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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction
le 27 Mars 2014
La semaine dernière, Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV et Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale, éclairait deux arrêts rendus par la Chambre sociale le 23 mai dernier. Le premier arrêt précisait que, si l'enregistrement d'une conversation téléphonique privée, effectué à l'insu de l'auteur des propos invoqués, est un procédé déloyal rendant irrecevable en justice la preuve ainsi obtenue, il n'en est pas de même de l'utilisation par le destinataire des messages écrits téléphoniquement adressés, dits SMS, dont l'auteur ne peut ignorer qu'ils sont enregistrés par l'appareil récepteur. Et selon le second arrêt rapporté, le respect de la vie personnelle du salarié ne constitue pas en lui-même un obstacle à l'application des dispositions de l'article 145 du Nouveau Code de procédure civile dès lors que le juge constate que les mesures qu'il ordonne procèdent d'un motif légitime et sont nécessaires à la protection des droits de la partie qui les a sollicitées. Par conséquent, le secret des correspondances en milieu professionnel n'est plus ; ou du moins sa réalité. Le caractère "personnel et confidentiel" des courriers, mails ou messages téléphoniques n'est que rarement indiqué, si bien que tout courrier ou message en possession ou lu par l'employeur est, désormais, susceptible d'être produit à l'instance ; les modalités d'interception et de conservation étant, toutefois, bien encadrées par la jurisprudence.
Mais, l'actualité sociale n'entend pas en rester là. Cette semaine, Stéphanie Martin-Cuenot, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV revient sur un arrêt de cette même Chambre sociale, rendu le 23 mai dernier, également, et aux termes duquel le licenciement pour motif disciplinaire d'un salarié pour un fait tiré de sa vie privée est justifié à condition que, eu égard à ses fonctions et à la nature de l'entreprise dans laquelle il travaille, puisse être caractérisé un trouble au sein de cette dernière. L'équilibre entre vie privée du salarié et exigences professionnelles, déjà recherché par la jurisprudence antérieure, semble, une nouvelle fois, sanctifié par la Haute juridiction.
Et pourtant, on ne saurait passer sous silence la contrariété naissante entre les positions des différentes chambres composant la Cour suprême. Le 18 mai dernier, la Chambre mixte (dont l'harmonisation des positions est pourtant la vocation suprême) concluait, certes, que l'employeur ou ses services peuvent procéder à l'ouverture d'un courrier adressé à un salarié sur son lieu de travail dans la mesure où le pli litigieux, arrivé sous une simple enveloppe commerciale démunie de toute mention relative à son caractère personnel, avait pu être considéré, par erreur, comme ayant un caractère professionnel. En revanche, le contenu d'une correspondance relevant de la vie privée du salarié ne peut servir de fondement à une sanction disciplinaire. La rédaction de l'arrêt est, ainsi, complétée par un attendu qui marque fortement le souhait des Hauts magistrats d'exclure toute ouverture du champ disciplinaire : "un trouble objectif dans le fonctionnement de l'entreprise ne permet pas en lui-même de prononcer une sanction disciplinaire à l'encontre de celui par lequel il est survenu". Pour Olivier Pujolar, Maître de conférences à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, "toute référence à une obligation particulière pesant sur le salarié est écartée, toute passerelle éventuelle vers le champ disciplinaire est coupée. Le retour à une analyse tranchée est indéniable : les arrêts remettant en cause le principe posé en 1997 étaient tous fondés sur un jeu autour du trouble objectif causé au sein de l'entreprise par le comportement ou le fait relevant de la vie personnelle. La Cour de cassation considère, elle-même, que la passerelle était devenue trop dangereuse eu égard à la protection de la vie privée du salarié".
Assurément, en assimilant la "vie" à la volonté de dominer qui est "l'essence la plus intime de notre être" et en précisant que, si cet instinct de puissance fait défaut, il y a dégénérescence, Nietzsche condamne la vie privée et la vie professionnelle à une éternelle lutte pour leur survie respective.
La mise en place des codes éthiques, fixant pour les salariés un ensemble de règles de conduite à adopter dans l'exercice de leur activité professionnelle, ainsi que des dispositifs d'alerte professionnelle destinés à permettre aux salariés constatant des manquements aux règles posées par ces codes, d'en référer, sur lesquels Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen, revient, pour nous, cette semaine, marque-t-elle un net avantage en faveur de la vie professionnelle, conforté par une jurisprudence trouble sur le trouble objectif dans le fonctionnement de l'entreprise ?
Mais, rassurons-nous, "le sommeil fait partie de la vie privée" comme nous le rappelle, sur un ton léger, Eric Neuhoff (Un bien fou)... Aussi, à moins de s'endormir sur son lieu de travail... la vie professionnelle ne devrait pas à en connaître !
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