La lettre juridique n°959 du 5 octobre 2023 : Licenciement

[Jurisprudence] Visite de clients mystères au sein des sociétés : licéité de la pratique en droit du travail sous certaines conditions

Réf. : Cass. soc., 6 septembre 2023, n° 22-13.783, F-B N° Lexbase : A77741EN

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par Guillaume Bossy, Avocat associé et Aude Poirier, Avocate, CMS Francis Lefebvre Lyon

le 04 Octobre 2023

Mots-clés : client mystère • preuve • licenciement • contrôle des salariés • évaluation des salariés

Dans un arrêt du 6 septembre 2023, la Cour de cassation considère que la pratique du client mystère est licite. L’employeur peut donc valablement utiliser les résultats de la visite d’un client mystère au soutien d’une procédure disciplinaire dès lors que le salarié a été préalablement informé de l’existence de cette pratique.


I. Définition de la pratique des clients mystères

Cette pratique du client mystère consiste pour une personne, opérant sous un faux nom, à se rendre au sein d’une société et à se faire passer pour un simple client afin de contrôler tous les aspects du service ou de l’accueil. Le client mystère remet, ensuite, à la société un rapport précis sur tout ce qu’il a pu observer au cours de sa visite.

Ce rapport est, en particulier, un outil d’amélioration de l’expérience client et de la performance de l’entreprise. Il peut permettre d’identifier des actions correctives devant être appliquées telles que notamment des actions de formation des salariés.

Il peut aussi arriver qu’il mette en lumière des insuffisances professionnelles ou des comportements fautifs de salariés (violations de procédures internes, vols au moment des encaissements, etc.) et que l’employeur décide alors de mener, sur le fondement de ce rapport, une procédure de licenciement à l’égard des collaborateurs concernés.

II. L’arrêt de la Cour de cassation du 6 septembre 2023 et ses enseignements

Dans la présente affaire, un salarié d’un restaurant libre-service est licencié pour ne pas avoir respecté les procédures d’encaissement mises en place au sein de la société. Il lui est, plus précisément, reproché de ne pas avoir remis de ticket de caisse après encaissement des sommes.

Pour prouver les faits fautifs, l’employeur produit une fiche d’intervention d’une société qu’il a mandatée pour effectuer des contrôles en tant que client mystère.

Le salarié conteste son licenciement et invoque l’irrecevabilité de cette preuve recueillie au moyen d’un client mystère, considérant qu’il s’agit d’un stratagème déloyal rendant cette preuve illicite.

Néanmoins, selon la Cour de cassation, la méthode du client mystère utilisée pour démontrer les faits litigieux est licite et la société peut en utiliser les résultats au soutien de la procédure disciplinaire dès lors que le salarié a été expressément et préalablement informé de cette méthode du client mystère mise en œuvre à son égard, conformément à l’article L. 1222-3 du Code du travail N° Lexbase : L0811H9W :

« Ayant ainsi constaté que le salarié avait été, conformément aux dispositions de l'article L. 1222-3 du Code du travail, expressément informé, préalablement à sa mise en œuvre, de cette méthode d'évaluation professionnelle mise en œuvre à son égard par l'employeur, ce dont il résultait que ce dernier pouvait en utiliser les résultats au soutien d'une procédure disciplinaire, la cour d'appel a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision ».

Pour considérer le salarié comme valablement informé de l’existence du dispositif d’investigation, la Cour de cassation relève que l’employeur est en mesure de produire :

  • un compte-rendu de réunion du comité d’entreprise faisant état de la visite de clients mystères avec mention du nombre de leurs passages ;
  • et une note d’information des salariés sur le dispositif du client mystère qui porte la mention « pour affichage septembre 2015 » et qui explique son fonctionnement et son objectif.

Il faut noter que la Cour de cassation aurait peut-être pu se prononcer au regard de sa nouvelle jurisprudence sur le droit à la preuve [1].

En principe, en cas de litige, l'employeur ne peut utiliser que des éléments de preuve d'une faute du salarié obtenus au moyen d'un dispositif de contrôle licite.

Toutefois, la Cour de cassation a décidé qu’« il résulte des articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde de droits de l'Homme et des libertés fondamentales que l'illicéité d'un moyen de preuve n'entraîne pas nécessairement son rejet des débats, le juge devant, lorsque cela lui est demandé, apprécier si l'utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve, lequel peut justifier la production d'éléments portant atteinte à la vie personnelle d'un salarié à la condition que cette production soit indispensable à l'exercice de ce droit et que l'atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.

En présence d'une preuve illicite, le juge doit d'abord s'interroger sur la légitimité du contrôle opéré par l'employeur et vérifier s'il existait des raisons concrètes qui justifiaient le recours à la surveillance et l'ampleur de celle-ci. Il doit ensuite rechercher si l'employeur ne pouvait pas atteindre un résultat identique en utilisant d'autres moyens plus respectueux de la vie personnelle du salarié. Enfin le juge doit apprécier le caractère proportionné de l'atteinte ainsi portée à la vie personnelle au regard du but poursuivi ».

Dans l’arrêt du 6 septembre 2023, la Cour de cassation ne s’est pas prononcée sur cette question, car elle relève que le salarié n’avait pas soutenu ce moyen devant la cour d’appel et que son moyen de cassation en la matière était donc irrecevable.

Nous pourrions, néanmoins, considérer que, sur la base de la jurisprudence sur le droit à la preuve, le système du client mystère pourrait être recevable s’il s’agissait notamment du seul moyen de prouver la faute disciplinaire du salarié.

Pour autant, et afin de ne prendre aucun risque quant à la recevabilité du mode de preuve, il est fortement recommandé de respecter les formalités suivantes.

III. Formalités préalables à la mise en place d’un dispositif de contrôle et d’évaluation

Si, dans le cadre de son pouvoir de direction, l’employeur est en droit de surveiller et contrôler l’activité de ses salariés sur le lieu et pendant le temps de travail ainsi que d’évaluer leur travail, ce droit ne s’exerce pas sans limite.

Comme le rappelle cet arrêt de la Cour de cassation, l’instauration de dispositifs de contrôle et d’évaluation de l’activité des salariés au sein de la société est strictement encadrée par le Code du travail et la jurisprudence sociale.

Tout d’abord, le comité social et économique (CSE) doit être informé et consulté sur les moyens ou les techniques permettant un contrôle de l'activité des salariés et ce, préalablement à leur mise en œuvre dans la société [2].

Ensuite, les exigences d’exécution du contrat de travail de bonne foi[3]  et de loyauté dans les relations de travail interdisent à l’employeur de recourir à des dispositifs cachés de contrôle et d’évaluation des salariés.

Ainsi, aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n'a pas été porté préalablement à sa connaissance [4].

En outre, le salarié doit être expressément informé, préalablement à leur mise en œuvre, des méthodes et techniques d'évaluation professionnelles mises en œuvre à son égard [5].

À titre d’exemples, la Cour de cassation a précisé que constituent un mode de preuve illicite en raison de leur caractère clandestin et déloyal :

  • le fait pour un huissier d'avoir recours à un stratagème pour recueillir une preuve. En l’espèce, l'huissier avait organisé un montage en faisant effectuer, dans les différentes boutiques et par des tiers qu'il y avait dépêchés, des achats en espèces puis avait procédé, après la fermeture du magasin et hors la présence de la salariée, à un contrôle des caisses et du registre des ventes [6] ;
  • le fait pour des collaborateurs, mandatés par l’employeur, de se rendre dans le restaurant tenu par l’épouse d’un salarié, en se faisant passer pour de simples clients et sans révéler leurs qualités et le but de leur visite, afin de vérifier que ce salarié assurait le service en partie pendant son temps de travail [7] ;
  • le fait pour un employeur d’envoyer deux témoins dans un magasin afin de contrôler les pratiques d’une salariée à son insu [8].

Le dispositif doit être aussi justifié par la nature de la tâche à accomplir et proportionné au but recherché [9] .

Enfin, si le dispositif donne lieu à un traitement automatisé de données à caractère personnel, des exigences particulières complémentaires sont à la charge de l’employeur.

IV. Précautions à prendre par l’employeur avant la visite du client mystère

Comme l’illustre l’arrêt de la Cour de cassation, les enquêtes des clients mystères peuvent avoir notamment pour finalité l’évaluation et/ou le contrôle de l’activité des salariés et doivent, dès lors, respecter les règles énoncées ci-dessus.

À défaut, un des risques pour les employeurs est que le rapport émis par le client mystère puisse être considéré, par le conseil de prud’hommes, comme un mode de preuve illicite et donc rendre sans cause réelle et sérieuse le licenciement qui serait seulement fondé sur celui-ci.

Dans son arrêt, la Cour de cassation ne mentionne pas si, à l’époque des faits, le comité d’entreprise (désormais, le comité social et économique) de la société a été simplement informé ou s’il a bien été consulté.

Au regard de l’article L. 2312-38 du Code du travail précité, il est essentiel de procéder à la consultation du CSE préalablement à toute visite de client mystère dans la société.

Par ailleurs, s’agissant de l’information préalable des salariés, les articles du Code du travail précités ne précisent pas si cette information doit être individuelle ou si elle peut être collective.

En l’espèce, la Cour de cassation considère que l’information des salariés par voie d’affichage d’une note d’information est suffisante.

Les modalités précises de l’information transmise au comité social et économique et aux salariés sur la pratique du client mystère doivent être bien pensées. Il apparaît dans l’arrêt de la Cour de cassation qu’une information sur le fonctionnement des enquêtes des clients mystères, incluant la mention du nombre de passages, et sur l’objectif, c’est-à-dire la finalité, de ces enquêtes est essentielle.

Les obligations de loyauté et de transparence, s’imposant à l’employeur en vertu du Code du travail et de la jurisprudence, ne devraient pas, en revanche, le contraindre à aller jusqu’à informer les salariés du jour exact de la venue du client mystère. Une telle obligation n’apparaît pas dans l’arrêt de la Cour de cassation et aurait, en outre, pour conséquence de largement priver d’utilité l’enquête du client mystère.

Il faudra également se poser la question d’une éventuelle information des salariés au travers du règlement intérieur de la société.

Pour conclure, sur le fondement de cet arrêt, les secteurs, tels que l’hôtellerie ou la restauration, peuvent continuer à avoir recours au dispositif d’investigation dit du client mystère, sous réserve, toutefois, d’avoir bien respecté au préalable certaines formalités, afin d’assurer la licéité des investigations et donc des preuves écrites en résultant.


[1] Cass. soc., 8 mars 2023, n° 21-20.798, FS-D N° Lexbase : A08949HL, n° 21-17.802, FS-B N° Lexbase : A92179GH et n° 20-21.848, FS-B N° Lexbase : A08979HP.

[2] C. trav., art. L. 2312-38 N° Lexbase : L8271LGG.

[3] C. trav., art. L. 1222-1 N° Lexbase : L0806H9Q.

[4] C. trav., art. L. 1222-4 N° Lexbase : L0814H9Z.

[5] C. trav., art. L. 1222-3 N° Lexbase : L0811H9W.

[6] Cass. soc., 18 mars 2008, n° 06-40.852, FS-P+B N° Lexbase : A4765D7M.

[7] Cass. soc., 18 mars 2008, n° 06-45.093, FS-P+B N° Lexbase : A4784D7C.

[8] Cass. soc., 19 novembre 2014, n° 13-18.749, F-D N° Lexbase : A9255M38.

[9] C. trav., art. L. 1121-1 N° Lexbase : L0670H9P.

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