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par Vincent Vantighem
le 19 Octobre 2023
Il y avait dans cette scène quelque chose d’assez surréaliste. Mardi 17 octobre, dans la salle des pas perdus du tribunal judiciaire de Paris, François Bayrou marchant d’un pas un peu las. Comme s’il se demandait ce qu’il faisait là, au milieu des personnes attendant leur rendez-vous au bureau d’aide juridictionnelle et des journalistes plus préoccupés par la conférence du procureur antiterroriste sur l’attentat d’Arras que par son propre sort.
Pourtant, le patron du Modem, éminence grise d’Emmanuel Macron, ancien ministre de la Justice et toujours actuel Haut-Commissaire chargé du Plan, joue bien son avenir politique dans les prochaines semaines. Depuis lundi 16 octobre, il comparaît avec une dizaine de personnes dans l’affaire dite des assistants d’eurodéputés du Modem. Celle-ci a débuté en 2017 avec les déclarations fracassantes de Sophie Montel, ex députée européenne du Rassemblement national. Dénonçant les manœuvres au sein de son propre parti, elle avait aussi chargé le fonctionnement du parti centriste. La martingale est désormais connue : les partis bénéficient de fonds européens pour embaucher des assistants parlementaires qui travaillent, en réalité, pour le parti en France et non pas au Parlement européen à Strasbourg… Dans la foulée des révélations de l’élue frontiste, deux assistants avaient avoué les faits, reconnaissant avoir bénéficié d’un emploi européen sans jamais avoir travaillé pour cela.
L’enquête menée par l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières (OCLCCIF) a permis d’établir que cela aurait permis au Modem d’économiser 1,4 million d’euros sur une période de douze ans. Au final, les magistrats ont retenu une fourchette beaucoup plus basse dans leur prévention, s’attardant sur 250 000 euros qui auraient été détournés à travers ce « système frauduleux », selon leurs propres termes.
François Bayrou sera interrogé le 7 novembre
Voilà donc pourquoi François Bayrou comparaît. En tant que président et donc responsable du parti, il ne pouvait pas ignorer la mise en place de ce système, selon l’accusation. Ces dernières semaines, l’ancien candidat à la présidentielle s’est enfermé pour potasser le dossier, peaufiner sa défense et fourbir ses arguments, lui qui se prétend victime d’une cabale depuis le début.
Mais les deux premiers jours d’audience ont déjà montré quelques signes de fébrilité. Mardi 17 octobre ainsi, deux anciens eurodéputés sont venus déposer à la barre. Et ils ont doctement expliqué que leurs assistants parlementaires n’avaient jamais réellement travaillé pour eux. Mais bien plutôt pour le parti et la campagne présidentielle de son chef en 2007. Dans le texte, Thierry Cornillet, ancien député UDF, n’y est pas allé par quatre chemins : « Je peux confirmer que l’assistante parlementaire n’a jamais rien foutu de ce pour quoi elle a été payée... » Juste avant lui, une de ses anciennes collègues, Janelly Fourtou, avait déjà marqué les esprits. « Je n’ai pas pu signer un contrat de travail avec quelqu’un que je ne connais pas, que je n’ai jamais vu... »
À 84 ans, Janelly Fourtou n’a plus grand-chose à espérer en politique. Alors quand le tribunal projette le fameux contrat de travail qui porte sa signature, elle ne se dérobe pas même si elle n’a pas d’explications à fournir. « J’ai tout oublié aujourd’hui de cette situation ubuesque. Mais ce que je peux vous dire, c’est que quand j’embauche quelqu’un, je m’en souviens ! »
Agacé par ces premières prises de parole, François Bayrou s’est longuement entretenu avec ses avocats. Dans ce dossier, sa défense est simple et confirmée par plusieurs témoins : le président du parti ne s’occupait pas de ces détails là et n’est pas quelqu’un qui s’intéresse à l’argent. Il n’en demeure pas moins qu’en sa qualité de président, il ne peut être exonéré aussi facilement de toute responsabilité. Il doit donc attendre le 7 novembre pour venir déposer à la barre et se défendre comme il le souhaite ardemment depuis des années.
Contraint à démissionner de son poste de ministre de la Justice en raison de cette affaire, il sait bien qu’il risque bien plus qu’une peine pénale pour « détournement de fonds publics » dans ce dossier. Une peine d’inéligibilité le contraindrait en effet à mettre fin à sa carrière, lui qui rêve toujours de « voir le centre triompher en 2027 ».
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