Réf. : Cass. civ. 3, 18 mars 2021, n° 19-21.078, F D (N° Lexbase : A89454LU)
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par Juliette Mel, Docteur en droit, Avocat associé, Rome Associés, Chargée d’enseignements à l’UPEC et Paris Saclay, Responsable de la commission Marchés de Travaux, Ordre des avocats
le 24 Mars 2021
► L’erreur d’implantation n’entraîne pas automatiquement la démolition/reconstruction de l’ouvrage ;
► lorsque tel est le cas, l’impropriété à la destination de l’ouvrage est caractérisée et le dommage est de nature décennale ;
► le risque de démolition/reconstruction suffit à caractériser le dommage de nature décennale.
Gare aux erreurs d’implantation ! Elles sont fréquentes et nombreux sont ceux qui considèrent qu’elles ne génèrent pas forcément de dommage et, encore moins, de dommage de nature décennale. La jurisprudence ne partage pas cette analyse et fait montre d’une particulière sévérité quant au régime de responsabilité applicable à ces défauts de conformité. L’arrêt rapporté en est une nouvelle illustration.
En l’espèce, des accédants à la propriété confient à un constructeur de maisons individuelle la construction de leur maison. Il est constaté, après la réception, une erreur d’implantation altimétrique. Les accédants à la propriété sollicitent la condamnation du constructeur et son assureur de responsabilité civile décennale à payer notamment le coût de la démolition/reconstruction de l’ouvrage, sur le fondement de la responsabilité civile décennale.
Les conseillers d’appel considèrent que la non-conformité de la construction aux prescriptions du permis de construire constitue un dommage de nature décennale et condamnent le constructeur avec son assureur (CA Paris, 4, 2, 15 mai 2019, n° 15/20186 N° Lexbase : A2603ZCE). Ce dernier forme un pourvoi en cassation dont les moyens méritent d’être mis en avant.
Il est, tout d’abord, exposé que si une erreur d’implantation, non-régularisable, susceptible d’aboutir à la démolition de l’immeuble, peut porter atteinte à la destination de l’immeuble et constituer un dommage de nature décennale, c’est à la condition que la démolition de l’immeuble soit certaine dans le délai décennal. Or, la cour d’appel a seulement fait état d’un risque de démolition lié au fait que l’action dont dispose la commune n’est pas prescrite, sans caractériser plus avant que cette démolition interviendra dans le délai décennal.
Il est, par ailleurs, prétendu que la commune n’a jamais indiqué qu’elle entendait solliciter la démolition de la maison.
Le moyen aurait pu convaincre. Si le critère de gravité décennale est la démolition de l’ouvrage, il faut que celui-ci se manifeste dans le délai décennal. Sauf que la démolition n’est pas ce qui entraîne la qualification de la gravité décennale mais la conséquence, à savoir la réparation. Peu importe donc que la réparation de l’ouvrage intervienne dans le délai décennal.
La Haute juridiction ne rentre même pas dans cette distinction. Elle se contente de relever que l’erreur d’implantation faisait actuellement courir le risque de la démolition de l’ouvrage, lequel risque suffit à rendre l’ouvrage impropre à sa destination.
La solution n’est pas nouvelle (pour exemple, pour une erreur d’implantation qui entraîne un risque de démolition : Cass. civ. 3, 19 décembre 1972, n° 71-13.719, publié au bulletin N° Lexbase : A1976CIZ ; et, plus récemment : Cass. civ. 3, 12 juin 2013, n° 12-19.103, FS-D N° Lexbase : A5804KG3).
La sanction de la démolition semble brutale et doit toujours être appréciée au travers du critère de proportionnalité.
L’existence d’un défaut d’implantation altimétrique n’entraîne pas, en soi, l’admission d’une gravité décennale (Cass. civ. 3, 6 mai 2009, n° 08-14.505, FS-P+B N° Lexbase : A7581EGU). Il peut également être réparé sur le fondement du droit commun (Cass. civ. 3, 22 octobre 2008, n° 07-16.739, FS-D N° Lexbase : A9351EAL, ou encore Cass. civ. 3, 23 mai 2007, n° 06-13.014, FS-D N° Lexbase : A4908DWP) étant rappelé que le constructeur est débiteur d’une obligation de résultat, ce qui vient tout de même simplifier le régime probatoire.
La décennale ne devrait s’appliquer que lorsqu’il y a démolition/reconstruction (pour exemple, Cass. civ. 3, 6 décembre 2018, n° 17-28.503, F-D N° Lexbase : A7865YPY).
L’extension de la responsabilité civile décennale et, par devers elle, de la mobilisation des garanties souscrites auprès de l’assureur de RC décennale, au risque de démolition, semble disproportionnée et conduit, à tout le moins, à étendre le champ d’application de l’article 1792 du Code civil (N° Lexbase : L1920ABQ).
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