La lettre juridique n°580 du 24 juillet 2014 : Avocats/Statut social et fiscal

[Jurisprudence] Allocation d'incapacité temporaire versée aux avocats : une appréciation judiciaire sévère des conditions d'ouverture

Réf. : CA Paris, Pôle 2, 2ème ch., 30 mai 2014, n° 13/03545 (N° Lexbase : A5925MP7)

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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen et Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Droit de la protection sociale"

le 24 Juillet 2014

Les membres des professions libérales ne bénéficient pas d'un régime uniforme d'invalidité-décès, mais de régimes spécifiques à chaque caisse de section professionnelle (CSS, art. L. 644-2 N° Lexbase : L1430IG3) (1). Ainsi, les avocats peuvent bénéficier d'une prise en charge, au titre d'une allocation d'incapacité (CSS, art. R. 723-54 N° Lexbase : L4988IR8, R. 723-55 N° Lexbase : L7714G7T et R. 723-59 N° Lexbase : L7718G7Y ; statuts de la CNBF, art. 54-3 à 54-6 et art.. 60) ; les avocats salariés relèvent de l'assurance invalidité du régime général de la Sécurité sociale. Les avocats sont très rarement atteints d'une incapacité de travail, en tout cas au sens du droit de la Sécurité sociale, c'est-à-dire, l'incapacité entendue au sens médical. Plus exactement, le régime de l'allocation d'incapacité temporaire est encore plus rarement porté devant les juridictions, et l'arrêt rendu par la cour d'appel le 30 mai 2014 donne peut-être une hypothèse de travail et une piste de réflexion : la prise en charge de la maladie, invalidante, diffère, selon la date de sa constatation. Avant le début de l'exercice de l'activité, la maladie est prise en charge par la solidarité nationale (par ex., prestations en espèces de l'assurance maladie ou allocation adulte handicapé) ; pendant l'exercice de l'activité, la maladie invalidante relève alors de la solidarité professionnelle (et sera alors prise en charge par la CNBF).
Résumé

L'avocat ou l'avocat stagiaire bénéficie d'une allocation d'incapacité s'il se trouve dans l'impossibilité d'exercer sa profession, à la condition de justifier qu'il était inscrit à un barreau lors de sa cessation d'activité et qu'il a exercé la profession pendant douze mois au moins.

Cette allocation n'est acquise que si la cessation de l'activité a pour cause une maladie contractée ou un accident survenu après l'inscription de l'intéressé au tableau ou sur la liste du stage à un barreau.

L'avocate atteinte d'une maladie diagnostiquée avant son inscription au barreau mais présentant déjà des manifestations invalidantes majeures (même si l'aggravation de sa rétinite pigmentaire ayant entraîné pour elle la perte quasi-totale de sa vision est intervenue après son inscription au tableau) n'a pas droit au versement de allocation d'incapacité versée par la CNBF.

I - Régime de l'allocation temporaire d'incapacité

L'avocat (ou l'avocat stagiaire) doit déclarer son arrêt de travail auprès du barreau où il est inscrit et formuler une demande de prise en charge à la CNBF. Elle doit être accompagnée d'un certificat médical destiné au médecin conseil précisant la date exacte de l'arrêt, sa cause et sa durée prévisible ; de l'avis d'arrêt de travail ou du bulletin d'hospitalisation. La décision de prise en charge pour une période donnée est arrêtée par le conseil d'administration sur avis de la commission d'invalidité et du médecin conseil de la CNBF.

A - Bénéficiaires

L'avocat (ou l'avocat stagiaire) bénéficie de l'allocation d'incapacité s'il se trouve dans l'impossibilité d'exercer sa profession, à partir du quatre-vingt-onzième jour qui suit la cessation de toute activité à la condition de justifier qu'il était inscrit à un barreau lors de sa cessation d'activité (CSS, art. R. 723-54 ; statuts de la CNBF, art. 54-3).

Les conjoints collaborateurs d'avocats non salariés sont affiliés à titre obligatoire au régime d'invalidité-décès géré par la CNBF depuis le 1er juillet 2011 seulement (décret n° 2011-698 du 20 juin 2011 N° Lexbase : L5267IQ7). Le conjoint collaborateur bénéficie de l'allocation d'incapacité s'il se trouve dans l'impossibilité d'exercer son activité, à partir du quatre-vingt-onzième jour qui suit la cessation de toute activité à la condition de justifier du statut de conjoint collaborateur lors de cette cessation d'activité depuis douze mois au moins (CSS, art. R. 723-54).

1- Cessation d'activité

La cessation de l'activité est constatée dans les conditions fixées par les statuts de la Caisse. Elle doit être totale, ce qui exclut toute postulation, plaidoirie, réception de clientèle et consultation (CSS, art. R. 723-54 ; statuts de la CNBF, art. 54-3).

2 - Perte de sa qualité d'avocat

En, 1993, la Cour de cassation déduisait de l'article 38-5, alinéa 2, des statuts de la CNBF (devenu l'article R. 723-52 du Code de la Sécurité sociale N° Lexbase : L4987IR7), que l'allocation d'invalidité temporaire n'est acquise que si la cessation d'activité de l'avocat a pour cause la maladie ou un accident survenu après inscription de l'intéressé au tableau de l'Ordre des avocats : cette inscription constitue une condition d'octroi de l'allocation d'incapacité (Cass. soc., 3 juin 1993, n° 91-11.452, non publié au bulletin N° Lexbase : A9655ATR). En l'espèce, à compter du 21 février 1983 (date de sa radiation), l'assuré a cessé d'appartenir au barreau. La cour d'appel a décidé, à bon droit, qu'il ne pouvait pas percevoir l'allocation d'incapacité au-delà de la date précitée.

En 2000, la Cour de cassation a confirmé la solution.

Selon l'article 54-3 des statuts de la CNBF et le Code de la sécurité sociale (CSS, art. R. 723-54), la perte de la qualité d'avocat emporte celle du bénéfice de l'allocation d'invalidité temporaire. La cour d'appel de Paris en avait déduit par arrêt du 20 mai 1996, la radiation de l'intéressé avait été prononcée, ce qui entraînait la perte de sa qualité d'avocat. Les juges du fond en ont exactement déduit que l'allocation ne pouvait être servie après cette date. Le pourvoi avait été rejeté (Cass. soc., 6 juillet 2000, n° 98-21.103 N° Lexbase : A9161AGE).

3 - Reprise

Le service de l'allocation d'incapacité cesse lorsque l'intéressé est redevenu apte à exercer sa profession (ou sa collaboration) ou qu'il a reçu l'allocation pendant trois ans. Dans le cas d'interruption suivie de reprise de travail, il est ouvert un nouveau délai de trois ans, dès l'instant où la reprise a été d'au moins un an. Lorsque la reprise de travail dure moins d'un an, le total des périodes successives pendant lesquelles l'allocation d'incapacité est servie, comptées de date à date, ne peut excéder une durée de trois ans (CSS, art. R. 723-54 ; statuts de la CNBF, art. 54-3).

B - Versement de l'allocation

L'allocation d'invalidité temporaire est financée par la profession. Les avocats versent une cotisation forfaitaire annuelle obligatoire, graduée suivant l'âge lors de la prestation de serment et l'ancienneté d'exercice depuis la prestation de serment. La CNBF peut percevoir une cotisation distincte, destinée au financement d'un régime d'assurance décès et invalidité, dans les conditions fixées par décret en Conseil d'Etat (CSS, art. L. 723-6 N° Lexbase : L1307IGI). De la première à quatrième année, la cotisation s'élève à 55 euros ; à partir de la cinquième année et au-delà de 65 ans, 137 euros.

Selon le CNBF (2), les prestations journalières, versées à compter du quatre-vingt-dixième jour d'arrêt de travail, représentent l'essentiel des prestations, les pensions versées après trois années de versement des IJ, en cas d'incapacité permanente médicalement constatée, empêchant l'exercice de la profession, ne représentant que 15,7 % des prestations versées.

1- Montant

Le montant de l'allocation temporaire est fixé par l'assemblée générale sur proposition du conseil d'administration de la Caisse (CSS, art. R. 723-55 ; statuts de la CNBF, art. 54-4). Les dispositions des articles L. 723-8 (N° Lexbase : L5630ADU) et R. 723-35 (N° Lexbase : L9171IEE) sont applicables à cette délibération. En 2014, l'indemnité journalière a été fixée à 61 euros (seulement) par jour.

2 - Calcul et paiement

L'allocation temporaire est calculée par jour d'invalidité. Elle est payable à mois échu (statuts de la CNBF, art. 54-5).

L'allocation d'invalidité temporaire est versée par la CNBF à partir du quatre-vingt-onzième jour qui suit la cessation de toute activité de l'avocat (ou de l'avocat stagiaire), à condition que la demande ait été formulée dans les douze mois suivant l'arrêt de travail. Pendant les quatre-vingt-dix premiers jours de l'arrêt de travail, l'intéressé demander une prise en charge à "LPA" ("La prévoyance des avocats"), organisme en charge du régime complémentaire de prévoyance facultatif des avocats.

II - Conditions au bénéfice de l'allocation temporaire

Les textes conditionnent le bénéfice de l'allocation temporaire à deux éléments, les uns relatifs à l'exercice de la profession et les autres, à l'état pathologique de l'avocat. En outre, le service de l'allocation d'invalidité cesse lorsque l'intéressé obtient de la Caisse le service d'une retraite, entière ou proportionnelle. Le capital décès et l'allocation d'invalidité ne sont pas dus si le décès ou l'invalidité trouvent leur origine à l'occasion de faits de guerre ou de compétitions sportives (statuts de la CNBF, art. 60).

A - Conditions relatives à l'exercice de la profession

En application de l'article R. 723-52 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L7708G7M), l'avocat (ou l'avocat stagiaire) bénéficie de l'allocation temporaire s'il se trouve dans l'impossibilité d'exercer sa profession, à la condition de justifier :

- qu'il était inscrit à un barreau lors de sa cessation d'activité ;

- qu'il a exercé la profession pendant douze mois au moins.

B - Conditions relatives à l'état pathologique de l'avocat

La CNBF (3) a diffusé des données précieuses sur la dimension médicale et pathologique de l'invalidité des avocats. Les principales pathologies recensées par le médecin-conseil de la CNBF dans les demandes de prestations pour invalidité correspondent pour 32,5 % à des grossesses pathologiques, pour 23,4 % à des affections psychiatriques, pour 12,4 % à des affections cancéreuses. Les pathologies ayant donné lieu à la liquidation de pensions de retraite anticipées pour raisons médicales correspondent pour 41,2 % à des affections psychiatriques, 23,5 % à des affections cardio-vasculaires, 14,7 % à des affections neurologiques, 8,8 % à des affections cancéreuses.

Juridiquement, l'allocation temporaire n'est acquise que si la cessation de l'activité a pour cause une maladie contractée ou un accident survenu après l'inscription de l'intéressé au tableau ou sur la liste du stage à un barreau (CSS, art. R. 723-52, al. 2). En l'espèce, l'avocate était atteinte d'une maladie, diagnostiquée avant son inscription au barreau mais présentant déjà des manifestations invalidantes majeures. Mais il importe peu de constater, pour les juges du fond, que l'aggravation de sa rétinite pigmentaire ayant entraîné pour elle la perte quasi-totale de sa vision est intervenue après son inscription au tableau. La cour d'appel en tire la conclusion que l'intéressé n'a donc pas droit au versement de l'allocation temporaire versée par la CNBF.

L'avocate avait demandé à la cour d'appel de Paris de considérer que les restrictions de l'alinéa 2 de l'article R. 723-52 n'auraient pas à s'appliquer : l'affection diagnostiquée en 1988 ne comportait pas de manifestations invalidantes ; son évolution vers la cécité quasi-totale, intervenue après son inscription au barreau, était rare et non systématique. Mais, pour les juges du fond, la maladie à l'origine de la cessation d'activité avait été contractée avant son inscription au barreau, ce qui exclut que lui soit servie l'allocation d'incapacité.

Enfin, l'avocate ne peut se fonder sur les dispositions de l'article R. 723-54 modifié par le décret du 20 juin 2011 retenant que l'allocation est acquise lorsque la cessation d'activité a pour cause "une maladie contractée ou un accident survenu après l'inscription de l'intéressé au tableau ou sur la liste du stage à un barreau", dans la mesure où ces dispositions ne peuvent avoir d'effet rétroactif.

La solution peut paraître sévère, mais elle est conforme aux textes. L'article R. 723-54 du Code de la Sécurité sociale précise bien que l'allocation n'est ouverte que si la cessation de l'activité a pour cause une maladie ou un accident dont les effets invalidants interdisant l'exercice de la profession surviennent après l'inscription de l'intéressé à la CNBF.

Cette exigence n'est pas exceptionnelle ni déplacée. On la retrouve dans le régime des artisans. La date de la constatation médicale de l'invalidité doit se situer à un moment où l'intéressé était affilié (à titre obligatoire, ou à titre volontaire), aux régimes d'assurance vieillesse et au régime d'assurance invalidité-décès des professions artisanales du régime social des indépendants (Règlement du régime d'assurance invalidité-décès des professions artisanales, art. 6 et art. 7 ; Circ. CANCAVA n° 94-27, 14 décembre 1994).


(1) Des régimes d'assurance invalidité-décès ont été créés pour les médecins, les pharmaciens, les chirurgiens-dentistes, les vétérinaires, les experts-comptables et comptables agréés, les officiers ministériels et officiers publics, les auxiliaires médicaux, les architectes, agréés en architecture, les ingénieurs, techniciens et experts, les géomètres et experts agricoles et fonciers, les sages-femmes et les agents généraux d'assurances... et les avocats, géré par la CNBF.
(2) CNBF, Rapport d'activité 2012, 2012, § 43, "Les prestations du régime invalidité-décès - évolution 2007-2012".
(3) CNBF, Rapport d'activité 2012, 2012, § 91, "Activités sociales : Invalidité, décès et aide sociale".

Décision

CA Paris, Pôle 2, 2ème ch., 30 mai 2014, n° 13/03545 (N° Lexbase : A5925MP7)

Lien base : (N° Lexbase : E1884ALD)

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