Réf. : CE 1° et 6° ch.-r., 20 juin 2016, n° 386978, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6222RTM)
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par Arnaud Le Gall, Maître de conférences en droit public, Université de Caen Normandie et Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Droit de l'urbanisme"
le 14 Juillet 2016
I - Emplacement réservé et droit de délaissement
La technique de l'emplacement réservé permet à une collectivité de créer une servitude d'intérêt général sur un terrain afin de limiter l'objet et la nature des constructions qui peuvent y être édifiées. Le document d'urbanisme peut ainsi prévoir que certains secteurs seront destinés à recevoir des équipements collectifs : intégrer ces secteurs dans les emplacements réservés permet d'interdire qu'ils soient utilisés d'une manière incompatible avec la destination fixée par le document.
L'article L. 123-1-5 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L8255KGT), dans ses dispositions applicables à la date du permis attaqué, autorisait le règlement du PLU à "fixer les emplacements réservés aux voies et ouvrages publics, aux installations d'intérêt général ainsi qu'aux espaces verts". Cette servitude qui a pour effet de limiter, voire d'interdire, le droit à construire afin d'atteindre l'objectif d'équilibre entre les différentes exigences posées par l'article L. 121-1 alors applicable (N° Lexbase : L3226IQK), peut être supprimée à l'occasion d'une modification du document d'urbanisme (1).
La jurisprudence précise au sujet des dispositions de ces dispositions "qu'il appartient aux auteurs d'un plan d'occupation des sols ou d'un plan local d'urbanisme de déterminer le parti d'aménagement à retenir sur le territoire concerné par le plan, en tenant compte de la situation existante et des perspectives d'avenir, et de fixer, notamment, la liste des emplacements réservés pour la création ou l'aménagement des voies et ouvrages publics nécessaires" (2). Le juge administratif n'exerce donc dans ce domaine qu'un contrôle de l'erreur manifeste d'appréciation (3). Le maintien d'un classement en emplacement réservé pendant plusieurs années alors que des enquêtes publiques ont été menées pour la réalisation d'un autre projet destiné à remédier aux mêmes difficultés de circulation que celles qui ont motivé le classement en emplacement réservé n'est donc pas illégal (4).
L'emplacement réservé doit être prévu par le règlement et doit figurer sur les documents graphiques annexés au document graphiques. Ainsi, la seule délimitation, sur ces documents d'une zone verte au sein d'une zone à urbaniser ne suffit pas à lui conférer un caractère inconstructible (5). De même, si le règlement du document d'urbanisme peut prévoir une limitation du droit à construire visant des espaces verts à protéger, la création de ces espaces ne peut conduire à instaurer une inconstructibilité absolue, dès lors qu'il ne s'agit pas d'emplacements réservés (6).
Une construction scolaire, de même qu'un parc de stationnement souterrain, constituent donc des ouvrages publics pouvant donner lieu à emplacement réservé (7). De même, une commune peut réserver un emplacement pour la réalisation d'un ascenseur urbain dans le but de faciliter l'accès à un site touristique (8) ou pour réaliser une aire d'accueil des gens du voyage (9).
Une commune, qui peut légalement créer un emplacement réservé sans justifier d'un projet précis (10), n'est cependant pas obligée de prévoir des emplacements réservés aux voies et ouvrages publics (11). En revanche, dès lors que le plan prévoit des emplacements réservés, ceux-ci doivent être respectés, le cahier des charges d'un lotissement ne pouvant, en aucun cas, régir les emplacements réservés pour équipements publics (12).
Il reste que les dispositions du document d'urbanisme prévoyant de telles servitudes ne sont pas opposables à toutes les demandes d'autorisation : dès lors que le Code de l'urbanisme prévoit que l'édification d'une clôture ne peut être refusée que lorsqu'elle fait obstacle à la libre circulation des piétons, la présence de la clôture sur un emplacement réservé voirie ne peut légalement justifier le refus d'autorisation (13). De même, l'instauration d'un emplacement réservé ne peut se substituer à un plan d'alignement nouveau : la délimitation d'un emplacement réservé pour l'élargissement ultérieur de la voie publique ne peut donc avoir les mêmes effets que ceux d'un plan d'alignement (14).
Dans sa version actuelle issue de l'ordonnance n° 2015-1174 du 23 septembre 2015 (N° Lexbase : L2163KIX), l'article L. 151-41 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L2598KI3) reprend les trois objets traditionnels des emplacements réservés (voies et ouvrages publics, installations d'intérêt général, espaces verts) et y rajoute un nouvel objectif puisque le règlement peut désormais "délimiter des terrains sur lesquels sont institués [...] 4° Dans les zones urbaines et à urbaniser, des emplacements réservés en vue de la réalisation, dans le respect des objectifs de mixité sociale, de programmes de logements qu'il définit". Les emplacements réservés sont mentionnés sur les documents graphiques du plan, en application, notamment, en l'état actuel du droit, des articles R. 151-34 (N° Lexbase : L0308KWC) et R. 151-38 (N° Lexbase : L0304KW8).
En contrepartie de la servitude provoquée par l'emplacement réservé, le propriétaire peut se voir reconnaître le droit de délaissement prévu par l'article L. 123-17 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L8223KGN), dans ses dispositions applicables à l'espèce commentée, qui dispose que "le propriétaire d'un terrain bâti ou non bâti réservé par un plan local d'urbanisme pour un ouvrage public, une voie publique, une installation d'intérêt général ou un espace vert peut, dès que ce plan est opposable aux tiers, et même si une décision de sursis à statuer qui lui a été opposée est en cours de validité, exiger de la collectivité ou du service public au bénéfice duquel le terrain a été réservé qu'il soit procédé à son acquisition dans les conditions et délais mentionnés aux articles L. 230-1 et suivants". Ce droit de délaissement a été maintenu par le nouvel article L. 152-2 (N° Lexbase : L2607KIE) dans les mêmes termes.
La jurisprudence rappelle donc "qu'en contrepartie de l'institution de ces servitudes d'urbanisme, les propriétaires concernés peuvent, conformément à l'article L. 123-17 du même code, exiger de la collectivité au bénéfice de laquelle leur terrain a été réservé qu'il soit procédé à son acquisition" (15).
L'arrêt du 20 juin 2016 expose de manière plus précise l'articulation des différentes dispositions applicables. L'arrêt énonce à ce sujet : "en contrepartie de cette servitude, le propriétaire concerné par un emplacement réservé bénéficie, en vertu de l'article L. 123-17 du Code de l'urbanisme, dans sa rédaction alors applicable, d'un droit de délaissement lui permettant d'exiger de la collectivité publique au bénéfice de laquelle le terrain a été réservé qu'elle procède à son acquisition, dans les conditions fixées par les articles L. 230-1 et suivants du même code, faute de quoi les limitations au droit à construire et la réserve ne sont plus opposables".
D'une part, le Conseil d'Etat rappelle ici le principe du droit de délaissement (16) qui justifie, notamment, l'absence d'incompatibilité entre la procédure des emplacements réservés et la CESDH (17). Ce droit est reconnu dans le cadre de plusieurs procédures qui portent atteinte à la propriété privée. Dès lors que la propriété est atteinte dans sa substance, le propriétaire peut exiger du bénéficiaire qu'il procède à l'acquisition totale de son bien. Cette règle n'est cependant pas générale puisqu'elle ne s'applique pas, par exemple, à la servitude de marchepied prévue par les articles L. 2131-2 (N° Lexbase : L3159KG4), L. 2131-5 (N° Lexbase : L4569IQB) et L. 213l-6 (N° Lexbase : L4570IQC) du Code général de la propriété des personnes publiques.
D'autre part, le Conseil d'Etat énonce la sanction qui s'attache au refus de la collectivité de respecter le droit de délaissement. Un tel refus fait disparaître, au profit du propriétaire, les limitations au droit à construire et la réserve elle-même. Ce faisant, le Conseil d'Etat rappelle les termes de l'article L. 230-4 (N° Lexbase : L7427IDG) dans sa rédaction applicable à l'espèce qui prévoyait que les limitations au droit à construire et la réserve n'étaient plus opposables en l'absence de saisine du juge de l'expropriation. On relèvera, à ce sujet que les dispositions actuelles du Code de l'urbanisme relatives au droit de délaissement ne font plus référence à la technique des emplacements réservés.
En rappelant l'existence du droit de délaissement, l'arrêt du 20 juin 2016 n'apporte aucune innovation particulière. Tel n'est pas le cas, en revanche, de la portée du droit à construire que laisse subsister cette technique.
II - Emplacement réservé et droit à construire
L'objet même de l'emplacement réservé est de limiter les droits à construire. La construction est donc interdite sur les terrains, bâtis ou non, inscrits en emplacement réservé par un plan d'occupation des sols (18).
L'ancien article L. 423-1 (N° Lexbase : L5629C8Y) prévoyait que, "lorsqu'un emplacement est réservé par un plan d'occupation des sols rendu public ou un plan local d'urbanisme approuvé, ou un document d'urbanisme en tenant lieu, pour un ouvrage public, une voie publique, une installation d'intérêt général ou un espace vert et que la construction à édifier a un caractère précaire, le permis de construire peut exceptionnellement être accordé, sur avis favorable de la collectivité intéressée à l'opération".
L'actuel article L. 433-3 (N° Lexbase : L8111HE7) confirme que seuls des ouvrages à caractère précaire peuvent être installés sur des emplacements réservés, le bénéficiaire du permis de construire devant enlever sans indemnité la construction et remettre, à ses frais, le terrain en l'état à la première demande du bénéficiaire de la réserve.
C'est ainsi que, hors le cas des constructions conformes à la destination de l'emplacement réservé, seules les constructions présentant un caractère précaire peuvent être légalement autorisées sur un tel emplacement par un permis de construire ou par une autorisation de travaux, avec l'accord de la collectivité intéressée à l'opération (19). Il appartient à l'autorité compétente qui entend autoriser une telle construction de prescrire son édification à une distance minimale de la limite séparative suffisante pour prévenir un empiètement sur l'emplacement réservé et pour que les distances minimales par rapport aux limites parcellaires soient respectées (20).
L'autorité administrative se trouve ainsi en situation de compétence liée lorsque la demande d'autorisation n'est pas conforme avec l'objet de l'emplacement réservé, ce qui rend inopérants les autres moyens susceptibles d'être invoqués par le pétitionnaire (21). Cette situation de compétence liée demeure, y compris lorsque la demande émane de la personne bénéficiaire de la réserve, tant qu'aucune modification du plan d'occupation des sols emportant changement de la destination n'est intervenue (22). La délivrance d'un permis illégal ayant conduit à l'édification d'une maison d'habitation sur un emplacement réservé constitue donc une faute de nature à engager la responsabilité de l'autorité qui a délivré le permis (23).
La restriction du droit à construire se trouve compensée par l'aménagement des règles relatives au coefficient d'occupation des sols. Les surfaces correspondant aux emplacements réservés sont ainsi déduites de la superficie du terrain prise en compte pour le calcul du coefficient d'occupation du sol (24).
La jurisprudence a toujours fait respecter avec une grande rigueur la destination des emplacements réservés.
Un emplacement réservé peut avoir deux destinations dès lors qu'il correspond à cette dualité de destination. Une commune peut ainsi légalement prévoir la réalisation de deux aires de stationnement destinées à être implantées en sous-sol et aménagées en surface comme jardins publics ou autres installations d'intérêt général, les deux emplacements réservés à cet effet correspondant à cette dualité de destination (25). En revanche, une disposition du plan d'occupation des sols prévoyant un emplacement réservé fait obstacle, tant qu'elle reste en vigueur, à la délivrance, dans son emprise, du permis de construire visant un immeuble étranger à l'objet de l'emplacement réservé (26).
Plusieurs considérations ont été jugées inopérantes pour tenter de justifier du non respect de cette destination.
Il s'agit, d'une part, du transfert du terrain dans le patrimoine de la personne bénéficiaire de la réserve. La cession du terrain ne peut pas permettre de passer outre la destination de la servitude. Il a été ainsi jugé que "le transfert dans le patrimoine de la personne bénéficiaire de la réserve de terrains inscrits en emplacement réservé est sans incidence sur la destination prévue par le plan d'occupation des sols ; que, par suite, les seuls ouvrages ou installations dont la réalisation peut, postérieurement à ce transfert, être autorisés sur ces terrains sont ceux qui sont conformes à cette destination" (27).
D'autre part, les considérations matérielles sont également sans incidence sur le respect de la destination de l'emplacement réservé. Il importe peu qu'un projet soit matériellement compatible avec cette destination, dès lors qu'il ne correspond pas à l'objet prévu par le document d'urbanisme. C'est ainsi qu'un emplacement réservé destiné à la construction de bâtiments à usage scolaire ne peut permettre la réalisation d'un parking souterrain, quand bien même celle-ci ne ferait pas obstacle à l'édification ultérieure des bâtiments scolaires (28).
L'arrêt du 20 juin 2016 vient assouplir de manière assez significative cette jurisprudence rigoureuse.
Dans un considérant de principe, le Conseil d'Etat rappelle, dans un premier temps que "l'autorité administrative chargée de délivrer le permis de construire est tenue de refuser toute demande, même émanant de la personne bénéficiaire de la réserve, dont l'objet ne serait pas conforme à la destination de l'emplacement réservé, tant qu'aucune modification du plan local d'urbanisme emportant changement de la destination n'est intervenue". Conformité à la destination et compétence liée de l'autorité administrative : l'arrêt reprend la décision précitée du 14 octobre 1991.
Dans un second temps, le juge de cassation précise toutefois "qu'en revanche, un permis de construire portant à la fois sur l'opération en vue de laquelle l'emplacement a été réservé et sur un autre projet peut être légalement délivré, dès lors que ce dernier projet est compatible avec la destination assignée à l'emplacement réservé".
Il s'agit là d'un assouplissement significatif du régime des emplacements réservés. On notera que le Conseil ne se prononce pas sur la nature et l'étendue de la compatibilité sur laquelle repose cette nouvelle jurisprudence. D'une part, cette décision ouvre la voie à un nouveau contentieux, dès lors que le juge administratif sera nécessairement conduit à délimiter les contours de cette compatibilité. D'autre part, le Conseil d'Etat ne précise pas si cette compatibilité est juridique ou simplement matérielle.
Les faits de l'espèce laissent cependant entendre que cette compatibilité doit être largement entendue. La jurisprudence antérieure écartait, on l'a vu, toute compatibilité matérielle. Or, dans la présente affaire, l'emplacement réservé avait été créé pour la réalisation d'un poste de redressement électrique du tramway. Dès lors que le Conseil considère que la réalisation simultanée d'un immeuble d'habitation de vingt logements constitue un projet compatible avec cette installation technique, il semble raisonnable de conclure que l'appréciation de cette compatibilité est particulièrement généreuse.
Elle ouvre des perspectives financières intéressantes pour les bénéficiaires de ces emplacements qui ont eu, ou qui auront, la possibilité d'acquérir le terrain. Grevé d'une servitude, celui-ci ne peut être évalué selon les critères du marché immobilier local et sa valeur est nécessairement très faible. L'arrêt du 20 juin 2016 ouvre aux bénéficiaires, la possibilité de valoriser leur acquisition, tout en réalisant le projet prévu pour l'emplacement réservé. C'est là une opportunité qui n'échappera pas à tout le monde.
Le Conseil d'Etat confirme ainsi la solution audacieuse retenue par les juges du fond, la cour administrative d'appel ayant fondé son arrêt sur la considération qu'aucune disposition législative ou réglementaire n'interdisait la réalisation d'un projet compatible avec la destination de l'emplacement réservé et écarte les autres moyens soulevés par les requérants par la traditionnelle formule lapidaire destinée aux moyens qu'il juge insusceptibles de justifier l'annulation de l'arrêt attaqué.
(1) CE, 11 juin 1993, n° 118417 (N° Lexbase : A0157AN7).
(2) CE, 16 mai 2011, n° 324967 (N° Lexbase : A0311HSC).
(3) CE, 19 décembre 2007, n° 297148 (N° Lexbase : A1543D3K).
(4) CE, 16 mai 2011, n° 324967 (N° Lexbase : A0311HSC).
(5) CE, 26 mai 2010, n° 320780 (N° Lexbase : A6903EXX).
(6) CE, 2 juillet 1982, n° 33747 (N° Lexbase : A1317ALD).
(7) CE, 26 octobre 1994, n° 124062 (N° Lexbase : A3053ASU).
(8) CE, 30 juillet 1997, n° 160007 (N° Lexbase : A0858AEI).
(9) CE, 25 mars 1988, n° 54411 (N° Lexbase : A8012APG).
(10) CE, 7 juillet 2008, n° 296438 (N° Lexbase : A6067D9L).
(11) CE, 29 octobre 2012, n° 332257 (N° Lexbase : A1150IWI).
(12) CE, 31 mars 1989, n° 83538 (N° Lexbase : A1912AQU).
(13) CE, 31 juillet 1996, n° 129058 (N° Lexbase : A0131APK).
(14) CE, 12 avril 1995, n° 86981 (N° Lexbase : A3270ANG).
(15) CE, 26 juin 2013, n° 35408 (N° Lexbase : A1994AMS).
(16) CE, 26 juin 2013, n° 353408 (N° Lexbase : A1249KI4).
(17) CE, 19 décembre 2007, n° 297148 (N° Lexbase : A1543D3K).
(18) CE, 29 juillet 1994, n° 127945 (N° Lexbase : A2093ASC).
(19) CE, 16 mai 2011, n° 324967 (N° Lexbase : A0311HSC).
(20) CE, 7 mars 2008, n° 301719 (N° Lexbase : A3859D73).
(21) CE, 27 octobre 1978, n° 06373 (N° Lexbase : A3633AIE).
(22) CE, 14 octobre 1991, n° 92532 (N° Lexbase : A0319B8C).
(23) CE, 30 juin 1976, n° 96295 (N° Lexbase : A0856B9L).
(24) CE, 17 juin 2014, n° 360020 (N° Lexbase : A6259MRA).
(25) CE, 30 juillet 1997, n° 160007 (N° Lexbase : A0858AEI).
(26) CE, 27 octobre 2009, n° 294173 (N° Lexbase : A6003EMB).
(27) CE, 14 octobre 1991, n° 92532 (N° Lexbase : A0319B8C).
(28) Idem.
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