La lettre juridique n°273 du 20 septembre 2007 : Responsabilité

[Jurisprudence] Retour sur la portée des précisions apportées par l'Assemblée plénière à la mise en oeuvre de la responsabilité générale du fait d'autrui au sens de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil

Réf. : Cass. Ass. plén., 29 juin 2007, n° 06-18.141, Société La Sauvegarde c/ M. Frédéric Marcos, P+B+R+I (N° Lexbase : A9647DW9)

Lecture: 8 min

N4593BC4

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Jurisprudence] Retour sur la portée des précisions apportées par l'Assemblée plénière à la mise en oeuvre de la responsabilité générale du fait d'autrui au sens de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3209343-jurisprudence-retour-sur-la-portee-des-precisions-apportees-par-lassemblee-pleniere-a-la-mise-en-oeu
Copier

par David Bakouche, Professeur agrégé des Facultés de droit

le 07 Octobre 2010

L'occasion avait été donnée avant l'été, à la faveur d'un important arrêt rendu par l'Assemblée plénière de la Cour de cassation le 29 juin 2007, d'insister sur l'importance du contentieux intéressant la responsabilité du fait d'autrui (1). Manifestement, en effet, à supposer même que l'on s'en tienne à la seule responsabilité délictuelle et, donc, qu'on laisse de côté les discussions relatives à la responsabilité que le débiteur encourt, sur le terrain contractuel, par le fait d'un tiers qui aurait participé à l'inexécution dans la mesure où, à nos yeux en tout cas, ce n'est pas à proprement parler une responsabilité du fait d'autrui qui est alors mise en cause mais, fondamentalement, la responsabilité personnelle du débiteur (2), les interrogations demeurent pour le moins nombreuses. Toujours est-il que, par cet arrêt, l'Assemblée plénière avait, pour censurer des juges du fond, rappelé que "les associations sportives ayant pour mission d'organiser, de diriger et de contrôler l'activité de leurs membres, sont responsables des dommages qu'ils causent à cette occasion, dès lors qu'une faute caractérisée par une violation des règles du jeu est imputable à un ou plusieurs de leurs membres, même non identifiés", pour finalement décider qu'en statuant comme elle l'a fait, "alors qu'elle était tenue de relever l'existence d'une faute caractérisée par une violation des règles du jeu commise par un ou plusieurs joueurs, même non identifiés, la cour d'appel a violé le texte susvisé". Au plan des principes, avait-on fait remarquer, l'arrêt confirme certainement l'existence d'une responsabilité du fait d'autrui sur le fondement de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil (N° Lexbase : L1490ABS) et, plus particulièrement, d'une responsabilité des associations sportives pour les dommages causés par leurs membres. Il n'est pas question de revenir ici à nouveau sur ce point, et l'on renverra le lecteur aux observations que l'on avait pu faire à cet égard ainsi qu'aux références citées. Tout au plus peut-on se permettre de faire valoir que le postulat de départ pourrait être, lui, discuté, en l'occurrence le principe même de l'application de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil aux associations sportives. D'abord, en effet, contrairement aux hypothèses dans lesquelles il s'agissait de désigner un responsable pour le dommage causé par des handicapés mentaux ou par des mineurs délinquants ou en danger, aucune nécessité sociale ne justifiait sérieusement d'admettre une responsabilité du fait d'autrui en dehors des cas spéciaux du Code civil applicable aux associations sportives d'autant que, comme on l'a fait remarquer, en pleine possession de leurs moyens physiques et mentaux, les sportifs ne sont soumis à aucune incapacité juridique ou restriction de liberté (3). Ensuite, plus techniquement, faire jouer ici une responsabilité du fait d'autrui en faisant valoir que "c'est l'activité supposée dangereuse des auteurs de dommages qui désigne naturellement pour en répondre ceux qui ont un pouvoir d'encadrement de ce type d'activité" (4) nous paraît recéler une part d'artifice, du moins si l'on pense que l'on "exagère" là le pouvoir prêté aux associations sportives "d'éduquer leurs sociétaires et de les inciter à modérer l'expression de leur passion" (5). Enfin, et à supposer que l'on persiste à considérer qu'un tel pouvoir sur autrui existe effectivement, on éprouvera alors quelques difficultés à expliquer que l'hypothèse ne relève pas de l'alinéa 5 de l'article 1384 et, donc, de la responsabilité des commettants du fait de leurs préposés tant, quoi qu'on en dise, l'appréciation faite par la jurisprudence du rapport de préposition dans ce domaine est extensive (6).

Mais l'essentiel n'est sans doute pas là, l'apport de l'arrêt de l'Assemblée plénière se situant ailleurs : il confirme l'orientation prise par la Cour de cassation depuis quelques années sur la question de savoir si, pour que l'association puisse être déclarée civilement responsable, il faut qu'une faute puisse être imputée à l'auteur du dommage. Après, en effet, s'être un temps abstenue de se prononcer, la Cour a fini par nettement subordonner la mise en oeuvre de la responsabilité des associations sportives du fait de leurs joueurs au sens de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil à l'existence d'une faute caractérisée de l'un d'entre eux (7). Et l'on s'est déjà expliqué sur les raisons qui conduisent la jurisprudence à exiger, s'agissant de la responsabilité des associations sportives, que la faute de l'auteur du dommage soit une faute "caractérisée", l'exigence d'une faute qualifiée se justifiant par les nécessitées de l'activité sportive qui risquerait de se trouver paralysée par une application pure et simple du droit commun. Cette question n'appelle, en tant que telle, pas d'observations particulières tant il s'impose, s'agissant du fait sportif, de ne réserver la qualification de faute qu'à des comportements impossibles à rattacher à la pratique loyale du sport.

Tout cela est, à vrai dire, parfaitement entendu. C'est, en revanche, la portée de la solution qui doit être discutée. Il faut dire qu'une certaine confusion règne : alors, en effet, que la Cour de cassation a, sur le terrain de la responsabilité des commettants du fait de leurs préposés, adopté la même solution, au moins dans le domaine du sport, et ainsi exigé, même après l'arrêt "Costedoat" (8), la preuve d'une faute commise par le préposé pour engager la responsabilité du commettant (9), elle a, au contraire, décidé, levant définitivement les incertitudes générées par l'arrêt "Fullenwarth" (10) que, pour que la responsabilité des parents du fait de leurs enfants mineurs puisse être recherchée, il suffit que le dommage invoqué par la victime ait été directement causé par le fait, même non fautif, du mineur (11). Aussi bien se demande-t-on si les solutions retenues sur le fondement des alinéas 1er et 5 de l'article 1384 -responsabilité générale du fait d'autrui et responsabilité des commettants du fait de leurs préposés- ont une portée générale ou bien, au contraire, si elles ne valent que pour l'hypothèse particulière de dommages causés à l'occasion d'activités sportives jugées potentiellement dangereuses, auquel cas le glissement réalisé sur le terrain de l'alinéa 4 de l'article 1384 "d'une responsabilité de l'anormalité" vers une "responsabilité de la normalité" (12) déborderait du seul cadre de la responsabilité des parents du fait de leurs enfants mineurs. Le caractère hautement discutable de la solution retenue en matière de responsabilité parentale, dont la démonstration a été suffisamment bien faite pour ne pas avoir à être reprise ici, affectant profondément la structure et les fondements de cette responsabilité devenue une garantie objective au profit des tiers (13), ne peut qu'inciter à souhaiter que l'exigence d'une faute de l'auteur du dommage ne soit pas, pour l'application des alinéas 1er et 5 de l'article 1384, cantonnée au seul cas des accidents sportifs. Décider du contraire pourrait bien finir par entraîner la responsabilité civile, à supposer que ce ne soit pas déjà le cas, "dans une spirale d'objectivation excessive et dévastatrice" (14). Techniquement incohérente en ce qu'elle conduit à traiter différemment la réparation du dommage selon qu'il est causé par un mineur ou par un adulte, notamment, d'ailleurs dans la pratique d'une activité sportive (15), substantiellement aberrante en ce qu'elle désigne les parents responsables de tout dommage causé par un acte pourtant objectivement correct et normal de l'enfant, et fondamentalement inquiétante en ce qu'elle témoigne d'une profonde désaffection de notre société pour la famille (16), c'est bien plutôt la solution permettant à la victime d'un dommage causé par un mineur de rechercher la responsabilité des parents de celui-ci en l'absence de fait générateur de responsabilité imputable à l'auteur direct qui mériterait d'être abandonnée. C'est que, comme on l'a justement relevé, un élément d'incohérence ayant été introduit dans un ensemble cohérent, il semble de bonne méthode de rechercher le rétablissement de la cohérence dans la suppression de cet élément et non dans la remise en cause de l'ensemble (17).


(1) Voir nos obs., L'exigence d'une faute imputable à l'auteur du dommage est une condition de mise en oeuvre de la responsabilité du fait d'autrui au sens de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil, Lexbase Hebdo n° 268 du 12 juillet 2007 - édition privée générale (N° Lexbase : N7911BBM).
(2) Comp. G. Durry, Rapport de synthèse, in La responsabilité du fait d'autrui, Actualité et évolutions, Resp. civ. et assur. 2000, n° 11 bis, p. 63.
(3) Voir not. F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, Droit civil, Les obligations, Précis Dalloz, 9ème éd., 2005, spéc. n° 853, p. 825.
(4) P. Jourdain, La responsabilité du fait d'autrui à la recherche de ses fondements, in Etudes à la mémoire de Christian Lapoyade-Deschamps, PUB, 2003, p. 67 et s., spéc. p. 73.
(5) G. Durry, Rapport de synthèse, in La responsabilité du fait d'autrui, Actualité et évolutions, préc., spéc. p. 65 ; Comp., du même auteur, Rapport de synthèse, in Le préjudice, Resp. civ. et assur. 1998, p. 32.
(6) Voir not., Ph. Brun, Responsabilité civile extracontractuelle, Litec, 2005, n° 570, p. 296, et les références citées.
(7) Cass. civ. 2, 20 novembre 2003, n° 02-13.653, M. Jean-Philippe Le Grouiec c/ Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) d'Ille-et-Vilaine, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A2103DA7), Bull. civ. II, n° 356 ; JCP éd. G, 2004, II, 10017, note J. Mouly ; RTDCiv. 2004, p. 106, obs. P. Jourdain ; Cass. civ. 2, 13 mai 2004, n° 03-10.222, Comité régional de rugby du Périgord d'Agenais c/ M. Frédéric Marcos, FS-P+B (N° Lexbase : A2031DC9), Bull. civ. II, n° 232 ; Cass. civ. 2, 21 octobre 2004, n° 03-17.910, Association sportive Bleuets Labatutois section rugby c/ Groupama (CRAMA) du Sud-Ouest, FS-P+B+R (N° Lexbase : A6522DDW), Bull. civ. II, n° 477 et nos obs., La Cour de cassation enfonce le clou et réaffirme l'exigence d'une faute de l'auteur du dommage pour engager la responsabilité du fait d'autrui, Lexbase Hebdo n° 141 du 4 novembre 2004 - édition affaires (N° Lexbase : N3374ABL) ; adde, Ch. Radé, La résurgence de la faute dans la responsabilité civile du fait d'autrui, Resp. civ. et assur. 2004, chron. 15.
(8) Cass. Ass. plén., 25 février 2000, n° 97-17.378, M. Costedoat c/ M. Girard et autres (N° Lexbase : A8154AG4), Bull. civ. n° 2 ; JCP éd. G, 2000, II, 10295, concl. R. Kessous, note M. Billiau.
(9) Cass. civ. 2, 8 avril 2004, n° 03-11.653, Société Olympique de Marseille c/ Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de Nantes, FS-P+B (N° Lexbase : A8470DBC), Bull. civ. II, n° 194., RTDCiv. 2004, p. 517, obs. P. Jourdain.
(10) Cass. Ass. plén., 9 mai 1984, n° 79-16.612, Fullenwarth c/ Felten (N° Lexbase : A7229AYE), Bull. civ. n° 4 ; Les grands arrêts de la jurisprudence civile, op. cit., n° 208 et les références citées.
(11) Cass. civ. 2, 10 mai 2001, n° 99-11.287, M. Arnaud X c/ Garantie mutuelle des fonctionnaires (GMF) et autres, publié (N° Lexbase : A4300ATG), Bull. civ. II, n° 96 ; JCP éd. G, 2001, II, 10613, note J. Mouly ; D. 2001, p. 2851, rapp. P. Guerder, note O. Tournafond ; D. 2002, Somm. p. 1315, obs. D. Mazeaud ; Rép. Defrénois 2001, p. 1275, note E. Savaux ; RTDCiv. 2001, p. 601, obs. P. Jourdain ; Cass. Ass. plén., 13 décembre 2002, n° 01-14.007, M. Michel Minc, publié (N° Lexbase : A4228A4D), Bull. civ. n° 4, D. 2003, p. 231, note P. Jourdain.
(12) Selon la formule évocatrice de C. Grare, Recherches sur la cohérence de la responsabilité délictuelle, préf. Y. Lequette, Dalloz, 2005, n° 65, p. 51.
(13) Voir not. F. Leduc, Le spectre du fait causal, Resp. civ. et assur. 2001, chron. 20 ; H. Groutel, L'enfant mineur ravalé au rang de simple chose ?, Resp. civ. et assur. 2001, chron. 18 ; P. Jourdain, La responsabilité à la recherche de ses fondements, préc. ; Ph. Brun, Le nouveau visage de la responsabilité du fait d'autrui (Vers l'irresponsabilité des petits ?), et J.-C. Saint-Pau, Responsabilité civile et anormalité, in Etudes à la mémoire de Christian Lapoyade-Deschamps, op. cit., p. 105 et s. et p. 249 et s..
(14) P. Jourdain, note sous Cass. Ass. plén., 13 décembre 2002, préc..
(15) J. Mouly, Les paradoxes du droit de la responsabilité civile dans le domaine des activités sportives, JCP éd. G, 2005, I, 134.
(16) Voir not. H. Lécuyer, Une responsabilité déresponsabilisante, Dr. fam. mars 1997, p. 3 ; D. Mazeaud, Famille et responsabilité, in Etudes offertes à P. Catala, Litec, 2001, p. 569 et s..
(17) Voir, en ce sens, F. Terré et Y. Lequette, Les grands arrêts de la jurisprudence civile, op. cit., p. 313.

newsid:294593

Cookies juridiques

Considérant en premier lieu que le site requiert le consentement de l'utilisateur pour l'usage des cookies; Considérant en second lieu qu'une navigation sans cookies, c'est comme naviguer sans boussole; Considérant enfin que lesdits cookies n'ont d'autre utilité que l'optimisation de votre expérience en ligne; Par ces motifs, la Cour vous invite à les autoriser pour votre propre confort en ligne.

En savoir plus