Le Quotidien du 5 octobre 2023 : Bancaire

[Brèves] Obligations liées à la LCB-FT et acte de concurrence déloyale

Réf. : Cass. com., 27 septembre 2023, n° 21-21.995, F-B N° Lexbase : A11521II

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par Jérôme Lasserre Capdeville

le 10 Octobre 2023

► Le respect par une entreprise des obligations imposées aux articles L. 561-1 et suivants du Code monétaire et financier pour lutter contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme engendre nécessairement pour elle des coûts supplémentaires. Il en résulte que le fait pour un concurrent de s’en affranchir confère à celui-ci un avantage concurrentiel indu, qui peut être constitutif d’une faute de concurrence déloyale.

Par une jurisprudence remarquée (Cass. com., 21 septembre 2022, n° 21-12.335, F-B N° Lexbase : A25258KQ, J. Lasserre Capdeville, Lexbase Affaires, septembre 2022 N° Lexbase : N2691BZP ; v. déjà, Cass. com., 28 avril 2004, n° 02-15.054, FS-P+B+I N° Lexbase : A9943DBU), la Cour de cassation a pu considérer que « les obligations de vigilance et de déclaration imposées aux organismes financiers en application des articles L. 561-5 N° Lexbase : L7211IC3 à L. 561-22 du Code monétaire et financier dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-1635 du 1er décembre 2016 N° Lexbase : L4816LBY, ont pour seule finalité la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme ». Dit plus simplement, il n’est pas possible d’engager la responsabilité civile du professionnel de la banque si ce dernier est à l’origine d’un manquement lié à la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (LCB-FT).

Cette solution n’est cependant pas sans limite, comme en témoigne l’arrêt sélectionné.

Faits et procédure. En l’espèce, la société C. avait assigné la société M., ayant comme activité la distribution en France de cartes bancaires prépayées, devant le président d'un tribunal de commerce sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1497H49 aux fins de lui enjoindre de déposer et de lui communiquer des pièces.

Invoquant l’existence d’une concurrence déloyale de la société C., du fait du non-respect par celle-ci de la réglementation bancaire, et soutenant que cette mesure lui permettrait, au cours d’une instance éventuelle, de chiffrer son préjudice, la société M. avait reconventionnellement sollicité, sur le fondement du même texte, la communication de pièces comptables et administratives de cette société.

La cour d’appel d’Aix-en-Provence (CA Aix-en-Provence, 1er juillet 2021, n° 20/11649 N° Lexbase : A11994Y3) avait été amenée à se prononcer, dans cette affaire, par une décision du 1er juillet 2021. La société C. avait cependant formé un pourvoi en cassation contre cette dernière.

Décision. La Cour de cassation devait alors se prononcer sur plusieurs questions.

En premier lieu, la société C. faisait grief à la cour d’appel d’avoir révoqué l’ordonnance de clôture du 19 avril 2021 et d’avoir prononcé la clôture à l’audience avant ouverture des débats et de l’avoir condamnée sous astreinte à communiquer à la société M. une situation comptable certifiée conforme par le commissaire aux comptes pour la période du 1er janvier 2020 au 31 juillet 2020 ou en cas d'impossibilité au 31 mars 2020, ainsi que le bilan, les comptes de résultat et la liasse fiscale de l'exercice clos le 31 décembre 2019 certifiés conformes par le commissaire aux comptes.

Cependant, pour la société C. le juge ne statue que sur les dernières conclusions déposées. Or, en l’espèce, la société C. avait notifié des conclusions récapitulatives n° 2 le 18 mai 2021, soit avant la clôture de l'instruction fixée au 20 mai 2021, contenant de nouveaux moyens relatifs à l'absence de motif légitime de solliciter une mesure d'instruction in futurum.

Dès lors, en statuant sur le fondement des premières conclusions récapitulatives de la société C. en date du 14 avril 2021, la cour d'appel aurait violé l'article 954 du Code de procédure N° Lexbase : L7253LED.

La Cour de cassation ne partage pas ce moyen. Elle commence par rappeler que selon les articles 455 N° Lexbase : L6565H7B et 954 du Code de procédure civile, le juge, qui n’expose pas succinctement les prétentions respectives des parties et leurs moyens, doit viser les dernières conclusions déposées avec leur date, sauf à ce qu’il résulte des motifs de sa décision qu’il les a prises en considération.

Elle note ensuite que la cour d’appel avait constaté, en réponse à l’argumentation nouvelle soutenue par la société C. dans ses conclusions du 18 mai 2021, que si le courrier du 26 juin 2020 produit par la société M. ne permettait pas de juger que la société C. avait effectivement méconnu la réglementation en matière monétaire et bancaire et en avait tiré un avantage concurrentiel illicite, il permettait néanmoins à la société concurrente M. d'invoquer l’existence d'un intérêt légitime à obtenir des mesures d’instruction pour faire chiffrer les éventuels effets comptables d'une concurrence déloyale pouvant être générée par le non-respect des textes réglementaires.

La Haute juridiction estime alors que les motifs de l’arrêt de la cour d'appel faisaient ressortir qu’elle avait pris en considération les dernières conclusions déposées par la société C. en dépit du visa erroné de ses conclusions antérieures. Elle avait donc légalement justifié sa décision.

En deuxième lieu, la société C. faisait grief au même arrêt de l’avoir condamnée sous astreinte à communiquer à la société M. une situation comptable certifiée conforme par le commissaire aux comptes pour la période du 1er janvier 2020 au 31 juillet 2020, ou en cas d’impossibilité au 31 mars 2020, ainsi que le bilan et les comptes de résultat et la liasse fiscale de l'exercice clos le 31 décembre 2019, certifiés conformes par le commissaire aux comptes.

La société considérait ainsi que le juge ne peut ordonner une mesure d'instruction in futurum si l'action au fond envisagée par le demandeur ne présente aucune chance de succès. Or, tel était le cas, selon elle, de l’action en concurrence déloyale envisagée par le demandeur en raison de la méconnaissance par le défendeur de ses obligations en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, cette action étant vouée à l'échec dans la mesure où la violation de ces obligations, à la supposer avérée, n’est pas susceptible de donner lieu à une indemnisation au profit d’un tiers.

Elle estimait alors qu’en ordonnant pourtant une mesure d'instruction in futurum destinée à permettre à la société M. d’établir avant tout procès la preuve des effets comptables d’une concurrence déloyale fondée sur la violation par la société C. de la réglementation relative à la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, la cour d'appel aurait violé l'article 145 du Code de procédure civile.

Ici encore, le moyen ne convainc pas la Cour de cassation. Selon elle, et c’est l’apport de son arrêt, le respect par une entreprise des obligations imposées aux articles L. 561-1 N° Lexbase : L7095ICR et suivants du Code monétaire et financier pour lutter contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme engendre nécessairement pour elle des coûts supplémentaires. Il en résulte alors que « le fait pour un concurrent de s’en affranchir confère à celui-ci un avantage concurrentiel indu, qui peut être constitutif d'une faute de concurrence déloyale ».

Cette solution retient inévitablement l’attention. Elle témoigne du fait que le non-respect des dispositions liées à la LCB-FT peut, par l’intermédiaire de la concurrence déloyale, donner lieu à des sanctions de nature civile.

Il s’agit, à notre connaissance, du premier tempérament à la règle générale excluant toute action civile en présence de tels manquements. Cette évolution en annonce-t-elle d’autres ? On peut légitimement se le demander.

En dernier lieu, la société C. faisait un grief comparable à l'arrêt, alors que le juge ne peut, sur le fondement de l'article 145 du Code de procédure civile, ordonner au défendeur la communication d’un document qu'il ne détient pas et qu'aucun texte normatif ne l'oblige à établir.

Or, en l’occurrence, le juge des référés avait condamné la société C. à adresser à la société M. une situation comptable certifiée conforme par le commissaire aux comptes sur la période du 1er janvier 2020 au 31 juillet 2020 ou en cas d'impossibilité au 31 mars 2020. Pourtant, cette même société C. faisait valoir ne pas disposer d’un tel document, aucun texte normatif ne lui faisant obligation de tenir une comptabilité sur une période autre qu'annuelle. Toutefois, pour confirmer l’ordonnance querellée de ce chef, la cour d'appel avait énoncé qu’il n'existait aucun obstacle matériel ou juridique qui empêcherait la société C. de faire certifier des comptes trimestriels ou semestriels par son commissaire aux comptes.

Dès lors, en statuant ainsi, la cour d’appel aurait violé l'article 145 du Code de procédure civile.

Cet ultime moyen se révèle cependant utile.

La Cour de cassation commence par indiquer qu’il résulte de la combinaison des articles 10 N° Lexbase : L1124H4E, 11 N° Lexbase : L1126H4H et 145 du Code de procédure civile qu'il peut être ordonné, sur requête ou en référé, la production de pièces détenues par une partie.

Elle note ensuite que pour enjoindre à la société C. de communiquer à la société M., sous astreinte, une situation comptable certifiée conforme par le commissaire aux comptes pour la période du 1er janvier 2020 au 31 juillet 2020, ou en cas d'impossibilité au 31 mars 2020, la cour d’appel avait relevé qu’il n’existait aucun obstacle matériel ou juridique empêchant la société C. de produire les documents comptables réclamés, même ceux non approuvés par une assemblée générale au demeurant tenue depuis l’introduction de l'instance, et de faire certifier des comptes trimestriels ou semestriels par le commissaire aux comptes.

Dès lors, en se déterminant ainsi sans constater que la société C. détenait les pièces qu’elle lui ordonnait de produire, la cour d'appel n’a pas donné de base légale à sa décision.

La Cour de cassation casse et annule, par conséquent, la décision de la cour d’appel d’Aix-en-Provence mais seulement en ce que, confirmant l'ordonnance, elle avait enjoint, sous astreinte, à la société C. de communiquer à la société M. une situation comptable certifiée conforme par le commissaire aux comptes.

Pour aller plus loin : ÉTUDE : Les devoirs généraux des établissements de crédit, Les obligations intéressant la LCB-FT, in Droit bancaire (dir. J. Lasserre Capdeville), Lexbase N° Lexbase : E95993P9.

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