Réf. : CA Versailles, 12ème ch., 21 décembre 2006, n° 04/03648, SA Accor Casinos c/ M. André Der Krikorian (N° Lexbase : A9964DT9)
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le 07 Octobre 2010
Dans le cadre de la préparation d'une offre publique amicale sur la société CEC, Accor Casino avait conclu deux accords avec les actionnaires fondateurs de la société CEC. Le premier de ces accords prévoyait la cession à Accor Casino, par les actionnaires fondateurs, des actions qu'ils détenaient, à l'exception des actions grevées d'un nantissement, au prix de 52 euros par action. Le second contenait un engagement d'apport à l'offre publique d'achat des actions nanties, aux termes duquel Monsieur D. K. s'engageait irrévocablement, tant en son nom et pour son compte qu'au nom et pour le compte des actionnaires fondateurs, à :
"a) faire tout ce qui sera nécessaire pour obtenir dès que possible mainlevée du nantissement des actions ;
b) immédiatement après, à apporter les actions libres de tout nantissement ou sûreté, à l'offre publique d'achat déposée par la société Accor Casino sur la totalité des actions composant le capital de CEC au prix de 52 euros par action".
Cet accord précisait que "[cet] engagement est soumis à la réserve du dépôt par Accor Casinos d'une offre publique d'achat sur la totalité des actions composant le capital social de CEC au prix de 52 euros par actions au plus tard le 19 décembre 2001, il deviendra en outre caduc et de nul effet en cas d'offre concurrente, jugée recevable par une décision définitive, étant entendu que dans l'hypothèse de l'apport de toutes les actions à une telle offre concurrente [les actionnaires fondateurs s'engagent] à verser à Accor Casinos une indemnité égale à la différence par action entre le prix par action de l'offre concurrente et 52 euros étant entendu que ladite différence ne pourra être supérieure à 5 euros, multipliée par le nombre d'actions objet du présent engagement".
A la suite du dépôt par Accor Casinos d'une offre publique d'achat sur CEC à un prix de 52 euros par actions, une offre publique d'achat concurrente était déposée par le groupe Partouche pour un prix de 59 euros par action et était déclarée recevable par le Conseil des Marchés Financiers (CMF). Accor Casinos ayant surenchéri sur son offre en la portant à 65 euros par action, certains des actionnaires fondateurs ont cédé au groupe Partouche, par la voie d'une application effectuée sur le marché conformément aux dispositions de l'article 4402 des règles de marché harmonisées d'Euronext, applicable à l'époque des faits, les actions qu'ils détenaient -représentant 14,78 % du capital de CEC- à un prix de 66,5 euros par action permettant au groupe Partouche de détenir 48,3 % du capital de CEC (sur une base totalement diluée).
Peu de temps après, Accor Casinos renonçait à son offre.
Deux contentieux sont nés de cette offre : un contentieux devant la Commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers (AMF) et un contentieux judiciaire opposant la société Accor Casinos aux actionnaires fondateurs ayant cédé leurs actions au Groupe Partouche.
Ainsi, le 5 juillet 2005, la Commission spécialisée de l'AMF a procédé à plusieurs notifications de griefs, aux termes desquelles il était reproché à la société groupe Partouche et à Monsieur D. K. d'avoir porté atteinte au principe de libre jeu des offres et des surenchères, d'une part, et à la société Fortis Bank (venant aux droits de la société Fortis Securities) et à son préposé, ayant exécuté l'application, d'avoir manqué aux obligations professionnelles leur incombant en matière d'appariement et d'exécution des ordres, d'autre part.
Dans sa décision du 15 septembre 2006, la Commission des sanctions à écarté le manquement d'atteinte au libre jeu des offres et des surenchères en relevant, notamment, que "le libre jeu des offres publiques d'acquisition et de leurs surenchères s'apprécie dans le cadre de la réglementation" et que le recours à une application en période d'offre n'était pas interdit par les textes. En revanche, la Commission des sanctions de l'AMF a considéré que la société Fortis Securities avait violé l'article 4401 des règles de marché harmonisées d'Euronext, applicable à l'époque des faits, qui impose que "durant la période de négociation, chaque ordre arrivant soit confronté immédiatement aux ordres en sens opposé présents en carnet pour déterminer s'il peut être exécuté" en différant l'exécution d'un ordre de vente portant sur 24 000 actions CEC, passé à 9 heures 29 par l'un de ses clients qui n'a finalement été exécuté qu'à 16 heures 27, au même moment que l'application des actionnaires fondateurs de CEC (3).
Nous ne reviendrons par sur cette décision de la Commission des sanctions de l'AMF qui a déjà fait l'objet de plusieurs commentaires (4).
Parallèlement à la procédure de sanction entamée devant l'AMF, la société Accor Casinos a introduit une action en justice devant le tribunal de grande instance de Nanterre à l'encontre des actionnaires fondateurs ayant cédé leurs titres sur le marché, aux fins d'obtenir le paiement de l'indemnité visée dans les accords conclus avec ces actionnaires.
Dans un jugement en date du 1er mars 2004, le tribunal de grande instance de Nanterre a considéré que l'engagement d'indemnisation pris par les actionnaires fondateurs était valable mais a estimé "que les conditions de son application n'étaient pas réunies dans la mesure où les titres litigieux avaient été mis sur le marché et non apportés à une offre concurrente".
Accor Casinos ayant interjeté appel de cette décision, la cour d'appel de Versailles, dans l'arrêt commenté, a confirmé le jugement rendu dans toutes ses dispositions, en admettant la validité des engagements pris par les actionnaires fondateurs et l'absence de caducité de la clause d'indemnisation (I) mais en considérant que les conditions d'application de la clause d'indemnisation n'étaient pas réunies (II)
I - La validité des engagements pris par les actionnaires fondateurs et l'absence de caducité de la clause d'indemnisation
La cour d'appel de Versailles s'est prononcée sur la qualification de la clause d'indemnisation (A). Elle a, ensuite, considéré que l'engagement d'indemnisation pris par les actionnaires fondateurs n'était pas dépourvu de cause et n'était pas devenu caduc (B). Enfin, et c'est l'aspect le plus intéressant de cette décision, les juges ont examiné la validité de l'engagement d'apport et de la clause d'indemnisation au regard du principe de la liberté des offres et de leurs surenchères (C).
A - La qualification de la clause d'indemnisation : clause pénale ou faculté de dédit ?
Les actionnaires fondateurs soutenaient que la clause d'indemnisation stipulée dans les accords conclus avec Accor Casinos devait s'analyser en une clause pénale. L'enjeu d'une telle qualification est -on le sait- l'application de l'article 1152 du Code civil (N° Lexbase : L1253ABZ), qui autorise le juge à diminuer le montant de l'indemnisation prévue par une clause pénale lorsque celle-ci est manifestement excessive.
Une telle qualification pouvait difficilement être soutenue en l'espèce. En effet, la clause pénale peut être définie comme une "clause comminatoire en vertu de laquelle un contractant s'engage en cas d'inexécution de son obligation principale (ou en cas de retard dans l'exécution) à verser à l'autre à titre de dommages-intérêts une somme forfaitaire" (5). La clause pénale se définit ainsi par son caractère comminatoire -c'est-à-dire qu'elle a pour objet d'inciter le débiteur à exécuter son obligation- et repose sur le mécanisme de la responsabilité civile : la mise en oeuvre de la clause sanctionne l'inexécution fautive de son obligation par le débiteur. Or, en l'espèce, les actionnaires fondateurs ne se voyaient nullement interdire d'apporter leurs titres à une offre concurrente, bien au contraire cette possibilité était prévue ab initio dans le contrat conclu avec Accor Casinos, sous réserve du paiement de l'indemnité prévue par le contrat.
La cour d'appel de Versailles a, dès lors, très justement écarté la qualification de clause pénale en énonçant que "[...] cette clause ne s'analyse pas comme une clause pénale dès lors qu'elle n'a pas pour objet de faire respecter par [les actionnaires fondateurs] l'exécution de l'obligation d'apporter toutes leurs actions à l'OPA d'Accor Casinos mais comme une faculté de dédit permettant aux [actionnaires fondateurs] de se soustraire à un engagement implicite de ne pas apporter leurs actions à une offre concurrente, moyennant le paiement d'une indemnité, clause qui exclut le pouvoir du juge d'en diminuer le montant ou de supprimer la somme convenue".
L'arrêt de la cour d'appel de Versailles fait, ainsi, application du critère de distinction entre les clauses pénales et les clauses de dédit, énoncé tant par la jurisprudence (6) que la par la doctrine qui considère que "la clause pénale suppose l'inexécution fautive d'une obligation ; elle est pour le créancier qui conserve son droit à l'exécution forcée, une sûreté ayant, par rapport à ce dernier, un certain caractère de subsidiarité. C'est dans l'intérêt du débiteur qu'est, tout au contraire conçue la faculté de dédit ; même lorsqu'elle est à titre onéreux, c'est lui qui a le choix et en répudiant la convention, il ne commet pas de faute, il exerce simplement un droit" (7).
Si la qualification de clause pénale doit sans aucun doute être exclue en l'espèce, il nous semble permis, toutefois, de s'interroger sur le point de savoir si la clause d'indemnisation peut s'analyser comme une faculté de dédit. Une telle qualification suppose qu'il existe un engagement de la part du débiteur, engagement dont il peut se dédire en payant l'indemnité prévue par le contrat. Pour qualifier la clause d'indemnisation de faculté de dédit, la cour d'appel de Versailles a ainsi considéré que le contrat conclu entre Accor Casinos et les actionnaires fondateurs contenait un engagement implicite de la part des actionnaires fondateurs de ne pas apporter leurs titres à une offre concurrente, engagement dont les actionnaires fondateurs pouvaient s'exonérer en payant l'indemnité prévue par le contrat. Ce raisonnement nous semble, en réalité, quelque peu artificiel. Il nous paraît difficile de découvrir, à la lecture de l'accord, l'existence d'un engagement de la part des actionnaires fondateurs de ne pas présenter leurs actions à une offre concurrente. Il ressort, bien au contraire, de la lettre de la clause que les actionnaires fondateurs avaient parfaitement le droit de procéder à un tel apport, à charge pour eux de rétrocéder à Accor Casinos une fraction de la plus-value réalisée sur l'apport de leurs titres. Nul besoin, pensons-nous, de passer par le détour de la qualification de clause de dédit pour écarter celle de clause pénale.
Quoi qu'il en soit, ce débat est avant tout terminologique et n'emporte pas de véritables conséquences sur le raisonnement suivi par les juges de la cour d'appel de Versailles, qui ont estimé que les engagements étaient valables et que la clause d'indemnisation n'était pas devenue caduque du fait du dépôt d'une offre concurrente.
B - L'engagement d'indemnisation pris par les actionnaires fondateurs n'est pas dépourvu de cause et n'est pas devenu caduc
Les actionnaires fondateurs soutenaient, par ailleurs, que l'engagement d'indemniser Accor Casinos était dépourvu de cause. L'on rappellera, en effet, qu'aux termes de l'article 1131 du Code civil (N° Lexbase : L1231AB9), "l'obligation sans cause [...] ne peut avoir aucun effet".
La cour d'appel de Versailles a écarté cette argumentation en relevant que "l'engagement de ne pas apporter leurs actions à une offre concurrente trouve sa cause dans la garantie donnée par Accor Casinos aux [actionnaires fondateurs] de ce que du fait du lancement de l'OPA le cours de leurs actions serait valorisé à 52 euros dans la mesure où ils s'engageraient à apporter 669 250 actions à l'OPA alors qu'en novembre 2001, le cours moyen était de 37,21 euros". Il existait bien une contrepartie à l'engagement pris par les actionnaires fondateurs de CEC, peu important que l'on analyse cet engagement comme l'obligation pour les actionnaires fondateurs de ne pas apporter leurs titres à une offre concurrente assortie d'une faculté de dédit (ce que fait la cour d'appel de Versailles en l'espèce) ou, plus simplement et plus directement, comme l'obligation de rétrocéder à Accor Casinos une fraction de la plus-value réalisée en cas d'apport des titres à une offre concurrente (analyse qui a notre préférence).
Les actionnaires fondateurs plaidaient, également, la caducité de leurs engagements du fait du dépôt par le groupe Partouche d'une offre publique concurrente. Cet argument avait peu de chance de prospérer, dès lors que la clause prévoyait uniquement la caducité de l'engagement d'apport, la clause d'indemnisation ayant précisément vocation à jouer en cas de dépôt d'une offre concurrente. La caducité de l'engagement d'indemnisation a été écartée par la cour d'appel de Versailles.
C - La validité des engagements pris par les actionnaires fondateurs au regard du principe de la liberté des offres et de leurs surenchères
Enfin, les actionnaires fondateurs estimaient que la clause d'indemnisation était illicite car contraire au principe de la liberté des offres et de leurs surenchères et à son corollaire, le principe d'égalité dans la compétition.
Le principe de liberté des offres et des surenchères, autrefois édicté à l'article 3 du règlement de la Commission des opérations de bourse (COB) n° 89-03, relatif aux offres publiques et aux acquisitions de blocs de contrôle (N° Lexbase : L4740A4C), puis à l'article 4 du règlement COB n° 2002-04, relatif aux offres publiques d'acquisition portant sur des instruments financiers négociés sur un marché réglementé (N° Lexbase : L4728A4U) trouve, aujourd'hui, son fondement dans l'article 231-3 du règlement général de l'AMF qui énonce qu'"en vue d'un déroulement ordonné des opérations au mieux des intérêts des investisseurs et du marché, toutes les personnes concernées par une offre doivent respecter le libre jeu des offres et de leurs surenchères".
Ce principe est fondé sur l'idée que seul le libre accès au marché et le libre jeu de la concurrence permettent l'adéquation de l'offre et de la demande et d'aboutir au "juste" prix des titres négociés sur le marché. Pour que l'offre et la demande puissent se rencontrer librement, tout compétiteur potentiel doit être libre de présenter une offre et les actionnaires de la cible doivent être libres de présenter leurs titres à l'offre qu'ils jugent la meilleure (8).
Le principe du libre jeu des offres et de leurs surenchères a été défini par la COB en ces termes : "le libre jeu des offres permet à chaque compétiteur de participer à une tentative de prise de contrôle d'une société par voie d'offre publique, en ayant connaissance des conditions proposées par son concurrent. Ce principe a été complété par la jurisprudence qui exige un comportement loyal des acteurs pendant le déroulement des offres successives" (9).
La jurisprudence a découvert dans le principe de liberté des offres et des surenchères un principe corollaire : le principe d'égalité des compétiteurs (10). Dans l'affaire "OCP" (11), la cour d'appel de Paris a annulé la décision de recevabilité prise par le Conseil des bourses de valeurs (CBV), dans une espèce où l'initiateur d'une offre publique s'était fait consentir des promesses de vente par les associés commandités de deux filiales de la cible, lesdites filiales exerçant l'essentiel de l'activité opérationnelle de la cible. La cour a, en effet, jugé que les accords "à la fois indispensables à l'offre publique sur les actions de la [cible] et dissuasifs de toute initiative concurrente qui n'aurait pas acquis les mêmes avantages, ont pour effet d'interdire le libre jeu des offres et des surenchères pendant le déroulement de l'offre publique". La cour poursuivit en indiquant que "l'offre publique en cours empêche a priori toute possibilité d'égalité dans la compétition" (souligné par nos soins).
Comme il a été souligné, "le domaine d'élection du principe de libre jeu des offres et des surenchères [...] est celui des engagements de présentation (ou d'apport)" (12). En effet, l'existence d'engagements d'apport au profit d'un initiateur est susceptible de dissuader toute offre concurrente de la part d'un autre initiateur qui ne bénéficierait pas des mêmes avantages, portant ainsi atteinte au principe de liberté des offres et de leurs surenchères. C'est la raison pour laquelle, de longue date, la COB recommande de prévoir contractuellement la caducité des engagements d'apport en cas de dépôt d'une offre concurrente (13).
Il convient de souligner, toutefois, que le principe d'égalité des compétiteurs ne revêt pas un caractère absolu et que la jurisprudence a pu admettre la recevabilité d'une offre en présence de promesses d'apport irrévocables, y compris en cas de dépôt d'une offre concurrente. En effet, la circonstance qu'un avantage ait été consenti à un initiateur ne paraît pas suffisante en elle-même pour caractériser une atteinte au principe d'égalité des compétiteurs. Encore faut-il que cet avantage présente un caractère décisif et empêche un éventuel concurrent de prendre le contrôle de la cible par le dépôt d'une offre. Ainsi, quelques mois seulement après l'arrêt "OCP", la même juridiction, dans l'affaire "Balland", refusait d'annuler une décision de recevabilité du CBV, alors que des promesses de cession portant sur les titres de la cible avaient été consenties à l'initiateur de l'offre, en indiquant que "les promesses de cession, faites à titre irrévocables ne sont pas, par elles-mêmes, de nature à rendre impossible une prise de contrôle de la société cible par l'auteur d'une surenchère ; qu'ainsi elles n'ont pu porter atteinte au libre jeu des offres et des surenchères" (14). La cour prenait soin d'indiquer, en l'espèce, que les promesses ne portaient que sur 10,66 % du capital de la cible, des promesses portant sur une fraction plus élevée du capital et qui auraient conféré un avantage décisif à l'initiateur auraient sans doute affecté la recevabilité de l'offre.
Ce sont les critères dégagés par les arrêts "OCP" et "Balland" dont les juges de la cour d'appel de Versailles ont fait application, en l'espèce, pour déterminer la conformité des engagements pris par les actionnaires fondateurs au regard du principe de libre jeu des offres et des surenchères. Les juges ont, en effet, examiné si les accords conclus entre Accor Casinos et les actionnaires fondateurs conféraient à Accor Casinos "un avantage déterminant par avance le succès de son offre publique en faussant le jeu des offres et des surenchères".
Au cas d'espèce, les juges ont considéré que tel n'était pas le cas et que la clause était licite au regard du principe de la liberté des offres et des surenchères, dans la mesure où "en cas d'offre concurrente, les [actionnaires fondateurs] étaient déliés de leur engagement d'apporter leurs actions au groupe Accor et trouvaient à partir de 58 euros un avantage à apporter leurs actions à l'offre concurrente dans la mesure où l'indemnité stipulée à l'engagement du 17 décembre 2001 ne pouvait dépasser 5 euros par action multipliée par le nombre d'actions".
Deux enseignements paraissent pouvoir être tirés de cette décision. Le premier de ces enseignements est la confirmation de ce qu'un engagement d'apport n'est pas contraire au principe de liberté des offres et des surenchères, dès lors qu'il est assorti d'une clause de caducité en cas de dépôt d'une offre publique concurrente. Le second est que la conciliation de la clause prévoyant la rétrocession d'une fraction de la plus-value réalisée à la suite de l'apport des titres à une offre concurrente avec le principe de liberté des offres et des surenchères suppose que l'intégralité de la plus-value réalisée ne soit pas rétrocédée au premier initiateur. A défaut, l'apport à une offre concurrente perdrait tout intérêt et les actionnaires qui se sont engagés seraient de facto dissuadés de répondre à l'offre déposée par le compétiteur.
Il convient de souligner, toutefois, que, si au cas d'espèce la cour d'appel de Versailles admet la validité des engagements pris par les actionnaires fondateurs au regard du principe de liberté des offres et des surenchères, elle admet implicitement la possibilité de prononcer la nullité d'un engagement d'apport à une offre publique et/ou d'une clause d'indemnisation en cas d'apport à une offre publique concurrente au motif de son illicéité au regard du principe de la liberté des offres et des surenchères.
Cette position peut sembler critiquable car il ne nous paraît pas évident, en l'absence de texte en ce sens, qu'un engagement contractuel puisse être annulé sur le fondement de sa contrariété au principe de la liberté des offres et des surenchères. Il convient de remarquer à cet égard que, dans les arrêts "OCP" et "Balland" précités, le contentieux s'était engagé non sur le terrain de la validité des accords conclus mais sur celui de la recevabilité de l'offre. A l'inverse, dans le contentieux né à l'occasion de l'offre publique déposée par Primistère sur la société Radar, le tribunal de commerce de Paris avait refusé de prononcer la nullité des promesses de cession consenties par les actionnaires majoritaires de la cible au profit de l'initiateur en énonçant que "la prééminence de l'engagement de droit civil antérieure à l'OPA est admise par les autorités boursières puisqu'une interprétation contraire impliquerait la caducité des engagements d'achat antérieurs alors qu'aux yeux de la COB ils sont susceptibles d'influer sur l'issue de l'opération" (15).
Si la cour d'appel a admis la validité des engagements pris par les actionnaires fondateurs dans les accords conclus avec Accor Casinos, elle a, en revanche, considéré que les conditions d'application de la clause d'indemnisation n'étaient pas réunies.
II - Les conditions de mise en oeuvre de la clause d'indemnisation
Les accords conclus entre Accor Casinos et les actionnaires fondateurs de CEC prévoyaient le versement d'une indemnité "dans l'hypothèse de l'apport de toutes les actions à une [...] offre concurrente". Or, en l'espèce, les actionnaires fondateurs n'ont pas apporté leurs actions à l'offre concurrente déposée par le groupe Partouche mais ont cédé leurs titres sur le marché, cette cession ayant été réalisée par Fortis Securities au moyen d'une application.
Accor Casinos soutenait que cette cession constituait en réalité un "apport déguisé à l'offre".
La cour d'appel de Versailles écarte cette argumentation en faisant une lecture littérale des accords.
Les juges rappellent, tout d'abord, que l'application, définie à l'époque des faits par l'article 4402 des règles de marché harmonisées d'Euronext comme "la production et l'exécution simultanée au même cours par un seul Membre des Marchés de Titres d'Euronext de deux ordres clients de sens opposés pour la même quantité d'un titre donnée", constitue une opération juridique distincte de la présentation des titres à une offre (16). Par principe, la cession de leurs titres par les actionnaires fondateurs, quand bien même elle s'est opérée par le biais d'une application réalisée par Fortis Securities, ne tombait pas dans le champ d'application de la clause d'indemnisation.
La cour d'appel de Versailles examine, ensuite, sans le dire expressément, si la cession des titres réalisée par les actionnaires fondateurs a été effectuée en fraude aux dispositions des accords conclus avec Accor Casinos. La cour relève que le nombre de titres mis en vente par les actionnaires fondateurs ne correspond pas au nombre de titres achetés par le groupe Partouche et que les ordres de vente passés par les actionnaires fondateurs auprès de Fortis Securities ne contenaient aucune indication autre que celle du prix de cession. La cour d'appel conclut, ainsi, "qu'aucun élément du dossier ne permet de démontrer que les [actionnaires fondateurs sont] intervenus auprès de Fortis pour qu'elle diffère la présentation sur le marché de leur ordre de vente jusqu'à réception des ordres d'achat nécessaires à la réalisation de l'application qui a permis au groupe Partouche d'obtenir un bloc de bascule".
Il faut souligner que, de manière implicite, il semble que si la preuve d'une intervention des actionnaires fondateurs auprès de Fortis Securities, aux fins de réaliser une application de leur ordre de vente avec l'ordre d'achat passé par le groupe Partouche, avait été apportée, les juges auraient fait droit à l'argumentation d'Accor Casinos et considéré que l'opération constituait en réalité un "apport déguisé", tombant dans le champ de la clause d'indemnisation.
En conclusion, l'interprétation littérale des conditions de mise en oeuvre de la clause d'indemnisation par les juges de la cour d'appel de Versailles devrait conduire les praticiens à apporter un soin particulier à la rédaction de telles clauses. Il conviendra de veiller, à l'avenir, à rédiger ces clauses de manière à viser non seulement l'apport des titres à une offre concurrente mais également toute cession qui serait effectuée sur le marché en cours d'offre.
Bernard-Olivier Becker
Avocat à la Cour
Bredin Prat
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