Le Quotidien du 22 septembre 2021 : Procédure civile

[Point de vue...] Structuration des écritures : levée de bouclier contre la Chancellerie

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par Charles Simon, avocat au Barreau de Paris

le 21 Septembre 2021


Mots-clés : procédure civile • profession d’avocat • conclusions • structuration des écritures • réforme • DACS


Les propos de l'auteur sont faits à titre personnel et n’engagent en rien les associations professionnelles dont il est membre.

La Direction des affaires civiles et du sceau (DACS) a produit une note le 27 août 2021 faisant des propositions pour la structuration des écritures des parties. Ce n’est pas la première fois que des tentatives sont faites en ce sens (I). Mais ses dernières propositions (II) sont choquantes (III) et enflamment déjà la profession d’avocat (VI). Qu’en sortira-t-il ? A priori, rien de bon (V).

I. La précédente tentative de structuration des écritures

La structuration des écritures des parties est un serpent de mer qui ressurgit épisodiquement au motif que la qualité des écritures judiciaires se dégraderait depuis quelques années. Les maux invoqués sont une longueur excessive des conclusions, une absence de plan, de cohérence et la mauvaise rédaction du dispositif des conclusions (Droit & Procédure, La structuration des conclusions, 2017).

Mais la montagne n’avait, jusqu’à présent, accouché que d’une souris. L’article 954 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L7253LED) sur les conclusions devant la cour d’appel, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 relatif aux exceptions d'incompétence et à l'appel en matière civile (N° Lexbase : L2696LEL), prévoit en effet que :
« les conclusions comprennent distinctement un exposé des faits et de la procédure, l'énoncé des chefs de jugement critiqués, une discussion des prétentions et des moyens ainsi qu'un dispositif récapitulant les prétentions. Si, dans la discussion, des moyens nouveaux par rapport aux précédentes écritures sont invoqués au soutien des prétentions, ils sont présentés de manière formellement distincte. »

Des dispositions similaires concernent les conclusions devant le tribunal judiciaire et se trouvent à l’article 768 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L9310LTY) depuis le décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile (N° Lexbase : L8421LT3).

Pas de quoi fouetter un chat cependant, d’autant qu’aucune sanction n’est attachée à la violation de ces dispositions. Elles n’ont donc qu’une portée indicative sur la façon dont présenter formellement ses conclusions.

II. Les dernières propositions de la DACS

Les dernières propositions de la DACS vont beaucoup plus loin et prennent un tour nettement punitif pour les parties et leurs avocats.

La DACS propose en effet d’imposer aux parties une synthèse de leurs moyens à la fin de la partie « discussion » de leurs conclusions. La longueur de cette synthèse ne pourrait dépasser 10 % des conclusions dans la limite de mille mots, soit environ deux pages maximum selon la DACS.

La DACS indique qu’il n’apparaît pas opportun de prévoir une sanction particulière en cas d’absence de synthèse des moyens dans les conclusions. En effet, dans une telle hypothèse, une voie de recours devrait être prévue pour pouvoir contester l’irrecevabilité ainsi prononcée. Si cela apparaît possible en première instance, ce serait particulièrement complexe à intégrer à la procédure d’appel qui est encadrée par des délais stricts d’après la DACS.

Louable intention, il est vrai que les règles de procédure n’ont pas pour but de complexifier le traitement des dossiers.

De façon totalement ubuesque, la DACS poursuit cependant en indiquant qu’il serait toutefois possible de reproduire le dispositif qui existe déjà pour les prétentions et de prévoir que le tribunal n’est valablement saisi que des moyens développés dans la discussion et récapitulés dans la synthèse.

Résumons : afin de ne pas alourdir la procédure, les juges pourraient donc considérer n’être saisis de rien pour la simple et unique raison qu’un résumé des moyens des parties ne leur a pas été fourni. Plus fort encore, cette décision des juges refusant de juger pour une raison de pure forme serait sans recours possible car il ne s’agirait pas d’une sanction procédurale pour la partie ainsi privée de son droit d’être entendue par la justice.

III. L’institutionnalisation du déni de justice

La proposition de la DACS a un nom, cela s’appelle un déni de justice. Cela constitue un délit pénal puni de 7 500 euros d'amende et de l'interdiction de l'exercice des fonctions publiques pour une durée de cinq à vingt ans aux termes de l’article 434-7-1 du Code pénal (N° Lexbase : L1777AMR).

Certes, l’article 4 du Code civil (N° Lexbase : L2229AB8) donne une interprétation restrictive du déni de justice, centrée autour de la loi :

« le juge qui refusera de juger, sous prétexte du silence, de l'obscurité ou de l'insuffisance de la loi, pourra être poursuivi comme coupable de déni de justice. »

Mais l’article L. 141-3 du Code de l’organisation judiciaire (N° Lexbase : L4739H9E) est beaucoup plus large :

« les juges peuvent être pris à partie dans les cas suivants :
« 2° S'il y a déni de justice.
« Il y a déni de justice lorsque les juges refusent de répondre aux requêtes ou négligent de juger les affaires en état et en tour d'être jugées. »

Par ailleurs, l’article 30 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1167H4Y), se trouvant dans ses dispositions liminaires, est clair :

- « l’action est le droit, pour l'auteur d'une prétention, d'être entendu sur le fond de celle-ci afin que le juge la dise bien ou mal fondée. »
- « Pour l'adversaire, l'action est le droit de discuter le bien-fondé de cette prétention. »

L’action, c’est donc le droit d’être entendu au fond. La forme ne peut prendre le pas que de façon exceptionnelle sur ce principe fondamental.

On retrouve cette même idée à l’article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme (N° Lexbase : L7558AIR) qui garantit un droit d’accès effectif au juge. Comme la Cour de cassation le rappelait dans un colloque de 2000, « si ce droit, qui n’est pas absolu, peut donner lieu à des limitations implicitement admises car il appelle de par sa nature même une réglementation par l’État », « les limitations appliquées ne sauraient restreindre l’accès ouvert à l’individu d’une manière ou à un point tel que le droit s’en trouve atteint dans sa substance même » (Cour de cassation, L’application, par le juge français, de l’article 6-1 de la CEDH).

IV. Les réactions de la profession d’avocat

Les réactions ne se sont pas faites attendre du côté des avocats. Le 17 septembre 2021, la FNUJA twittait ainsi « s’oppos[er] à la proposition visant, non pas à la structuration des écritures devant le tribunal judiciaire et la cour d’appel, mais à leur standardisation qui, sous couvert du souhait affiché d’accélérer le traitement judiciaire des dossiers, portera atteinte au droit à un procès équitable ».

Quant au Conseil national des Barreaux, il votait le même jour une résolution aux termes de laquelle il « s’oppose à l’accroissement abusif des contraintes méthodologiques assimilées à des règles processuelles assorties de sanctions irréversibles, qui génèrent une augmentation des incidents de procédure, des recours, ainsi qu’un alourdissement et un allongement des procès dans le but illusoire de compenser l’absence chronique des moyens dévolus à la justice » et « rappelle que les règles procédurales ne sont pas destinées à la gestion des flux mais à favoriser des décisions judiciaires de qualité ».

Il conclut en soulignant que « le justiciable attend d’une bonne justice d’être entendu dans un délai raisonnable, ce qui est strictement inverse à une telle proposition qui entrave l’accès au juge et porte atteinte au droit à un procès équitable ».

V. Que peut-on espérer demain ?

Les précédentes réformes de la procédure civile tendent à montrer que la DACS ne tient pas compte de l’avis des avocats. Son objectif est clair et unique : vider les stocks des tribunaux, quitte à barrer l’accès au juge en créant des obstacles formels avant et après sa saisine (obligation de recours préalable à un mode de règlement alternatif des litiges ; règles de forme alambiquées sans réel apport pour le bon déroulement du procès mais assorties de sanctions permettant de rejeter des demandes sans les juger au fond si elles ne sont pas respectées à la lettre).

Il est donc vraisemblable que, une fois de plus, la DACS passe sa réforme sans autre forme de procès. Même si les faits lui donnent tort et que les délais continuent de s’allonger devant les juridictions, comme devant les cours d’appel à la suite des réformes Magendie, elle continue ainsi son bonhomme de chemin, sûre d’elle et de la pertinence des réformes qu’elle empile de plus en plus vite.

Car, depuis son décret de réforme de la procédure civile du 11 décembre 2019, la DACS a déjà produit un nouveau décret de réforme (Décret n° 2020-1452, du 27 novembre 2020, voir C. Simon, Même joueur joue encore : la réforme de la réforme de la procédure civile, Lexbase Droit privé, décembre 2020, n° 847 (N° Lexbase : N5622BYU) et un autre est en cours d’examen devant le Conseil d’État et devrait être publié sous peu. La dernière réforme annoncée sera donc la quatrième en moins de deux ans.

Le sentiment de l’auteur de ses lignes est ainsi d’assister à la course d’un poulet sans tête. Cela serait comique s’il n’en subissait pas lui-même les effets au quotidien, en tant que praticien, et s’il n’anticipait que cette nouvelle réforme n’améliorera en rien le traitement de ses dossiers judiciaires. Au contraire, malgré ce que la DACS croit, quand les tribunaux expulsent des dossiers sur la forme, sans les juger sur le fond, ils ne disparaissent pas : des recours sont tentés, même si la DACS les pense inexistants, et des contentieux de responsabilité civile professionnelle des avocats naissent. La charge des tribunaux s’accroit ainsi mécaniquement, avec des dossiers de forme, sans améliorer le traitement des « vrais » dossiers, de fond. Et c’est de cette façon que le poulet rebondit de mur en mur, croyant avancer droit quand, en réalité, il titube.

Pour aller plus loin : Retrouvez l'interview de Florian Borg, avocat au barreau de Lille, élu au SAF, secrétaire au CNB et rapporteur du projet lors de l’Assemblée Générale du CNB, qui a accepté pour Lexbase Avocats (N° Lexbase : N8820BYC) et Lexradio [podcast]  de revenir sur les enjeux d’une telle proposition de réforme.

 

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