordonnances rendues par le juge-commissaire sont susceptibles d’un recours devant le tribunal de la procédure collective et que le jugement peut être contesté par la voie de l’appel.

[16] C. com., art. R. 662-1, 1° N° Lexbase : L7799LLG : « À moins qu’il n’en soit disposé autrement par le présent livre : 1° Les règles du Code de procédure civile sont applicables dans les matières régies par le livre VI de la partie législative du présent code ».

[17] CPCF, art. 514-3, al. 2 N° Lexbase : L9082LTK : « En cas d’opposition, le juge qui a rendu la décision peut, d’office ou à la demande d’une partie, arrêter l’exécution provisoire de droit lorsqu’elle risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives ».

[18] CPCF, art. 572 N° Lexbase : L6725H79; S. Guinchard et J. Vincent, Procédure civile, préc, n° 1330-2.

[19] La même solution devrait être appliquée dans l’article 217, alinéa 1er, de l’Acte uniforme procédures collectives d’apurement du passif.

[20] Nous pouvons aussi soutenir la solution qui consisterait en la substitution de la notion d’appel comme condition préalable à celle de contestation. Seulement, la référence au concept de contestation pourrait entraîner d’énormes difficultés, puisqu’il est assez vague de nature àenglober le pourvoi en cassation.

[21] Par les recours, nous faisons allusion à l’appel et l’opposition.

newsid:488552

Cookies juridiques

Considérant en premier lieu que le site requiert le consentement de l'utilisateur pour l'usage des cookies; Considérant en second lieu qu'une navigation sans cookies, c'est comme naviguer sans boussole; Considérant enfin que lesdits cookies n'ont d'autre utilité que l'optimisation de votre expérience en ligne; Par ces motifs, la Cour vous invite à les autoriser pour votre propre confort en ligne.

En savoir plus