Réf. : CE Contentieux, 6 avril 2007, n° 264490, Centre hospitalier général de Boulogne-sur-Mer (N° Lexbase : A9305DU8)
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par Sophie Rimeu, Conseiller au tribunal administratif de Paris
le 07 Octobre 2010
La réception des travaux met fin aux relations contractuelles entre le maître d'ouvrage et les constructeurs en ce qui concerne la réalisation de l'ouvrage : après réception, seule la partie des travaux ayant fait l'objet de réserves peut encore faire l'objet d'une obligation contractuelle de la part de l'un ou l'autre des constructeurs. Par ailleurs, pèse encore sur le maître d'oeuvre deux obligations contractuelles, l'une relative à son devoir de conseil lors des opérations de réception des travaux (voir, notamment, récemment, CE 2° et 7° s-s-r., 8 juin 2005, n° 261478, Ville de Caen N° Lexbase : A6364DIK, Tables du Recueil, p. 971), et l'autre relative au contrôle des situations de travaux et à l'établissement des décomptes des entrepreneurs (CE, 1er octobre 1993, n° 60526, Vergnaud et Gaillard N° Lexbase : A0979ANL, Tables du Recueil, p. 880).
Tout d'abord, l'arrêt "Centre hospitalier général de Boulogne-sur-Mer" confirme l'effet de la réception sur les responsabilités relatives aux désordres causés aux tiers.
La victime d'un dommage causé par la construction d'un ouvrage ou des travaux publics peut demander réparation au maître d'ouvrage des travaux, aux constructeurs concernés, ou solidairement aux deux. Ensuite, la charge des indemnités de réparation peut être répartie entre le maître de l'ouvrage et le ou les constructeurs concernés en fonction de leurs responsabilités respectives dans la réalisation du dommage. Toutefois, cette action en garantie se complique si elle intervient après la réception des travaux. Le plus souvent, les victimes mettent en cause le maître d'ouvrage, à charge pour lui, ensuite, de se retourner contre les éventuels constructeurs responsables du dommage. Or après réception, sous réserve des précisions apportées ci-dessus, la jurisprudence interdit qu'une telle action en garantie puisse être fondée sur la responsabilité contractuelle (CE, Section, 4 juillet 1980, n° 03433, SA Forrer N° Lexbase : A2981B7K, Tables du Recueil, p. 307 ; confirmé par CE, Section, 15 juillet 2004, n° 235053, Syndicat intercommunal d'alimentation en eau des communes de la Seyne et de la région Est de Toulon, "SIAEC" N° Lexbase : A1322DDC, Tables du Recueil, p. 345). Cette jurisprudence a été critiquée puisqu'elle peut avoir pour conséquence qu'un maître d'ouvrage doive assumer entièrement la charge d'un dommage dont il n'est pas responsable. En effet, les dommages causés aux tiers, et donc pas, par définition, à l'ouvrage construit, n'ont quasiment aucune chance d'entrer dans le champ de la garantie décennale.
Pourtant, par cet arrêt "Centre hospitalier général de Boulogne-sur-Mer", le Conseil d'Etat a, une nouvelle fois, confirmé sa jurisprudence en la matière. Les deux tempéraments aux inconvénients de cette jurisprudence précisés par l'arrêt "SIAEC" précité, ont, toutefois, été soulignés par le commissaire du Gouvernement Boulouis dans ses conclusions : d'une part, les parties peuvent, dans le contrat, prévoir que la réception n'aura pas l'effet extinctif qui s'y attache généralement et, d'autre part, la réception ne met pas fin aux rapports contractuels quand elle a été acquise par l'entrepreneur à la suite de "manoeuvres frauduleuses ou dolosives".
2. Le règlement des droits et obligations financiers nés du contrat
Ensuite, l'arrêt "Centre hospitalier général de Boulogne-sur-Mer" précise que seule l'intervention du décompte général et définitif met fin aux droits et obligations financiers nés du contrat, la réception des travaux n'ayant aucun effet à cet égard.
Ce point n'est pas novateur puisqu'il n'est qu'une application de la formule jurisprudentielle aux termes de laquelle : "l'ensemble des opérations auxquelles donne lieu l'exécution d'un marché de travaux publics est compris dans un compte dont aucun élément ne peut être isolé et dont seul le solde arrêté lors du décompte définitif détermine les droits et obligations des parties" (CE, 8 décembre 1961, Société nouvelle compagnie générale de travaux, Tables du Recueil, p. 701).
Ce point est important car, en l'absence de décompte général et définitif, des réclamations contractuelles peuvent toujours être formées s'agissant de ces divers éléments : le prix des travaux commandés et exécutés, l'augmentation des prestations qui peut prendre la forme d'un ouvrage nouveau ou plus généralement de travaux supplémentaires ou plus abondants, et comprendre le préjudice éventuellement causé par l'augmentation du volume des travaux, la diminution de la masse des travaux, les pénalités de retard, ainsi qu'une éventuelle créance de la personne publique liée à la qualité de la prestation.
Dans l'arrêt rapporté, le Conseil d'Etat cite, notamment, parmi ces éléments, les retards et travaux supplémentaires et admet qu'en l'absence de ce décompte général et définitif, la responsabilité contractuelle des entrepreneurs soit engagée en dépit de la réception des travaux.
La distinction opérée entre les éléments pour lesquels la responsabilité contractuelle prend fin avec la réception des travaux, que la jurisprudence désigne parfois sous le terme "réalisation de l'ouvrage" et ceux pour lesquels elle ne s'éteint qu'avec l'intervention du décompte général et définitif peut être délicate pour le juge. En général, celui-ci connaît de deux catégories de litiges distincts : d'une part, les litiges relatifs à l'exécution des contrats publics, l'établissement et la contestation des décomptes, et d'autre part, ceux relatifs aux responsabilités post-contractuelles liées à la construction des ouvrages.
En effet, s'agissant des litiges liés à la réalisation des ouvrages, la fin des relations contractuelles est d'ordre public et le juge l'oppose d'office à une demande fondée sur la responsabilité contractuelle des constructeurs, alors que la réception sans réserve des travaux est intervenue (CE, 10 mars 1989, n° 69360, Syndicat communautaire de l'agglomération nouvelle de l'Isle-d'Abeau N° Lexbase : A2751AQX).
En revanche, seules les parties peuvent mettre en avant l'intervention du décompte général et définitif et il arrive, parfois, qu'un litige contractuel relatif à un élément de ce décompte soit porté devant le juge sans que celui-ci ne soit saisi ni d'une véritable contestation du décompte, dans les conditions de formes et de délais prévus par les contrats et, notamment, par les cahiers des clauses administratives générales, ni d'une demande d'établissement du décompte faite par le cocontractant de la personne publique, qui n'a pas d'autre solution, en cas d'inertie du maître d'ouvrage, que de s'adresser au juge.
Dans la décision "Centre hospitalier général de Boulogne-sur-Mer", le Conseil d'Etat sanctionne l'arrêt de la cour administrative d'appel d'une erreur de droit car elle a opposé la réception sans réserve des travaux "sans rechercher si le décompte général et définitif du marché avait été établi", alors qu'elle était saisie de conclusions tendant à la réparation, sur le terrain contractuel, des conséquences financières de l'exécution de travaux et, notamment, de coûts nés des retards et des travaux supplémentaires.
Faut-il, alors, en l'absence de toute indication donnée par les parties sur ce point, que le juge use de ses pouvoirs d'instruction pour rechercher si le décompte général et définitif est intervenu, ou peut-il se contenter de s'estimer saisi de la question de l'établissement ou de la contestation d'un élément du décompte dès lors qu'aucune partie ne soulève le caractère définitif du décompte ou le non-respect des formes et délais prescrits pour l'établissement et la contestation de ce décompte ?
Par ailleurs, alors que les actions post-contractuelles en garantie décennale peuvent être dirigées contre les constructeurs pris solidairement, les actions fondées sur la responsabilité contractuelle doivent être dirigées contre chaque entrepreneur pris individuellement. Dès lors qu'il n'est saisi par un maître d'ouvrage que d'une demande de condamnation solidaire de plusieurs constructeurs, le juge ne doit-il pas rejeter les demandes fondées sur la responsabilité contractuelle de chacun d'entre eux, qui impliquent nécessairement l'appréciation des droits et obligations nés de l'existence des contrats que chacun a passés avec le maître d'ouvrage?
Pour que le juge puisse examiner un litige sur le terrain de la responsabilité contractuelle, encore faut-il que le maître d'ouvrage, dans sa demande, précise sa demande de condamnation de chacun des constructeurs, au regard de leur contrat et obligations respectifs, sans se borner à demander une condamnation solidaire, qui est en général le propre de la responsabilité décennale qui pèse sur tous les constructeurs ayant concouru à la réalisation d'un ouvrage.
Finalement, plusieurs types de responsabilités peuvent coexister à l'issue d'un contrat : responsabilité contractuelle s'agissant de l'exécution financière du contrat tant que le décompte général et définitif n'a pas été établi, responsabilités contractuelles spécifiques des maîtres d'oeuvre, même après la réception des travaux, responsabilité contractuelle des entrepreneurs pour les travaux ayant fait l'objet de réserves lors de la réception, garantie de parfait achèvement pour les entrepreneurs, garantie décennale pour tous les constructeurs mais uniquement pour les désordres les plus importants affectant l'ouvrage construit. La décision rapportée donne un exemple de la difficile articulation de ces différentes responsabilités qui obéissent à des règles procédurales et contentieuses diverses et n'impliquent pas toujours les mêmes acteurs.
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