Réf. : Cass. soc., 12 septembre 2007, n° 06-42.496, Société La Montagne, FS-P+B (N° Lexbase : A2199DY4)
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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
le 07 Octobre 2010
Résumé
La clause par laquelle les parties signataires d'un accord collectif s'engagent à renoncer à toute réclamation concernant la période antérieure à la date de signature de l'accord ne peut engager que les seules parties à l'accord et ne saurait interdire aux salariés de faire valoir en justice les droits qu'ils ont acquis par application de la loi. |
1. Dualité des effets de la convention collective
L'article L. 135-2 du Code du travail (N° Lexbase : L5715ACN) fixe les rapports entre les conventions collectives applicables dans l'entreprise et les contrats individuels de travail des salariés. Ce texte dispose que "lorsqu'un employeur est lié par les clauses d'une convention ou d'un accord collectif de travail, ces clauses s'appliquent aux contrats de travail conclus avec lui, sauf dispositions plus favorables".
L'employeur peut être lié par les clauses d'une convention collective de trois manières : soit comme partie à un accord d'entreprise, soit comme adhérent d'une organisation patronale signataire d'un accord collectif conclu à un niveau territorial autre que l'entreprise au sein de la branche, de la profession ou de l'interprofession, soit, encore, en tant qu'entreprise entrant dans le champ d'application d'un accord étendu.
Lorsqu'une convention est déclarée applicable dans l'entreprise, ses dispositions s'appliquent à tous les salariés, quelle que soit la date de conclusion de leur contrat de travail, mais ne modifient en rien le contenu propre de ces contrats de travail. L'accord collectif s'appliquera alors de manière concurrente avec le contrat de travail, les dispositions effectivement applicables étant celles qui apparaissent comme étant les plus favorables au salarié.
Si l'application de ce schéma aux obligations mises à la charge des employeurs par les accords collectifs ne fait pas difficulté, nombreux sont les auteurs qui contestent qu'un accord collectif puisse mettre à la charge des salariés des obligations professionnelles absentes du contrat de travail, qu'il s'agisse d'une période d'essai, d'un préavis de démission, d'une interdiction de cumul d'emploi, d'une obligation de dédit-formation, d'une obligation de confidentialité, de mobilité ou de non-concurrence. Pour ces auteurs, un accord collectif ne pourrait, en effet, qu'améliorer le sort du salarié mais jamais lui imposer de nouvelles obligations, le silence du contrat de travail garantissant au salarié, en quelque sorte, l'absence d'obligations supplémentaires ; sans relais dans le contrat de travail, les dispositions conventionnelles ne seraient donc pas opposables au salarié qui pourrait revendiquer le strict respect de son contrat (1).
Cette thèse n'a jamais été consacrée en tant que telle par la jurisprudence qui ne considère comme contractuel que ce qui est effectivement voulu comme tel par les parties (2). La jurisprudence fait, ainsi, produire effet aux accords collectifs qui mettent à la charge des salariés de nouvelles obligations professionnelles et leur en impose le respect, à condition toutefois qu'ils aient été informés de ces dispositions au moment de leur embauche (3), ce qui rend inopposables les obligations conventionnelles apparues dans le statut collectif applicable au salarié postérieurement à son embauche (4).
Ce pouvoir d'imposer aux salariés des contraintes supplémentaires n'est toutefois pas sans limites, et la jurisprudence a parfois pu considérer que certains engagements conventionnels ne valaient pas au-delà des parties contractantes à l'accord, c'est-à-dire qu'ils ne pouvaient être opposés aux salariés.
Il s'agit, ici, classiquement, de respecter les limites fixées par l'ordre public (5). Selon la définition que le Conseil d'Etat a pu en donner, il s'agit de questions qui "débordent le domaine du droit du travail", ainsi que des "avantages ou garanties échappant, par leur nature, aux rapports conventionnels" (6). D'une manière synthétique, l'accord collectif ne peut porter atteinte ni aux droits fondamentaux des salariés, ni au fonctionnement des institutions publiques ni, encore, à la liberté du commerce et de l'industrie.
C'est ce qui a été jugé en 1995 à propos des clauses des accords imposant aux salariés le respect de procédures préalables au déclenchement d'une grève, seul le législateur ayant été habilité, par le Préambule de la Constitution de 1946 (N° Lexbase : L6815BHU), à réglementer l'exercice du droit de grève, à l'exclusion, donc, des partenaires sociaux (7).
C'est, également, ce qui a été jugé dernièrement à propos d'un accord de fin de conflit excluant le paiement des jours de grève, la Cour de cassation ayant considéré qu'un tel accord n'était pas de nature à empêcher les salariés de réclamer à leur employeur une indemnité compensant le préjudice subi en raison de la perte de leur rémunération pendant la durée du conflit (8).
A l'inverse, les parties contractantes ne peuvent pas toujours limiter la portée de leurs engagements aux seuls signataires. Il en va ainsi lorsque pareille limitation serait constitutive d'une discrimination syndicale. Il a été jugé que le bénéfice d'avantages conventionnels, en matière de droit syndical, ne pouvait pas être réservé aux seuls syndicats signataires, mais devait être, au contraire, ouvert à tous les syndicats représentatifs de l'entreprise (9) ; les syndicats non signataires doivent, toutefois, pour en bénéficier, se plier, en contrepartie, aux conditions posées par l'accord (10).
L'accord collectif présente ainsi une nature mixte, mise en évidence par Paul Durand (11), certaines de ses dispositions présentant un caractère simplement contractuel et ne s'imposant qu'entre les parties contractantes, d'autres présentant un caractère plus réglementaire car créant des obligations à l'égard des tiers, c'est-à-dire de salariés ni présents, ni représentés personnellement à la négociation de l'accord (12).
C'est bien cette distinction entre les dispositions contractuelles, qui n'engagent que les signataires, et les dispositions réglementaires, qui sont susceptibles d'être opposées aux salariés, qui se trouve reprise dans cet arrêt en date du 12 septembre 2007.
2. La confirmation de la nature mixte de la convention collective
Cette affaire concernait l'accord cadre du 8 novembre 1999 sur les droits d'auteur dans la presse quotidienne régionale, conclu pour mettre un terme à des conflits importants entre photographes et directions des quotidiens à propos des droits d'auteurs. L'accord prévoyait les modalités de rémunération pour l'avenir et stipulait que les parties signataires s'engageaient à renoncer à toute réclamation concernant la période antérieure à la date de signature.
Un photographe du quotidien régional "La Montagne" avait engagé une action prud'homale tendant au paiement de dommages et intérêts pour violation de ses droits patrimoniaux d'auteur résultant de nouvelles exploitations et cessions de ses oeuvres photographiques sans son autorisation préalable ni versement d'une rémunération complémentaire.
La cour d'appel lui avait donné raison, nonobstant la renonciation prévue par la convention collective, ce que contestait, bien entendu, son employeur. Pour obtenir la cassation de l'arrêt d'appel, elle faisait notamment valoir que "la renonciation à toute réclamation au titre de droits antérieurs [était] stipulée, [et] que, dans cette hypothèse, [...] le salarié est de toutes façons réputé avoir renoncé à toute réclamation à ce titre".
Tel n'a pas été l'avis de la Chambre sociale de la Cour de cassation qui rejette le pourvoi et affirme, bien au contraire, que "la clause par laquelle les parties signataires d'un accord collectif s'engagent à renoncer à toute réclamation concernant la période antérieure à la date de signature de l'accord ne peut engager que les seules parties à l'accord et ne saurait interdire aux salariés de faire valoir en justice les droits qu'ils ont acquis par application de la loi".
En d'autres termes, seuls les salariés peuvent, à titre individuel, renoncer à faire valoir leurs droits en justice, et non les partenaires sociaux dans le cadre d'un accord collectif.
Si l'énoncé de la solution est clair, son fondement n'est guère explicite, même si une lecture attentive de la décision livre d'intéressants enseignements.
En premier lieu, la solution protège le droit d'accès au juge, dont on sait qu'il constitue une garantie fondamentale du justiciable, notamment dans le cadre de l'article 6 § 1 de la CESDH (N° Lexbase : L7558AIR), rappelée dernièrement par l'Assemblée plénière de la Cour de cassation pour écarter l'application immédiate d'un revirement de jurisprudence en matière de prescription (13).
En second lieu, faire application d'une renonciation conventionnelle porterait atteinte aux droits acquis du salarié et violerait un autre principe fondamental, celui du droit de propriété, protégé par l'article 1er du Protocole additionnel n° 1 à la CESDH (N° Lexbase : L1625AZ9).
C'est donc bien parce que la convention collective portait atteinte à deux droits fondamentaux du salarié qu'elle ne saurait produire d'effet au-delà des parties contractantes.
3. La mise en évidence de l'effet interprétatif du grief de nullité
Cette solution semble donc justement protéger les intérêts des salariés qui ne peuvent perdre leurs droits que dans le cadre d'une renonciation individuelle.
Il semble, toutefois, étrange de ne pas considérer que la renonciation, organisée par la convention collective, soit simplement privée d'effet à l'égard des salariés ou, pour reprendre une expression utilisée pour les accords relatifs à l'exercice du droit de grève, "inopposable". En portant atteinte aux libertés fondamentales des salariés, ces accords devraient être nuls puisque contraires à des dispositions d'ordre public.
Le choix d'une simple inopposabilité est toutefois judicieux. Ces accords sont, en effet, rédigés d'une manière telle qu'il est délicat de déterminer, à s'en tenir à leur lettre, s'ils s'adressent uniquement aux parties contractantes, qui renoncent conventionnellement à toute action ou intervention en justice sur les sujets visés, ou plus largement aux salariés qui entrent dans son champ d'application.
En se référant à l'inopposabilité de l'accord, la Cour fait, en réalité, produire aux droits fondamentaux mis en cause non pas un effet d'annulation, mais un simple effet interprétatif qui permet de faire produire à l'accord un effet utile compatible avec le respect de l'ordre public.
Ce faisant, les juges sauvent une partie de l'accord, en en limitant la portée aux seuls signataires, tout en préservant les intérêts fondamentaux des salariés.
Décision
Cass. soc., 12 septembre 2007, n° 06-42.496, Société La Montagne, FS-P+B (N° Lexbase : A2199DY4) Rejet (CA Riom, 4ème chambre sociale, 14 mars 2006) Texte concerné : C. trav., art. L. 135-2 (N° Lexbase : L5715ACN) Mots-clefs : accords collectifs ; engagement des parties signataires ; portée ; salariés. Lien bases : |
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