Réf. : Cass. mixte, 18 mai 2007, n° 05-40.803, M. Guy Archalaüs c/ SA Haironville, P+B+R+I (N° Lexbase : A3179DWN)
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par Olivier Pujolar, Maître de conférences à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
le 07 Octobre 2010
Résumé
L'employeur ou ses services peuvent procéder à l'ouverture d'un courrier adressé à un salarié sur son lieu de travail dans la mesure où le pli litigieux était arrivé sous une simple enveloppe commerciale démunie de toute mention relative à son caractère personnel avait pu être considéré, par erreur, comme ayant un caractère professionnel. En revanche, le contenu d'une correspondance relevant de la vie privée du salarié ne peut servir de fondement à une sanction disciplinaire. |
Les questions soulevées par l'arrêt commenté ne sont pas nouvelles pour la Cour de cassation qui leur consacrait déjà une étude dans son rapport annuel pour l'année 1999 (J. Richard de la Tour, La vie personnelle du salarié : étude sur la jurisprudence récente de la Chambre sociale de la Cour de cassation, Rapport de la Cour de cassation 1999, La documentation française, pp. 191-205). Dans les dernières années, la juridiction de cassation a eu l'occasion de se prononcer sur ces questions à d'assez nombreuses reprises. La définition des frontières entre vie privée ou personnelle et vie professionnelle du salarié n'est pas des plus faciles. De nombreux auteurs ont pu relever, avec raison, que les solutions récentes de la Cour de cassation ne sont pas toujours satisfaisantes en ce qu'elles brouillent parfois les frontières, en admettant, par exemple, la licéité d'une sanction disciplinaire prononcée sur le fondement de faits relevant de la vie privée du salarié (v., notamment, J. Mouly, Le licenciement du salarié pour des faits relevant de sa vie personnelle : le retour discret de la perte de confiance, Dr. Soc. 2006, pp. 839-847). Manifestement, dans son arrêt du 18 mai 2007, la Cour de cassation a décidé de revenir à une position plus satisfaisante en excluant clairement les éléments relevant de la vie privée du salarié du champ du pouvoir disciplinaire de l'employeur. Il lui fallait, cependant, d'abord réaffirmer sa jurisprudence concernant le statut même d'une correspondance adressée sur le lieu de travail.
1. L'ouverture licite d'un courrier adressé au salarié sur son lieu de travail
Les difficultés seraient bien moindres si les sphères de la vie privée et de la vie professionnelle étaient parfaitement étanches. Mais, bien entendu, une telle étanchéité relève de la théorie et les passerelles entre les deux sphères sont, au contraire, nombreuses dans la pratique quotidienne.
En l'espèce, un salarié, chauffeur de direction, s'est fait adresser une revue spécialisée pour couples échangistes sur son lieu de travail, sous enveloppe commerciale ne comportant aucune autre indication que le nom du salarié, sa fonction et l'adresse de l'entreprise. Conformément à la pratique habituelle dans l'entreprise, le service du courrier de cette dernière a procédé à l'ouverture du pli et à son dépôt au standard à l'intention de son destinataire. Des salariés s'étant offusqués de la présence du magazine dans un lieu de passage, considérant qu'une atteinte avait été portée à l'image de marque de l'entreprise et que les faits avaient eu un retentissement sur la personne même du directeur, dont le salarié était le chauffeur, l'entreprise a diligenté une procédure disciplinaire à l'encontre du salarié. Ce dernier a accepté la rétrogradation prononcée à l'issue de cette procédure et a signé en conséquence un avenant à son contrat de travail.
Revenant sur son acceptation, le salarié a, ensuite, exercé une action en contestation de la sanction disciplinaire. Cette demande n'a pas été favorablement accueillie par les juges du fond : dans une décision en date du 6 décembre 2004, la cour d'appel de Nancy a considéré que l'ouverture du pli litigieux et la sanction disciplinaire infligée au salarié étaient licites. Le salarié a, alors, introduit un pourvoi en cassation dont la Chambre sociale a considéré, dans une décision du 16 janvier 2007, qu'il devait faire l'objet d'un renvoi devant une Chambre mixte (Cass. soc., 16 janvier 2007, n° 05-40.803, FS-D N° Lexbase : A6250DTN).
La question du statut d'une correspondance adressée à un salarié sur son lieu de travail était donc posée. Or, à cet égard, la Cour de cassation a construit une jurisprudence relativement précise. Pour l'essentiel, cette jurisprudence est fondée sur deux points. En premier lieu, le salarié a droit au respect du principe de secret des correspondances, y compris dans les cas où l'employeur aurait interdit l'usage du courrier personnel dans l'entreprise. En second lieu, les correspondances adressées au salarié sur son lieu de travail sont soumises à une présomption de caractère professionnel (sur ce point, v. récemment Christophe Radé, La recherche de la vérité plus forte que le respect de la vie privée, Lexbase Hebdo n° 262 du 31 mai 2007 - édition sociale N° Lexbase : N1969BBK). Pour résoudre les difficultés pratiques d'articulation de ces deux éléments, la Cour de cassation a posé le principe selon lequel la correspondance adressée au salarié sur son lieu de travail qui n'est pas identifiée comme étant personnelle est présumée professionnelle ce qui autorise l'employeur à y accéder (v. la désormais célèbre jurisprudence "Nikon", Cass. soc. 2 octobre 2001, n° 99-42.942, Nikon France c/ M. Onof, publié N° Lexbase : A1200AWD ; lire Questions à... Jean-Emmanuel Ray, à propos de l'arrêt Nikon, Le quotidien Lexbase / Legalnews du 9 octobre 2001 N° Lexbase : N1201AAQ).
Cependant, toutes les difficultés ne sont pas pour autant résolues : à partir de quand une correspondance peut-elle être considérée comme ayant une identification personnelle suffisante pour être exclue du domaine professionnel ? L'espèce commentée apporte un nouvel exemple de réponse à cette interrogation. Reprenant les termes employés par les juges de la cour d'appel de Nancy, les membres de la Chambre mixte relèvent que "le pli litigieux était arrivé sous une simple enveloppe commerciale démunie de toute mention relative à son caractère personnel" et qu'il avait donc pu être légitimement considéré comme un pli professionnel que le service du courrier de l'entreprise était autorisé à ouvrir. On peut donc en déduire, comme cela a déjà été fait dans d'assez nombreuses décisions, que la simple mention de l'identité du salarié, comme d'ailleurs de sa fonction dans l'entreprise, ne suffit pas à écarter la présomption du caractère professionnel de la correspondance. On ne peut, ici, que faire à nouveau référence à la jurisprudence "Nikon" et à la mention "personnel" qui paraît être la seule à pouvoir renverser la présomption.
Ainsi, sur ce premier point, la décision de la Chambre mixte n'est guère surprenante : l'employeur ou ses services pouvaient légitimement procéder à l'ouverture du pli litigieux. On peut, en revanche, s'interroger sur les suites de cette ouverture : conformément à l'usage dans l'entreprise, le pli et son contenu ont été déposés au standard dans l'attente de leur remise au salarié destinataire. Cette pratique était-elle opportune et pouvait-elle être à la base d'une sanction à l'encontre du salarié ? En effet, si l'ouverture du pli était licite, il n'en était pas moins une correspondance privée. C'est déjà se poser la question des possibilités qu'a l'employeur d'utiliser le contenu d'un courrier adressé au salarié sur son lieu de travail.
2. Les possibilités d'utilisation par l'employeur du contenu d'un courrier adressé au salarié sur son lieu de travail
Comme le soulignait, récemment, un auteur, "l'homme n'est pas une île" (P. Sargos, Droit social 2004, p. 86) et le partage entre vie privée ou personnelle, d'une part, et vie professionnelle du salarié, d'autre part, n'est pas toujours aisé. Pourtant, en la matière, la Cour de cassation a posé une solution de principe, depuis quelques années déjà, qui a le mérite de la clarté et paraît la plus opportune pour préserver la protection de la vie privée ou personnelle du salarié. En effet, dans une décision du 16 décembre 1997, la Chambre sociale de la Cour de cassation retenait qu'"un fait imputé au salarié relevant de sa vie personnelle ne peut constituer une faute disciplinaire" (Cass. soc., 16 décembre 1997, n° 95-41.326, M. X c/ Office notariale de Mes Ryssen et Blondel, publié N° Lexbase : A2206AAX). La solution ne prête guère à la discussion : le pouvoir disciplinaire de l'employeur ne saurait s'exercer alors que le salarié n'est pas sous sa subordination. Pour autant, il ne s'agit pas de sacrifier la protection des intérêts de l'entreprise. Cependant, cette dernière passe par d'autres voies que celle du pouvoir disciplinaire de l'employeur.
Depuis 1997, la Cour de cassation (Cass. soc., 16 décembre 1997, n° 95-41.326, préc.) considère qu'un fait relevant de la vie personnelle du salarié ne peut être considéré comme une faute disciplinaire. Cette position est tout à fait légitime : elle n'est que la conséquence du constat de l'absence de subordination du salarié en dehors de sa vie professionnelle. Cependant, en développant, notamment, les obligations de loyauté et de probité, la Cour de cassation a atténué la clarté de la position adoptée en 1997. Ainsi, dans plusieurs espèces, la Cour de cassation a admis la sanction disciplinaire par l'employeur de comportements ou de faits relevant de la vie privée ou personnelle du salarié (v. récemment Cass. soc., 25 janvier 2006, n° 04-44.918, FS-P+B N° Lexbase : A5597DMA).
Dans sa décision du 18 mai 2007, la Cour de cassation manifeste fortement sa volonté de revenir à une position plus conforme à celle qu'elle avait adoptée en 1997. La publicité donnée à la décision en témoigne assurément. La rédaction de la décision n'en est pas moins claire : "l'employeur ne pouvait, sans méconnaître le respect dû à la vie privée du salarié, se fonder sur le contenu d'une correspondance privée pour sanctionner son destinataire". Mais la rédaction est complétée par un autre attendu qui marque encore plus fortement le souhait des Hauts magistrats d'exclure tout retour sur le champ disciplinaire : "un trouble objectif dans le fonctionnement de l'entreprise ne permet pas en lui-même de prononcer une sanction disciplinaire à l'encontre de celui par lequel il est survenu". Par cette seconde précision, toute référence à une obligation particulière pesant sur le salarié est écartée, toute passerelle éventuelle vers le champ disciplinaire est coupée. Le retour à une analyse tranchée est indéniable : les arrêts remettant en cause le principe posé en 1997 étaient tous fondés sur un jeu autour du trouble objectif causé au sein de l'entreprise par le comportement ou le fait relevant de la vie personnelle. La Cour de cassation considère, elle-même, que la passerelle était devenue trop dangereuse eu égard à la protection de la vie privée du salarié.
Pour asseoir encore plus sa décision, la Cour de cassation prend le soin de préciser que "la réception par le salarié d'une revue qu'il s'est fait adresser sur le lieu de son travail ne constitue pas un manquement aux obligations résultant de son contrat". Décidément, la voie disciplinaire est complètement fermée par la Cour en l'espèce. On observera, cependant, que cette incise laisse a priori la possibilité d'une sanction disciplinaire pour les cas dans lesquels l'employeur aura interdit aux salariés les correspondances personnelles sur le lieu de travail.
Rétablir l'étanchéité entre vie privée ou personnelle du salarié et pouvoir disciplinaire de l'employeur était l'objectif de la Cour de cassation. La censure des juges du fond était alors prévisible : la sanction disciplinaire infligée au salarié allait à l'encontre de l'étanchéité recherchée. Pour autant, il ne faut pas considérer que la Cour de cassation a laissé l'employeur sans possibilités de réaction.
Certes, le trouble objectif dans le fonctionnement de l'entreprise ne permet pas en lui-même de prononcer une sanction disciplinaire : le coup d'arrêt aux errements jurisprudentiels antérieurs est clair.
Cependant, la décision du 18 mai 2007 ne remet pas en cause la possibilité pour l'employeur de tirer les conséquences du trouble objectif causé dans le fonctionnement de l'entreprise. Simplement, l'employeur devra alors emprunter la voie du licenciement non disciplinaire. La solution a le mérite de la clarté mais elle soulève de nouvelles questions. Ainsi, dans notre espèce, le salarié ne pourrait-il arguer du fait que le service du courrier en "exposant" le pli litigieux et son contenu était, au moins en partie, à l'origine du trouble causé dans l'entreprise ? Mais alors, comment opérer le tri entre les correspondances ?
Décision
Cass. mixte, 18 mai 2007, n° 05-40.803, M. Guy Archalaüs c/ SA Haironville, P+B +R+I (N° Lexbase : A3179DWN) Cassation (CA Nancy, 6 décembre 2004, Chambre sociale), avec renvoi (CA Reims). Textes visés : C. trav., art. L. 122-40 (N° Lexbase : L5578ACL) ; C. civ., art. 9 (N° Lexbase : L3304ABY). Mots-clefs : courrier adressé sur le lieu de travail ; vie privée ; secret des correspondances ; sanction disciplinaire ; trouble objectif dans le fonctionnement de l'entreprise. Liens bases : ; . |
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