Réf. : Cass. civ. 3, 9 novembre 2023, n° 22-15.403, F-D N° Lexbase : A04621Z7
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par Juliette Mel, Docteur en droit, Avocat associé, M2J Avocats, Chargée d’enseignements à l’UPEC, Responsable de la commission Marchés de Travaux, Ordre des avocats
le 27 Novembre 2023
► En milieu urbain, nul n’est assuré de conserver son environnement ; la perte d’intimité d’un logement n’est pas automatiquement un trouble anormal du voisinage.
Longtemps fondée sur les dispositions des articles 544 N° Lexbase : L3118AB4 et 1240 N° Lexbase : L0950KZ9 du Code civil, la formule selon laquelle « Nul ne doit causer à autrui un trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage » est aujourd’hui un principe général du droit. Autrement dit, cette création prétorienne s’applique en tant que principe, sans fondement textuel particulier. Ainsi, un voisin qui s’estime victime d’un trouble anormal peut assigner le voisin qu’il soit propriétaire ou non. C’est ainsi que la jurisprudence a pu admettre l’action du voisin contre les constructeurs d’un chantier situé sur le fonds contigu au sien (pour exemple Cass. civ. 3, 19 mai 2016, n° 15-16.248, FS-D N° Lexbase : A0868RQ9). Mais, la plupart du temps, le voisin agira contre son voisin propriétaire.
La mise en œuvre de l’action fondée sur les troubles anormaux du voisinage est redoutable. D’abord, parce qu’il s’agit d’une responsabilité objective. La preuve de l’absence de faute du voisin est indifférente (pour exemple, Cass. civ. 3, 25 octobre 1972, n° 71-12.434 N° Lexbase : A9839CIA). Ensuite parce que la notion de trouble, forcément subjective, est, pour le moins, protéiforme (bruit, odeur, poussière, construction, végétation, glissement de terrain, eaux de pluie, etc.). Enfin, parce que seule l’anormalité du trouble importe (pour exemple toujours Cass. civ. 3, 2 décembre 1982, n° 80-13.159, publié au bulletin N° Lexbase : A7994CES), ce qui rend inopérant le respect de la règlementation applicable. Or, la qualification de ce qui est normal, ou non, est, à se risquer au jeu de mots, troublante en droit. L’arrêt rapporté en est une illustration.
L’espèce est symptomatique des nuisances existantes, consécutives à des constructions en milieu urbain. Se plaignant que la construction de deux maisons dans un lotissement créé en limite sud de sa propriété obture la vue dégagée dont elle disposait sur la campagne, crée des vues sur son fonds et cause une dépréciation de son bien, la voisine assigne, après expertise, les acquéreurs des deux maisons sur le fondement des troubles anormaux du voisinage.
La cour d’appel d’Aix-en-Provence, dans un arrêt rendu le 24 février 2022 (CA Aix-en-Provence, 13 janvier 2022, n° 19/03575 N° Lexbase : A26367IH), rejette ses demandes. Elle forme un pourvoi en cassation, également rejeté.
Les conseillers, dans le cadre de leur pouvoir souverain d’appréciation, ont relevé que si la construction de ce lotissement modifiait son cadre de vie et la privait de la vue dégagée et vide de toute construction dont elle disposait, le droit à la vue n’étant pas protégé dans un milieu urbanisé à proximité immédiate d’une voie de déviation routière dans une campagne en pleine expansion et vouée à s’urbaniser.
Ils ont ajouté que la perte d’intimité dans le logement n’était pas caractérisée faute de précision sur la distance entre les pièces à vivre et la limite des fonds.
Cette décision fait du bien. Elle prouve, s’il le fallait, que le trouble anormal du voisinage n’est pas automatique en cas de construction.
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