Réf. : CE 3° et 8° ch.-r., 5 juillet 2023, n° 471877, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A4390984
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par Romain Victor, Rapporteur public au Conseil d’État
le 04 Octobre 2023
Mots-clés : TVA • parahôtellerie • location • Directive TVA
Dans son avis du 5 juillet 2023, le Conseil d’État a jugé que les dispositions de l’article 261 D-4°-b du CGI étaient incompatibles avec les dispositions de l’article 135-2-a de la Directive TVA en ce sens que les conditions prévues par l’article du CGI ne reflètent pas suffisamment les dispositions prévues par la Directive.
Lexbase Fiscal vous propose cette semaine de retrouver les conclusions du Rapporteur public, Romain Victor dans cette affaire.
Lire en ce sens, P. Pradeau, M. Mahtout et O. Galerneau, TVA et parahôtellerie : vers une refonte du régime ?, Lexbase Fiscal, juillet 2023, n° 955 N° Lexbase : N6432BZA. |
1.- La présente demande d’avis concerne la compatibilité avec le droit de l’Union européenne, en l’occurrence avec la Directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de la taxe sur la valeur ajoutée, des dispositions de la loi fiscale française qui définissent les prestations de services de location de logements meublés à usage d’habitation auxquelles l’exonération de TVA ne trouve pas à s’appliquer.
2.- Les faits à l’origine de votre saisine peuvent être brièvement rappelés.
M. H., qui est citoyen belge, a acquis en l’état futur d’achèvement, en janvier 2015, une villa comprise dans un lotissement situé à Equihen-Plage, au sein d’un ensemble immobilier – la « Résidence Le domaine sauvage » – qui offre un accès direct aux belles plages de la Côte d’Opale.
Dès lors qu’elle tendait à la livraison d’un immeuble neuf, dans le cadre d’un contrat portant sur un bien immobilier à construire ou en cours de construction, l’acquisition de cette villégiature n’entrait pas dans le champ de l’exonération de la TVA sur les livraisons d’immeubles achevés depuis plus de cinq ans, prévue par le 2° du 5 de l’article 261 du CGI N° Lexbase : L8072MHG, si bien que M. H. a payé la taxe qui lui était facturée par le vendeur au taux normal de 20 % prévu par l’article 278 du même Code N° Lexbase : L0401IWR.
Préalablement à l’acquisition et parallèlement à la conclusion du contrat de réservation, M. H. avait souscrit un contrat intitulé « Programme de participation et location sans souci », par lequel il avait délégué à la SARL Holiday Suites, devenue la SARL Evancy et dont le siège est à Bray-Dunes (Nord), le droit exclusif de louer la résidence meublée à des tiers.
En avril 2015, M. H. a souscrit, par l’intermédiaire d’un mandataire, une déclaration de début d’activité commerciale par une personne physique en déposant le formulaire P0 auprès du centre de formalités des entreprises compétent.
Par la suite, l’intéressé a déposé auprès de l’administration fiscale des demandes de remboursement de crédit de TVA à hauteur de 55 130 euros au titre de l’année 2015 et de 1 642 euros au titre de l’année 2016. Ces montants lui ont été effectivement remboursés.
À l’issue d’un examen de comptabilité, l’administration lui a adressé, le 8 septembre 2017, une proposition de rectification l’informant qu’elle entendait procéder au rappel des sommes qui lui avaient été remboursées.
Elle a estimé que l’activité de location meublée exercée par M. H. ne pouvait être soumise à la TVA, dès lors que l’intéressé ne réalisait pas des prestations parahôtelières dans les conditions prévues par le b. du 4° de l’article 261 D du CGI N° Lexbase : L2401LEN, c’est-à-dire qu’il ne réalisait pas au moins trois des quatre prestations suivantes :
L’administration a en effet estimé que seules deux de ces quatre prestations étaient assurées.
Après rejet de sa réclamation, M. H. a porté le litige devant le tribunal administratif de Lille, qu’il a en outre saisi du litige né du refus de l’administration de faire droit à la demande de remboursement d’un crédit de TVA qu’il avait présentée, pour un montant de 1 688 euros, au titre de l’année 2017.
Par un jugement unique du 19 mai 2022, le tribunal a prononcé un non-lieu à statuer sur les conclusions tendant à la décharge de la majoration pour manquement délibéré dont les rappels avaient été assortis, afin de tirer les conséquences d’un dégrèvement prononcé en cours d’instance, et a rejeté le surplus des conclusions de la demande.
Saisie de l’appel de M. H. contre l’article 2 de ce jugement, la cour administrative d’appel de Douai vous a transmis le dossier de l’affaire par un arrêt du 2 mars 2023, dans le cadre de la procédure de demande d’avis prévue à l’article L. 113-1 du CJA N° Lexbase : L2626ALT, en vous soumettant les deux questions suivantes :
i) la question de la compatibilité des dispositions du b. du 4° de l’article 261 D du CGI avec l’article 135 de la directive du 28 novembre 2006 ;
ii) dans l’hypothèse où vous seriez d’avis que la loi française est incompatible avec le droit de l’Union, la question de savoir si la fourniture de deux prestations de la liste de quatre, voire d’une seule de ces prestations, suffit à considérer que l’exonération de TVA ne s’applique pas et que les locations meublées rendues dans ces conditions sont soumises à la TVA.
Il ne fait aucun doute que la demande d’avis est recevable : est effectivement en cause, au sens de l’article L. 113-1, une question de droit nouvelle, car vous ne vous êtes pas encore prononcés sur la conventionnalité des dispositions de l’article 261 D, 4° dans leur rédaction en vigueur, une question qui présente une difficulté sérieuse et, en vérité, lancinante, qui se pose actuellement et est susceptible de se poser dans de nombreux litiges. Sur ce dernier point, on peut signaler que le tribunal administratif de Lille est saisi d’une série concernant des contribuables placés dans la même situation que M. H. En outre, des solutions divergentes ont pu être adoptées par les tribunaux et les cours : ainsi, le tribunal de Grenoble a jugé qu’il fallait écarter la règle des « trois sur quatre » pour se livrer à une appréciation globale [1], tandis que la cour de Marseille a jugé que cette règle allait très bien, pour peu que les critères ne soient point interprétés de manière trop restrictive [2].
La question qui vous est soumise est par ailleurs sensible car elle n’est pas dépourvue d’incidences sur le secteur d’activité de l’hôtellerie, désormais concurrencé par les nouveaux modes de réservation d’hébergements permis par le développement de l’économie numérique et le recours aux plateformes que chacun connaît, mais aussi sur l’accès au logement dans les villes les plus touristiques et sur les finances publiques.
Imposer à la TVA, sans discernement, toutes les prestations de locations touristiques de logements meublés à usage d’habitation aurait pour conséquence certains effets d’aubaine : ceux qui investissent dans un immeuble neuf pour le louer acquittent, lors de l’acquisition, un montant important de taxe, perçue au taux de 20% [3] sur les travaux de construction neuve, qui n’est pas compensé par la taxe collectée sur les opérations de location, laquelle est perçue au taux intermédiaire de 10% [4], ce qui revient à dire que l’assujettissement à la TVA constitue, économiquement, une forme de subvention indirecte, par l’État, de l’investissement réalisé.
À cet égard, on trouve au dossier, reproduit dans la proposition de rectification adressée à M. H., un extrait édifiant de l’argumentaire commercial de la société Holiday Suites qui se conclut par le passage suivant : « Cerise sur le gâteau, le propriétaire peut lui-même en profiter en utilisant sa propriété tout en réduisant la fiscalité en récupérant la TVA sur son achat. Une économie fiscale de quelques dizaines de milliers d’euros ! ».
Ainsi conseillé, M. H. a présenté des demandes de remboursement de crédit de TVA au titre des trois premières années suivant son investissement (2015/2016/2017) pour un montant cumulé d’environ 60 000 euros, dont une demande à hauteur de 55 000 euros la première année. On peut donc supposer qu’il a payé 330 000 euros TTC une résidence qui, TVA déduite, en tout cas si le différend était tranché en sa faveur, ne lui aurait coûté que 275 000 euros, soit le montant hors taxe.
3.- Nous commençons par rappeler les termes du droit dérivé.
L’article 135, paragraphe 1, point l) de la Directive, qui reprend sur ce point les dispositions du b) du B de l’article 13 de la sixième Directive [5], dispose : « Les États membres exonèrent : / […] la location d’immeubles ».
Par dérogation au principe selon lequel toute prestation de services effectuée à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel est soumise à la TVA, ces dispositions prévoient donc une exonération des locations immobilières.
Cependant, le paragraphe 2 du même article énonce aussitôt : « Sont exclues de l’exonération prévue au paragraphe 1, point l) » (et sont donc soumises à la TVA) « les opérations suivantes : / a) les opérations d’hébergement telles qu’elles sont définies dans la législation des États membres qui sont effectuées dans le cadre du secteur hôtelier ou de secteurs ayant une fonction similaire […] ».
En ce qui concerne les locations en meublé, la loi française appliquait, jusqu’en 1990, un régime complexe combinant la soumission à la TVA des recettes correspondantes, certaines exonérations [6], une dispense de paiement de la taxe pour les loueurs en meublé non professionnels, au forfait, dont les recettes annuelles n’excédaient pas un certain seuil et l’exclusion du droit à remboursement d’un crédit de TVA pour la taxe ayant grevé les immobilisations autres que celles afférentes à des hôtels de tourisme classés [7].
La loi de finances rectificative pour 1990 [8] a simplifié ce régime en complétant l’article 261 D du CGI par un 4° qui, d’une part, exonérerait les « locations occasionnelles, permanentes ou saisonnières de logements meublés ou garnis à usage d’habitation » et, d’autre part, prévoyait de ne pas appliquer cette exonération « a. aux prestations d’hébergement fournies dans les hôtels de tourisme classés […] » et « b. aux prestations de mise à disposition d’un local meublé ou garni lorsque l’exploitant offre, en plus de l’hébergement, le petit déjeuner, le nettoyage quotidien des locaux, la fourniture de linge de maison et la réception de la clientèle et qu’il est immatriculé au registre du commerce et des sociétés au titre de cette activité ». Ainsi, les opérations de location d’un local meublé ou garni étaient soumises à la TVA comme les services fournis par les hôtels dès lors que l’exploitant offrait, en plus de l’hébergement, les quatre prestations parahôtelières énumérées et qu’il était immatriculé au RCS.
Par une décision « ministre c/ M. Lejeune » du 11 juillet 2011 (CE 9° et 10° ssr., 11 juillet 2001, n° 217675, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A2540AUM, rec. p. 369, concl. J. Courtial), vous avez examiné la compatibilité de ces dispositions avec celles de l’article 13, paragraphe B, sous b), point 1de la sixième Directive, dont elles assuraient la transposition.
Vous avez d’abord relevé que la directive imposait aux États membres de maintenir en dehors du champ de l’exonération les locations qui correspondent à des opérations d’hébergement, soit hôtelières, soit assimilables à ces dernières.
Vous avez ensuite jugé que les critères, définis par chaque État membre, permettant d’opérer une distinction entre une location exonérée et une location taxable car s’apparentant à un hébergement hôtelier, devaient être propres à garantir que ne soient exonérés du paiement que des assujettis dont l’activité ne remplit pas la ou les fonctions essentielles d’une entreprise hôtelière et qui ne sont donc pas en concurrence potentielle avec ces dernières entreprises.
Or vous avez constaté que les dispositions du b. du 4° de l’article 261 D, dans leur version applicable, avaient pour effet d’inclure dans le champ de l’exonération toute mise à disposition d’un local meublé qui n’est pas assortie de l’offre, par l’exploitant, de chacun des quatre services que constituent la fourniture du petit déjeuner, le nettoyage quotidien des locaux, la fourniture du linge de maison et la réception de la clientèle. Vous en avez déduit que ces dispositions pouvaient entraîner l’exonération de locations du seul fait de l’absence de l’une de ces prestations accessoires, dont la réunion était cumulative, alors même que des entreprises hôtelières n’assurant pas l’une de ces prestations étaient, elles, assujetties à la taxe.
À la suite de votre décision, le législateur a entendu remédier à l’incompatibilité en prenant mieux en compte les locations de logements meublés assimilables à des opérations hôtelières et devant pour ce motif être exclues de l’exonération.
Pour ce faire, par l’article 18 de la loi de finances rectificative pour 2002, il a modifié les dispositions du 4° de l’article 261 D dans le sens suivant :
i) il a estimé que la réunion de trois des quatre services parahôteliers suffisait à déclencher l’assimilation de la location d’un logement meublé à une prestation hôtelière, cette règle légale des « trois sur quatre » s’apparentant aux « règles pratiques » que l’on lit sous la plume de l’administration fiscale dans les commentaires administratifs publiés au BOFiP ;
ii) la définition de deux services parahôteliers a été assouplie au passage :
la réception de la clientèle pouvait être « même non personnalisée », pour « tenir compte du fait que certains services hôteliers mettent en œuvre la réception des clients par systèmes automatiques sans personnel » [9] ;
iii) le législateur a exigé que les prestations parahôtelières soient rendues « dans des conditions similaires à celles proposées par les établissements d’hébergement à caractère hôtelier exploités de manière professionnelle » ;
iv) il a prévu que seraient seules imposables les opérations de mise à disposition d’un local meublé ou garni « effectuées à titre onéreux et de manière habituelle » ;
v) il a abandonné la condition d’immatriculation au RCS dont dépendait précédemment la dérogation à l’exonération.
L’administration fiscale a commenté ces dispositions dans une instruction 3-A-2-03 du 30 avril 2003, dont les dispositions ont été reprises au BOI-TVA-CHAMP-10-10-50-20 du 12 septembre 2012, en apportant les précisions suivantes :
i) de manière générale, ce qui compte, ce n’est pas la fourniture effective des prestations parahôtelières, mais c’est l’offre, autrement dit le seul fait que l’exploitant du logement meublé est en mesure de fournir au moins trois des quatre prestations à ses clients, lorsque ceux-ci lui en font la demande ;
ii) le petit-déjeuner « doit être fourni selon les usages professionnels », en chambre ou dans une salle commune ;
iii) le nettoyage des locaux au début et à la fin du séjour ne peut être regardé comme un nettoyage régulier ; il faut que l’exploitant soit en mesure de proposer un tel service durant le séjour ;
iv) du linge de maison doit pouvoir être fourni à l’ensemble des locataires pendant le séjour ;
v) l’accueil peut être confié à un mandataire y compris en un autre lieu que l’immeuble dans lequel le logement meublé est loué et un système d’accueil électronique suffit.
4.- Ceci étant rappelé, la réflexion ne peut complètement se détacher de la volonté clairement exprimée par le législateur européen que le champ de la TVA soit le plus large possible, cette exigence étant inhérente au principe de neutralité de la taxe.
Dans la conception même du système de la TVA, c’est ce droit à déduction qui assure la neutralité de la TVA pour les assujettis, en faisant en sorte qu’il n’y ait aucun « reste à charge » s’agissant de la TVA payée. Or, si un assujetti réalise une opération qui est en dehors du champ d’application de la TVA ou qui est exonérée, il ne peut déduire la TVA qu’il a acquittée en amont. Aussi le 5ème considérant de la Directive de 2006, reprenant les termes du 5ème considérant de la première Directive du 11 avril 1967, énonce-t-il : « Un système de TVA atteint la plus grande simplicité et la plus grande neutralité lorsque la taxe est perçue de manière aussi générale que possible et que son champ d’application englobe tous les stades de la production et de la distribution ainsi que le domaine des prestations de services ».
Le principe est donc l’imposition.
S’agissant des opérations de location immobilière, la Directive fixe certes, nous l’avons dit, une règle d’exonération pour la location de biens immeubles, que la Cour définit comme le droit conféré par le propriétaire d’un immeuble au locataire, contre rémunération et pour une durée convenue, d’occuper cet immeuble comme s’il en était le propriétaire et d’exclure toute autre personne du bénéfice d’un tel droit (CJCE, 4 octobre 2001, aff. C-326/99, Stichting "Goed Wonen" c/ Staatssecretaris van Financiën, point 55 N° Lexbase : A4485AWZ ; CJCE, 6 décembre 2007, aff. C-451/06, Gabriele Walderdorff c/ Finanzamt Waldviertel, point 55 N° Lexbase : A9911DZ4).
La justification de cette dérogation repose sur l’idée, explicitée dans des conclusions d’avocats généraux [10] avant d’être reprise dans les motifs d’arrêts de la Cour de justice, qu’une location immobilière, tout en étant une activité économique, constitue normalement une activité relativement passive qui ne génère pas de valeur ajoutée significative (CJCE, 4 octobre 2001, aff. C-326/99, Stichting "Goed Wonen" c/ Staatssecretaris van Financiën, point 55 N° Lexbase : A4485AWZ ; CJUE, 28 février 2019, aff. C-278/18, Manuel Jorge Sequeira Mesquita, point 19 N° Lexbase : A4472YZN).
Cela étant, comme le rappelle constamment la Cour de justice, cette dérogation est d’interprétation stricte, « étant donné qu’elle constitue une dérogation au principe général selon lequel la taxe sur le chiffre d’affaires est perçue sur chaque prestation de services effectuée à titre onéreux par un assujetti » (CJCE, 15 juin 1989, aff. C-348/87, Stichting Uitvoering Financiële Acties c/ Staatssecretaris van Financiën, point 13 N° Lexbase : A7893AUU ; CJCE, 11 août 1995, aff. C-453/93, W. Bulthuis-Griffioen c/ Inspecteur der Omzetbelasting, point 19 N° Lexbase : A9632AUB ; CJCE, 12 février 1998, aff. C-346/95, Elisabeth Blasi c/ Finanzamt München I, point 18 [LXB=A0307AWB).
En revanche, et pour les mêmes motifs, les exclusions à l’exonération, c’est-à-dire les exceptions à l’exception que constitue l’exonération, sont, elles, d’interprétation large, ce qui est parfaitement logique, puisque ces exceptions-là conduisent à revenir au principe de l’imposition à la taxe de toutes les activités économiques.
Le paragraphe 2 de l’article 135 de la Directive indique d’ailleurs qu’il est loisible aux États membres de « prévoir des exclusions supplémentaires au champ d’application de l’exonération prévue au paragraphe 1, point l) », c’est-à-dire en revenir au principe de la soumission à la taxe pour telle ou telle forme de location immobilière.
Autrement dit, il faut interpréter strictement l’article 135, paragraphe 1, point l) (exonération) et largement l’article 135, paragraphe 2 (exceptions à l’exonération). En conséquence de quoi, il faut interpréter largement la notion d’« opérations d’hébergement […] qui sont effectuées dans le cadre […] de secteurs ayant une fonction similaire » au secteur hôtelier, dont les dispositions du 4° de l’article 261 D assurent la transposition.
L’interprétation de ces dispositions doit être d’autant plus large, a dit pour droit la Cour de justice, que l’expression de « secteurs ayant une fonction similaire » a pour objet de garantir que les opérations d’hébergement temporaire analogues à celles fournies dans le secteur hôtelier, qui sont en concurrence potentielle avec ces dernières, soient imposées (arrêt « Blasi », point 20). C’est là une autre facette des règles applicables en matière de TVA. Comme le rappelle le 7ème considérant de la Directive de 2006 : « Le système commun de la TVA devrait […] aboutir à une neutralité concurrentielle, en ce sens que sur le territoire de chaque État membre, les biens et les services semblables supportent la même charge fiscale […] ».
Pour en terminer avec les considérations de méthode, il convient d’indiquer que les États membres jouissent d’une large marge d’appréciation pour choisir des critères permettant de qualifier la mise à disposition d’un logement d’opération similaire à un hébergement hôtelier (arrêt « Blasi », point 21 ; CJUE, 16 décembre 2010, aff. C-270/09, MacDonald Resorts Ltd c/ The Commissioners for Her Majesty's Revenue & Customs, point 50 N° Lexbase : A1882GNZ), ainsi que votre arrêt « ministre c/ Lejeune » précité l’avait rappelé.
L’article 131 de la Directive, en facteur commun à un grand nombre d’exonérations, dont celles applicables à la location de biens immobiliers, énonce à cet égard que « Les exonérations […] s’appliquent […] dans les conditions que les États membres fixent en vue d’assurer l’application correcte et simple desdites exonérations et de prévenir toute fraude, évasion et abus éventuels ».
Cette liberté trouve toutefois « sa limite dans la finalité » des dispositions de l’article 135, paragraphe 1, sous l), qui est de parvenir à distinguer les opérations taxables (secteur hôtelier + secteurs ayant une fonction similaire) des opérations exonérées que sont la location et l’affermage d’immeubles (arrêt « Blasi », point 21), en évitant donc d’exonérer des services d’hébergement qui sont dans un rapport de concurrence avec les hôtels.
Sur ce point on peut relever que d’autres États membres ont fait des choix très éloignés de ceux de la France – sans pour autant être inconventionnels. Il en va ainsi de l’Allemagne dont la législation part de l’idée – assez convaincante dans son principe – que le séjour hôtelier se caractérise, dans la généralité des cas, par sa relative brièveté et qui assimile par conséquent à l’hébergement en hôtel les séjours d’une durée inférieure à six mois. Cette durée nous paraît à titre personnel un peu longue [11] mais il reste qu’il s’agit là d’un critère simple à manier et dont la Cour de justice a dit, dans l’arrêt « Blasi », qu’il n’était pas inapproprié, ce alors même que l’hébergement de moins de six mois ne comporterait pas toutes les prestations que l’on trouve habituellement dans un hôtel comme la fourniture de repas et de boissons et le nettoyage des chambres. L’avocat général Jacobs avait souligné à cet égard (ce propos retient l’attention) : « Il ne fait aucun doute qu’un assujetti qui louerait, par exemple, des immeubles à usage d’habitation pour des vacances de courte durée remplit essentiellement la même fonction qu’un assujetti dans le secteur hôtelier – et est en concurrence avec ce dernier » (point 19).
Et l’on ne peut manquer de signaler à votre formation de jugement qu’un projet de directive relative à la TVA à l’ère du numérique (VIDA en anglais pour VAT rules for the digital age) prévoit de modifier l’article 135 de la Directive TVA pour prévoir que la location de logements de courte durée doit être considérée comme un secteur similaire par sa nature au secteur hôtelier et ne peut donc pas être exonérée de la TVA, afin de garantir que la prestation fournie par l’intermédiaire d’une plateforme de type AirBnb au consommateur final soit soumise au même régime de TVA que la fourniture de services par des hôtels traditionnels au consommateur final.
5.- Ceci étant rappelé, il n’est guère difficile de se convaincre que les dispositions du b. du 4° de l’article 261 D sont incompatibles avec les objectifs de la directive du fait même de leur rigidité et de ce qu’elles peuvent conduire à maintenir dans le champ de l’exonération des prestations qui entrent en concurrence avec un hébergement dans un hôtel, même si la prestation fournie se différencie sur différents points de celle dont bénéficie le client d’un hôtel traditionnel.
Le seul critère qui vaille est celui de l’existence d’un rapport de concurrence car le principe de neutralité fiscale de la TVA s’oppose à ce que des prestations de services semblables, qui se trouvent donc en concurrence les unes avec les autres, soient traitées de manière différente du point de vue de la taxe (CJCE, 10 septembre 2002, aff. C-141/00, Ambulanter Pflegedienst Kügler GmbH c/ Finanzamt für Körperschaften I in Berlin, point 30 N° Lexbase : A3667AZT ; CJCE, 26 mai 2005, aff. C-498/03, Kingscrest Associates Ltd c/ Commissioners of Customs & Excise, points 41 et 54 N° Lexbase : A3971DIW ; CJUE, 10 novembre 2011, aff. C-259/10, Commissioners for Her Majesty's Revenue and Customs c/ The Rank Group plc, point 32 N° Lexbase : A9110HZG).
Il faut donc, c’est le premier élément, des prestations de services interchangeables ou substituables en raison de leurs caractéristiques, de leur prix et de l’usage auquel les services sont destinés. On sait que la Cour de justice tient compte, sur ce point, de la perception du « consommateur moyen » pour déterminer si deux prestations de services sont semblables, tout en faisant la chasse aux distinctions artificielles qui seraient fondées sur des différences insignifiantes (CJUE, 10 novembre 2011, C-259/10 et C-260/10, point 43). Il faut en outre raisonner en termes de marché géographique pertinent.
Or, le dispositif conçu fin 2002, bien qu’il soit en apparence très raisonnable en ce qu’il cherche à essentialiser un séjour à l’hôtel et en ce qu’il prescrit de recourir, un peu à la manière du juge, à une technique du faisceau d’indices, encourt à notre avis trois reproches.
Le premier, qui n’est peut-être pas le plus grave, tient à ce que le b. du 4° de l’article 261 D du CGI braque les projecteurs sur tout ce qui gravite autour de la prestation d’hébergement proprement dite, au point de faire quasiment perdre de vue que la prestation centrale fournie par un établissement hôtelier – c’est-à-dire celle qu’il faudra ensuite comparer à d’autres formes d’hébergement – demeure la mise à disposition d’une chambre équipée d’une literie et d’une salle d’eau à une clientèle de passage.
Le deuxième reproche tient à ce qui constitue à notre avis la faiblesse ontologique de la règle des « trois sur quatre » dont le seul énoncé suffit à établir qu’aucune des quatre prestations parahôtelières que cite le texte n’est, en elle-même, jugée essentielle, puisqu’il suffit de la réunion des trois autres pour basculer dans le champ de l’imposition.
Ceci nous conduit au troisième reproche qui part du constat que l’absence d’offre d’au moins deux prestations, donc aucune n’est pourtant, en elle-même, essentielle à la qualification d’hébergement hôtelier, suffit à maintenir certaines opérations de location dans le champ de l’exonération, alors que ces opérations peuvent entrer en concurrence avec la prestation fournie par l’exploitant d’un hôtel, du point de vue du consommateur moyen.
Tel est en particulier le cas de certains hébergements réservables à la nuitée ou pour des très courts séjours sur des plateformes de mise en relation telles qu’AirBnb, Abritel ou Leboncoin. La circonstance qu’au moins trois des quatre prestations ne soient pas fournies par « l’hôte » au « voyageur » n’est pas nécessairement de nature à retirer à la prestation de services le caractère de la fourniture d’un hébergement qui remplit essentiellement la même fonction qu’un hôtel : pouvoir y dormir la nuit, avoir accès à une salle de bains, sans avoir à apporter son linge ni à s’occuper du ménage. Certaines plateformes offrent d’ailleurs le choix aux internautes entre la réservation de chambres au sein d’un hôtel traditionnel et la réservation de chambres ou d’appartements mis en location par des particuliers.
Il y a, objectivement, entre ces formes d’hébergement temporaire, une concurrence que déplorent d’ailleurs les syndicats professionnels du secteur de l’hôtellerie. Il suffit de rappeler à cet égard que l’UMIH a engagé une action en concurrence déloyale devant le tribunal de commerce de Paris contre la société AirBnb et mène campagne pour obtenir une application effective de la réglementation, issue de l’article 16 de la loi du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, qui a complété L. 631-7 du Code de la construction et de l’habitation N° Lexbase : L0141LNK par un alinéa qui prévoit que le fait de louer un local meublé destiné à l’habitation de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile constitue un changement d’usage soumis à autorisation préalable.
Il nous semble donc hautement probable, à cette aune, que la Cour de justice jugerait, comme l’a sans doute pressenti la cour de Douai, que les dispositions de la loi française ne sont pas compatibles avec la directive, si la mécanique corsetée de la règle des « trois prestations sur quatre », qui revient à faire de ces prestations des critères législatifs en tant que tels, peut aboutir à exonérer des hébergements pourtant en concurrence avec les hôtels. Et nous doutons que la Cour de justice, à supposer que vous invitiez la cour administrative d’appel de Douai à lui renvoyer une question préjudicielle, ce qu’il ne vous est pas loisible de faire vous-mêmes dans le cadre d’une demande d’avis (CE Contentieux, 4 février 2000, n° 113321 N° Lexbase : A2754B77, rec. p. 28), puisse dire autre chose que ce qu’elle a déjà clairement dit dans, notamment, son arrêt « Blasi », à la lumière des non moins claires conclusions de ses avocats généraux [12]. Il y a tout lieu de penser qu’elle renverrait à la « juridiction nationale » le soin d’apprécier si les exigences qu’elle a posées sont remplies.
6.- Si vous partagez cette analyse, il vous appartiendra de préciser, dans la présente demande d’avis, autant qu’il vous est permis de le faire mais aussi et sans doute plus tard, en tant que juge de cassation, les conséquences qu’il convient d’en tirer, en vue du règlement des litiges fiscaux nés ou à naître.
Il nous semble d’abord qu’aucune interprétation constructive du b. du 4° de l’article 261 D, c’est-à-dire aucune interprétation qui rende le texte conforme aux objectifs de la Directive, n’est ici envisageable, alors qu’il résulte de votre arrêt « ministre c/ Cercle militaire mixte de la Caserne Mortier » (CE Contentieux, 22 décembre 1989, n° 86113 N° Lexbase : A0675AQ3, rec. p. 260, RJF, 1990, n° 130, concl. M.-D. Hagelsteen p. 80) que le principe de l’interprétation conforme ne joue, pour obvier à un verdict d’incompatibilité du droit interne, que dans la mesure du possible.
C’est donc une invocabilité d’exclusion qui nous ramène, par une sorte de hoquet de l’histoire fiscale contemporaine, à ce que vous avez jugé dans votre décision « Sté Hôtel de Provence » du 27 février 2006 (CE 8° ss., 27 février 2006, n° 258807 N° Lexbase : A3964DN7, T. pp. 773-854, concl. L. Olléon), par laquelle vous avez distingué, par-delà l’incompatibilité de la version précédente de l’article 261 D, 4° avec l’article 13, paragraphe B, de la sixième Directive, qui avait été constatée dans la décision « ministre c/ M. Lejeune », un énoncé compatible avec la Directive. Vous aviez considéré en effet que les dispositions de la loi française « demeur[ai]ent compatibles avec les objectifs dudit article en tant qu’elles exclu[ai]ent de l’exonération de TVA qu’elles prévo[ya]ient les activités se trouvant dans une situation de concurrence potentielle avec les entreprises hôtelières ».
C’est à ce même résultat que l’on aboutit (ou que l’on revient)
Il faut, selon les termes de l’arrêt « Simmenthal » (CJCE, 9 mars 1978, aff. C-106/77, Administration des finances de l'État c/ Société anonyme Simmenthal, point 21 N° Lexbase : A5639AUE), « laisser inappliquée » la règle des « trois prestations sur quatre », pour ne conserver que celle selon laquelle demeurent placées en dehors du champ de l’exonération les prestations de mise à disposition d’un local meublé effectuées à titre onéreux et de manière habituelle qui, du point de vue du consommateur moyen, entrent en concurrence avec un hébergement en hôtel – ce qui est ce que vous aviez jugé dans l’affaire « ministre c/ M. Lejeune » et que vous avez réitéré dans une décision « M. Cournède », sous l’empire du nouveau texte, en retenant que les dispositions de l’article 261 D devaient être interprétées « de manière à garantir que ne soient exonérés du paiement de la taxe que des assujettis dont l’activité ne remplit pas la ou les fonctions essentielles d’une entreprise hôtelière et qui ne sont donc pas en concurrence potentielle avec ces dernières entreprises » (CE 9° et 10° ch.-r., 20 novembre 2017, n° 392740, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A7457WZ9, RJF, 2017, n° 155).
C’est certes peu précis, et donc peu satisfaisant, mais en dire plus, ce serait en dire trop et c’est nécessairement au cas par cas qu’il convient d’apprécier, en fonction des caractéristiques de chaque offre d’hébergement, le rapport de concurrence potentielle, dans le cadre d’une classique dialectique probatoire.
Pour dissiper d’avance un possible malentendu, il nous semble important de souligner que le constat de l’incompatibilité des dispositions du b. du 4° de l’article 261 D du CGI dans la stricte mesure où ces dispositions posent la règle des « trois sur quatre », n’implique pas pour autant d’abandonner tout examen des prestations parahôtelières fournies par l’exploitant du logement : petit déjeuner, réception plus ou moins personnalisée, assistance pendant le séjour, nettoyage des chambres en cours de séjour, autres services offerts. Mais ces éléments sont en quelque sorte rétrogradés du rang de critères à celui de simples indices, dans le cadre d’une approche plus souple et contextualisée.
Il nous semble, à cet égard, que la durée de la location et les modalités de la location constituent d’autres éléments pouvant être pris en compte. L’impossibilité de réserver un hébergement à la nuitée, l’obligation de réserver pour une semaine ou une quinzaine entière, l’obligation de réserver pour une série de nuitées à compter d’un samedi ou d’un dimanche exclusivement peuvent notamment constituer des indices pertinents qui jouent en faveur de l’absence d’assimilation à une prestation hôtelière.
Ce serait donc procéder par raccourci que de considérer que l’incompatibilité d’une partie des dispositions du b. du 4° de l’article 261 D du CGI équivaudrait à donner automatiquement gain de cause aux loueurs en meublé non professionnels qui considèrent que leurs opérations locatives sont soumises à la TVA.
C’est pourquoi, compte tenu de ce qui précède, nous vous invitons à répondre :
[1] TA Grenoble, 14 octobre 2022, n° 1908305 N° Lexbase : A34328Q8.
[2] CAA Marseille, 28 janvier 2016, n° 14MA01374 N° Lexbase : A4583PAY.
[3] En application de l’article 278 du CGI.
[4] En application du a. de l’article 279 du CGI. La France a mis en œuvre la faculté reconnue aux États membres par l’article 98, point 1 de la Directive. Figure en effet au point 12) de l’annexe III de la Directive (« Liste des livraisons de biens et des prestations de services pouvant faire l’objet des taux réduits visés à l’article 98 ») « l’hébergement fourni dans des hôtels et établissements similaires, y compris la fourniture d’hébergement de vacances et la location d’emplacements de camping et d’emplacements pour caravanes ».
[5] Sixième Directive n° 77/388/CEE du 17 mai 1977, du Conseil des Communautés européennes, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires.
[6] En ce qui concerne la location de pièces de l’habitation principale du loueur notamment.
[7] Le droit à déduction était aussi ouvert pour les immobilisations relatives à des villages de vacances agréés.
[8] Loi n° 90-1169, du 29 décembre 1990, de finances rectificatives pour 1990, art. 48 N° Lexbase : O0282CAP.
[9] Rapport n° 97 (2002-2003) fait le 13 décembre 2002 au nom de la commission des finances du Sénat par M. Philippe Marini, rapporteur général [en ligne].
[10] Conclusions de M. F. G. Jacobs, présentées le 25 septembre 1997 dans l’affaire C-346/95, « E. Blasi ».
[11] C’est moins, tout de même, que les sept ans du séjour d’Hans Castorp dans La Montagne magique de Thomas Mann…
[12] On peut voir aussi les conclusions de Mme Verica Trstenjak prononcées le 7 septembre 2010 dans l’affaire « MacDonald Resorts Ltd », C-270/09, point 108.
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