Réf. : Cass. civ. 1, 9 novembre 2004, n° 01-03.772, M. Lambert c/ Banque populaire du Centre, F-P+B (N° Lexbase : A8396DDC)
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le 07 Octobre 2010
La question de l'extension des effets de la déchéance du droit aux intérêts du banquier prononcée à l'égard de l'une des cautions solidaires à l'ensemble des cofidéjusseurs n'avait jamais été tranchée par la Cour de cassation. Elle précise que le manquement du banquier à son obligation d'information à l'égard de l'une des cautions et sa sanction ne peuvent être invoqués par les autres cautions solidaires. La faute du banquier est une exception purement personnelle à la caution qui en a souffert. Les autres cautions ne sont pas admises à s'en prévaloir. Le manquement du banquier ou sa sanction est une exception purement personnelle à celle des cautions qui l'invoque et demeure inopposable s'agissant des autres cautions solidaires (I). La solution se justifie au regard de la nature juridique de la déchéance qui est une peine privée. Cette sanction bénéficie exclusivement à la caution victime de la faute du banquier (II).
I - La déchéance du droit aux intérêts : une exception purement personnelle inopposable
L'opposabilité des exceptions par le codébiteur solidaire poursuivi est prévue par l'article 1208 du Code civil. Cette disposition conduit à distinguer trois catégories d'exceptions : communes, simplement personnelles, et purement personnelles.
Les exceptions communes sont celles qui peuvent être invoquées par tous les débiteurs. L'action du créancier est vouée à se heurter à l'exception considérée (1). Telles sont les causes de nullité qui vicient l'engagement de tous les codébiteurs (2) : par exemple le vice de forme emportant la nullité de l'obligation (3).
Les exceptions simplement personnelles forment une catégorie intermédiaire. Il s'agit d'exceptions qui libèrent entièrement un débiteur, mais qui profitent pour partie aux autres car elles réduisent le montant de la dette. Tel est le cas de la remise de dette : elle peut être invoquée, pour le tout, par le débiteur qui en a profité directement ; mais la remise de dette ne profite aux autres codébiteurs que partiellement. Ils ne peuvent opposer la remise de dette au créancier que pour la part du débiteur en ayant bénéficié : les codébiteurs restent tenus pour le surplus (4).
A l'opposé se situent les exceptions purement personnelles. Ce sont celles qu'un seul débiteur est admis à opposer et dont il est le seul à profiter. Ont, traditionnellement, ce caractère, les exceptions tenant à une cause de nullité qui n'entache qu'un seul engagement : l'incapacité du débiteur ou le vice de consentement subi par lui, à l'exception des autres (5).
Or, pour la première fois, la Cour de cassation traite de la déchéance du droit aux intérêts du banquier sous l'angle de l'article 1208 du Code civil. Elle pose clairement que le manquement à l'obligation d'information du banquier ou sa sanction est une exception purement personnelle qui ne profite qu'à la caution ayant souffert de la faute de l'établissement de crédit.
Les autres cautions ne sont pas en mesure de se prévaloir d'une faute du créancier qui n'a pas été réalisée à leur encontre. La solution se justifie pleinement car la déchéance du droit aux intérêts est une peine privée profitant uniquement à la caution victime.
II - La déchéance du droit aux intérêts : une peine privée bénéficiant exclusivement à la caution victime
La déchéance du droit aux intérêts du banquier à l'égard de la caution est une peine qui réprime le manquement de celui-ci à son obligation d'information. Le contenu de l'obligation d'information incombant au banquier à peine de déchéance à l'égard de la caution est le suivant. L'article L. 313-22 du Code monétaire et financier impose aux établissements de crédit l'obligation de porter annuellement à la connaissance des cautions ayant garanti des crédits à des entreprises, le montant des encours au 31 décembre de l'année précédente. La communication doit être faite avant le 31 mars de chaque année et donner l'état de la dette garantie au 31 décembre précédent (6).
Le second alinéa de l'article L. 313-22 du Code monétaire et financier fixe la sanction du défaut d'information : la perte des intérêts échus entre la précédente information et la nouvelle. Il s'agit d'une sanction qui ne procède pas de la responsabilité civile, parce qu'elle n'a pas de vocation réparatrice. Elle est prononcée (7) même en l'absence de préjudice et ne couvre pas nécessairement tout le préjudice lorsqu'il existe (8).
La déchéance du droit aux intérêts crée un déséquilibre substantiel au stade de l'exécution d'un contrat unilatéral en diminuant les droits de la partie qui bénéficie de l'engagement de son cocontractant. Ainsi, dans le cautionnement, la déchéance du droit aux intérêts de l'établissement de crédit vis-à-vis de la caution modifie l'équilibre des droits entre les parties. La sanction de la faute du banquier entraîne la perte du droit aux intérêts contractuels à l'exclusion des intérêts légaux (9). Cette déchéance consiste en la perte des intérêts conventionnels, "les cautions étant seulement tenues à titre personnel à payer les intérêts au taux légal à compter de la première mise en demeure qu'elles reçoivent" (10). La solution se justifie car la déchéance du droit aux intérêts est une peine privée qui doit être interprétée de manière restrictive. Selon l'esprit de la loi, la déchéance du droit aux intérêts est conçue pour sanctionner les manquements à une obligation d'origine contractuelle. La déchéance anéantit le droit aux intérêts (11) prévus par le contrat et ne peut affecter de manière extensive les intérêts légaux.
En définitive, la déchéance du droit aux intérêts est une peine privée qui peut conduire à la refonte des relations contractuelles ou légales entre la caution et son créancier le banquier à la défaveur de ce dernier. Cette peine privée contractuelle supprime les droits de la partie fautive et maintient les effets de la convention au profit de la victime. Par essence répressive, la déchéance concerne uniquement les rapports entre la personne fautive et sa victime. En l'espèce, l'arrêt rappelle implicitement que la déchéance ne peut s'appliquer lorsque aucune faute ne peut être imputée à la banque à l'égard des autres cautions. Le fait générateur de cette peine est la faute de la personne qui est susceptible de l'encourir. En l'absence de faute préjudiciable constatée, les autres coobligés non lésés ne peuvent se prévaloir du bénéfice de la déchéance. Seules les victimes de la personne passible de déchéance sont à même d'en profiter.
Alexandre Le Gars
Docteur en droit
Chargé d'enseignement à l'université des sciences sociales de Toulouse I
(1) J. Flour et J.-L. Aubert, Les obligations, le rapport d'obligation, T 3, 3ème éd., Armand Colin 2004, n° 318.
(2) Ph. Le Tourneau et J. Julien, Solidarité, Dalloz 2004, n° 104.
(3) Cass. com., 25 mars 1991, n° 88-20.162, M. Le Pêcheur c/ Receveur principal des Impôts de Paris 1er (N° Lexbase : A4070AH9), Bull civ. IV, n° 118.
(4) Cass. civ. 1, 26 mai 1994, n° 92-13.435, M. Sanchez c/ Caisse régionale de Crédit agricole mutuel des Alpes-Maritimes (N° Lexbase : A3875ACI), Bull. civ. I, n° 187.
(5) Ph. Le Tourneau et J. Julien, précité, n° 107 et suivants.
(6) Le texte définit de manière précise la teneur de l'information due, qui intéresse le montant et la durée de l'engagement de la caution. L'information doit porter exclusivement sur le passif garanti par la caution : la disposition indique que l'information porte sur le "montant du principal et des intérêts, commissions, frais et accessoires restant dus au 31 décembre de l'année précédente". La formule de l'article L. 313-22 du Code monétaire et financier impose, en outre, que les éléments de la créance soient distingués, pour le moins en ce qui concerne le principal et les intérêts. Cette nécessité de classement des éléments de la créance, afférents à une période déterminée, est corroborée par la Cour de cassation : Cass. com., 22 juin 1993, n° 91-14.741, M. Moussaud c/ Crédit du Nord (N° Lexbase : A5696ABL), Bull. civ. IV, n° 257 ; Cass. com., 30 novembre 1993, n° 91-14.856, Société française de factoring c/ M. Najar (N° Lexbase : A5818AHX), Bull. civ. IV, n° 434.
(7) Le texte de l'article L. 313-22 du Code monétaire et financier est dépourvu d'équivoque : il impose au juge le prononcé de la déchéance du droit aux intérêts lorsque le défaut d'information de la caution est avéré. Ce dernier dispose seulement du pouvoir d'apprécier les conditions d'application de la peine : Cass. com., 22 juin 1993, précité.
(8) V.-F. Pollaud-Dulian, De quelques avatars de l'action en responsabilité civile dans le droit des affaires, RTD Com., 1997, p. 349.
(9) La déchéance ne vise pas les intérêts moratoires dus en application de l'article 1153, alinéa 3, du Code civil (N° Lexbase : L1254AB3). Selon la Cour de cassation, "les dispositions de l'article 48 de la loi du 1er mars 1984 concernent les intérêts dus par la caution en cette dernière qualité et non ceux dus par la caution par application de l'article 1153, alinéa 3, du Code civil, après qu'elle eut été mise en demeure d'exécuter son engagement" : Cass. com., 25 juin 1991, n° 89-20.071, Epoux Benhamou c/ Crédit industriel et commercial de Paris (N° Lexbase : A4760AHR), Bull. IV., n° 233.
(10) Voir, Cass. civ. 1, 9 décembre 1997, n° 95-19.940, Crédit industriel et commercial de Paris c/ Epoux Ribillard (N° Lexbase : A0723ACR), D. 1998, IR p. 27.; Cass. civ. 1, 12 mars 2002, n° 99-17.209, M. Michel Benard c/ Caisse d'épargne et de prévoyance Poitou-Charentes, FS-P+B+R (N° Lexbase : A2241AYN), D., 2002, AJ. p. 1199, obs. A. Lienhard.
(11) En outre, l'article L. 313-22 du Code monétaire et financier déroge au droit commun de l'imputation des paiements. Car selon la disposition susmentionnée : "les paiements effectués par le débiteur principal sont réputés, dans les rapports entre la caution et l'établissement, affectés prioritairement au règlement du principal de la dette". En d'autres termes, si le capital reste dû, les intérêts sont considérés à l'égard de la caution comme demeurés impayés, afin que la déchéance puisse s'appliquer, même si, dans les rapports entre le débiteur principal et son créancier, les intérêts ont été, en tout ou partie, acquittés.
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