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le 07 Octobre 2010
I Les pays industrialisés occidentaux
Ann Numhauser-Henning, professeur de droit privé à l'Université de Lund (Suède), rappelle que c'est à la suite de l'industrialisation du XIXème siècle que s'est construite la première législation du travail et qu'elle portait sur les accidents de travail. Depuis, on est passé d'une logique de responsabilité à une logique d'assurance.
A Présentation des régimes de protection sociale
Après une brève présentation des instruments internationaux applicables en la matière, le professeur Ann Numhauser-Henning indique que si certains pays font des listes des pathologies liées au travail (c'est le cas, notamment, de la France, de l'Allemagne, de la Hongrie...), d'autres en ont une conception plus ouverte (Australie, Suède, Nouvelle -Zélande...). S'agissant des accidents de trajets, les définitions diffèrent beaucoup selon les pays et dans certains ils ne sont même pas pris en charge par la Sécurité sociale et relèvent donc d'assurances spécifiques. Dans les pays concernés, même si les règles de prévention diffèrent, il existe une inspection du travail.
Non seulement le principe de responsabilité individuelle tend à s'effacer sous l'effet des assurances publiques ou privées, mais il est également défini de façon de plus en plus stricte. Les employeurs ont l'obligation de s'assurer contre le risque. En Suède, une assurance publique obligatoire vise à soulager les employeurs de leur responsabilité. Dans certains pays, cette assurance la remplace complètement. L'employeur a aussi une responsabilité préventive de laquelle découle la justification du maintien du salaire et l'autorisation d'absence du travailleur victime d'un accident du travail. Cependant, les situations sont très variables en fonction des pays. En République Tchèque, l'employeur a l'obligation de retrouver un emploi au salarié, aux Etats-Unis le salarié victime d'un accident du travail absent de l'entreprise peut être licencié sans autre forme de procès.
B Nouveaux risques professionnels
Les changements technologiques ont fait évoluer le risque. De naturel, objectif et instantané, il est devenu sanitaire, subjectif et pouvant révéler ses effets sur la santé du travailleur longtemps après l'exposition. Il faut, également, noter le passage du risque bactériologique au risque immunologique et relever que des négligences sont souvent en cause.
Si de nouveaux risques professionnels sont apparus (stress, harcèlement, tabagisme...), la flexibilisation du travail est également une source nouvelle de risques car elle entraîne un éloignement du lieu de travail et du domicile, un accroissement du travail temporaire, et un recours massif au contrat de travail à durée déterminée (CDD). Force est de constater que les travailleurs employés sous CDD sont souvent mal formés et occupent des postes plus dangereux que leurs collègues embauchés en contrat à durée indéterminée (CDI). Ils changent plus souvent d'employeur et de statut (deviennent indépendants puis redeviennent salariés). Or, très souvent les maladies apparaissent longtemps après l'exposition au risque et sont dues à des multitudes de causes. Pour ces salariés, dont la couverture sociale est aussi précaire que leur contrat, la protection doit reposer sur une assurance publique et non sur la responsabilité individuelle de l'employeur. L'incapacité (partielle) de travail engendre des problèmes similaires. Dans la mesure où l'on ne conserve pas le même emploi ni le même employeur toute sa vie, quel peut être le salaire garanti en cas d'incapacité ?
Les hommes sont plus souvent victimes d'accident du travail que les femmes. Celles-ci sont, en revanche, plus touchées par le stress. La protection des travailleurs est donc inégale en fonction du sexe, le stress n'étant pas reconnu comme une pathologie professionnelle. Il en est de même pour la question du harcèlement au travail. Ann Numhauser-Henning attire, en outre, l'attention sur le fait que réformer la législation sur les accidents de trajet en décidant de ne plus les indemniser serait ainsi préjudiciable en premier lieu aux femmes. En effet, celles-ci vont souvent travailler en vélo ou à pied et ne bénéficieraient donc plus d'aucune protection tandis que les hommes plus enclins à utiliser leur voiture bénéficieront de toute façon de l'indemnisation de leur assurance qui est obligatoire.
C Synthèse
Il n'est pas possible de tirer des conclusions très générales à vocation universelle et pouvant tenir lieu de modèle. Néanmoins, trois tendances se dégagent :
- les régimes d'assurance publique sont sources de négligences et de déclin de la responsabilité individuelle de l'employeur. Cette tendance est accrue par la flexibilisation du travail ;
- lorsque les assurances publiques sont couplées avec la responsabilité individuelle de l'employeur, les deux servent de fondement à la prévention et à la réparation des accidents du travail ;
- certains pays continuent quant à eux à accepter les réclamations d'ordre civil.
Il est, par ailleurs, très difficile aujourd'hui de donner une définition de ce qu'est une blessure ou une maladie professionnelle et encore plus d'identifier clairement un responsable. La compensation du risque est devenue inefficace et représente une charge énorme pour la collectivité. Face à des dépenses de Sécurité sociale en constante augmentation, certains pays ont fait le choix d'indexer les primes versées aux salariés sur le niveau de risque professionnel encouru. Une autre solution envisageable pour réduire les coûts est la diminution du risque notamment par la réorganisation des entreprises, du temps et des procédés de travail, autant dire l'adaptation de l'entreprise aux capacités physiques et mentales des travailleurs.
D Le modèle allemand
Selon Steve Adler, professeur à l'Université de Jérusalem, la faiblesse des systèmes de protection contre les risques professionnels est le manque de coordination entre trois éléments distincts :
- la prévention (qui relève du ministère du Travail et des agences de contrôle) ;
- l'indemnisation (mise en oeuvre par les caisses spécialisées dont les responsables n'ont pas leur mot à dire et qui cherchent à limiter le montant des indemnisations) ;
- la réhabilitation ou la rééducation du travailleur (réalisée par le personnel médical, psychologique et par les travailleurs sociaux).
A l'heure actuelle, le seul système coordonné est le "HVBG" ("hauptverband der gewerblichen berufsgenossenschaften" : fédération principale des caisses de prévoyance contre les accidents industriels) en Allemagne. Il s'agit d'une organisation par branches qui réunit les trois facteurs évoqués ci-dessus. Le premier avantage qui en découle, c'est une meilleure répartition des fonds en vue d'atteindre un objectif essentiel : le retour du travailleur blessé ou malade sur son lieu de travail. Or, dans les autres pays c'est l'indemnisation qui est privilégiée. Le deuxième avantage du système allemand est qu'il permet d'atténuer l'impact des groupes de pression. Troisième avantage : il diminue le coût des indemnisations et améliore la situation des salariés qui ne peuvent aller que mieux en allant travailler, d'autant plus que le personnel médical est chargé de tout mettre en oeuvre pour le leur permettre. Il est donc indispensable, non seulement de réorganiser la répartition du financement entre prévention, rééducation et indemnisation, mais encore de redéfinir l'ordre des priorités dans ce sens.
II Les pays en voie de développement
Aminata Cissé, professeur à l'Université de Dakar (Sénégal), concentre quant à elle son exposé sur les pays en voie de développement. Son rapport est basé sur les réponses apportées par le Maroc, les pays d'Amérique latine et Israël. Au-delà de la présentation du système de prise en charge des risques professionnels, la question de la prise en compte des risques nouveaux ou identifiés comme tels (VIH, stress, conséquences de l'utilisation de l'amiante...), l'aggravation des problèmes de sécurité en raison des nouveaux modes de production ou d'organisation de l'entreprise (externalisation de certains emplois, sous-traitance, emplois de personnels précaires) constituent les préoccupations essentielles.
A - Présentation des systèmes de protection sociale
Certains pays ont adopté de véritables lois de Sécurité sociale avec la création d'un service public (Brésil, Israël, Mexique, Pérou et Venezuela). Les autres n'ont pas intégré la couverture des risques professionnels à un régime de Sécurité sociale (Maroc, Argentine, Uruguay), leur choix ayant porté sur l'assurance (obligatoire ou facultative). L'accent est mis sur la responsabilité personnelle et objective de l'employeur. En vue d'améliorer la prise en charge des risques professionnels, des réformes ont, dans certains pays, permis de passer d'un système de prévoyance collective à un système national de Sécurité sociale. Le Chili se distingue par une prise en charge originale alliant un caractère à la fois privé et public. Dans la plupart des pays, c'est un organisme à caractère public qui récupère les cotisations, principale source de financement. Elles émanent généralement de l'employeur. Seuls certains systèmes obligent les salariés (Brésil, Venezuela) et parfois l'Etat (Mexique, Pérou) à contribuer au financement.
Sont couverts : les salariés (en priorité), les travailleurs du secteur public, les travailleurs indépendants (parfois). Dans certains pays, la protection est étendue à d'autres catégories professionnelles, notamment les gens de maison (Maroc, Argentine, Brésil, Chili), même si le bénéfice de la couverture sociale demeure alors purement théorique. L'hétérogénéité des choix quant aux bénéficiaires a ainsi engendré des systèmes juxtaposés, se présentant comme de véritables régimes spéciaux qui offrent des prestations différentes de celles du régime général. Les risques couverts comprennent généralement les accidents du travail et les maladies professionnelles. La classification de ces dernières pose problème pour la prise en charge de celles qui sont nouvellement reconnues, les textes étant souvent en retard par rapport aux faits. L'insistance particulière des rapports nationaux concernant l'accident de trajet justifie que l'on reproduise la définition qui en est retenue : c'est l'accident survenant sur le trajet le plus direct entre le domicile du travailleur et son lieu de travail. Le trajet ne doit pas être interrompu pour des raisons étrangères au travail ou qui ne sont pas jugées légitimes. L'accident de trajet ainsi défini est assimilé à l'accident de travail et couvert par le système de prise en charge des risques professionnels, à l'exception du Pérou. S'agissant du sort du contrat de travail du salarié accidenté ou malade, la quasi-totalité des pays ont adopté le principe de la suspension pendant la période d'indisponibilité du salarié. L'Argentine constitue la seule exception, sa législation admettant le licenciement sans aucune procédure spéciale.
B Détermination des responsabilités
La question de la détermination des responsabilités, centrale dans l'entreprise, est abordée en corrélation avec les différentes obligations à la charge de l'employeur en matière de prévention, d'hygiène et de sécurité des travailleurs.
L'obligation de prévention mise à la charge de l'employeur, plus ou moins précise et rigoureuse selon les pays, implique l'évaluation des risques et la prise de dispositions nécessaires pour assurer la sécurité des travailleurs. Seul le Maroc exprime des réserves sur l'existence d'une véritable politique de prévention. Les autres pays évoquent une obligation sanctionnée par une responsabilité pénale, sous forme de condamnation à une amende et parfois à une peine d'emprisonnement (Pérou, Chili, Mexique).
La question de la protection de la vie et de la santé des travailleurs a permis de dégager plusieurs obligations : le maintien de la salubrité de l'environnement de travail, l'isolement par un dispositif spécial des machines dangereuses, l'information du personnel sur les risques liés à l'utilisation des instruments de travail dangereux. Les modalités d'application de ces mesures n'ont pas été très clairement définies. Un contrôle de nature administrative est généralement prévu, qu'il soit resté théorique, comme au Maroc, ou plus réel dans les autres pays. S'agissant de la délégation de pouvoir, les divers rapports nationaux n'excluent pas cette possibilité mais insistent sur la responsabilité personnelle et directe de l'employeur.
C Risques et travailleurs particuliers
Le stress n'est généralement pas pris en compte dans la définition des maladies professionnelles. Les situations sont variables : refus explicite (Israël), obligation de s'abstenir de toute conduite (agressivité, intimidation, harcèlement, isolement du travailleur) susceptible de provoquer des troubles chez les salariés (Venezuela), prise en charge de la névrose professionnelle (Chili). Concernant le tabac, bien que dans la plupart des pays il existe une interdiction de fumer dans les lieux publics, seul le rapport du Mexique mentionne clairement l'interdiction de fumer dans les lieux de travail avec une prise en charge du problème par l'employeur. S'agissant des conséquences de l'utilisation de l'amiante, seul le rapport d'Israël fait état de la responsabilité de l'employeur pour imprévoyance. Par ailleurs, il résulte de l'ensemble des rapports que le test du VIH ne saurait être imposé au travailleur et que l'employeur doit garantir la confidentialité du résultat. Celui-ci ne peut justifier une quelconque discrimination.
La question de la protection de certains travailleurs fait l'unanimité sur deux points : la femme enceinte et les jeunes travailleurs. Cette protection passe par des interdictions (travail de nuit dans les mines et dans les emplois pénibles), la limitation de la durée du travail et surtout la reconnaissance à la femme enceinte d'un droit au congé de maternité et à des allocations.
D Réparation
Les prestations servies aux salariés consistent, d'une part, en allocations et, d'autre part, en une assistance médicale, chirurgicale et pharmaceutique. Les allocations sont fixées selon un barème. Toutefois, il est admis que le salarié puisse exercer des recours fondés sur le droit commun en cas de négligence, de faute inexcusable ou intentionnelle de l'employeur. En Argentine, la Cour suprême a récemment déclaré inconstitutionnel le refus de la réparation intégrale. Des voix s'élèvent aujourd'hui pour remettre en cause la réparation forfaitaire et des décisions de justice allant dans ce sens ne peuvent que susciter le débat.
Les prestations sont versées, selon les systèmes nationaux, soit par une institution publique, soit par un organisme privé, notamment un assureur. Il n'existe pas, dans la plupart des pays, de fonds spéciaux pour la prise en charge de dommages consécutifs à des produits dont la nocivité n'était pas certaine.
E Rôle des représentants du personnel
Chargés de veiller au respect par l'employeur des dispositions du droit social, les représentants du personnel (délégués du personnel et comités d'hygiène et de sécurité) ont un rôle naturel de prévention des risques professionnels. De rares pays, notamment l'Argentine, ne connaissent pas l'institution des comités d'hygiène et de sécurité. En Uruguay, l'intervention des représentants du personnel est cantonnée aux chantiers d'une certaine importance. Leur mission nécessite des moyens que l'employeur doit leur procurer. Le rapport du Venezuela met en évidence l'obligation à la charge de l'employeur de donner les informations nécessaires, de leur accorder des congés et de supporter le coût de leur formation.
F Ineffectivité des systèmes de protection sociale
Aminata Cissé, faisant part de ses observations personnelles, constate l'ineffectivité de la législation sociale dans les pays concernés. Les salariés, de plus en plus atteint par la précarité, montrent pourtant de l'indifférence face aux risques qui les guettent, comme une sorte de fatalisme. En effet, lorsqu'ils ont un emploi, ils sont plus soucieux de le conserver que d'exiger le respect des règles de sécurité ou de songer à s'organiser pour revendiquer. Quand ils sont membres de grandes firmes internationales, ils ne savent même pas qui est leur employeur (à qui adresser les revendications dans ce cas ?). Les jeunes travailleurs sont les plus touchés par ces phénomènes imputables en partie aux difficultés économiques que connaissent ces pays.
III Le bilan
A Qu'en pensent les entreprises ?
Les thèmes retenus par le Congrès sont les sujets qui intéressent le plus les entreprises à l'heure actuelle, indique la société Air France. Qu'il s'agisse de la mondialisation, de l'éclatement des formes juridiques de l'entreprise ou encore du progrès technologique, ces phénomènes, certes préoccupants, ne doivent pas être envisagés comme des obstacles. Le droit du travail a été indispensable pour les réguler et offrir aux entreprises un champ d'action stabilisé. Dans l'avenir, il est appelé à jouer, encore et pour longtemps, un rôle primordial.
La mondialisation est la condition même de l'expansion économique des entreprises. Lorsqu'elle est maîtrisée par des règles techniques, économiques et sociales, elle constitue une chance. En revanche, si on néglige la mise en place de ces garde-fous des catastrophes surviennent. Dans le secteur de l'aviation, par exemple, en l'absence de règles techniques, la sécurité des vols n'est pas assurée. A défaut de règles économiques, c'est la stabilité des entreprises qui est menacée pouvant conduire à leur disparition. Enfin, si les règles sociales ne sont pas respectées, ce sont des milliers d'emplois qui disparaissent.
S'agissant du progrès technologique, il ne faut pas le concevoir comme un risque dont a peur. S'agissant avant tout d'un "progrès", il peut être maîtrisé grâce à la formation des salariés.
Dans la mesure où il existe un dialogue avec les salariés, la déstructuration de l'entreprise ne constituent pas un problème. Il est pour cela nécessaire de concevoir des outils de dialogue à tous les niveaux : du comité central d'entreprise aux codes de conduite qui s'appliquent sur le terrain à tous les salariés qui travaillent pour une société quel que soit l'endroit du monde et quelle que soit la forme juridique utilisée.
La présence massive des participants au Congrès démontre qu'aujourd'hui les entreprises ne sont pas seulement préoccupées par les moyens d'obtenir la meilleure performance économique et qu'elles recherchent également la meilleure performance sociale. Les deux objectifs sont fortement liés.
B Rendez-vous dans trois ans
D'autres thèmes seront abordés lors du prochain Congrès mondial de droit du travail qui se tiendra à Sydney du 1er au 4 septembre 2009. Les sessions plénières traiteront des questions suivantes :
- cadre réglementaire et application du droit dans les nouvelles formes d'emploi ;
- dialogue sur le lieu de travail ;
- nouvelles formes de protection sociale sous l'effet des changements structurels tels que le vieillissement.
Une table ronde sera consacrée au thème : "famille et vie professionnelle".
Compte-rendu réalisé par Lydia Laga
SGR - Droit social
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