Réf. : Cass. com., 24 juin 2014, n° 13-21.074, FS-P+B (N° Lexbase : A1476MSH)
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par Frédérique Julienne, Maître de conférences - HDR, Université de Bordeaux, Membre de l'IRDAP
le 24 Juillet 2014
I - Primauté de l'encadrement du consentement sur la qualité de la caution
Sous le prisme de la situation du dirigeant caution en cas de renégociation d'un crédit, la Chambre commerciale de la Cour de cassation conforte la portée générale des règles encadrant le consentement à ce type de sûreté personnelle. Les juges rappellent, en effet, les principes classiques posés à l'article 2292 du Code civil relatifs aux modalités de conclusion du contrat et à la détermination de l'étendue de l'engagement de la caution. Selon le dispositif législatif, le cautionnement suppose l'expression d'une volonté expresse et ne saurait être étendu au-delà des limites fixées dans le contrat. Cette règle protectrice de la caution, ayant pour but de s'assurer que la caution a bien conscience de la gravité de son engagement, soulève la question de la nature de cet acte juridique. Relevant de la catégorie des contrats unilatéraux, le cautionnement s'impose comme un contrat consensuel en dépit du refus du cautionnement implicite ou tacite. Si le consentement ne peut être déduit du comportement de son auteur, le Code civil ne va pas, pour autant, jusqu'à imposer le respect d'un formalisme spécifique. En dehors de textes particuliers, le consentement peut être exprimé librement.
La décision commentée s'inscrit dans l'idée que les règles relatives à l'expression du consentement ne dépendent pas de la qualité de la caution à savoir, si elle est profane ou avertie. Cette approche est également celle privilégiée par le législateur comme l'atteste l'application extensive retenue en matière de formalisme imposé par le droit de la consommation. En ce sens, la loi "Dutreil" du 1er août 2003 (loi n° 2003-721 N° Lexbase : L3557BLC) a étendu les mentions manuscrites posées aux articles L. 313-7 (N° Lexbase : L1523HIA) et L. 313-8 (N° Lexbase : L1524HIB) à tous les cautionnements conclus par actes sous seing privé consentis à un créancier professionnel par une personne physique, que celle-ci soit profane ou non. Ainsi, alors que le dispositif réside dans le Code de la consommation, il est applicable à la caution dirigeant de société. La même démarche domine l'exigence de proportionnalité qui s'impose également quel que soit le degré de compétence de celui qui s'engage en tant que caution (1). Dans l'espèce étudiée, les juges semblent s'orienter en faveur de la généralité des mesures protectrices relatives à l'expression du consentement à partir du moment où la caution est une personne physique sans recourir à la sous distinction entre caution profane et caution avertie.
Si la généralisation des mesures d'encadrement de l'expression de consentement relève d'une logique aujourd'hui classique, le point technique à souligner dans l'arrêt rendu par les juges de la Chambre commerciale est qu'elle s'impose, également à l'occasion d'une modification du crédit alors même que le dirigeant, engagé en tant que caution, est intervenu dans cette renégociation. Cette solution s'inscrit, alors, dans une problématique plus générale relative au sort des sûretés en cas de renégociation du prêt initialement consenti. Ont-elles vocation à être maintenues ? La réponse à cette question dépend du type de procédé tiré du régime des obligations induit par la renégociation d'un crédit. Plus précisément, il s'agit de déterminer si la renégociation emporte novation et donc, substitution d'un nouveau crédit à l'ancien. Les enjeux sont décisifs au regard du sort réservé aux sûretés puisque, si est retenue la solution en faveur de la novation, les sûretés ne sont pas automatiquement maintenues alors qu'elles le sont dans le cas contraire. En application de l'article 1273 du Code civil (N° Lexbase : L1383ABT), la novation ne se présumant pas, les parties doivent donc la prévoir par voie d'avenant. Dans la suite logique de cette solution, toute sûreté devrait, en principe, survivre à la renégociation du contrat de crédit sauf en cas d'avenant prévoyant leur remise en cause. Cette approche doit, cependant, être adaptée lorsque la sûreté mise en jeu est un cautionnement comme le démontre l'arrêt étudié. En pratique, l'intervention de la caution s'impose quelles que soient les circonstances de la renégociation du crédit afin d'éviter que le garant tire argument des modifications afin de se décharger. Si aucun texte ne prévoit de règles particulières dédiées aux modalités de mise en oeuvre du crédit substitutif, la sécurité juridique impose que la caution soit destinataire de l'offre préalable du crédit modifié en calquant les mesures imposées dans le cadre du crédit initial.
Pour les juges de la Chambre commerciale, la qualité de caution avertie ne justifie donc pas l'exclusion des règles protectrices relatives au consentement à la modification de la dette principale. Il convient alors de mesurer les implications de l'absence de différenciation de traitement du dirigeant de société caution.
II - Implications de l'absence de traitement différencié du dirigeant caution
La solution retenue par la Chambre commerciale conforte le sentiment d'incertitudes qui domine le traitement des cautions averties dont la qualification même n'est pas toujours aisée. En effet, si le dirigeant ou le directeur commercial associé majoritaire sont présumés être une caution avertie (2), d'autres situations relèvent d'une appréciation in concreto comme celle, par exemple, de l'associé ou du conjoint du dirigeant (3). La justification de cette catégorisation réside dans le constat que certaines cautions se trouvent dans une situation avantageuse au vu de leur aptitude à cerner la portée de leur engagement et de leur accès privilégié aux informations sur la situation financière du débiteur principal. Cette situation favorable ne fait pas de doute dans l'affaire ici rapportée car la caution, en tant que dirigeant, avait pleinement connaissance des conditions de renégociation du crédit.
Au final, le statut moins protecteur appliqué à ce type de caution réside principalement, au regard de la formation du contrat, dans les restrictions apportées au bénéfice du devoir de mise en garde et dans l'appréciation du dol. Ainsi, elle n'est pas créancière du devoir de mise en garde qui pèse sur les établissements de crédit relatif à la capacité financière de la caution et aux risques de l'endettement né de l'octroi des prêts au débiteur principal, sauf à démontrer que l'établissement bancaire détenait des informations qu'elle ignorait (4). De même, elle pourra plus difficilement qu'une caution profane se prévaloir de la nullité du contrat pour dol.
Protectrice des cautions averties, la décision commentée laisse planer une incertitude sur sa portée. La rigueur de l'exigence du consentement explicite de la caution en cas de modification du crédit doit-elle s'imposer dans tous les cas de figure ? L'hypothèse qui est susceptible d'être discutée est celle où la renégociation du prêt aboutit à des conditions plus avantageuses pour le débiteur et donc à un allègement du risque pris par le garant. Tel sera le cas, par exemple, si le taux d'intérêt est renégocié à la baisse ou si la durée de l'endettement est réduite. Si on se réfère à l'esprit de l'article 2292 du Code civil, repris par les juges de la Chambre commerciale, une réponse négative devrait devoir s'imposer car l'hypothèse qui s' y trouve mise en avant est celle de l'extension du cautionnement au-delà de ses limites.
D'un point de vue pratique, on peut également s'interroger sur les modalités d'octroi du consentement au cautionnement du dirigeant, qui comme en l'espèce, avait par ailleurs connaissance des conditions de renégociation du crédit. Il est concevable d'imaginer qu'il puisse intervenir, à la fois, dans le même acte en tant que garant et en tant qu'emprunteur .Il est admis, en effet, qu'une personne puisse agir au titre de deux qualités différentes dans un même acte. Dans ce cas, la signature unique est valable mais à la condition que les deux qualités soient mentionnées. Cette solution a été retenue dans une hypothèse similaire de celle étudiée dans un acte notarié à l'occasion duquel un dirigeant de société intervenait en tant qu'emprunteur et en tant que caution (5).
Favorable à la protection des intérêts des dirigeants de société qui s'engagent en tant que caution des dettes de leur société en cas de renégociation de celles-ci, la solution rendue par la Chambre commerciale s'inscrit dans une démarche d'une différenciation de traitement raisonné entre les cautions averties et les cautions profanes.
(1) M.-H. De Laender, L'exigence de proportionnalité, RD Banc. Fin., 2003, 259 ; D. Houtcieff, Les dispositions applicables au cautionnement issue de la loi pour l'initiative économique, JCP éd. G, 2003, I, 161 ; P. Crocq, Sûretés et proportionnalité, Mélanges Ph. Simler, 2006, Litec-Dalloz, p. 291.
(2) Cass. com., 17 février 2009, n° 07-20.935, F-D (N° Lexbase : A2618EDC), Ph. Pétel, Le dirigeant garant, Rev. proc. coll, novembre, 2010, 82.
(3) G. Piette, V° Cautionnement commercial, Rép. Com., Dalloz, 2012, n° 68 et s..
(4) Par ex., Cass. com., 15 décembre 2009, n° 08-20.702, F-D (N° Lexbase : A7147EPE); Cass. com., 4 février 2003, n° 98-20.038, F-D (N° Lexbase : A8998A4Z).
(5) Par ex., Cass. com., 15 décembre 2009, n° 08-20.702, préc. et Cass. com.,4 février 2003, n° 98-20.038, préc..
Décision
Cass. com., 24 juin 2014, n° 13-21.074, FS-P+B (N° Lexbase : A1476MSH). Cassation (CA Bordeaux, 5 juillet 2012). Lien base : (N° Lexbase : E0814A8N). |
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