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par Fabien Waechter, Directeur du centre Information, Documentation, Formation
le 07 Octobre 2010
Ainsi, le produit éditorial juridique sur support numérique est dans un premier temps un produit dématérialisé. Autant a-t-il été, un temps, reproché au support "papier" de prendre trop de place, autant, est-il devenu suspect, aujourd'hui, de vendre un produit qui ne peut même pas se dissoudre en poussière ! La dernière fois que la question de la conservation m'a été posée, elle était formulée sur le thème du vent, et ses rapports avec la vente de produits sur Internet. Maintenant que les produits dématérialisés sont perçus comme pouvant être des produits de contenu, l'abonné veut pouvoir continuer à accéder, non seulement, à ce à quoi il a déjà accédé, mais à tout ce à quoi il a pu avoir accès.
Notre modèle est dorénavant viable, et cherche même à perdurer ! Mais, il reste économiquement et techniquement imaginable de penser céder à chaque abonné, au terme de son contrat d'abonnement, la partie de Lexbase à laquelle il avait accès. En terme de réalité économique, cette possibilité ne peut que constituer une option contractuelle supplémentaire à l'abonnement, qui trouve sa contrepartie dans un prix supplémentaire versé pour ce qui est donc un nouveau produit. De même, il est techniquement possible de fournir un contenu "solide" : il peut, de façon réaliste, exister un produit Lexbase, figé sur support papier ou cd-rom (des produits statiques), à un instant "T". Nous avons, pour ce faire, de multiples options déjà existantes :
- l'"e-book" permet d'enregistrer une version image de Lexbase, indexée d'une date de génération, avec exploitation par un sommaire ;
- l'outil "Classeur" permet à l'utilisateur de se constituer des dossiers d'archives, qu'il est envisageable de pouvoir céder, afin de les installer sur un disque dur, ou de les exploiter via cd-rom.
Il est une chose que ce produit, ainsi défini, ne sera, pourtant, jamais, tout réalisable qu'il soit : un véritable produit éditorial numérique. En effet, ce produit reste un produit d'une réalité austère, en ce qu'une des vertus de la donnée numérique, est justement la volatilité, qui en permet toutes les facilités d'utilisation, dont celles de la mise à jour. Le produit de conservation ainsi réalisé est un produit, qui ne correspondra qu'à une démarche véritablement "réaliste" : il ne conviendra qu'en cas d'impossibilité absolue d'exploiter la donnée dématérialisée.
Les équipes Lexbase, si elles ont souvent pensé à ce genre de développement, n'y ont, pour autant, pas encore donné suite : que serait Lexbase sans sa réactivité ? Nous considérons que la valeur ajoutée, tirée de cet état de dématérialisation, est, pour une part, la réactivité. Par conséquent, le seul intérêt que Lexbase peut trouver dans la mis en place d'un tel produit de conservation est la compilation, qui sera vendue comme telle. Cela manque, en définitive, à nos yeux, de créativité, laquelle justifie pourtant une grande part de notre fameuse valeur ajoutée !
Outre son support numérique, la donnée Lexbase a une autre caractéristique : elle est juridique. Cela signifie que, quelle que soit sa valeur ajoutée, elle ne peut avoir comme origine qu'un fait juridique, un fait officiel, et donc, un fait public. Les rapports que nous entretenons avec les émetteurs publics pourraient être organisés. La conservation est même une excellente monnaie d'échange.
Ainsi, si la donnée publique acquiert une valeur ajoutée, dès lors qu'elle est intégrée dans Lexbase, voire, encore souvent, numérisée, il n'en reste pas moins que la donnée dite "brute", est fournie par la personne morale de droit public émettrice, et ce, globalement, gracieusement. Concrètement, c'est souvent grâce à cette absence de coût, que l'éditeur peut engager des frais pour fabriquer des produits à valeur ajoutée supérieure à celle procurée au départ. A l'inverse, les émetteurs travaillent à mettre à notre disposition une donnée : ce travail est ce que l'on peut appeler le service essentiel. Mais, il correspond, en réalité, bien souvent, notamment en ce qui concerne les juridictions et leur jurisprudence, à ce qui est indispensable pour être mis à disposition du citoyen. C'est du reste, aussi, par certains côtés, l'expression stricte du respect du marché de la concurrence, qui permet à chaque éditeur d'exister ! Alors, sans pour autant se sentir redevables, il semble raisonnable, de savoir simplement coexister. Il pourrait en découler des obligations pour les uns et les autres. Si, effectivement, le service public doit rester essentiel, l'éditeur pourrait s'engager à conserver le produit du travail issu de l'exploitation des données concédées. En effet, nous sommes, à l'aide de ces émetteurs, dépositaire d'une sorte de "service public +", qui pourrait leur être retourné, sans pour autant l'être à tout citoyen. Si les émetteurs restent titulaires de leur mission de service public auprès du citoyen, j'aime à penser que nous sommes investis d'une mission de service public auprès des professionnels du droit. La différence tient dans le service qui est offert. S'il nous appartient de savoir garder le service à un niveau supérieur de celui qui est offert au citoyen, il est tout à fait envisageable qu'une partie de ce service revienne à l'émetteur. Ainsi donc, pourrait-on concrètement réaliser un syllogisme, en l'exposant ainsi : on peut conserver le produit Lexbase, on peut conserver les données publiques, donc on pourrait, de façon réaliste, exiger de nous la conservation du produit des données publiques !
Il s'agirait alors d'établir une véritable collaboration, puisque finalement, le pendant de l'accès à l'information pourrait être la restitution de la source exploitée, ou tout au moins, la restitution d'une partie de l'exploitation de cette source. Dans quel cadre juridique pourrait se développer ce genre de "conservation minimum" ?
Si on reformule le précédent syllogisme, la question suivante se dessine : dans quelle mesure une donnée publique constitue-t-elle un produit ? En effet, on pourrait, en premier lieu, considérer que tant que la donnée reste "brute", elle doit être restituée. C'est un premier niveau tout à fait acceptable, souhaitable, même. Ainsi, par exemple, les cours d'appel qui nous fournissent leurs arrêts sous format "papier", devraient pouvoir exiger la version brute numérisée, en respectant l'équation "donnée brute papier" égale "donnée brute numérisée". La valeur ajoutée de la dématérialisation ne jouerait ici qu'envers les utilisateurs, mais l'émetteur public pourrait profiter d'un moyen de production. La notion de "donnée brute" resterait cependant à préciser ! Mais, il est certain qu'une certaine compilation des données peut être échangée. J'ai assisté ce matin aux discussions développées dans le cadre des Legal information institute, et nous serions prêts à participer à cet échange d'informations avec ces "travaux d'intérêts généraux". Ils ne peuvent, à mon sens, au bout de la chaîne de production, payante ou gratuite, qu'être profitable à l'utilisateur, citoyen ou professionnel. Quoi qu'il en soit, toute conservation, dans cet esprit, ne sera que contractuelle. Ce contrat, différent d'une licence de réutilisation, serait une sorte de contrat d'accès à l'information, qui participerait d'une sorte de dynamique de durabilité de l'intégrité des données, et qui pourrait être passé avec chaque émetteur. Il pourrait prendre les principales lignes des conventions de dépôt qui existent avec la Bibliothèque nationale de France, laquelle réfléchit du reste, depuis 1998, aux conditions d'archivage du web. Là encore, la réflexion pourrait être lancée, soit avec les émetteurs eux-mêmes, soit avec des grands "sanctuaires de produits" que pourraient être les grandes bibliothèques publiques, en référence aux "web sites cimetery" des grandes universités américaines. La discussion est ouverte.
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