Le Quotidien du 9 octobre 2023 : Fiscalité des entreprises

[Brèves] Saga « Lupa » et abus de droit : il faut savoir viser juste et à temps

Réf. : CE 3° et 8° ch.-r., 18 septembre 2023, n° 466868, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A20851HP

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[Brèves] Saga « Lupa » et abus de droit : il faut savoir viser juste et à temps. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/100221454-0
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par Couderc Dinh & Associés

le 04 Octobre 2023

Par une décision rendue le 18 septembre 2023, le Conseil d’État vient de mettre un terme au feuilleton judiciaire portant sur la mise en œuvre de la procédure de l’abus de droit en cas de recours à la « correction Quéméner [1] ».

Ce mécanisme vise à assurer une neutralité fiscale lors du calcul de la plus-value imposable sur la cession des parts d’une société relevant de l’article 8 du Code général des Impôts (CGI), dont les bénéfices sont imposés entre les mains des associés. Il permet de ne pas imposer une seconde fois à titre de plus-values, les revenus générés par la société et déjà imposés entre les mains de l’associé, qui n’ont pas été distribués. Le Conseil d’État avait jugé dès 2015 que le mécanisme Quemener s’applique également aux opérations de restructurations (CE 9° et 10° ssr., 27 juillet 2015 n° 362025, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A0733NNH).

La saga jurisprudentielle « Lupa » se prononce sur le cas de dissolutions sans liquidation (TUP), qui ont été réalisées dans un ordre contesté par l’Administration fiscale, au motif qu’elles auraient permis d’« abuser de la correction Quéméner » pour réévaluer des actifs en franchise d’impôt.

Les parts de deux SCI françaises (« les SCI ») – possédant chacune un immeuble situé en France – étaient détenues par deux sociétés anonymes de droit luxembourgeois (« les SA »). La série s’opérations contestée débutait par la cession des titres de ces deux SA à la société française SARL Lupa Immobilière France (« la SARL »). Les SA avaient réévalué les parts des SCI à la suite de cette cession : leur valeur comptable dans leurs comptes correspondait alors au prix d’acquisition des SA par la SARL déterminée sur la base de la valeur vénale des immeubles.

La SARL avait ensuite procédé à une dissolution sans liquidation des SA, entrainant un transfert des parts des SCI dans son patrimoine pour leur valeur réévaluée. Dans la foulée, chaque SCI avait procédé à la réévaluation de l’immeuble inscrit à son bilan. Suivant les termes de la convention fiscale alors en vigueur, ces réévaluations en chaîne n’avaient été imposées ni en France ni au Luxembourg.

La SARL avait ensuite procédé à la dissolution sans liquidation des SCI entrainant la transmission des immeubles précédemment détenus par les SCI. Pour déterminer le résultat de cette opération imposable en France, la SARL avait appliqué le mécanisme Quemener et réduit le boni de confusion du profit de réévaluation des immeubles, alors même que ce profit théoriquement imposable entre les mains de la SARL, en tant qu’associée des SCI, n’avait pas été effectivement imposé en France en raison des termes de la convention fiscale.

Dans une première décision de 2016, le Conseil d’État avait restreint la portée du mécanisme Quemener en considérant que celui-ci n’avait vocation à s’appliquer que pour remédier à la double imposition supportée par l’associé d’une société relevant de l’article 8 du CGI N° Lexbase : L1176ITQ, à raison de l’imposition des résultats sociaux lors de leur réalisation par la société et de l’imposition par ce même associé des plus-values à hauteur de ces mêmes résultats lorsqu’ils n’ont pas été distribués (CE 8° et 3° ch.-r., 6 juillet 2016 n° 377904, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6113RWC).

Dans cet arrêt, le juge avait considéré que dès lors que les réévaluations n’avaient pas été effectivement imposées, l’application du mécanisme Quemener n’était pas justifiée.

Lire en ce sens, L'avenir de la jurisprudence "Quemener" - Questions à Maître Christine Daric, Lexbase Fiscal, septembre 2016, n° 668 N° Lexbase : N4325BW4.

Cette position avait par la suite été abandonnée dans un arrêt concernant une autre affaire (CE 3°/8°/9°/10° ch., 24 avril 2019, n° 412503, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A7394Y9Q).

Lire sur cet arrêt les conclusions de la Rapporteure publique, K. Ciavaldini, Lexbase Fiscal, juin 2019, n° 785 N° Lexbase : N9172BXY.

À la suite de ce revirement, l’administration fiscale a modifié son argumentaire et considéré que l’enchaînement des opérations litigieuses constituait en fait un abus de droit, pour maintenir le redressement dans le cas de la société Lupa. Dans un arrêt après renvoi, la cour administrative d’appel de Paris a admis le recours à la procédure d’abus de droit au cas particulier, dans son principe (CAA de Paris, 8 juillet 2022, n° 16PA02400 N° Lexbase : A26298AM). En revanche la Cour a relevé que l’Administration n’a pas établi l’existence d’un abus de droit, faute d’avoir démontré la contrariété à l’objectif de neutralité poursuivi dans l’application du correctif faite par la SARL.

Dans sa décision du 18 septembre 2023, le Conseil d’État confirme l’absence d’abus dans l’application du mécanisme Quéméner. L’administration ne démontre pas l’existence d’un abus de droit en se limitant à soutenir que l’ordre dans lequel les opérations ont été réalisées a conduit à un allègement de la charge fiscale du contribuable, sans établir que l’un ou plusieurs des actes de cette série d’opérations aurait(ent) comme but exclusif de rechercher le bénéfice d’un dispositif fiscal contre l’intention de son auteur.

Le Conseil d’État n’a, par ailleurs, pas retenu l’argument subsidiaire soulevé par l’administration, par substitution de motifs, selon lequel un abus de droit pourrait être caractérisé du fait d’une utilisation abusive de la convention fiscale franco-luxembourgeoise dans un but exclusivement fiscal. En justifiant sa décision de rejet par le caractère tardif de l’évocation de cet abus, contrevenant aux garanties formelles offertes au contribuable concernant en particulier la saisine du comité consultatif des abus de droit, l’arrêt ne permet pas d’apprécier la pertinence de cet argument.

 

[1] CE 3° et 8° ssr., 16 février 2000 n° 133296, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A0346AUD.

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